Texte d’opinions dans Le Devoir
Le Québec n’est pas prêt pour l’explosion de la fréquentation universitaire
Photo: Université de Montréal, Archives Le Devoir
«D’ici 10 ans, la fréquentation universitaire sur l’ensemble du territoire du Québec augmentera de l’équivalent de deux à trois universités situées à Montréal », observe l’auteur.
Martin Maltais
L’auteur est professeur en financement et politiques d’éducation au campus de Lévis de l’UQAR.
08 h 20
Idées
En juin 2023, la ministre de l’Enseignement supérieur a tenu une consultation sur les règles de financement des universités québécoises. L’affaire n’a pas retenu l’attention du public. Pourtant, cela constitue un dossier très critique pour toute la société québécoise.
Nous devons prévoir dès maintenant une explosion de la fréquentation universitaire.
En effet, d’ici 10 ans, la fréquentation universitaire sur l’ensemble du territoire du Québec augmentera de l’équivalent de deux à trois universités situées à Montréal . Cette hausse sera plus élevée si nous atteignons les cibles de nos politiques publiques. Et elle requerra des investissements financiers considérables. Il faut bien comprendre pourquoi.
Mauvaise planification coûteuse
Tous ceux qui travaillent en éducation ou en enseignement supérieur constatent aujourd’hui les coûts de la mauvaise planification de l’évolution qu’a connue la fréquentation scolaire dans les deux premières décennies de ce millénaire. Les difficultés associées ont été et demeurent importantes : pénurie d’enseignants et des autres membres du personnel scolaire, déficit d’entretien des écoles, nécessité de construire de nouveaux établissements, etc.
Comprenons dès maintenant qu’une crise se profile en enseignement supérieur, particulièrement dans les universités. Le Québec risque de connaître une importante crise sociale et économique si nous ne pouvons pas répondre à la demande d’activités universitaires dans 10 ans. Un risque qui s’accroîtrait avec l’atteinte des cibles de nos politiques publiques !
Par exemple, nous pourrions franchir — d’ici la fin de la décennie actuelle — 90 % de diplomation en 5e secondaire et accroître de 10 % celle au collégial. Une telle réussite augmenterait de façon importante le bassin de jeunes susceptibles de fréquenter l’université alors que ce groupe sera en croissance. D’autant que l’atteinte de ces cibles se ferait dans un contexte où :
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la fréquentation au secondaire augmente ;
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le flux migratoire est aussi en hausse importante ;
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l’économie demeure sur les chapeaux de roues, ce qui rend le Québec toujours très attractif ;
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le gouvernement du Canada a la volonté explicite de soutenir une hausse de la population canadienne de 500 000 personnes par an, ce qui exercerait inévitablement une pression pour que le Québec hausse sa cible à au moins 125 000 personnes par an dans les années à venir ;
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les risques découlant des menaces environnementales (notamment les risques climatiques) exerceront des pressions supplémentaires sur l’accueil de réfugiés.
Une croissance incontournable
Ces différentes réalités, qui sont autant de facteurs de pression qui entraîneront une hausse prévisible de la fréquentation universitaire, ne laissent entrevoir aucun doute sur la croissance de la demande d’activités universitaires, et nous n’y consacrons pas l’attention et l’énergie requises.
Je réaffirme et j’insiste : la demande d’activités universitaires dépassera très probablement d’au moins 30 % la demande actuelle à partir de 2033, et la hausse se poursuivra au cours des décennies suivantes. Que le gouvernement ne tienne pas compte de ce scénario dans les prochaines décisions qu’il prendra à l’égard de ses universités constituerait, à mon sens, l’un des plus grands risques que le Québec court à l’heure actuelle.
Et si l’on pense éprouver actuellement des difficultés liées à la construction et à l’embauche du personnel des nouvelles écoles, attachez votre tuque : il n’y aura pas de parcours accéléré pour former les nouveaux professeurs d’université ! Les campus universitaires, avec leurs vastes et complexes infrastructures de recherche, qui doivent être à la fine pointe de la technologie, ne s’érigent pas à la même vitesse qu’un établissement scolaire, et ce n’est pas la formation à distance qui permettra de répondre adéquatement à une telle demande.
Si le Québec devient une terre d’accueil de la francophonie et que nous n’avons ni l’effectif professoral et enseignant, ni les équipes de soutien, ni les professionnels, les cadres, les infrastructures de recherche, les espaces et les technologies pour répondre à la demande d’activités universitaires, le Québec traversera une importante crise sociale et économique. Vous en doutez ? Pensez au nombre de médecins, d’infirmières, d’ingénieurs, d’enseignants, de comptables, d’avocats, d’architectes — pour ne nommer que ces professions — dont la population du Québec aura besoin à partir de 2033…
À cela s’ajoute le fait que si nous voulons continuer de vivre ici en français, le seul chemin sera celui de la prospérité de la vie universitaire francophone. Conséquemment, la hausse des activités universitaires subventionnée par le gouvernement du Québec doit se faire dans les universités de langue française — sans vouloir porter préjudice aux universités anglophones. D’ailleurs, on comprendra qu’une hausse de l’ensemble de l’activité universitaire de 30 % qui prend forme en langue française uniquement signifie 40 % d’augmentation des activités universitaires en français.
Pour un financement réaliste
Les analyses qui précèdent conduisent à la constatation que le Québec doit planifier un financement de ses universités réaliste et démographiquement bien calculé . Dans le budget 2023-2024, tout l’enseignement supérieur représente à peine 7 % du total. Un tel financement doit faire l’objet d’un plan de croissance réfléchi, fondé sur la démographie et sur les besoins du Québec.
Sinon, le Québec ne pourra pas soutenir ses services publics, au premier chef la santé, ni son développement économique, ni son identité propre.
Une crise se profile si les universités ne sont pas mieux financées, selon des professeurs
Des acteurs du milieu universitaire pensent que Québec sous-estime la croissance à venir de la population étudiante et qu’on va le payer cher.
« Attachez votre tuque : il n’y aura pas de parcours accéléré pour former les nouveaux professeurs d’université », écrit le professeur Martin Maltais.
PHOTO : ASSOCIATED PRESS / MARK FELIX
Fannie Bussières McNicoll
Publié à 4 h 00 HAE
À l’aube de la rentrée, on parle beaucoup de la pénurie d’enseignants actuelle dans le secteur scolaire et des écoles vétustes ou trop petites. Voilà le résultat d’une « mauvaise planification » de la fréquentation scolaire depuis 20 ans, selon Martin Maltais, expert du financement et des politiques en éducation.
Et une crise similaire, voire pire, se profile dans le réseau de l’enseignement supérieur si le gouvernement ne réajuste pas ses prévisions en termes de nombre d’étudiants universitaires et ne prévoit pas un réinvestissement majeur dans les universités, prévient le professeur à l’Université du Québec à Rimouski.
Ne pas tenir compte de ce scénario dans les prochaines décisions que le gouvernement du Québec prendra à l’égard de ses universités constitue à mon sens l’un des plus grands risques que le Québec court.
Une citation extraite de la lettre ouverte de Martin Maltais, professeur à l’Université du Québec à Rimouski et expert du financement et des politiques en éducation
Voilà le pavé dans la mare qu’il lance dans une lettre ouverte qui reprend les idées étayées dans son mémoire déposé lors de la consultation sur la révision de la Politique de financement des universités lancée au printemps dernier par la ministre de l’Enseignement supérieur Pascale Déry.
Les projections du ministère de l’Éducation indiquent que la hausse de l’effectif universitaire sera de l’ordre de 10,6 % d’ici 2031. Mais Québec fait fausse route, de l’avis de celui qui a agi comme conseiller de quatre ministres issus de trois gouvernements différents, et la fréquentation universitaire augmentera plutôt d’au moins 30 % d’ici 2033 selon ses prévisions.
Madeleine Pastinelli, la présidente élue de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), pense aussi que les décideurs ne prennent pas la juste mesure de l’ampleur de la hausse du nombre d’étudiants universitaires à venir. Les prévisions ont toujours été extrêmement conservatrices, Québec a toujours sous-évalué de façon très importante l’évolution des effectifs étudiants.
C’est aussi ce qu’a remarqué Martin Maltais, qui affirme que la hausse de la fréquentation au secondaire, l’augmentation du flux migratoire et l’arrivée croissante d’étudiants étrangers sont parmi les facteurs principaux à prendre en compte pour prédire cette hausse importante.
Sans les investissements conséquents, il sera impossible pour le réseau universitaire d’embaucher le personnel suffisant et de développer de manière adéquate les infrastructures nécessaires pour absorber ce flux d’étudiants, craint-il.
Si on pense vivre des difficultés avec la construction des nouvelles écoles et le personnel qu’il faut embaucher, attachez votre tuque : il n’y aura pas de parcours accéléré pour former les nouveaux professeurs d’université. Et les campus, avec leurs vastes infrastructures de recherche, ne s’érigent pas à la même vitesse qu’un établissement scolaire, écrit M. Maltais.
Si on n’est pas capables de répondre à la demande universitaire dans dix ans, on ne pourra pas maintenir notre position dans l’économie du savoir ni accroître le taux de diplomation de la population et le risque, c’est une crise économique et sociale.
Une citation de Martin Maltais, professeur à l’Université du Québec à Rimouski et expert du financement et des politiques en éducation
Protéger la qualité de l’enseignement
Par ailleurs, si le financement universitaire n’est pas revu, la qualité de la formation et la valeur des diplômes seront en danger, martèle Madeleine Pastinelli, qui représente 10 000 professeurs d’université au Québec.
Il est urgent de financer de façon plus conséquente les universités pour s’assurer de maintenir un ratio professeur-étudiant qui ne soit pas catastrophique et qui permette aux professeurs d’offrir un enseignement de qualité.
Une citation de Madeleine Pastinelli, présidente élue de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU)
Parmi les recommandations contenues dans son mémoire déposé en juin dernier, la FQPPU recommande justement une hausse de 10 % du financement gouvernemental, la diminution significative des ratios étudiants/professeurs, ainsi que l’embauche de 1250 professeurs supplémentaires et autant de ressources académiques supplémentaires.
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Pour la FQPPU, il faudrait changer la manière de financer les universités, qui est essentiellement basée depuis l’an 2000 sur le nombre d’étudiants à temps plein et qui a entraîné une dynamique de course à la clientèle délétère pour la mission première des universités de transmission des savoirs, selon la fédération.
Pour le réseau de l’Université du Québec (UQ), représenté par Alexandre Cloutier, il est important de bien se préparer à cette croissance de la population étudiante afin de s’assurer d’offrir des formations de grande qualité qui, l’espère-t-il, permettront de combler l’écart de diplomation entre le Québec et l’Ontario.
Rééquilibrer le financement entre les universités francophones et anglophones
Au-delà du niveau de financement des universités, la question de la distribution de ces sommes entre les établissements est largement discutée dans nombre des quarante avis déposés pour l’exercice de révision en cours.
La déréglementation des frais de scolarité des étudiants étrangers survenue en 2018, et qui a permis aux universités de fixer elles-mêmes le montant exigé à ceux-ci, est venue accentuer le désavantage structurel des universités francophones, selon le mémoire de la FQPPU, car ces dernières ont accès à un bassin d’étudiants étrangers plus limité.
La fédération réclame le retour aux règles d’avant 2018. À défaut de cela, elle demande une enveloppe de 75 millions de dollars comme appui spécifique aux universités francophones pour corriger ces déséquilibres financiers.
Il ne s’agit surtout pas de pénaliser les universités anglophones, mais de reconnaître que les universités du réseau francophone ne pourront pas recruter autant d’étudiants étrangers à qui l’on va facturer des frais de scolarité beaucoup plus élevés, résume Mme Pastinelli.
On voit une disparité importante du financement qui provient des étudiants internationaux. Et donc, on va souhaiter que le gouvernement mette en place un meilleur équilibre dans la répartition des revenus qui proviennent de ceux-ci.
Une citation d’Alexandre Cloutier, président de l’Université du Québec
L’Université du Québec, de son côté, déplore un manque à gagner de 100 millions de dollars pour son réseau et a hâte de jouer sur la même patinoire que les autres universités pour mieux valoriser cette importante institution historique québécoise, comme l’explique Alexandre Cloutier.
Dans son mémoire, Martin Maltais recommande par ailleurs un effort de financement particulier pour le réseau francophone universitaire, particulièrement pour inciter le recrutement d’étudiants étrangers francophones, à travers le développement d’une stratégie d’internationalisation francophone des universités.
Cette stratégie servirait à soutenir ce recrutement, à retenir les étudiants francophones ou francophiles au Québec et à faire rayonner nos universités dans la Francophonie. Sans quoi, on verra le fait français rapidement déchu de façon irréversible écrit-il.
La ministre Déry se dit consciente de l’enjeu
Le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, indique de son côté que son ministère a des équipes extrêmement compétentes qui étudient en continu [l’augmentation de la fréquentation universitaire et de la diplomation].
Tous sont conscients de l’enjeu [de la hausse de la population étudiante] et le travail se poursuit à cet effet afin que la prochaine Politique de financement des universités reflète la réalité des besoins futurs du réseau universitaire
Une citation du Cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry
Il ajoute que les budgets alloués aux universités ont augmenté de 39 % depuis 2018 et que jamais un gouvernement n’a autant investi en enseignement supérieur.
Par ailleurs, le cabinet de Pascale Déry affirme que les travaux sur la révision de la Politique de financement des universités suivent leur cours et que la ministre travaille actuellement sur des scénarios qui auront pour objectif de corriger le déséquilibre financier entre les établissements anglophones et francophones et de réviser la tarification des droits de scolarité des étudiants hors-Québec.