Réaménagement de la place de La Laurentienne: enjeux patrimoniaux et défis techniques
Natacha Monnier
Construite en 1968, la place de La Laurentienne fait présentement l’objet de travaux majeurs. La remise à neuf de cet important lieu de rencontre au cœur du campus était attendue.
Conçue en même temps que les pavillons Lionel-Groulx, Maximilien-Caron et 3200, rue Jean-Brillant qui l’entourent, la place de La Laurentienne est représentative de l’architecture fonctionnaliste. Financée à parts égales par l’Université de Montréal et par le Fonds d’amélioration de la vie étudiante, constitué de cotisations non obligatoires des étudiantes et des étudiants de l’UdeM, la remise à neuf de cet important lieu de rencontre au cœur du campus était attendue. Nous nous sommes entretenus avec Sylvie Gélinas, la gestionnaire du projet à l’Université de Montréal, et Marie-Ève Parent, architecte paysagiste et conceptrice chez Lemay.
Un chantier complexe
C’est en parcourant le chantier qu’on se rend compte de l’ampleur et de la complexité de ce projet. Car avant même de penser à l’aménagement des lieux publics, il a fallu réaliser d’importants travaux de génie civil tels que l’imperméabilisation et l’étanchéisation de trois tunnels souterrains, ainsi que l’intégration de sept bassins de rétention.
«Le plus grand enjeu technique était certainement la réalisation des bassins de rétention, dit Sylvie Gélinas. Le dénivelé prononcé est un enjeu de taille lors de fortes averses, et le lieu doit maintenant permettre de gérer les eaux de pluie. Les bassins de rétention se remplissent et réduisent les risques de débordements dans le réseau public d’aqueduc. Avant, les eaux pluviales allaient dans l’aqueduc municipal et se déversaient dans le fleuve, mais la règlementation a été changée, ce qui est une bonne chose.»
Escalier monumental Jean-Brillant
L’escalier monumental situé à l’entrée de la place, du côté de la rue Jean-Brillant, a quant à lui nécessité un vaste coffrage de bois permettant les coulées de la structure de béton. «La structure est installée, on attend maintenant les marches préfabriquées qui seront posées prochainement à l’aide d’une grue. Le roc était plus profond que ce qui avait été anticipé à cet endroit, les roches avaient des formes absolument incompatibles avec les piliers de béton et il y avait un conduit pluvial de la Ville qu’on ne pouvait déplacer: ça a été un immense défi de monter cette structure-là! s’exclame Sylvie Gélinas. Avant, il y avait un petit escalier de six pieds de large, à gauche, il a été retiré. On a dégagé le gabbro, la roche mère du mont Royal qu’on voulait mettre en valeur, et l’on a végétalisé les surfaces avec des graminées et autres essences indigènes approuvées par la Ville.»
Protéger et augmenter le couvert arboricole
Depuis le début du chantier, un professionnel en foresterie urbaine se rend régulièrement sur les lieux pour s’assurer que les arbres conservés sont adéquatement arrosés. «Plusieurs fosses entoureront les arbres qui seront plantés vis-à-vis de la terrasse Valère: il s’agit d’un système de caissons installé avant la coulée du béton qui protège l’arbre et fait en sorte qu’il y a assez de terre et d’espace sous le béton pour que les racines puissent continuer à s’étendre», signale Sylvie Gélinas.
Le schéma de plantation prévoit quant à lui une augmentation de 25 % du couvert arboricole, incluant 68 arbres feuillus, dont des micocouliers et des tilleuls, 222 arbustes feuillus et plus de 1000 vivaces, graminées et fougères. «Dans la zone près du pavillon Lionel-Groulx, 20 arbres ont déjà été détaillés, sélectionnés et réservés, en tenant compte de la dimension et d’un diamètre minimal de tronc qu’il fallait respecter, précise la gestionnaire de projet. Dans les trois bancs triangulaires, des chênes seront plantés dont le diamètre des troncs sera plus grand que les autres essences, qui sont toutes des essences indigènes du mont Royal.» La surface végétale couvrira plus de 3500 m2.
Le gabbro, la roche mère du mont Royal
Au-delà des défis techniques, d’autres enjeux liés au respect du patrimoine ont retenu l’attention des concepteurs. Les affleurements rocheux qu’on trouve un peu partout sur le campus, et plus particulièrement autour de la place de La Laurentienne, font partie des nombreux attributs naturels du lieu mis en valeur en 1968 par l’architecte paysagiste Jean-Claude La Haye, qui conçoit à l’époque le plan directeur des aménagements pour le campus. Pour Marie-Ève Parent, il était important de préserver cette empreinte, tant dans les éléments naturels présents que dans les caractéristiques des aménagements bâtis.
«On sent vraiment cette influence organique qui descend résolument vers la place. Les affleurements rocheux laissent apparaître des amas de gabbro, la roche mère du mont Royal, qu’on a cherché à exposer et mettre en valeur, comme dans la paroi qui longe l’escalier du pavillon Samuel-Bronfman ou encore l’enrochement près du pavillon Lionel-Groulx qu’on vient nettoyer, qui sera entouré d’une nouvelle végétation indigène et sur lequel l’escalier monumental va venir s’appuyer. C’est l’un des éléments qu’on préserve du concept de M. La Haye, ça va être magnifique!» indique l’architecte paysagiste.
Pavé hexagonal et béton
Essentielles également la préservation et la mise en valeur d’éléments caractéristiques des aménagements, comme le motif hexagonal des pavés de béton de forme triangulaire repris du tracé initial de Jean-Claude La Haye (trois nuances de gris déclinées en six textures) ou encore les matériaux de surface en béton.
«On a travaillé avec le vocabulaire de formes conçu par M. La Haye et qu’on trouve à plusieurs endroits sur le campus de la montagne, mentionne Marie-Ève Parent. Ça a été un principe de base de notre concept: préserver ces éléments-là, les renforcer même, en étant respectueux de la conception d’origine, mais pas uniquement de manière esthétique. On a voulu agir sobrement, ce qu’on a fait dans le mobilier. On s’est donc inspirés de ce qu’il a réalisé et l’on est arrivés à un mobilier plus contemporain qui garde des formes géométriques très claires.»
Le réaménagement de la place de La Laurentienne, dont la fin des travaux est prévue cet automne, prévoit également:
- L’installation d’une vingtaine de lampadaires avec antennes Wi-Fi, reliés les uns aux autres par des conduits souterrains.
- Le déplacement de l’œuvre Sans qualification(1967), de Walter Yarwood. Retirée de la place le temps des travaux, elle a fait l’objet de simulations pour déterminer l’endroit et la hauteur idéals en vue de sa réinstallation.
- Remplacement de l’escalier en fer à cheval menant à la terrasse Maximilien-Caron. Installation de gradins de béton préfabriqué sur le talus devant le pavillon Maximilien-Caron et de bancs linéaires tout autour de la place.
- Conservation des vues sur l’oratoire Saint-Joseph et sur la tour du pavillon Roger-Gaudry.
- Remblaiement de la terrasse Valère pour rendre le lieu de plain-pied et améliorer l’accessibilité universelle.