Le transport en commun à la croisée des chemins
Photo: Fabien Barnoud Le Devoir Par souci d’économie, la STM entend cette année «repousser» la durée de vie de certains de ses autobus en continuant de les faire rouler après la limite de 16 ans normalement respectée.
Le Devoir | Transports / Urbanisme | 10 janvier 2022 | Zacharie Goudreault
Les sociétés de transport en commun de la grande région de Montréal explorent leurs options pour diminuer le fardeau financier croissant lié à la chute de l’achalandage de leur réseau, mais le défi est de taille. État des lieux.
Le directeur général de la Société de transport de Montréal (STM), Luc Tremblay, ne s’en cache pas. Son budget 2022, présenté quelques jours avant Noël, est « équilibré artificiellement ». La STM a en effet prévu dans celui-ci un « manque à gagner » de 43 millions de dollars, somme qu’elle devra trouver cette année afin de combler l’écart actuel entre ses dépenses et ses revenus prévus.
Cette situation est essentiellement due à la chute de l’achalandage du réseau de métro et de bus de la société de transport. L’achalandage était remonté à la mi-décembre à 59 % de ce qu’il était avant la pandémie, mais ce pourcentage pourrait avoir de nouveau chuté depuis la mise en place de nouvelles restrictions entourant la montée du variant Omicron de la COVID-19 dans la province, estime la STM.
Or, « ce que les gens oublient, c’est que la situation [financière de la STM] était déjà critique bien avant la pandémie », évoque Luc Tremblay, en entrevue au Devoir. Avant même le début de la pandémie, la STM avait dû réduire ses frais d’administration « au minimum », tandis qu’augmentaient considérablement ses dépenses liées entre autres au transport adapté, un service pour lequel la demande « a explosé » dans les dernières années, alors que « le taux de subvention [du gouvernement] est resté le même ».
« Ça fait en sorte que quand la pandémie est arrivée, elle est juste venue accentuer une crise qui était déjà là », évoque M. Tremblay.
Avec l’arrivée de la crise sanitaire, la STM a donc dû piger davantage dans ses « fonds de tiroir » pour absorber en partie les pertes de revenus liés à la chute de l’achalandage dans son réseau. Un « gel des nouveaux postes » pour ses employés administratifs s’applique entre autres actuellement, tandis que le recours aux heures supplémentaires a été réduit « partout » dans l’espoir de « dégager des sous », indique le directeur général de la STM.
Quand la pandémie est arrivée, elle est juste venue accentuer une crise qui était déjà là.
— Luc Tremblay
Télétravail
Ces mesures ne seront toutefois pas suffisantes pour sortir de l’impasse financière dans laquelle se trouve la STM. Pour réaliser des économies additionnelles, l’organisme entend mettre fin d’ici quelques années à plusieurs baux d’espaces de bureaux. Ses employés administratifs, lorsqu’ils ne seront pas en télétravail en alternance, n’auront donc plus qu’un seul endroit où aller au terme de la pandémie, soit à la Place Bonaventure, au centre-ville de Montréal. « Ça va non seulement sauver des frais de loyer, mais aussi augmenter la productivité », estime Luc Tremblay.
La Société de transport de Laval entend d’ailleurs, elle aussi, réduire ses besoins futurs en espaces de bureaux en demandant à ses employés administratifs de travailler de la maison « 50 % du temps », à l’issue de la pandémie, indique le directeur général de l’organisme, Guy Picard. « À moyen et à long terme, il y a des économies énormes à faire », affirme-t-il.
D’autre part, la STM a réduit d’environ deux milliards de dollars les investissements majeurs qu’elle prévoit réaliser d’ici dix ans pour bonifier son réseau, pour un total de 15,9 milliards. Elle a ainsi fait une croix sur l’ajout éventuel de portes palières dans le réseau du métro, ce qui aurait permis de réduire les arrêts de service liés à la clientèle.
La STM entend aussi « repousser » la durée de vie de certains de ses bus en continuant de les faire rouler après la limite de 16 ans normalement respectée.
« Il risque d’y avoir un peu plus de bus en panne, c’est moins bon pour le service », entrevoit M. Tremblay. Quant à l’entretien majeur des wagons de métro Azur, qui était prévu en 2022, celui-ci a été remis à l’année prochaine. « Il n’y a pas d’enjeux de sécurité, je l’assure à tout le monde, mais il pourrait y avoir des arrêts de service supplémentaires », confie Luc Tremblay. Une situation qui préoccupe le chargé de cours à l’Université de Montréal et expert en planification des transports Pierre Barrieau.
« Diminuer l’entretien, c’est comme diminuer la fréquence de nettoyage des autobus. C’est ce genre de choses là qui peut faire perdre des usagers de façon permanente », appréhende-t-il.
Or, « on n’a plus de marge de manœuvre. On est rendu à devoir couper dans le service et on ne veut pas en arriver là », martèle M. Tremblay.
L’arrivée du REM
D’ailleurs, si la STM a réussi à conserver sensiblement la même offre de service dans son réseau de bus et de métro que celle qui était en vigueur en 2019, la situation est bien différente du côté du Réseau de transport de Longueuil (RTL). Son offre de service se situe actuellement à 92 % de ce qu’elle était avant la pandémie, tandis qu’une trentaine de lignes de bus ont été retirées et qu’une centaine d’employés ont été mis à pied en 2020, y compris des chauffeurs et des employés d’entretien. Une situation qui préoccupe le directeur général du RTL, Michel Veilleux, à l’approche de la mise en fonction, cette année, de la branche du Réseau express métropolitain (REM) en direction de la Rive-Sud dans la région de Montréal.
« Il y aura un défi énorme de desservir la population et de l’amener vers le REM. Ça suppose un service qui va être adéquat et qui va répondre à ça », évoque-t-il. Or, l’organisme prévoit un manque à gagner de 3,5 millions dans son budget 2022, indique M. Veilleux.
Même son de cloche du côté de l’organisme de transport exo, qui exploite les lignes de train de banlieue de la grande région de Montréal et plusieurs lignes de bus. Actuellement, son offre de service se situe à 90 % de ce qu’elle était avant la pandémie et plusieurs projets majeurs ont été retardés.
« L’offre de service en couronne étant plus faible que dans les secteurs centraux, l’offre devra répondre aux attentes, surtout dans le contexte de l’ouverture de l’antenne Rive-Sud du REM, annoncée pour l’été 2022 », relève la conseillère aux relations aux médias d’exo, Catherine Maurice.
Financement
Luc Tremblay presse ainsi le gouvernement du Québec et l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) de bonifier l’aide financière accordée aux sociétés de transport de la région, dans le contexte de la pandémie.
« Il y a une déconnexion totale entre ce que nous donne l’ARTM et ce qui est requis par les sociétés de transport », constate d’ailleurs Guy Picard. Depuis le début de la pandémie, la STL a diminué ses « dépenses de support », notamment en réduisant les horaires des superviseurs et les dépenses liées à la formation des employés, évoque son p.-d. g.
« Ce sont des choses qu’on peut faire pendant un an, deux ans, trois ans. Mais après ça, si ça devient une habitude, on sclérose complètement l’entreprise », s’inquiète M. Picard. Pas question, malgré tout, de réduire l’offre de service aux usagers, tranche-t-il.
« Si on veut développer le transport collectif, il faut mettre du service et il faut répondre aux besoins des gens. Donc, les options de diminuer le service que nous demande l’ARTM, ça ne va pas dans le sens où on devrait aller », laisse tomber Guy Picard.
Par courriel, l’ARTM a pour sa part réitéré qu’elle continue ses démarches avec le gouvernement du Québec et « l’ensemble des partenaires » afin de trouver un moyen de « pallier le manque à gagner tarifaire engendré par la pandémie » et de trouver « de nouvelles sources de revenus qui soient pérennes ».
43 MILLIONS
C’est la somme que devra cette année trouver la STM afin de combler l’écart actuel entre ses dépenses et ses revenus prévus, selon son budget 2022.
3,5 MILLIONS
C’est le manque à gagner que prévoit cette année la RTL, selon son budget 2022.