Ce matin dans sa chronique, Mario Girard parle du projet avorté pour le Silo no 5 que l’architecte Pierre Thibault avait présenté
Le projet rejeté
PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE
Le Silo no 5, dans le secteur de la Pointe-du-Moulin, à Montréal
MARIO GIRARD
LA PRESSE
Benoit Berthiaume a lu ma chronique sur les projets de développement des terrains de la Canada Malting et du Silo no 5. Ça lui a rappelé de très mauvais souvenirs. L’homme d’affaires m’a téléphoné et s’est vidé le cœur.*
Publié le 6 décembre 2021 à 5h00
* Lisez « Quelle autre vie pour le patrimoine industriel ? »
Il m’a raconté comment il a investi temps et argent pour développer un projet de revitalisation du secteur de la Pointe-du-Moulin et du Silo no 5 et comment ce projet a été rejeté d’un revers de main par la Société immobilière du Canada (SIC), propriétaire des lieux, alors que tout semblait indiquer que c’était dans la poche.
Une vingtaine de rencontres ont eu lieu avec la SIC lors de l’élaboration de ce mégaprojet appelé Parc Origine et Quartier Five Roses. À ce moment-là, les choses étaient claires : la SIC demeurait propriétaire des terrains de la Pointe-du-Moulin et des bâtiments du silo, alors que Benoit Berthiaume et ses partenaires s’engageaient à transformer et à exploiter les lieux.
Nous avions cependant l’intention de faire l’acquisition des terrains du secteur Mill afin qu’un promoteur puisse le développer. Mon rôle était surtout d’exploiter l’aspect récréotouristique du projet.
Pendant quatre ans, Benoit Berthiaume a travaillé avec de nombreux partenaires, dont l’architecte Pierre Thibault, à élaborer ce projet de « parc-hôtel-quartier » créatif où des passerelles devaient constituer un circuit historique et un pôle d’observation afin d’offrir des vues inédites sur Montréal. À cela s’ajoutait un espace muséal qui aurait accueilli des expositions permanentes et temporaires.
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Benoit Berthiaume, homme d’affaires
J’étais entouré de créateurs, d’historiens et de divers spécialistes, reprend-il. J’avais l’appui des Premières Nations et une entente avec le Groupe Germain. J’ai rencontré une foule de gens, les Molson, les Desmarais. J’étais hyper solide.
— Benoit Berthiaume, homme d’affaires
En février 2019, la ministre fédérale du Tourisme, Mélanie Joly, la ministre québécoise responsable de la Métropole, Chantal Rouleau, et la mairesse Valérie Plante annoncent que la SIC lance un appel de propositions. Benoit Berthiaume a alors le sentiment d’être en position de tête.
Mais une surprise l’attend : la SIC a modifié ses attentes. Le promoteur qui sera choisi doit présenter un projet qui impliquera l’acquisition complète du site et des bâtiments. « Pour nous, ça changeait tout, dit-il. Ce n’est pas là-dessus qu’on travaillait depuis quatre ans. »
Les soumissionnaires ont eu environ quatre semaines pour pondre un projet. C’est celui de Devimco (information que refuse toujours de confirmer la SIC) qui a été choisi en juillet de la même année. Depuis, le projet franchit lentement les diverses étapes bureaucratiques.
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Maquette du projet pensé par Benoit Berthiaume et l’architecte Pierre Thibault pour revitaliser le secteur de la Pointe-du-Moulin et du Silo no 5
Quant au projet de Benoit Berthiaume, il a cavalièrement été écarté.
On nous a envoyé un courriel d’une trentaine de mots pour nous dire qu’il n’était pas retenu. C’est tout de même incroyable. On n’a pas pu passer à la seconde étape.
— Benoit Berthiaume, homme d’affaires
Qu’est-ce qui a bien pu se passer à la SIC pour que l’on décide soudainement de se départir de l’entièreté du site ? J’ai tenté d’obtenir un entretien avec un porte-parole de l’organisme afin qu’on réponde à mes questions. On m’a fait parvenir une réponse laconique dans laquelle on me dit qu’on « se fera un plaisir de me parler lorsque le dossier sera plus avancé ».
« Ils veulent faire une passe d’argent, dit Benoit Berthiaume. Mais c’est un patrimoine industriel immense. C’est impossible d’acheter ça avec des coûts de maintien et de structures énormes. C’est pour ça qu’aucun projet n’aboutit avec ce type de patrimoine. »
Ce n’est pas la première fois que la SIC procède à un appel de propositions. On a fait cet exercice en 2011 en promettant une « conversion » pour 2017, soit l’année du 375e anniversaire de Montréal.
« C’est difficile de savoir ce que veut la SIC au juste, ajoute Benoit Berthiaume. Durant l’un de nos évènements de presse, alors qu’elle connaissait très bien nos intentions, on a appris qu’elle tentait de mettre sur pied un projet avec Amazon. C’est à n’y rien comprendre. À un moment donné, il va falloir que le gouvernement mette ses culottes. Ou on rénove le Silo no 5, ou on le met à terre. »
J’ai aussi tenté de connaître les frais d’entretien et d’assurance du site qui sont payés annuellement par la SIC. On a complètement ignoré ma demande. Mais dans un article publié en 2010, La Presse écrivait qu’ils s’élevaient, à cette époque, à 500 000 $.
Deux ans après ce revers, Benoit Berthiaume conserve une certaine amertume. Il encaisse encore le coup. Il évalue à plus de 300 000 $ la somme investie de sa poche dans cette aventure.
On ne se remet pas totalement d’une telle chose. Tout le monde aimait ce projet. Personne ne m’a dit en quatre ans qu’il était mauvais. Je ne comprends pas.
— Benoit Berthiaume, homme d’affaires
Celui qui a créé l’évènement C2 Montréal est habitué à connaître le succès. Il a été durement ébranlé par cet échec. Il tente d’oublier cet épisode avec de nouveaux projets comme celui d’un spa qu’il va créer dans un lieu prisé situé non loin de Montréal.
« On peut penser que je suis utopique, mais en fait, je suis un visionnaire, dit-il. Je ne construis pas de centres commerciaux, je conçois des milieux de vie qui vont animer les villes. Et c’est ça qu’était le projet du Silo no 5. »