Pas vraiment sur le réseau cyclable, mais un commentaire qui revient souvent de la part de quelques personnes quand il est question d’aménagements cyclables
Immatriculer les vélos, peut-être pas une si bonne idée
Photo: Guillaume Levasseur Archives
Le Devoir Plusieurs villes québécoises, dont Montréal, ont déjà eu un système d’immatriculation, mais la mesure a été abandonnée dans bien des endroits.
Jeanne Corriveau
27 mars 2023
Transports / Urbanisme
Régulièrement, l’idée d’immatriculer les vélos revient sur le tapis. Pourquoi les cyclistes ne paieraient-ils pas leur part dans les infrastructures qu’ils utilisent, alors que les automobilistes doivent, eux, payer une taxe sur l’essence, des frais d’immatriculation et leur permis de conduire ? se demandent certains. Cette pratique a longtemps eu cours dans plusieurs villes québécoises, mais n’est plus guère populaire.
Sur les réseaux sociaux, l’idée d’imposer une taxe kilométrique ou toute autre nouvelle tarification aux automobilistes suscite immanquablement des commentaires sur les « plaques » pour vélos. « Pour pouvoir circuler sur les onéreuses pistes cyclables de Montréal, il serait bon de devoir être muni d’une plaque vissée sur le vélo et de payer une juste contribution, disons 100 $ par année », a notamment suggéré un internaute sur Twitter il y a quelques mois.
Plusieurs villes québécoises, dont Montréal, ont déjà eu un système d’immatriculation, mais la mesure a été abandonnée dans bien des endroits. Cette option est cependant évoquée de façon ponctuelle. En 1992, l’administration de Jean Doré avait d’ailleurs envisagé de remettre en place un système d’immatriculation assorti de points d’inaptitude pour les cyclistes. Le projet ne s’est jamais concrétisé.
La municipalité de Salaberry-de-Valleyfield fait partie des villes québécoises qui ont délaissé l’immatriculation obligatoire des vélos. Depuis 2015, la Ville offre toutefois une vignette de 10 $ à ceux qui la veulent. « Certains ont payé un bon montant pour leur vélo. Ça les sécurise que leur vélo soit immatriculé, en cas de vol », explique Lynn Hainault, commis à la perception à la Ville de Salaberry-de-Valleyfield.
Mais comme la vignette est liée à la bicyclette de façon permanente, dans bien des cas, les vélos ont le temps de changer de mains plusieurs fois au fil des ans. Il devient alors difficile de retrouver les propriétaires, reconnaît-elle.
Le financement des infrastructures
Chez Vélo Québec, on estime que prétendre que les cyclistes ne paient pas pour les infrastructures cyclistes ou routières est un mythe. Au même titre que l’ensemble des citoyens, les cyclistes paient des impôts et des taxes municipales, rappelle Magali Bebronne, directrice des programmes chez Vélo Québec. Bon nombre de ces cyclistes ont aussi un permis de conduire et même une voiture, donc assument des frais d’immatriculation.
« Les rues locales, qui sont les principales infrastructures utilisées par les cyclistes, sont financées par les taxes foncières. Chaque personne qui vit dans une ville, qu’elle soit propriétaire ou locataire, paie pour les rues locales », explique Mme Bebronne.
Quant aux routes et aux autoroutes, qui relèvent du ministère des Transports et de la Mobilité durable, elles sont généralement moins fréquentées par les cyclistes. En 2017, une étude réalisée par Trajectoire Québec et la Fondation David Suzuki soulignait que les automobilistes payaient environ le tiers des coûts liés aux routes, un autre tiers était assumé par le transport de marchandises et le dernier tiers par l’ensemble des contribuables québécois.
Tant qu’à y être, devrait-on demander aux piétons de payer pour l’utilisation des trottoirs ?
— Magali Bebronne
« Quand on regarde tout ça, on peut se demander s’il y a vraiment une raison de demander aux cyclistes de payer davantage, souligne Magali Bebronne. Tant qu’à y être, devrait-on demander aux piétons de payer pour l’utilisation des trottoirs ? […] S’il fallait vraiment qu’on applique le principe de l’utilisateur-payeur, l’automobiliste n’en sortirait pas du tout gagnant. »
Elle précise aussi que les frais d’immatriculation et de permis de conduire servent essentiellement à alimenter le Fonds d’assurance pour indemniser les victimes des accidents de la route, et non à financer la construction et l’entretien des infrastructures routières.
Discipliner les cyclistes
Chargé de cours à l’Université de Montréal et expert en planification des transports, Pierre Barrieau ne voit pas la question du même oeil. Instaurer un système d’immatriculation pourrait être bénéfique en responsabilisant les cyclistes trop téméraires. « Il y a une réflexion à avoir. L’immatriculation contribuerait à diminuer la délinquance des comportements à vélo. C’est moins une question fiscale qu’une question de responsabilité et de respect du Code de la sécurité routière », dit-il.
Selon lui, cette mesure pourrait dans un premier temps s’appliquer aux vélos neufs et demeurer optionnelle pour les vélos existants. La gestion d’un tel système pourrait être confiée à Vélo Québec, avance-t-il.
Cet argument ne convainc pas Vélo Québec. « C’est un bazooka. Les policiers n’ont pas de problèmes à remettre des constats d’infraction aux vélos », soutient Magali Bebronne.
Contrer les vols de vélos
Pierre Barrieau est aussi d’avis qu’un système d’immatriculation aurait l’avantage de freiner le vol et le recel de vélos. Selon lui, les statistiques officielles sur le vol de vélos ne reflètent pas la réalité. « On le sait, la majorité des vélos volés ne sont pas déclarés à la police. Les données sont imprécises, mais on sait que les cas déclarés augmentent », dit-il.
Vélo Québec balaie aussi cet argument. Plusieurs services de police québécois, dont le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), ont adhéré à Garage 529, une application développée à Seattle qui permet aux propriétaires de vélos d’enregistrer en ligne des informations et des photos de leur monture ainsi que d’apposer un autocollant sur leur vélo. Ce système a fait ses preuves, affirme Magali Bebronne. La Ville de Vancouver soutient que, depuis qu’elle a implanté ce système, en 2015, les vols de vélos ont diminué de 40 % sur son territoire.
Le SPVM, qui a adhéré à l’application il y a deux ans, compte maintenant près de 16 000 inscriptions. Il n’a cependant pas été possible de savoir quel bilan le service de police faisait de ce système jusqu’à maintenant.
Si Pierre Barrieau juge que l’implantation d’un système d’immatriculation pourrait se faire à un coût raisonnable, ce n’est pas ce qu’ont constaté plusieurs municipalités qui l’ont expérimenté. En 1981, Victoriaville avait aboli le règlement sur l’immatriculation des vélos, car, avait-elle constaté, son application coûtait plus cher que ce qu’elle rapportait.
Toronto en est venue à la même conclusion. À plusieurs reprises au cours des dernières décennies, le retour des immatriculations pour vélos a fait l’objet de débats, mais cette option a été rejetée. Dans bien des cas, le coût de l’enregistrement aurait dépassé la valeur du vélo lui-même, avait-on conclu.
À Montréal, un système d’immatriculation pour vélos n’est pas envisagé. « Les usagers de la route qui se déplacent de façon active paient aussi des taxes et des impôts qui servent à l’entretien des rues, alors que l’immatriculation couvre l’assurance automobile », souligne dans un courriel Marianne Giguère, conseillère associée aux transports actifs au comité exécutif. « Il est de plus démontré que les personnes qui se déplacent à vélo ou à pied rapportent déjà de l’argent à la société, en environnement et en santé par exemple. »