3666 restaurants en moins au Québec depuis le début de la pandémie
Photo: Adil Boukind Le Devoir «La garderie de ma fille est Ă cĂŽtĂ© de La RĂ©colte, donc je passe devant tous les jours. Je commence Ă digĂ©rer la chose, mais ça prend du temps », raconte Denis Vukmirovic, dont le restaurant La RĂ©colte â Espace local a fermĂ© en novembre 2020.
Roxane LĂ©ouzon
23 mars 2022
Ăconomie
En janvier dernier, il y avait environ 3666 restaurants de moins au QuĂ©bec quâil y a deux ans, juste avant la pandĂ©mie, selon les donnĂ©es obtenues par lâAssociation Restauration QuĂ©bec. Câest donc environ 17 % des Ă©tablissements qui ont disparu et, avec eux, les rĂȘves des passionnĂ©s de cuisine qui les avaient fondĂ©s.
Lorsquâil travaille comme serveur au restaurant syrien Alep, sur la rue Jean-Talon, Denis Vukmirovic se fait rĂ©guliĂšrement demander de ses nouvelles. Des clients se souviennent quâil Ă©tait lâun des trois copropriĂ©taires dâun autre restaurant du quartier, La RĂ©colte â Espace local, qui a fermĂ© en novembre 2020 aprĂšs plus de sept ans dâexistence.
« Quand tu dĂ©marres un restaurant, ça devient ta prĂ©occupation numĂ©ro un, comme avoir un enfant. On Ă©tait lĂ sept jours sur sept les quatre premiĂšres annĂ©es, on Ă©tait au marchĂ© Ă 8 h le matin. Puis, il devenait tranquillement autonome financiĂšrement, on commençait Ă prendre de la distance, Ă sentir que la relĂšve Ă©tait lĂ parmi notre staff⊠La pandĂ©mie est arrivĂ©e et, en deux semaines, on sâest fait enlever tout ça », rapporte lâancien entrepreneur, dont le commerce proposait des plats entiĂšrement composĂ©s dâingrĂ©dients locaux.
Pendant plusieurs mois, La RĂ©colte â Espace local a offert des plats pour emporter, qui ont connu un beau succĂšs pendant un certain temps. MalgrĂ© tout, les copropriĂ©taires nâont pas pu garder leur personnel et ont dĂ» se rĂ©soudre Ă faire des heures de fou pour faire fonctionner leur entreprise, comme Ă ses dĂ©buts.
Le problĂšme, câest que M. Vukmirovic avait alors un autre bĂ©bĂ©, humain celui-lĂ . Ses partenaires avaient aussi des enfants en bas Ăąge. Ces sacrifices familiaux en valaient-ils la peine, alors quâil nâĂ©tait mĂȘme pas rentable dâouvrir leur petite salle Ă manger lorsque la capacitĂ© Ă©tait limitĂ©e Ă 50 % ? Au cours du deuxiĂšme confinement, les copropriĂ©taires ont dĂ©cidĂ© que non.
Câest loin dâĂȘtre de gaietĂ© de cĆur, toutefois, que M. Vukmirovic a abandonnĂ© ce qui constituait non seulement sa passion, mais aussi une partie de son identitĂ©. « La garderie de ma fille est Ă cĂŽtĂ© de La RĂ©colte, donc je passe devant tous les jours. Je commence Ă digĂ©rer la chose, mais ça prend du temps », tĂ©moigne celui qui sâestime au moins heureux de travailler pour un restaurant familial quâil respecte Ă©normĂ©ment.
GaĂ«lle Cerf, elle, Ă©vite de passer sur la rue qui abritait le Grummanâ78, qui a Ă©tĂ© son restaurant pendant 10 ans. Presque un an et demi aprĂšs sa fermeture, le local est toujours vide, et son imposante enseigne est toujours bien en vue. « Notre modĂšle dâaffaires Ă©tait fait pour du gros volume, ce qui nâa plus Ă©tĂ© possible. Quand on a vu que tout allait refermer Ă lâautomne, on sâest dit que ça ne valait pas la peine de se battre », raconte celle qui travaille en restauration depuis 30 ans.
La vice-prĂ©sidente de lâAssociation des restaurateurs de rue du QuĂ©bec, dont le camion-restaurant est aussi Ă lâarrĂȘt, se consacre maintenant Ă lâorganisation dâĂ©vĂ©nements Ă saveur gourmande, par lâintermĂ©diaire de lâorganisme Les Survenants. Elle sâennuie de la vie de propriĂ©taire dâentreprise, mais ne se sent pas prĂȘte Ă ouvrir un nouveau restaurant.
Un déclin en vue
LâAssociation Restauration QuĂ©bec (ARQ) craint que le nombre dâĂ©tablissements continue de dĂ©gringoler. « Les prochains mois vont ĂȘtre rĂ©vĂ©lateurs, parce que les aides financiĂšres se terminent bientĂŽt. Les clients semblent ĂȘtre au rendez-vous, mais les restaurateurs se sont endettĂ©s depuis deux ans », explique Dominique Tremblay, directrice Affaires publiques et gouvernementales Ă lâARQ.
LâAssociation dĂ©plore que le budget du QuĂ©bec dĂ©posĂ© mardi ne contienne pas de nouvelle mesure de relance directe pour son industrie, alors que la hausse des prix des aliments et la pĂ©nurie de main-dâĆuvre sâajoutent aux difficultĂ©s vĂ©cues par les restaurateurs.
Dâailleurs, en hĂ©bergement et en restauration, prĂšs de 64 % des entreprises quĂ©bĂ©coises estiment que lâabsence de programmes de soutien gouvernemental vouĂ© Ă la survie des entreprises aura une incidence moyenne ou forte sur leur futur, selon une enquĂȘte menĂ©e Ă lâautomne par Statistique Canada. Les entreprises de ces secteurs seraient aussi parmi les moins optimistes par rapport Ă leur avenir, selon un sondage de lâorganisme national menĂ© en janvier.
Le copropriĂ©taire de la Boucherie Provisions et du Petit Italien Pablo Rojas Sutterlin lâadmet sans dĂ©tour : ses entreprises sont fragiles. « Lâhiver nous a pressĂ© chaque cent qui nous restait. Il suffit dâune malchance, que ton compresseur brise ou que ton moteur de ventilation saute et que tu aies un 20 000 $ Ă dĂ©bourser, pour que ça ne marche plus », indique celui qui a dĂ» fermer lâun de ses trois restaurants, Provisions 1268, en raison de la pandĂ©mie.
David Asseraf, pour sa part, sâest retrouvĂ© avec une seule succursale sur trois de ses restaurants de fish & chips Comptoir 21. Il a dĂ» se dĂ©partir de lâĂ©tablissement qui lui rapportait le plus, Ă lâemplacement original, sur la rue Saint-Viateur, pour se concentrer sur le plus grand, situĂ© Ă Verdun.
En plus de rembourser ses prĂȘts, M. Asseraf a maintenant comme casse-tĂȘte de fixer des prix qui tiennent compte de la hausse du prix des aliments, mais que les familles sont prĂȘtes Ă payer. MĂȘme si son chiffre dâaffaires et ses revenus personnels ont fondu, lâentrepreneur est optimiste. Il remarque un retour enthousiaste des clients dans les salles Ă manger, aprĂšs des mois de fermeture.
Avec Ăric Desrosiers