Dans les rivières où les saumons sont comptés, leur nombre est de trois à cinq fois moins élevé que d’habitude à ce temps-ci de l’année.
“Pour comprendre le phénomène, on tourne nos yeux vers le golfe du Saint-Laurent, qui a enregistré des températures chaudes jamais vues auparavant. Est-ce que cela a un effet de cascade, par exemple, sur la disponibilité des proies que veulent consommer les saumons lorsqu’ils migrent? Est-ce que ça joue sur les courants marins? On pense que les changements observés dans le golfe peuvent avoir un impact sur la capacité du saumon à effectuer son cycle de vie en mer”, affirme Maxime Guérard.
Résumé
Où sont passés les saumons?
Rien ne va plus dans les rivières à saumon de l’est du Québec et du Nouveau-Brunswick. Des voyages de pêche sont annulés, des pourvoiries et des clubs doivent fermer. Le roi des poissons a chaud et ne mord presque plus. Pourquoi?
Adam Saint-Louis et son amoureuse ont eu la piqûre de la pêche au saumon à ce carrefour des rivières Matapédia et Causapscal, l’été dernier.
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois
Publié à 4 h 00 HAE
À Causapscal, dans la vallée de la Matapédia, on fait presque la file habituellement en juillet pour pêcher à la fosse aux Fourches, une zone très prisée en plein centre-ville.
Adam Saint-Louis et Megan Therrien, un jeune couple vivant dans les Laurentides, ont pêché le saumon ici pour la première fois l’an dernier. Ils ont eu la piqûre.
Le saumon, c’est un poisson mythique, raconte Adam. Tu peux pêcher pendant deux ou trois ans sans rien prendre. C’est quand tu l’as au bout de la ligne que tu peux comprendre pourquoi ça en vaut la peine.
Le pêcheur de 23 ans précise : L’année passée, j’ai eu la chance de prendre mon premier saumon. Il était hors de question que je ne revienne pas cette année!
L’été dernier, durant les vacances de la construction, Adam et Megan voyaient jusqu’à 40 pêcheurs sur la rivière chaque jour. Cette année, à la même période, ils en croisent à peine deux ou trois par jour, même s’ils pêchent de 5 h le matin jusqu’au coucher du soleil.
Megan Therrien, qui pêche le saumon en compagnie de son amoureux Adam Saint-Louis, admet devoir faire preuve de patience ces temps-ci.
Photo : Radio-Canada / Michel Picard
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Les saumons ont chaud. Il n’y a pas beaucoup d’eau dans la rivière, puis il n’y en a pas beaucoup qui sont montés. Ce n’est pas pour rien qu’il n’y a plus de pêcheurs sur la rivière, dit Adam.
Plus ça va, moins il y a de saumons. On est nés 10 ans trop tard!
Une citation de Adam Saint-Louis, amateur de pêche
Un stress pour les poissons
Des rivières basses et trop chaudes stressent les saumons. Ils restent dans le fond de l’eau, amorphes.
Sur la Causapscal, une rivière pourtant réputée pour ses grands saumons, la remise à l’eau est obligatoire depuis le début de la saison, qui a été courte. La pêche n’est plus permise depuis la mi-juillet.
La rivière Causapscal était réputée pour ses grands saumons.
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois
Quelques mètres plus loin, sur la Matapédia, on pouvait encore pêcher il y a deux semaines un seul saumon par jour par personne.
Depuis le 5 août, la remise à l’eau du saumon est obligatoire dans les rivières du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de la moyenne Côte-Nord, du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie – c’était déjà le cas dans Charlevoix.
Le nombre de saumons qui migrent par le golfe du Saint-Laurent est largement sous la moyenne dans nos rivières, indique le biologiste Maxime Guérard, du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec (MELCCFP).
On n’a jamais vu un tel déclin de la ressource, c’est préoccupant.
Une citation de Maxime Guérard, biologiste au MELCCFP
Dans les rivières où les saumons sont comptés, leur nombre est de trois à cinq fois moins élevé que d’habitude à ce temps-ci de l’année.
Pour comprendre le phénomène, on tourne nos yeux vers le golfe du Saint-Laurent, qui a enregistré des températures chaudes jamais vues auparavant. Est-ce que cela a un effet de cascade, par exemple, sur la disponibilité des proies que veulent consommer les saumons lorsqu’ils migrent? Est-ce que ça joue sur les courants marins? On pense que les changements observés dans le golfe peuvent avoir un impact sur la capacité du saumon à effectuer son cycle de vie en mer, affirme Maxime Guérard.
Vue du carrefour entre les rivières Matapédia et Causapscal.
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois
Les poissons ont de la difficulté dans nos rivières trop chaudes cet été. Cet été, c’est quand même assez impressionnant, on avait des niveaux d’eau très bas en juin. On avait en juin des niveaux d’eau du mois d’août, fait remarquer la biologiste Carole-Ann Gillis, qui en connaît beaucoup sur la température des rivières à saumon.
La directrice scientifique de l’Institut de la compréhension de la nature de Gespe’gewa’gi (Gespe’gewa’gi Institute of Natural Understanding) et les membres de son équipe surveillent et analysent le profil thermique des rivières, afin d’intervenir pour protéger l’habitat des saumons.
Ils installent des thermographes dans les zones sensibles de la Restigouche, une rivière de 200 kilomètres qui coule de l’ouest du Nouveau-Brunswick à la baie des Chaleurs, en Gaspésie.
La biologiste Carole-Ann Gillis plante un thermographe dans le fond d’un des affluents de la Restigouche, près de Kedgwick, au Nouveau-Brunswick.
Photo : Radio-Canada / Michel Picard
Radio-Canada a rencontré Carole-Ann Gillis alors qu’elle plantait un thermographe dans le fond d’un des affluents de la Restigouche, près de Kedgwick, au Nouveau-Brunswick.
On ressent les effets des changements climatiques depuis des années, dit-elle. La rivière se réchauffe depuis quelques décennies. On ne s’attendait pas à avoir des températures aussi chaudes aussi rapidement dans le bassin versant de la rivière Restigouche. Cet été, on atteint des seuils de 28, 29 °C. Ce sont des températures beaucoup trop chaudes pour le saumon.
Ces températures peuvent être mortelles pour le saumon, qui est en danger au-delà de 20 degrés Celsius. Plus la température de l’eau est chaude, moins il y a d’oxygène dissous dans l’eau, explique la biologiste.
Or, le saumon a besoin d’oxygène pour respirer dans l’eau. Donc, plus l’eau est chaude, plus il y a de stress physiologique sur le plan cardiaque, sur le plan respiratoire.
Une citation de Carole-Ann Gillis, biologiste
Le niveau d’eau de la rivière Restigouche est très bas cet été.
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois
Les havres de fraîcheur
Pour survivre et se reproduire, le saumon doit se réfugier dans des havres de fraîcheur, qui sont plus rares et plus difficiles à atteindre quand les rivières sont basses et chaudes. Deux problèmes qui sont accentués par la déforestation, soutient Carole-Ann Gillis.
L’ampleur de l’impact de l’exploitation forestière est sous-estimée, avise-t-elle. Les coupes et les chemins forestiers ont des impacts; ils déversent des sédiments fins, par exemple. Les traverses de cours d’eau sont aussi problématiques.
L’entreprise Irving possède une scierie à Kedgwick, au Nouveau-Brunswick.
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois
L’industrie forestière est le principal employeur dans le nord du Nouveau-Brunswick. L’entreprise Irving, par exemple, détient dans la province 11 scieries et usines de pâtes et papiers. Elle exploite deux millions d’hectares de forêt.
Les coupes à blanc près des cours d’eau réduisent la capacité d’absorption de la terre. La pluie s’écoule trop rapidement, ce qui réchauffe l’eau des rivières et les nappes phréatiques, même quand les coupes sont faites au-delà de la bande riveraine.
Les gens pensent que, si on récolte en milieu terrestre, très loin de la rivière, ça n’affectera pas le régime thermique de la rivière. Mais en fait, sur un sol dénudé, la température de la terre est très chaude. Éventuellement, le sol qui se réchauffe sur un lit forestier qui n’avait jamais vu la lumière, ça va avoir des conséquences pénétrantes dans le sol pour aller réchauffer la nappe phréatique, soutient Mme Gillis.
Les coupes à blanc causent du ruissellement lors de précipitations et réduisent la capacité d’absorption de la terre, entraînant diverses substances vers les cours d’eau.
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois
C’est là qu’on est le plus inquiet pour l’impact de la déforestation. Une fois que la nappe phréatique sera chaude, on n’aura peut-être plus de refuges thermiques, parce que les eaux souterraines contribuent à refroidir l’eau des rivières, souligne-t-elle.
Des refuges thermiques à protéger
Le sort du saumon de l’Atlantique inquiète de plus en plus d’organismes, qui travaillent ensemble pour protéger son habitat. Les communautés mi’gmaw et wolastoqey sont au premier plan des interventions faites dans les rivières à saumon.
On y construit par exemple des bassins de rétention pour aider les saumons à retrouver le parcours naturel vers leur frayère, parfois bloqué par les ponceaux des chemins forestiers.
On surveille aussi les refuges thermiques, des zones d’eau plus froide qui permettent aux saumons de mieux respirer et de reprendre des forces. Samuel Bourgault, chargé de projet à l’Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Wolastoqey, répertorie l’emplacement de ces refuges thermiques sur les rivières Mitis et Rimouski, avec l’aide d’une caméra thermique accrochée à un drone.
Le chargé de projet Samuel Bourgault répertorie l’emplacement des refuges thermiques sur les rivières Mitis et Rimouski, avec l’aide d’une caméra thermique accrochée à un drone.
Photo : Radio-Canada / Michel Picard
La caméra du drone prend des images à chaque intervalle, explique M. Bourgault. On va avoir une image thermique de l’eau de surface, puis des endroits où l’eau est plus froide. On va être capable de les détecter plus tard avec une application qu’on est en train de développer.
Le saumon, au-dessus de 20 degrés Celsius, il va arrêter de se nourrir, il ne sera plus capable de se reproduire. C’est là que les refuges sont importants. Le saumon s’y réfugie pour endurer les chaleurs intenses.
Une citation de Samuel Bourgault, chargé de projet à l’Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Wolastoqey
Avec ces informations, les biologistes pourront mieux intervenir sur les rivières pour protéger ces refuges et aider les saumons à y accéder plus facilement.
L’obligation de remettre à l’eau tous les saumons jusqu’à la fin de la saison est un dur coup pour l’industrie touristique liée à cette pêche très lucrative, mais la mesure est nécessaire pour freiner le déclin des saumons, explique le biologiste Maxime Guérard.
Pour certaines associations, pour les pourvoyeurs, par exemple, ça peut être un coup dur financièrement, on ne se le cachera pas, admet-il. Mais il faut penser au-delà de la saison en cours. On a peut-être intérêt à se serrer un peu la ceinture cette année, en espérant que ça va aller mieux dans les années à venir, ce qui permettrait à ces entreprises-là de survivre.
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