Texte d’opinion de Marc-André Carignan sur le transport en commun et la CDPQ
CDPQ Infra et le complexe du messie
Christinne Muschi La Presse canadienne
CDPQ Infra s’est largement fait reprocher ces dernières années d’avoir réalisé ses mandats en vase clos, rapporte l’auteur. En photo, le Réseau express métropolitain, en banlieue de Montréal.
Marc-André Carignan
Le signataire est auteur et chroniqueur en aménagement urbain, corécipiendaire du Prix 2023 de la promotion de l’architecture de l’Institut royal d’architecture du Canada.
23 novembre 2023
Libre opinion
Comment expliquer que CDPQ Infra est devenue le messie du développement du transport en commun au Québec ?
Le gouvernement provincial — pour ne pas dire la Coalition avenir Québec (CAQ) — ne cesse de se tourner vers cette organisation pour étudier de nouvelles options de transport collectif alors que sa feuille de route est loin d’être exemplaire.
Le plus récent exemple de mandat : le tramway de Québec. Ce dernier est étudié depuis 20 ans dans la capitale nationale par de multiples experts, dont les rapports pointent tous dans la même direction : le tramway est la solution la plus appropriée pour la ville de Québec.
La plus récente mouture fait une quasi-unanimité entre la communauté d’affaires, les experts en transport, les urbanistes et les groupes écologistes. Depuis trois ans, près d’une centaine de professionnels (architectes, ingénieurs…) planchent sur le projet. Les expropriations ont déjà débuté, des travaux préparatoires également. Le tout totalisant 527 millions de dollars en date d’aujourd’hui.
Certes, la facture totale a grimpé avec les années. Les coûts du marché de la construction aussi, alors que la main-d’oeuvre se fait rare. Mais est-ce que 8 milliards sont si dispendieux, voire scandaleux, pour un tel tramway ? Pas à en croire les calculs du journaliste Vincent Brousseau-Pouliot, qui a comparé le projet avec d’autres réalisations similaires à l’échelle canadienne.
Malgré tout, le gouvernement fait une passe sur la palette de CDPQ Infra pour lui demander de refaire le travail déjà accompli à coups de millions afin « d’identifier un projet de transport structurant permettant d’améliorer le transport en commun pour la ville de Québec et d’améliorer la mobilité […], notamment entre les deux rives ». Et ce, dans un délai de… six mois !
Comment la Caisse peut-elle relever ce défi en si peu de temps en nous arrivant avec des scénarios crédibles ? En quoi est-elle mieux placée pour faire la leçon aux experts qui ont réfléchi, étudié et réétudié le tramway destiné à ville de Québec ? Un autre scénario occasionnerait forcément encore des années d’attente et, donc, une augmentation des coûts du marché de la construction. Difficile d’imaginer que la Caisse puisse nous arriver avec un scénario beaucoup plus « économique », à moins de réduire l’ampleur du projet.
Manque de cohérence
Sans compter un paradoxe flagrant dans ce dossier. Le gouvernement demande à CDPQ Infra « de nous arriver avec le meilleur projet structurant pour la ville de Québec », alors que ce n’est pas son rôle. CDPQ Infra a comme mandat de trouver le meilleur rendement pour le bas de laine des Québécois. En d’autres mots : faire de l’argent. Nuance importante.
De plus, CDPQ Infra s’est largement fait reprocher ces dernières années d’avoir réalisé ses mandats en vase clos, sans vraiment se soucier des autres modes de transports en commun. Drôle de façon de développer du « transport structurant » lorsqu’on réfléchit seul plutôt qu’en mode réseau.
D’autre part, sur quelle base la CDPQ Infra mérite-t-elle autant de confiance de la part du gouvernement après avoir offert une facture architecturale et paysagère lamentable pour la première phase du REM ? Pensons simplement aux caténaires qui pullulent à l’horizon, tout comme les enfilades de piliers de béton surdimensionnés sur l’ensemble du tracé.
Et que dire du même gouvernement du Québec qui a retiré des mains de CDPQ Infra la seconde phase du REM (REM de l’Est) après que cette dernière a généré une immense controverse auprès d’experts en aménagement, de la mairesse Valérie Plante et de plusieurs groupes de citoyens ? Les scénarios présentés étaient une honte une fois de plus sur le plan paysager, urbanistique et architectural, ce qui aurait eu pour effet de défigurer le centre-ville de la métropole. Tout ça après des mois d’études, plusieurs millions de dollars dépensés et le départ des architectes mandatés qui ont largué le projet… et j’en passe.
Échec cuisant, non ? Si M. Legault a si confiance en CDPQ Infra pour la ville de Québec, pourquoi lui avoir barré la route pour le REM de l’Est à Montréal ?
Vive le manque de cohérence politique… envers un messie qui n’a pas encore fait ses preuves.