La ministre Guilbault contredite par les sociétés de transport en commun

Les rapports annuels et les budgets des sociétés de transport contredisent les affirmations de la ministre Geneviève Guilbault.
Photo : Radio-Canada
Publié à 4 h 00 HAE
Dans sa volonté d’amener les sociétés de transport collectif à se serrer la ceinture, le gouvernement Legault martèle qu’il paie déjà le tiers de leurs dépenses de fonctionnement. Or, sa contribution réelle est largement inférieure dans presque toutes les régions, a constaté Radio-Canada.
Par exemple, dans le budget 2023 du Réseau de transport de la Capitale (RTC), à Québec, on peut lire noir sur blanc que le provincial ne couvre que 10,6 % des dépenses d’exploitation, c’est-à-dire celles liées directement aux services (salaires, carburant, maintenance, etc.).
La situation financière prévue à court terme est insoutenable à long terme et forcera le RTC à faire des choix à défaut de recevoir du financement additionnel, avertit le document.
Même en ajoutant l’aide d’urgence octroyée par le gouvernement Legault en raison de la baisse d’achalandage liée à la pandémie, la part assumée par le provincial s’élève à seulement 15,5 % des dépenses d’exploitation au RTC.

Les dépenses d’exploitation du RTC ne sont assumées qu’à 15,5 % par des subventions provinciales.
Photo : Radio-Canada / Hans David Campbell
À la Société de transport de Trois-Rivières (STTR), la contribution de Québec est à peine plus importante. Le budget 2024 prévoit que la part provinciale dans les dépenses d’exploitation ne sera que de 21 %. Cette proportion est d’ailleurs en diminution par rapport à 2023 (25 %) et à 2019 (30 %), l’année d’avant la pandémie.
On demande au gouvernement d’augmenter cette part-là, plaide le président de la STTR, Michel Byette.
Pour combler le fossé qui se creuse, la Ville de Trois-Rivières se trouve donc contrainte de payer davantage, mais sans que la STTR puisse offrir un meilleur service, déplore M. Byette.
Ça nous a empêchés d’améliorer notre réseau, de le bonifier, d’avoir plus de lignes, plus de fréquence, plus d’arrêts, ce qui fait que notre réseau n’a pas bougé au cours des dernières années.
Une citation de Michel Byette, président de la Société de transport de Trois-Rivières
Dans les sociétés de transport des autres régions, comme Saguenay (21 %), Sherbrooke (24 %), Lévis (27 %) et Gatineau (27 %), la part des frais d’exploitation assumée par Québec n’atteint pas non plus le fameux tiers.
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À l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), qui regroupe les sociétés de transport de Montréal, Laval et Longueuil, la situation est légèrement différente. L’aide provinciale représente bel et bien le tiers du budget d’exploitation pour 2023.
Or, cela s’explique principalement par l’aide d’urgence liée à la pandémie, qui prend fin cette année. Avant la création de ce soutien temporaire, en 2019, les subventions provinciales ne représentaient que 22 % des frais d’exploitation de l’ARTM.
La ministre persiste et signe
Ces chiffres contredisent donc les propos tenus la semaine dernière par Geneviève Guilbault lorsqu’elle défendait la volonté du gouvernement Legault de n’éponger que 20 % du déficit des sociétés de transport, sous prétexte que Québec en fait déjà assez.
On soutient déjà les activités des sociétés de transport à hauteur d’environ un tiers. Ç’a toujours été comme ça avec nos programmes. Ça ne change pas, assurait la ministre des Transports lors d’une mêlée de presse.
Malgré les données officielles, la ministre maintient cette version des faits. Son cabinet rappelle que le Programme d’aide au développement du transport collectif (PADTC), qui sert à financer les dépenses d’exploitation, a été largement bonifié par le gouvernement actuel.
En 2015-2016, sous les libéraux de Philippe Couillard, le PADTC versait 140 millions de dollars aux sociétés de transport. En 2023-2024, sous François Legault, les sociétés de transport se partagent plutôt 401 millions, soit presque trois fois plus d’argent.
Il appartient au milieu municipal et aux sociétés de transport de définir leur planification financière et d’optimiser leurs services en fonction des revenus et dépenses anticipés.
Une citation de Extrait d’un courriel de Maxime Roy, directeur des communications de la ministre des Transports
De plus, si l’on ne regarde pas uniquement les sommes accordées pour l’exploitation, mais qu’on ajoute les subventions pour les infrastructures, le cabinet de Geneviève Guilbault affirme que sa part dans le financement global du transport collectif au Québec est passée de 37 % en 2015 à 48 % en 2023.
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Trouver des solutions
Selon Fanny Tremblay-Racicot, professeure en administration municipale et régionale à l’École nationale d’administration publique (ENAP), la part provinciale dans les dépenses d’exploitation a bel et bien diminué au fil des ans.
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Indexer la taxe sur l’immatriculation – qui est restée la même depuis 1992, sauf dans la communauté métropolitaine de Montréal – et la taxe sur l’essence serait une première étape pour éviter une décroissance chronique du financement provincial, suggère la professeure.
Or, miser uniquement sur une hausse de l’aide provinciale pour les dépenses d’exploitation, comme le réclament les municipalités et les sociétés de transport, ne serait pas forcément une meilleure manière de gérer les fonds publics.
C’est un service public, donc on ne s’attend pas à ce que les sociétés de transport soient rentables, mais on s’attend à ce qu’elles aient une saine gestion de leurs activités, de leurs infrastructures, de leurs employés, indique la professeure.
À son avis, la vraie solution pour assurer le maintien et la croissance du transport en commun au Québec est ailleurs.
Il faudrait davantage outiller les municipalités pour qu’elles aient des revenus autonomes.
Une citation de Fanny Tremblay-Racicot, professeure en administration municipale et régionale à l’ENAP

Fanny Tremblay-Racicot, professeure en administration municipale et régionale à l’ENAP.
Photo : Radio-Canada
D’autres possibilités, ce sont les programmes de réduction du navettage ou de réduction des déplacements des employés. On voit ça aux États-Unis, évoque la professeure Tremblay-Racicot.
Elle cite le cas de l’État de Washington, où les grandes entreprises de 100 employés et plus sont visées par une loi qui les contraint à trouver des moyens de limiter le recours à l’auto solo.
Ainsi, les employeurs sont fortement incités à acheter des laissez-passer de transport collectif aux sociétés de transport – qui font des prix du gros –, ce qui fait en sorte que de 40 % à 60 % des revenus d’exploitation des sociétés de transport proviennent des contributions des employeurs, explique Mme Tremblay-Racicot.