La ligne bleue du métro de Montréal sera prolongée dans l’est de Montréal de cinq stations dont on a dévoilé les noms mardi. Quatre des noms sont illogiques d’un point de vue toponymique.
Publié à 21 h 35
Des stations qui portent les noms Vertières, Mary-Two-Axe-Earley, Césira-Parisotto et Madeleine-Parent, c’est une cassure du point de vue de la toponymie.
Vertières est le nom d’une bataille pour l’indépendance d’Haïti en 1803.
Mary Two-Axe Earley est une militante féministe mohawk.
Césira Parisotto est une religieuse montréalaise d’origine italienne qui a répandu le bien à Montréal, fondant l’hôpital Marie-Clarac.
Madeleine Parent est une militante féministe québécoise.
Tous ces noms ont une place dans la toponymie de Montréal, qu’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas. Le bogue est ailleurs. J’y viens dans un instant.
Prenez Vertières : il n’y a rien d’illogique à nommer un lieu montréalais d’après ce jalon important de l’indépendance haïtienne de 1803, vu l’importance de nos concitoyens d’origine haïtienne dans la vie de Montréal.
Par exemple, il y a à Paris une station du métro qui s’appelle Stalingrad, référence à la bataille de Stalingrad, un tournant de la Seconde Guerre mondiale, quand les nazis se sont butés à la résistance de l’URSS pendant que les mêmes salauds de nazis occupaient la France et une bonne partie de l’Europe.
Mais pourquoi cette station du métro de Paris s’appelle-t-elle Stalingrad ?
Monsieur le chroniqueur, vous venez de le dire : pour commémorer la bataille de Stalingrad !
Non, le mot important de ma question est cette, comme dans Pourquoi CETTE station du métro de Paris porte-t-elle le nom Stalingrad ?
Réponse : parce que cette station est à proximité de la place de la Bataille-de-Stalingrad, dans le 19e arrondissement.
Et parce que les stations de métro sont très généralement nommées en référence à un lieu situé tout près desdites stations. Le nom d’une station de métro est un repère géographique : une rue, un boulevard, un parc, une place publique, une institution (université, collège, hôpital), etc.
À Montréal, la station Lionel-Groulx est adjacente à la rue du même nom. La station Sherbrooke, sur la ligne orange, à un jet de pierre de la rue du même nom. La station Jean-Drapeau est située dans le parc qui porte le nom de l’ancien maire. Berri-UQAM : à côté de la rue Berri et de l’Université du Québec à Montréal. Etc., etc., etc.
Paris, Londres : même synchronisme entre le nom des stations et les lieux qui les bordent : rues, places, quartiers, etc. Les stations du métro de New York portent carrément le nom de rues et d’avenues adjacentes.
La toponymie des villes dicte celle des stations de métro, dont les noms sont en phase avec le lieu où on les érige. Les noms des stations de métro sont des marqueurs géographiques, d’abord et avant tout.
Donc, vous comprenez mon bogue : station Vertières, station Mary-Two-Axe-Earley, station Césira-Parisotto et station Madeleine-Parent : ça sort de nulle part, du point de vue de la logique toponymique. Ça ne s’ancre dans aucun lieu géographique des environs de ces stations.
On peut trouver ça original, on peut trouver ça égalitaire, une victoire contre la domination masculine. Ou on peut trouver que ça réinvente stupidement la roue (du wagon de métro)…
Remarquez, il y a moyen d’honorer la mémoire d’un personnage important, sans lien avec le lieu de la station. À Paris, une station porte le nom de Simone Veil, géante du féminisme français, marraine de la loi qui légalisa l’avortement. La station s’appelle « Europe–Simone-Veil » : la place de l’Europe est tout près.
L’administration Plante a piloté la quête des noms de ces nouvelles stations de la ligne bleue à visière levée : on a dit qu’il fallait faire un effort pour féminiser les noms des nouvelles stations. L’effort a été fait… Mais le résultat est illogique.
La toponymie montréalaise est en effet masculine. D’où les noms de stations de métro à prédominance masculine, parce que la toponymie des lieux dicte celle des stations de métro.
Si on veut vraiment rompre avec la tradition toponymique en attribuant à ces quatre stations des noms de femmes et de batailles qui sortent de nulle part, la Ville de Montréal devrait être conséquente : qu’on change le nom de rues, de parcs, de boulevards adjacents aux quatre nouvelles stations pour honorer cette bataille et ces femmes.
On peut changer la toponymie des lieux. Des noms tombent en désuétude et disparaissent du paysage toponymique. On les remplace. Ce n’est pas une vilaine chose.
Exemple : Guy Carleton, premier baron Dorchester, fut un général britannique lors de la Conquête, en plus d’être deuxième gouverneur de la Province of Quebec : le boulevard qui portait son nom a été débaptisé en 1987, à la faveur de René-Lévesque (sauf à Westmount, où on a décidé de garder le nom Dorchester, pour ne pas faire plaisir aux grenouilles).
Exemple, bis : la rue Amherst, du nom d’un salaud de militaire britannique qui répandit volontairement la variole chez les autochtones. Sa rue a pris en 2019 le nom d’Atateken, fraternité, dans la langue mohawk.
Dans le même esprit, peut-on rêver d’en finir avec ce vieux pape du XIXe siècle, j’ai nommé Pie IX ? Il devait être important pour le Québec de la fin des années 1800, mais je préférerais rouler sur, tiens, le boulevard Monet-Chartrand, pour honorer Simonne.
La station de métro Pie-IX changerait donc elle aussi de nom, la toponymie de la ville dicterait ainsi le nom de la station de métro. Ce serait logique.
Ce que quatre des cinq noms des nouvelles stations de la ligne bleue ne sont pas.
Seul le nom Anjou l’est, logique, parce que la station sera à… Anjou.