Verdir les stationnements pour faire face aux changements climatiques
Photo: Ville de Victoriaville Modélisation d’un stationnement vert
Sébastien Tanguay
à Québec
6 mars 2023
Transports / Urbanisme
Lacs de bitume noir étalés partout dans les villes et les villages, les stationnements représentent de plus en plus un champ de bataille où se joue la lutte contre les changements climatiques. Certaines options font fleurir la verdure parmi ces grandes surfaces asphaltées, mais la réglementation tarde à prendre racine pour normaliser l’aménagement de stationnements plus verts, beaux et conviviaux.
Là où elle règne, le royaume de l’automobile semble infini. Laval comptait, en 2019, plus d’un demi-million de places de stationnement sur l’ensemble de l’île Jésus, soit trois places pour chaque voiture — sans compter les entrées résidentielles. En moyenne, plus de 80 % de ces stationnements demeuraient inoccupés à toute heure du jour, et 90 % de leur surface ne comptait aucun arbre.
Autre exemple : Drummondville calculait, il y a quelques années, que les surfaces minéralisées occupaient près de 50 % de son centre-ville. Entre les chaussées et les aires de stationnement, l’occupation au sol des bâtiments se limitait à un maigre 18,5 % au coeur de la cité.
Ces grandes surfaces de bitume où les automobiles viennent siester en attendant leur maître posent plusieurs problèmes. Les stationnements, d’abord, génèrent des îlots de chaleur, à tel point que la température ressentie peut facilement y grimper de 10 °C par rapport aux autres zones urbaines d’un même périmètre. Un mercure qui bondit en ville augmente, par ricochet, l’usage des climatiseurs, souvent gourmands en énergie, au point qu’« une augmentation de 2 °C induite par les îlots de chaleur urbains peut accroître de 5 % la consommation énergétique ».
Dès 2009, l’Institut national de santé publique (INSPQ) tirait la sonnette d’alarme : « lors de journées chaudes, les surfaces asphaltées peuvent atteindre des températures de 80 °C », écrivait l’INSPQ dans ses Mesures de lutte aux îlots de chaleur urbains. Le document soulignait que ces conditions contribuent à la formation du smog et de la moisissure, en plus d’exacerber toute une panoplie de maladies chroniques.
Autre accroc : les aires de stationnement qui entourent écoles, épiceries, hôpitaux, arénas, entrepôts, centres commerciaux, etc. n’absorbent aucunement l’eau pluviale. Aussitôt arrivée au sol, celle-ci stagne ou se précipite dans les réseaux d’aqueduc municipaux qui peinent déjà à absorber les pluies diluviennes de plus en plus fréquentes au Québec, comme le déluge tombé sur Montréal, en septembre dernier, l’a montré.
« Les changements climatiques viennent changer la fréquence des événements extrêmes, explique la professeure Sophie Duchesne, chercheuse à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et experte en hydrologie et en infrastructures urbaines. Quand il pleut sur une surface très minéralisée, cette eau-là tombe sur une surface imperméable et elle s’écoule rapidement pour rejoindre le réseau municipal. Ça crée très vite des crues éclair. »
« Nous mettons encore beaucoup de moyens financiers pour agrandir les routes et pour bétonner, observe le directeur général par intérim de Nature Québec, Cyril Frazao, mais assez peu pour végétaliser et revitaliser les espaces asphaltés. »
Autres options porteuses
Pourtant, d’autres options aux stationnements traditionnels existent et permettent aux municipalités d’économiser des sommes importantes, en plus de créer des zones plus conviviales pour la population.
Quelques villes ont adopté des conceptions plus réfléchies de leurs stationnements pour réduire l’absorption de la chaleur et augmenter celle de la pluie. La professeure Duchesne a notamment travaillé à l’aménagement du stationnement écoresponsable Pierre-Laporte situé au centre-ville de Victoriaville. Autrefois mer d’asphalte comme le Québec en compte tant, ce stationnement a connu une cure de verdure en 2020.

Photo: Nature Québec
Le stationnement écoresponsable Pierre-Laporte, à Victoriaville
Un pavé alvéolé laisse entrevoir, l’été, la pousse de l’herbe sous l’essieu des automobiles. Des îlots de rétention des eaux, fournis en plantes et en arbres fraîchement plantés, permettent d’éponger l’eau pluviale en surface avant qu’elle ruisselle jusqu’à l’égout. Des aires de pique-nique aussi ont pris racine, et même piétons et cyclistes trouvent leur compte grâce à des corridors de marche et des garages pour vélos.
« Le stationnement devient une éponge », explique la professeure Duchesne. En plus, ajoute Romain Coste, coordonnateur au Conseil régional sur l’environnement de Montréal (CRE), le nouveau parc à autos encourage la mixité des usages. « Les stationnements traditionnels sont conçus uniquement autour de l’automobile, jamais pour les transports actif et collectif, déplore-t-il. L’aménagement est centré sur l’automobile, et nous oublions les autres façons de se déplacer. »
Les améliorations apportées au stationnement Pierre-Laporte ont nécessité quelques millions et le sacrifice de 20 places de stationnement pour voiture. Il en reste néanmoins 141 aujourd’hui, sans compter celles ajoutées pour les bicyclettes.
Photo: Nature Québec
Le stationnement écoresponsable Pierre-Laporte, à Victoriaville
Cette dépense en valait largement la chandelle, selon l’Hôtel de Ville. « Ça coûte un peu plus cher sur le coup, explique le maire de Victoriaville, Antoine Tardif. Par contre, à moyen et à long terme, nous rentrons dans notre argent en évitant de devoir excaver pour agrandir nos égouts et en diminuant la quantité d’eau à filtrer dans nos centres d’épuration. »
Victoriaville figure, avec Drummondville et Pointe-aux-Trembles, parmi les rares municipalités du Québec à avoir adopté un règlement qui encadre la conception de stationnements plus conviviaux et plus verts. « À l’avenir, chaque fois que nous aurons à réaliser la réfection d’un stationnement, souligne le maire Tardif, nous devrons remplir des exigences pour qu’il devienne plus responsable écologiquement. »
Le défi du privé
Romain Coste, du CRE de Montréal, pilote depuis 2017 une campagne mise sur pied pour accompagner la conversion des stationnements et encourager les meilleures pratiques. Il croit que l’exemple de Victoriaville doit se généraliser plus tôt que tard au Québec.
« Le rythme est assez lent, et nous avons encore quelques défis dans notre démarche, indique-t-il. Tout le monde s’accorde sur l’importance de verdir nos villes, mais dès que nous touchons au nombre de cases de stationnement, certains élus se rebiffent par peur de la grogne populaire. Les gens crient toujours à la catastrophe, et chaque fois, le pire ne survient jamais. »
À Montréal, certains arrondissements, comme Saint-Laurent ou Le Sud-Ouest, sont à l’avant-garde sur la question du stationnement. Dans d’autres, il n’y a parfois aucun standard en matière de plantation d’arbres ou de gestion des eaux pluviales, déplore Romain Coste.
Le CRE estime que la réglementation constitue une des clés pour normaliser la construction de stationnements verts. La fiscalité peut en représenter une autre, selon Romain Coste, en favorisant les bonnes pratiques et en taxant les mauvaises.
La taxation pourrait aussi inciter le secteur privé à embarquer dans le mouvement de déminéralisation des stationnements, explique-t-il. Le CRE répertorie à Montréal environ 500 stationnements d’au moins 100 places qui s’étalent, ensemble, sur quelques milliers de kilomètres carrés minéralisés. Un quart d’entre eux appartient au secteur industriel, un autre aux institutions publiques, tandis que la moitié dépend du secteur commercial.
« Il y a beaucoup plus d’opportunités de verdissement sur les stationnements privés que sur les stationnements publics », indique Cyril Frazao, de Nature Québec. La faim de mieux faire les choses, cependant, ne tenaille pas encore les grands propriétaires privés.
« Dans les nouveaux centres commerciaux, observe M. Frazao, il y aura un arbre pour 10 cases de stationnements… C’est un peu du greenwashing. »
Depuis quelques années, le CRE récompense les stationnements les plus inspirants du Québec en les adoubant d’une attestation écoresponsable. Jusqu’à présent, 10 ont obtenu la mention.
« Les municipalités ont conscience de ces enjeux-là ; par contre, il manque un levier pour généraliser la pratique. La prochaine étape, conclut Romain Coste, c’est de revoir la réglementation pour établir de nouveaux standards en matière d’aménagement des stationnements. »
Pour éviter que le climat des villes parte à la dérive dans des mers asphaltées sans autre utilité que de garer des voitures.