Sanimax menace de quitter Rivière-des-Prairies
Jérôme Labbé
Un nouveau règlement de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) pousse Sanimax à évoquer pour la première fois la possibilité de fermer son usine de transformation de carcasses animales de Rivière-des-Prairies, à Montréal.
Autant ce départ ferait le bonheur des riverains, qui se plaignent depuis des années des odeurs nauséabondes émises par les activités d’équarrissage de l’entreprise, autant il aurait d’importantes répercussions sur l’ensemble de l’industrie agroalimentaire québécoise.
Sanimax se plaint que le nouveau règlement sur la pollution atmosphérique de la CMM l’obligera notamment à respecter un seuil d’odeur en tout temps et qu’il donnera le pouvoir aux autorités municipales de suspendre ou de révoquer des permis en cas de non-conformité.
Mais surtout, ledit règlement forcera l’entreprise à construire d’ici 18 mois un garage ventilé afin d’accueillir les camions qui viennent à l’usine pour décharger leur marchandise – des camions non réfrigérés, qui sont la source d’émanations particulièrement pénibles pour le voisinage lors des chaudes journées d’été.
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L’usine de Sanimax à Rivière-des-Prairies emploie plus de 300 personnes.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Deschênes
De telles exigences sont trop contraignantes au goût de la compagnie, qui était établie dans le secteur bien avant que la Ville de Montréal ne permette la construction de résidences à proximité.
La situation est très préoccupante, a-t-elle déclaré par courriel, mardi, reprenant l’essentiel d’un argumentaire présenté en primeur au quotidien Le Devoir.
Nous pouvons vous confirmer qu’appliqué tel quel et de façon stricte, le règlement aurait bel et bien pour impact direct de révoquer nos permis, ce qui mettrait fin à nos opérations à Montréal, avec des répercussions environnementales, sanitaires et agroalimentaires importantes partout au Québec.
L’industrie s’inquiète
Le Conseil de l’industrie de la transformation alimentaire aimerait que l’usine puisse continuer à opérer, comme c’est le cas en ce moment, de manière à pouvoir répondre aux exigences environnementales.
Selon son vice-président Dimitri Frayes, la fermeture des installations de Sanimax à Montréal équivaudrait à arrêter la valorisation de ce qu’on appelle les sous-produits de viande, principalement le porc et le poulet.
Ça aurait un impact environnemental, car il faudrait que ces produits soient dirigés vers les sites d’enfouissement, et ça aurait un impact économique, parce que, dans le cadre des principes de développement durable, [une telle usine] permet de récupérer et de valoriser la matière, allègue-t-il.
« Si l’usine de Sanimax devait fermer, ce serait 25 000 camions qui seraient dirigés vers des sites d’enfouissement. Est-ce que ça règle la situation? Je ne pense pas. Ça ferait juste la déplacer. »
— Dimitri Frayes, vice-président innovation et affaires économiques, Conseil de la transformation alimentaire du Québec
L’administration Plante, elle, demeure déterminée à serrer la vis à Sanimax et tient mordicus à freiner les problèmes d’odeur qui émanent des activités de l’entreprise. Le cabinet de la mairesse déplore notamment que des discussions s’étant échelonnées sur deux ans n’aient pas permis aux parties de s’entendre.
Nous ne pouvons faire de compromis sur la qualité de vie de nos citoyens et sur l’impact environnemental qu’ont les activités de l’entreprise sur notre territoire, a-t-il argué dans une longue déclaration transmise à Radio-Canada. Ce que nous souhaitons, c’est qu’elle se conforme aux normes et réduise ses nuisances.
De son côté, Sanimax affirme notamment que la construction d’un garage ventilé fait partie des engagements que [ses dirigeants sont] prêts à prendre.
L’entreprise soutient toutefois que les conditions ne sont pas réunies pour procéder à un tel investissement, contrairement à celui annoncé en avril lors du dévoilement du plan d’action gouvernemental pour réduire les odeurs et améliorer la qualité de vie des riverains de l’usine de Charny, à Lévis.
Elle affirme entre autres que le zonage actuel ne lui permettrait pas d’entreprendre de tels travaux – ce à quoi le cabinet de Valérie Plante rétorque que l’entreprise pourra déposer de plein droit une demande de permis pour construire son garage dès septembre.
Une atmosphère tendue
Officiellement, la Ville et Sanimax se disent disposées à discuter. Mais les relations entre les deux parties sont pour le moins crispées, notamment en raison d’un combat juridique parallèle qui les oppose. La Ville a transmis plusieurs avis de non-conformité à l’entreprise, que celle-ci conteste devant les tribunaux.
De fait, les discussions ont été mises sur pause en 2021 et sont actuellement au point mort, ont confirmé les deux parties mardi.
Le climat s’est à ce point dégradé que, plus tôt cet été, les élus ont été exclus du comité de bon voisinage créé par Sanimax pour favoriser une cohabitation harmonieuse avec la communauté.
À preuve que le sujet est délicat : outre le Conseil de l’industrie de la transformation alimentaire, aucune des parties concernées n’a souhaité accorder d’entrevue à Radio-Canada sur le sujet mardi.
Un dénouement cet automne?
Adopté le 16 juin, le règlement honni de Sanimax doit encore être approuvé par Québec avant d’entrer en vigueur. La CMM a demandé au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) de lui remettre son avis de conformité d’ici la mi-août, si possible, mais la décision n’a pas encore été prise.
Pour le ministère, il est important que les différents acteurs concernés arrivent à trouver un terrain d’entente qui tient compte à la fois des impacts sur les populations avoisinantes, sur l’environnement et sur la chaîne agroalimentaire, a indiqué Rosalie Tremblay-Cloutier, l’attachée de presse du ministre Benoit Charette.
Sanimax affirme qu’il est inexact de dire que l’entreprise est intervenue auprès du MELCC pour le convaincre de ne pas donner suite au règlement, mais admet du même souffle avoir communiqué [ses] préoccupations au gouvernement quant aux impacts environnementaux, sanitaires et agroalimentaires qu’il pourrait avoir.
Les élections québécoises devant être déclenchées au plus tard le 29 août, il n’est pas exclu que les parties concernées doivent attendre après le scrutin du 3 octobre pour savoir si le règlement sera approuvé par le gouvernement.
Le cas échéant, une séance d’information publique sera […] tenue pour expliquer les modifications apportées, a fait savoir la CMM mardi.
Avec les informations d’Olivier Bachand, de Jérémie Bergeron et de Benoît Chapdelaine