Les récents débats télévisés liés à l’élection municipale, particulièrement sur le sujet des pistes cyclables, m’ont amené à une profonde réflexion sur l’état du discours entourant leur présence à Montréal.
Certains opposants (ou modérés) aux pistes cyclables ont introduit une nouvelle « mobilité inclusive » à Montréal. Et j’insiste sur les gros guillemets, car ce qu’ils encouragent est tout sauf inclusif.
Pendant des décennies, quand les cyclistes demandaient des infrastructures sécuritaires, on leur répondait inlassablement : « La rue, c’est pour les voitures. » Peu importe combien on insistait sur la nécessité de penser à tous les usagers (piétons, cyclistes, familles, personnes âgées) c’était toujours une arrière-pensée. Le vélo était toléré, jamais intégré.
Aujourd’hui, alors que Montréal commence à peine à construire un réseau cyclable cohérent, encore loin d’être bien connecté, voilà que le ton change. Des candidats comme Soraya Martinez Ferrada nous parlent soudainement de :
« mobilité fluide et inclusive »
« aménagement partagé pour tous »
« respect de l’ensemble de la mobilité »
Et en ligne, on lit des commentaires du genre : « Je n’ai rien contre les vélos… mais on a exagéré. Les rues, c’est pour tout le monde. »
Ah tiens! Maintenant que le vélo occupe 2 à 3 % de l’espace routier, on découvre soudainement l’importance de l’équité. Maintenant qu’il commence à exister, on exige qu’il ne prenne pas trop de place. L’ironie est si forte que j’ai envie de pleurer et rire en même temps.
Ce discours de « partage » n’était pas là quand les cyclistes risquaient leur vie à chaque coin de rue. Il n’était pas là quand les piétons devaient zigzaguer entre les voitures stationnées sur les trottoirs. Il n’était pas là quand les enfants n’avaient aucun endroit sécuritaire pour apprendre à pédaler.
Alors, pourquoi maintenant?
Parce que le vélo commence à exister. Tant que le vélo était marginal, il ne menaçait rien. Mais dès qu’il commence à occuper un peu d’espace, souvent des voies de circulation ou du stationnement, il devient un enjeu politique. Ce n’est pas sa présence qui dérange, c’est le fait qu’il oblige à repenser l’usage de l’espace public, historiquement accaparé par la voiture.
Parce que ce discours d’« inclusivité » est devenu un outil de blocage. Autrefois, on disait « la rue, c’est pour les voitures ». Aujourd’hui, on dit « la rue, c’est pour tout le monde », mais souvent pour refuser de développer davantage le réseau cyclable. Cette nouvelle ‘‘inclusivité’’ qu’ils essaient fort de pousser devient un prétexte pour ne rien changer, ou pour ralentir les transformations. On invoque le « vivre ensemble » pour protéger le statu quo, pas pour corriger les déséquilibres.
Parce que les privilèges sont défendus sous couvert d’équité. Quand une infrastructure favorise historiquement un groupe, dans ce cas-ci ici, les automobilistes, toute tentative de rééquilibrage est perçue comme une injustice. Ce n’est pas que les cyclistes prennent trop de place, c’est que la voiture en avait trop. Mais dans l’imaginaire collectif, ce déséquilibre était devenu la norme. Alors, dès qu’on corrige un peu le tir, certains crient au favoritisme.
Imaginons un enfant qui, pendant des années, a eu toute la salle de jeux pour lui tout seul. Il pouvait étaler ses jouets partout, courir sans contrainte, décider des règles. C’était son royaume. Puis un jour, un petit frère ou une petite sœur arrive. Et là, on lui dit : « Il faut partager. »
Mais partager, ça veut dire quoi pour lui? Ça veut dire renoncer à une partie de l’espace qu’il considérait comme acquis. Ça veut dire changer ses habitudes, faire de la place, parfois même attendre son tour. Et même si on lui explique que c’est normal, que c’est juste, il ressent ça comme une injustice. « Pourquoi maintenant? Pourquoi moi? »
C’est exactement ce qui se passe avec l’automobile dans nos villes. Pendant des décennies, la voiture a été l’enfant-roi de l’aménagement urbain. Elle a eu les voies, les stationnements, les budgets, les priorités. Et maintenant que le vélo (ce petit frère longtemps ignoré) commence à réclamer un peu d’espace, on entend : « Il faut que ce soit équitable. Il faut penser à tout le monde. »
Mais cette équité n’était pas une priorité quand le grand frère avait tout. Elle devient urgente seulement quand il doit céder une partie de ses privilèges.
Il faut se méfier de ces politiciens qui brandissent des mots comme « inclusif » et « partagé » pour justifier leur opposition au développement du réseau cyclable. Derrière ces termes séduisants se cachent souvent des idées qui ne sont ni inclusives, ni favorables au véritable partage de l’espace public.