Bienvenue sur le forum! Je vais me permettre d’étoffer un peu ma pensée par rapport à ce post de l’an passé, et prendre un peu de recul:
- D’où le transport en commun tient-il son efficacité?
Le transport en commun tient son efficacité des économies d’échelle: en regroupant des trajets ensemble dans le même véhicule, on économise de l’espace, de l’énergie, des véhicules, et du temps de service (1 chauffeur pour X personnes). Le transport en commun regroupe les personnes de deux manières:
- Regroupement temporel: En ayant un véhicule toutes les 20 minutes, disons, on est capables de regouper tous les gens ayant des moments de départ (ou d’arrivée) se retrouvant à l’intérieur de cette plage de 20 minutes au sein du même véhicule.
- Regroupement spatial: En regroupant ensemble des déplacements ayant des origines et des destinations différentes au sein du même véhicule, on obtient des économies.
On remarque déjà un conflit central à la nature du transport en commun: pour diminuer les coûts, il est désirable de regrouper les trajets autant que possible, en offrant de faibles fréquences (maximiser le regroupement temporel) et en offrant peu de circuits et des arrêts très espacés (regroupement spatial). Mais plus on regroupe des trajets disparates au sein du même véhicule, le plus la qualité en souffre: les usagers s’attendent à avoir des arrêts disponibles à proximité de leur origine et de leur destination pour minimiser la marche, à avoir aussi peu de transferts à faire que possible, et à avoir des services rapides (regroupement spatial), et aussi à avoir de fortes fréquences à tout moment de la journée (peu de regroupement temporel).
Du point de vue de la conception d’un réseau de transport en commun, l’objectif est donc d’équilibrer le regroupement des trajets (dicté par les contraintes budgétaires) avec la qualité des services offerts aux usagers. On notera qu’en pratique, le plus gros coût provient de la main d’oeuvre. On peut donc utiliser comme règle générale que le coût d’un service de transport en commun est proportionnel au temps total de service commercial.
- En quoi un milieu urbain diffère-t-il d’un milieu suburbain (plus spécifiquement dans le Grand Montréal)?
Les milieux ne sont pas tous créés égaux: en contrôlant la façon dont nos villes sont bâties, on peut faire en sorte que la quantité de regroupement spatial et temporel requis soit minimisé. L’une des façons clé de faire ça, c’est en rapprochant les origines et les destinations les unes des autres. On fait ça en augmentant la densité et la mixité des usages. De la même façon, on peut diminuer la quantité de regroupement spatial à faire en créant des corridors linéaires où le transport en commun peut être offert, et en offrant un environnement où la marche vers les arrêts/stations peut se faire rapidement et confortablement.
Un milieu urbain est justement caractérisé par une forte densité (je vais laisser le soin aux experts de déclarer un seuil), une forte mixité des usages (donc des bureaux, des commerces, des industries regroupées au sein des milieux résidentiels), ainsi qu’une trame de rue amenable à la marche et à l’offre de transport en commun.
Les milieux suburbains, par contraste, offrent une grande hétérogénéité des usages (grands quartiers uniqement résidentiels, commerciaux, industriels, parcs de bureaux, …), une forte hiérarchisation des niveaux de route (contraste clair entre les autoroutes, les artères, le collectrices et les rues locales), des trames de rue discontinues et sinueuses, ainsi qu’une faible densité. Ces facteurs découragent l’offre de transport en commun de quailté, car les trajets typiques sont pendulaires (d’une zone à une autre), fortement dispersés dans l’espace (car peu de densité), sinueux (manque de rues droites à distance de marche des origines/destinations), et peu fréquents (à cause des autres facteurs).
- Les couronnes sont-elles une cause perdue? Peut-on améliorer leur sort en leur offrant des infrastructures de TC lourdes, comme le REM?
Ces problèmes sont inscrits dans la façon dont ces milieux sont construits. Puisqu’on n’est plus dans les années 60 et que faire table rase sur un quartier n’est plus acceptable (dieu merci!), on doit accepter que ces caractéristiques font que les milieux suburbains seront toujours extrêmement dispendieux à desservir en transport en commun, puisqu’ils n’ont pas les caractéristiques des milieux urbains.
On peut bien sûr prendre des mesures pour améliorer la donne, mais il faut accepter que chaque dollar investi en transport en commun de banlieue pourrait servir 3 à 4 fois plus de gens en milieu urbain, et leur apporter beacoup plus de bénéfices. Ça ne veut pas dire que les milieux suburbains ne devraient pas recevoir de financement en transport en commun, mais plutôt il faut confronter le fait que le transport en commun ne pourra jamais devenir plus qu’accesoire dans ces milieux.
Dans ton exemple, tu cites un exemple particulier où les couronnes sont capable d’obtenir une desserte relativement efficace. Il s’agit de desservir les déplacements vers le centre-ville, en heure de pointe, et dans la direction de l’heure de pointe. Or, les milieux urbains sont capables d’obtenir les économies d’échelle nécessaires pour couvrir pratiquement tous les trajets de leurs citoyens. Un système de trasport en commun en milieu suburbain ne pourra jamais devenir plus qu’un accessoire – un moyen de déplacement pour des besoins précis (le 9-5 au centre-ville, par exemple). Par contraste, les systèmes de transport en commun urbain couvrent le travail le magasinage, les loisirs, peu importe l’origine et la destination. C’est la différence entre un accessoire, un atout, et un morceau d’infrastructure aussi essentiel que les aqueducs.
J’aimerais terminer en notant que c’est malheureusement facile de tomber dans le piège d’évaluer la couverture d’un système lourd de transport en commun en regardant une carte. Mais il faut toujours garder en tête que par leur nature, les milieux peu denses vont toujours occuper une importance disproportionnée sur une carte. Le Plateau Mont-Royal (100k) a plus de monde que Brossard (80k), et Parc-Extension a autant de monde que Chambly (30k). Quand on garde les proprtions en tête, il est beaucoup plus évident qu’on a un gros trou de TC à l’est de Montréal que dans des petites villes de couronne, même si les deux occupent un espace similaire sur les cartes.