Réseau express métropolitain Le privé n’est pas la solution magique
PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE
Une rame du REM lors de tests à Brossard, en juin 2021
Vincent Brousseau-Pouliot La Presse
Comme ça le privé (la Caisse de dépôt et placement du Québec) allait réaliser le plus grand projet de transports collectifs depuis le métro de Montréal dans les temps et les budgets prévus ?
Publié à 5h00
Ce beau scénario idyllique promis par Québec et la Caisse en 2016-2017 ne s’est pas concrétisé.
La semaine dernière, la Caisse a annoncé un troisième report de l’inauguration du Réseau express métropolitain (REM). Au départ, le REM devait rouler à l’été 2021. Ce sera finalement au printemps 2023 pour le tronçon de la Rive-Sud, et fin 2024 pour les tronçons Deux-Montagnes et ouest de l’île.
Ce report est frustrant pour les usagers, mais la Caisse a sans doute pris la bonne décision. Vaut mieux reporter que d’avoir un lancement bâclé. Et le REM reste le projet de transport collectif le plus structurant au Québec depuis le métro de Montréal en 1966.
Notre enthousiasme pour le REM ne nous rend toutefois pas aveugle : la Caisse n’a pas livré dans les temps. La construction du premier tronçon de la Rive-Sud devait prendre trois ans et trois mois (on compte à partir de la première pelletée de terre), elle prendra quatre ans et neuf mois (+ 54 %). Certes, la Caisse ne pouvait pas prévoir la pandémie et les problèmes d’approvisionnement mondiaux, responsables d’une partie de ces retards. Mais elle était en retard sur son échéancier avant la pandémie.
Autre promesse qui a mal vieilli : la Caisse, contrairement au public, va être capable de respecter le budget.
Ça ne sera pas le cas.
Encore une fois, ce n’est pas si étonnant. Les dépassements de coûts sont le propre de presque tous les grands projets structurants de transport collectif. Ils sont en moyenne de 45 % pour les projets de train, a constaté Brent Flyvberg, professeur à l’Université Oxford, dans une étude en 2014.
Quand la Caisse a complété son financement en 2017, le budget était de 6,04 milliards. Depuis, il y a eu plusieurs imprévus.
Lors de la dernière mise à jour en mai 2021, la Caisse calculait la facture du REM à 6,9 milliards. Il faut ajouter les factures supplémentaires et les retards depuis mai 2021. Dans le meilleur des scénarios, la facture augmentera de plusieurs centaines de millions.
Avec un dépassement de coûts de 45 % (la moyenne de l’étude d’Oxford), le coût du REM atteindrait 8,8 milliards.
En plus du budget officiel du REM, les gouvernements et autres pouvoirs publics ont investi au moins un milliard de dollars en dépenses connexes pour s’adapter au REM (ex : bretelles d’autoroutes, gares d’autobus, décontamination). En comptant le budget du REM et toutes les dépenses connexes, la professeure de l’UQAM Florence Junca-Adenot arrive à une facture totale de 9,31 milliards en mars 2022 (1).
On attend de voir la facture finale avant de statuer sur la gestion de la Caisse. On pourra alors comparer le REM à des projets similaires à l’étranger.
À Londres, la ligne Crossrail, construite par les autorités publiques, a pris 13 ans à construire au lieu de neuf ans (+ 44 %), avec un budget 23 % plus élevé que prévu. C’est la preuve que le public peut bien mener à terme des projets d’envergure.
À Toronto, la ligne 5 Eglinton devrait prendre 12 ans à construire plutôt que neuf. À Edmonton, on vient de reporter l’inauguration d’un tramway sans donner de nouvelle date. Dans ces deux projets, la transparence financière est minimale. Quand on se compare au reste du Canada, on se console…
Au lieu de construire lui-même le plus important projet de transport collectif depuis des décennies, le gouvernement Couillard a choisi en 2016 de sous-traiter ce mandat à la Caisse. Québec a abdiqué ses responsabilités pour des raisons budgétaires (moins cher à court terme) et logistiques (ce serait plus efficace, s’est-il dit). Ce modèle de partenariat public-privé (PPP) a clairement montré ses limites avec le projet avorté du REM 2.0 de l’Est.
Il faut souhaiter que le REM 1.0 soit un immense succès. Surtout pour les usagers.
Mais pour nos prochains projets structurants de transport collectif, vaut mieux renforcer l’expertise et les pouvoirs du secteur public.
Ce n’est pas au privé de planifier nos transports collectifs. Même si c’est notre bas de laine collectif.
(1) Mme Junca-Adenot a inclus dans cette somme 800 millions pour 20 % du coût de construction du pont Samuel-De Champlain (le REM utilise ce pont).
Le REM en juin 2017
- Financement complété auprès de Québec et Ottawa
- Coût officiel : 6,04 milliards
- 26 stations sur 67 kilomètres
- Achalandage : 167 000 passagers par jour en 2026 (cinquième année du REM)
Le REM en avril 2018
- Début de la construction
- Mise en service prévue à l’été 2021
- Coût officiel : 6,3 milliards
Le REM aujourd’hui
- Mise en service prévue au printemps 2023 pour la Rive-Sud (1,75 an de retard) et fin 2024 pour les autres tronçons (3,5 ans de retard)
- Coût officiel en mai 2021 : 6,9 milliards (+ 14 % par rapport à 2017)
- Prochaine mise à jour du coût au printemps 2023
- Achalandage possible : 134 000 passagers par jour en 2028 (- 20 % par rapport à 2017)