Règlement pour une métropole mixte (RMM)

Un journaliste du Pivot a décortiqué les données ouvertes

« Un fiasco » : aucun logement social dans 97 % des projets immobiliers « pour une métropole mixte »


Photo : Pivot

25 juillet 2023
Alexis Bataillé

En payant de modestes compensations financières, presque tous les promoteurs immobiliers ont évité d’inclure des logements sociaux dans leurs projets pourtant soumis au Règlement pour une métropole mixte.

Même si le Règlement pour une métropole mixte (RMM) est censé garantir 20 % de logements sociaux dans les nouveaux développements immobiliers à Montréal, seulement cinq des 150 ententes conclues depuis deux ans vont donner lieu à la création de logements hors du marché privé. Les promoteurs derrière les autres projets ont préféré payer une contribution à la Ville de Montréal, qui a reçu au total 16,5 millions $.

En adoptant le Règlement « 20-20-20 » en 2021, Projet Montréal se félicitait d’imposer l’inclusion de 20 % de logements sociaux, 20 % de logements abordables et 20 % de logements familiaux dans les nouveaux projets immobiliers de plus de cinq unités (450 m2).

Or, en fin de compte, dans 145 des 150 projets pour lesquels une entente a été conclue dans le cadre du RMM depuis sa mise en place, aucun logement social n’a été inclus. Le Règlement permet en effet aux promoteurs de verser une compensation financière pour éviter d’inclure des logements sociaux dans leurs immeubles, une opportunité dont ils se sont prévalus dans 97 % des cas.

« Ils ont fait de la fausse représentation. »

— Éric Michaud, comité logement Ville-Marie

D’après les données ouvertes de Montréal, les ententes valides et complètes conclues à ce jour représentent 5985 logements, ou 539 637 m2 de superficie résidentielle. Or, au lieu d’avoir environ 108 000 m2 de logement social (20 % du total), ce seront uniquement 29 531 m2 qui seront consacrés aux logements hors marché privé (5 % du total, soit quatre fois moins). Cela représente environ 330 unités, contre un potentiel d’environ 1200 unités si tous les projets avaient inclus leur part de logement social.

Fait à noter : un des projets ayant payé une contribution financière de 37 929 $ pour ne pas avoir à offrir du terrain ou des logements sociaux clés en main à la Ville a ensuite vendu 2 676 m2 de terrain à la Ville pour la somme de 84 6740 $.

Les résultats décevants du RMM font réagir le milieu du logement. « Ils ont fait de la fausse représentation », estime Éric Michaud, coordonnateur du Comité logement Ville-Marie (CLVM).

D’après lui, bien des gens ont l’impression que le Règlement pour une métropole mixte oblige absolument les promoteurs à construire des logements sociaux. Il déplore que le règlement permette en fait aux promoteurs de conserver pour eux-mêmes l’entièreté de leur projet en échange d’une contribution qu’il juge insuffisante.

De maigres contributions financières

Le coordonnateur du CLVM rappelle les trois options des promoteurs en matière de logement social : « soit on fait un projet clé en main sur le site, soit on cède un terrain, soit on paie une contribution financière ». De l’avis de M. Michaud, si les développeurs vont toujours vers la contribution, c’est parce que c’est l’option la plus rentable pour eux. « Et ça, on l’avait dit dès la consultation sur le règlement », note-t-il.

« C’est un fiasco. »

— Éric Michaud

Pour sa part, Ron Rayside, architecte et fondateur de Rayside Labossière, une firme active dans la construction d’habitations sociales, était favorable au règlement, mais il pense que les montants des contributions financières représentent une fraction de ce que les promoteurs auraient payé en nature en suivant l’objectif de 20 % de logements sociaux.

Avec les prix de la construction qui ont explosé, M. Rayside estime que la création d’un logement social peut coûter entre 400 000 $ et 450 000 $. Donc, avec les 16,5 millions $ que la Ville a reçus des promoteurs immobiliers, elle pourrait en financer environ 40 unités.

Pour que la mesure soit viable, M. Rayside croit que les promoteurs devraient payer une somme qui permettrait de créer l’équivalent en logements sociaux dans le même quartier.

À titre d’exemple, la Société de développement Bertone, le promoteur du Moden, un projet immobilier de 126 unités dans Ville-Marie, a choisi de débourser 317 657 $ en contribution financière – une somme insuffisante pour faire un seul logement social – plutôt que d’inclure 20 % de logements sociaux. Pendant ce temps, le prix de vente d’un seul condo de trois chambres dans le Moden peut dépasser les 700 000 $.

Des comptes à rendre

La Ville de Montréal s’était engagée à présenter un bilan de l’an deux du RMM à la commission municipale permanente sur l’Habitation au début de 2023.

Éric Michaud rappelle que les documents produits jusqu’à maintenant sont assez limités et ne répondent pas à des questions pressantes, comme celle de savoir si les contributions financières sont assez élevées.

Le coordonnateur du CLVM avance aussi que l’administration n’a plus l’intention de présenter le bilan devant la commission comme prévu. Selon lui, la Ville ne veut pas porter l’attention sur le sujet « parce que c’est un fiasco ».

L’administration Plante n’a pas accordé d’entrevue à Pivot.

Les gouvernements ne sont pas au rendez-vous

Cela dit, la raison principale de ce « fiasco » n’est pas nécessairement du ressort de Montréal, mais plutôt du provincial et du fédéral, nuance Éric Michaud. Même son de cloche chez Ron Rayside : il affirme que plusieurs promoteurs qui auraient pu inclure des logements sociaux dans leur projet ne l’ont pas fait parce que les contributions du gouvernement pour l’habitation hors marché n’étaient pas au rendez-vous.

Il y a quelques mois, un rapport du Conseil national du logement rapportait que malgré les 70 milliards $ investis sur dix ans par le gouvernement Trudeau, le Canada perdait plus de logements abordables qu’il n’en créait.

De son côté, la CAQ a mis fin au programme AccèsLogis, dédié exclusivement au logement social, alors même que la part du logement hors marché dans le parc locatif québécois connait un recul historique.

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