L’UNESCO, un œil sur le troisième lien ?
PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE
Le futur pont envisagé par le gouvernement Legault sera situé en face du Vieux-Québec.
(Québec) La construction d’un pont juste en face du site du patrimoine mondial du Vieux-Québec va-t-elle attirer l’attention de l’UNESCO ? C’est une possibilité pour plusieurs observateurs, qui rappellent qu’un pont a justement coûté à une ville allemande sa place sur la prestigieuse liste.
Publié à 1h52 Mis à jour à 5h00
Gabriel Béland La Presse
Le Vieux-Québec a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1985, exemple remarquable d’une ville coloniale fortifiée et berceau de la civilisation française en Amérique. Québec est même hôte du siège de l’Organisation des villes du patrimoine mondial (OVPM), qui regroupe 250 villes dans le monde.
IMAGE TIRÉE DE L’ÉTUDE DE CDPQ INFRA
Le « corridor à l’Est » a été retenu par le gouvernement Legault pour un troisième lien.
Ce statut sur la prestigieuse liste semble aussi solide que les fortifications de la vieille ville. Mais depuis l’annonce par le gouvernement Legault du retour du projet de troisième lien, certains s’inquiètent de la manière dont l’UNESCO pourrait recevoir ce pont qui doit franchir le fleuve entre le Vieux-Québec et l’île d’Orléans, selon le peu qu’on en sait.
« L’exemple de Dresde, qui a perdu son statut en raison de la construction d’un pont, c’est un beau parallèle qu’on peut faire avec le Vieux-Québec », indique en entrevue le président du Comité des citoyens du Vieux-Québec, Michel Masse.
PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL
Michel Masse, président du Comité des citoyens du Vieux-Québec
C’est une préoccupation qui est là et qui doit être prise en compte au moment de réfléchir à ce pont, sur le patrimoine visuel. Québec est une belle ville parce qu’on a de beaux points de vue, il ne faudrait pas altérer cette beauté-là.
Michel Masse, président du Comité des citoyens du Vieux-Québec
Le cas allemand
Qu’est-il arrivé exactement à Dresde, petite ville de l’est de l’Allemagne ? Le 25 juin 2009, la vallée de l’Elbe a perdu son statut sur la liste du patrimoine mondial à cause de la construction d’un pont traversant le fleuve du même nom.
L’UNESCO a jugé que le pont risquait de dégrader le site. L’organisme a formellement prévenu les autorités allemandes. Dresde a même été mis sur la liste rouge, celle des sites en péril. Les citoyens ont voté en faveur du pont lors d’un référendum en 2005. Et l’UNESCO a donc retiré Dresde de sa liste du patrimoine mondial quatre ans plus tard.
Le Vieux-Québec pourrait-il connaître un sort similaire ? L’UNESCO n’a pas répondu à des questions de La Presse.
Fait important, à Dresde, le pont a été construit à l’intérieur du périmètre reconnu par l’UNESCO. À Québec, le site du patrimoine mondial n’inclut pas le fleuve, et se limite à l’arrondissement historique du Vieux-Québec. Mais des intervenants, et notamment le Comité des citoyens, font valoir que la vue sur le fleuve à partir des hauteurs de la vieille ville fait partie de l’identité du lieu.
« Si le projet va de l’avant, est-ce que ça pourrait nous amener une exclusion ? Honnêtement, je ne le sais pas. Mais ça se peut très bien que le Canada reçoive un avertissement de la part du patrimoine mondial », note le professeur agrégé en géographie à l’Université Laval Étienne Berthold. « Mais c’est tellement arrivé peu souvent, il faut que les astres soient mal alignés. »
Le professeur Berthold rappelle que seuls trois sites ont perdu leur statut. En plus de Dresde, il s’agit de Liverpool – notamment à cause de la construction d’un stade pour le club d’Everton – et du Sanctuaire de l’oryx arabe, à Oman.
Un autre scénario…
Il s’agit donc d’une décision rarissime. On en sait pour l’instant très peu à propos du pont que veut construire le gouvernement Legault. L’axe évoqué se situe entre le Vieux-Québec et l’île d’Orléans, deux secteurs très sensibles et à la symbolique forte, remarque M. Berthold.
« On ne connaît pas l’emplacement exact, mais on sait qu’il sera entre le port et l’île d’Orléans, en face de Québec », indique Michel Masse.
Ça va affecter le paysage, la vue sur l’horizon à partir de la terrasse Dufferin et du Vieux, et la même chose de Lévis vers le Vieux-Québec. On va avoir le pont qui nous saute en pleine face.
Michel Masse, président du Comité des citoyens du Vieux-Québec
Le Comité s’oppose formellement à la construction d’un pont à cet endroit. Il ne s’agit pas de la première bataille de ce groupe citoyen. Il s’était vivement opposé à la construction d’un cinéma IMAX dans le Vieux-Port de Québec au début des années 1990. Ce cinéma s’est finalement installé aux Galeries de la Capitale.
Un autre scénario est possible : l’UNESCO pourrait choisir de commenter l’allure du futur troisième lien pour s’assurer d’une meilleure intégration. C’est arrivé à Bordeaux avec le pont Chaban-Delmas inauguré en 2013.
Le patrimoine mondial s’intéresse aussi à un projet de télécabine au-dessus de la Garonne à Bordeaux. Le comité local UNESCO a rendu un avis défavorable. Selon nos informations, une mission de l’ICOMOS (Conseil international des monuments et des sites) s’est d’ailleurs rendue à Bordeaux cette semaine pour étudier le projet.