Montréal dans une course contre la montre pour conserver Blue Bonnets
Jacques Nadeau, Le Devoir
De l’administration de Gérald Tremblay à celle de Valérie Plante en passant par celle de Denis Coderre, les promesses de dévelop- pement du site de l’ancien hippodrome de Montréal, situé à proximité de la station de métro Namur, se sont enchaînées au fil des ans.
Zacharie Goudreault
27 novembre 2021
Le site de l’ancien hippodrome Blue Bonnets pourrait retomber dans les mains du gouvernement du Québec si la Ville ne réussit pas à vendre une première parcelle de terrain d’ici deux ans. Or, plusieurs étapes restent à franchir avant d’atteindre cette cible, d’autant plus que l’intérêt des promoteurs immobiliers pour ce secteur hautement congestionné n’est pas garanti.
De l’administration de Gérald Tremblay à celle de Valérie Plante en passant par celle de Denis Coderre, les promesses de développement du site de l’ancien hippodrome de Montréal, situé à proximité de la station de métro Namur, se sont enchaînées au fil des ans. Mme Plante promet maintenant de faire construire 7500 logements sur ce site de 43 hectares, dont 2000 abordables et autant de logements sociaux.
Or, le temps presse pour développer cet endroit, que le gouvernement du Québec a cédé à la Ville en vertu d’une entente d’une vingtaine de pages signée en octobre 2017. Celle-ci mentionne notamment que la Ville doit fournir à Québec « un échéancier de développement immobilier » pour ce site d’ici au 20 octobre 2022, a constaté Le Devoir.
La date butoir pour changer le zonage du site et entamer la vente de parcelles de terrain pour y permettre la construction de logements se situe exactement un an plus tard. Le ministère des Finances confirme d’ailleurs au Devoir que, si ces échéanciers ne sont pas respectés, le gouvernement du Québec se réserve le droit de reprendre possession de ce terrain de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, dont l’évaluation foncière s’élevait en 2017 à plus de 52,83 millions de dollars.
Un ultimatum
La Ville de Montréal se veut toutefois rassurante. « Le projet avance rondement et nous sommes [certains] de respecter l’échéancier » imposé par Québec en ce qui a trait à la vente d’un premier terrain sur ce site, affirme Marikym Gaudreault, l’attachée de presse du cabinet de la mairesse de Montréal, Valérie Plante.
La firme EY a notamment obtenu un contrat à la fin de septembre pour « explorer les différents modèles d’affaires permettant d’assurer la réalisation du projet Namur-Hippodrome », un mandat qui se poursuivra « jusqu’à la fin du premier trimestre de 2022 », précise un relationniste de la Ville par courriel. Des dépenses de 44,8 millions de dollars sur 10 ans sont d’ailleurs planifiées par la Ville pour développer ce secteur.
Or, « penser qu’en 2023 on va avoir toutes les cartes et qu’on sera prêt à céder des terrains à des promoteurs, ce n’est pas souhaitable », rétorque l’urbaniste émérite et professeur à l’Université de Montréal Gérard Beaudet en entrevue au Devoir.
L’expert, qui a pris part aux démarches de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sur ce site en amont du dépôt de son rapport de consultation préliminaire l’an dernier, estime plutôt que le développement de ce secteur devra se faire sur « quelques décennies » si l’on souhaite le planifier de manière à éviter de répéter les erreurs de Griffintown. Dans ce quartier du Sud-Ouest, les tours résidentielles ont poussé comme des champignons au terme d’un changement de zonage effectué sans planifier le développement du secteur en amont pour tenir compte des besoins en matière d’espaces verts, de garderies et de lieux sociocommunautaires, notamment.
« Griffintown, c’est un bel exemple où on s’est contenté de laisser aller des promoteurs. Donc, on a produit des projets immobiliers, mais on n’a pas produit un quartier […] Il ne faut surtout pas s’aligner sur cet exemple-là », affirme l’expert.
La Ville devra d’autre part trouver des moyens de désenclaver ce secteur, qui est aux prises avec des problèmes de congestion routière endémiques, ont souligné plusieurs experts au Devoir. Dans ce contexte, le raccordement du boulevard Cavendish — que la Ville souhaite à terme transformer en un boulevard urbain donnant la priorité à la mobilité active et au transport en commun — devient une condition sine qua non pour attirer les promoteurs immobiliers, estime le président-directeur général de l’Institut de développement urbain, Jean-Marc Fournier.
« Il faut marier la densité potentielle [du site] avec l’accès au transport en commun et avoir une trame de rue qui ne va pas créer plus de chaos que ce qui existe déjà », confirme l’architecte et ancien maire de Côte-Saint-Luc Robert Libman. Ce dernier estime ainsi que l’amélioration de la mobilité dans ce secteur représente le défi « fondamental » à surmonter pour permettre le développement du site de l’ancien hippodrome.
Un intérêt mitigé
Le Devoir a par ailleurs joint plusieurs grands promoteurs immobiliers pour sonder leur intérêt pour ce site, mais celui-ci semble mitigé à l’heure actuelle. « Sans savoir c’est quoi, comment puis-je avoir de l’intérêt ? » a lancé le président de Mondev, Michael Owen, qui estime que la vision de la Ville pour cet « emplacement stratégique » demeure floue.
Une autre consultation publique devra d’ailleurs avoir lieu concernant « le plan d’ensemble » que proposera la Ville pour ce secteur, indique le cabinet de Mme Plante. Le développement du site de l’hippodrome pourrait aussi être soumis au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.
« Je pense que dans les prochains mois, on devrait avoir une vision beaucoup plus claire, à la fois des échéanciers et du type de développement qui va se faire là et des problèmes techniques qu’il pourrait y avoir ou ne pas y avoir », a assuré en entrevue au Devoir la semaine dernière la nouvelle présidente du comité exécutif et ancienne commissaire de l’OCPM, Dominique Ollivier.
Un des avantages principaux de ce site pour les promoteurs, « c’est qu’il est vierge », ce qui offre de nombreuses perspectives de développement, note pour sa part le professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal Jean-Philippe Meloche. « Mais effectivement, à un moment donné, il faudra commencer à construire et arrêter de consulter », laisse-t-il tomber.