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L’UQAM peut-elle sauver le Quartier latin?
Olivier Zuida, Le Devoir
L’UQAM ne peut sauver le Quartier latin qu’en s’affichant pour ce qu’elle est, une grande université montréalaise, estime l’auteur.
Luc-Normand Tellier
L’auteur est professeur émérite au département d’études urbaines et touristiques de l’ESG-UQAM.
18 janvier 2024
Idées
Professeur à l’UQAM depuis bientôt 50 ans (soit depuis 1976), j’ai vu le Département d’études urbaines et touristiques, que j’y ai fondé, passer du square Phillips au pavillon Judith-Jasmin, à l’est de la rue Saint-Denis, puis aux Atriums, boulevard de Maisonneuve, et ensuite à l’édifice « R » des sciences de la gestion, rue Sainte-Catherine. Il déménagera bientôt au 1250 de la rue Sanguinet. Cela fera cinq emplacements différents en 50 ans.
J’aurai cependant entendu parler du campus (ou de l’absence de campus) de l’UQAM dès 1968-1970, alors que j’étudiais à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal. Un de mes professeurs, Michel Lincourt, planchait alors sur un projet futuriste pour l’UQAM, qui consistait à faire éclater le concept de campus en dispersant ses divers pavillons à travers Montréal tout en les branchant directement sur le métro et en procurant aux étudiants inscrits à l’UQAM un laissez-passer gratuit leur permettant de passer d’un pavillon à un autre en utilisant le métro.
Le laissez-passer gratuit n’a jamais vu le jour, mais l’idée de dispersion et de branchement au métro a laissé des traces, pour le meilleur et pour le pire. En effet, la « vie de campus » dont tant d’étudiants à travers le monde ont gardé le meilleur souvenir a toujours été vacillante à l’UQAM.
Personne ne s’inscrit à l’UQAM pour la qualité de sa « vie de campus », pour de multiples raisons. Le branchement direct au métro permet de quitter les pavillons aussi rapidement qu’on y est arrivés. La quasi-absence de verdure empêche de socialiser et de relaxer au soleil. L’éparpillement des pavillons nuit aux interactions. Ajoutons à cela l’architecture disparate, peu imaginative et fade des pavillons, ainsi que le recours très fréquent au façadisme, visant à préserver les traces du passé avec, pour résultat que les passants peuvent passer devant de très nombreux pavillons de l’UQAM sans se rendre compte qu’ils sont dans un quartier universitaire.
Nous touchons là à l’un des objectifs que s’était donnés notre université en choisissant de s’installer dans l’ancien « Quartier latin » de l’Université de Montréal, soit à la volonté de redonner vie à ce dernier, qui était alors en butte au déclin, à la paupérisation, à la clochardisation et à la fuite des investisseurs.
Depuis lors, la lutte entre l’objectif de revitalisation du quartier et les tendances lourdes à la dévitalisation a connu quelques « hauts » et beaucoup, hélas, de « bas ». Aujourd’hui, nous sommes au bord du précipice auquel nous a conduits, plus que tout autre facteur, le refus en 2005 du gouvernement de Jean Charest d’appuyer le projet de l’Îlot Voyageur de l’UQAM au moment même où il favorisait la construction du campus de Longueuil de l’Université de Sherbrooke.
Si on peut douter que ce dernier campus ait changé quoi que ce soit à l’essor de Longueuil, il est indubitable que le refus de financer le projet de l’Îlot Voyageur a fortement contribué aux difficultés financières de l’UQAM et, surtout, a plus que contribué au dépérissement actuel du quartier qui l’entoure.
Que doit faire l’UQAM dans ces circonstances ? À mon avis, elle doit donner la priorité absolue à la réalisation d’un véritable campus réunissant le pôle du Quartier latin — que l’administration Plante veut désigner comme « quartier de la francophonie », avec la création d’une zone « 24 heures » — et celui de son Complexe des sciences, délimité par les rues Président-Kennedy, Jeanne-Mance, Sherbrooke et Saint-Urbain, en marquant l’espace de façon que les passants sachent qu’ils traversent un véritable campus lorsqu’ils le font, en tablant autant, sinon plus, sur la création d’espaces verts que sur le bâti, en faisant preuve d’audace architecturale quand il s’agit de construire de nouveaux immeubles, etc.
L’UQAM ne peut sauver le Quartier latin qu’en s’affichant pour ce qu’elle est, une grande université montréalaise, et en cessant d’être trop peu visible aux yeux des Montréalais.
Dans la concurrence que l’Institut d’urbanisme et le Département d’études urbaines et touristiques se sont livrée, le seul avantage net que l’Institut a eu a été le fait que, pour attirer de nouveaux étudiants, il n’avait qu’à faire visiter le campus de l’UdeM, à organiser des journées « portes ouvertes » et à montrer ses locaux neufs et ses ateliers bien éclairés, ce qu’en 48 ans le Département d’études urbaines et touristiques n’a jamais pu faire.
De telles choses ne devraient jamais plus se produire.