Protection du territoire

Selon Alain Branchaud, biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec, il faut corriger les lacunes de la stratégie déployée par Québec en inversant le fardeau de la restauration des milieux humides. « Il faudrait qu’il y ait une prise en charge par le promoteur du projet. C’est à lui de trouver le terrain et c’est à lui de réaliser le projet de compensation. Le Ministère, de son côté, pourrait créer un registre des sites accessibles pour la compensation [de milieux humides]. »

« On voit bien que le fait de payer pour détruire des milieux humides, ce n’est pas un dissuasif pour freiner leur destruction, affirme-t-il. Il faut arrêter de les détruire, surtout en Montérégie. »

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

Résumé

Protection des milieux humides « Tout porte à croire que ce sera un échec »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le gouvernement du Québec a autorisé, depuis 2017, la destruction de 23,3 km⁠2 de milieux humides.

Le fossé continue de se creuser en matière de protection des milieux humides, malgré de nombreux avertissements. En six ans et demi, le gouvernement du Québec a autorisé la destruction d’une superficie équivalente à près de 11 fois le parc du Mont-Royal, récoltant au passage plus de 173 millions de dollars en compensations financières. Or, à peine 1 % de ces fonds ont été investis à ce jour dans la création ou la restauration de milieux équivalents.

Publié à 1h05 Mis à jour à 5h00

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Éric-Pierre Champagne
Éric-Pierre Champagne La Presse

Ce qu’il faut savoir

Québec a adopté en 2017 une nouvelle loi pour mieux protéger les milieux humides.

La loi prévoit que les promoteurs doivent verser une compensation financière pour obtenir une autorisation de détruire des milieux humides. Ces sommes doivent servir à des projets de restauration ou de création de milieux humides.

En six ans et demi, Québec a récolté plus de 173 millions de dollars, mais moins de 1 % de cette somme a servi à ce jour à des projets de restauration.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques, en juin 2017, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) a donné le feu vert à des milliers de projets qui ont entraîné la destruction de 23,3 km⁠2 de milieux humides dans la province.

L’adoption de cette loi était censée mettre fin à des décennies d’abus qui ont permis de détruire d’immenses superficies de milieux humides partout au Québec, mais particulièrement dans les basses terres du Saint-Laurent. Elle fixe un objectif d’aucune perte nette de milieux humides grâce aux compensations financières des promoteurs versées au Fonds de protection de l’environnement et du domaine hydrique de l’État. Ces sommes doivent servir à financer des projets de restauration ou de création de milieux humides.

Mais malgré les avertissements de nombreux experts au cours des dernières années, Québec persiste toujours avec la même stratégie.

« On a l’espoir [au ministère de l’Environnement] que la nouvelle loi allait changer quelque chose et ralentir la destruction de milieux humides. Mais le Ministère vit dans sa tour d’ivoire », lance la biologiste Kim Marineau, qui compte plus de 30 ans d’expérience.

Les données obtenues par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels montrent qu’une superficie équivalant à 7,2 km⁠2 de milieux humides remblayés a été compensée par des contributions financières. En date du 31 décembre 2023, Québec avait ainsi recueilli 173,2 millions de dollars. Une somme record de 31 millions de dollars a été récoltée en 2023.

Or, seulement 49 projets ont reçu à ce jour une subvention pour des projets de restauration ou de création de milieux humides pour un total de 1,7 million de dollars. La superficie restaurée pourrait atteindre 3,8 km⁠2, des données gonflées cependant par un projet de restauration estimé à lui seul à 1,9 km⁠2 en Estrie. Un rythme de croisière jugé nettement insuffisant pour atteindre l’objectif de zéro perte nette de milieux humides fixé par le MELCCFP, jugent plusieurs experts consultés par La Presse.

Coup de barre requis

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique et professeur à l’Université du Québec en Outaouais, Jérôme Dupras doute fort que Québec puisse atteindre son objectif sans un sérieux coup de barre pour corriger les lacunes de sa stratégie.

« Est-ce qu’on est dans la bonne direction pour atteindre l’objectif de zéro perte nette de superficie et de fonctions écologiques [des milieux humides] ? Probablement pas. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Jérôme Dupras, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique et professeur à l’Université du Québec en Outaouais

À ce stade-ci, ça prend un geste politique pour corriger la situation. Quel est le plan du ministre [Benoit Charette, ministre de l’Environnement] ?

Jérôme Dupras, de l’Université du Québec en Outaouais

Une situation qui préoccupe tout autant le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). « Le rythme de destruction est beaucoup plus rapide que la restauration, signale Marc Bishai, avocat au CQDE. Nous sommes déçus et inquiets du bilan qui se dessine au sujet de la protection des milieux humides. »

« Il n’y a aucune garantie qu’on va réussir à créer des milieux humides avec des fonctions équivalentes et tout porte à croire que ce sera un échec au moment de faire le bilan en 2027 », ajoute Me Bishai.

Le MELCCFP prévoit en effet évaluer sa stratégie en 2027, soit 10 ans après l’entrée en vigueur de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques. Or, la situation est déjà critique dans plusieurs régions situées dans les basses terres du Saint-Laurent, précise la biologiste Kim Marineau.

L’an dernier, la commissaire au développement durable, Janique Lambert, avait d’ailleurs relevé plusieurs lacunes dans la gestion du ministère de l’Environnement, qui mettaient à risque l’atteinte de l’objectif de zéro perte nette.

Le Ministère « navigue à l’aveugle »

« Le plus grand risque, c’est de manquer d’eau. Or, la principale fonction des milieux humides, c’est de filtrer et de garder l’eau dans différents territoires », mentionne-t-elle.

Selon Mme Marineau, le Ministère « navigue à l’aveugle » dans ce dossier.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La biologiste Kim Marineau

On ne tient pas compte des effets cumulatifs [de la disparition de milieux humides]. On a très peu de données sur plusieurs éléments. Quand il y a de moins en moins de milieux humides dans un bassin versant, ça s’accumule, et les conséquences, on va les vivre dans 10, 15 ans.

Kim Marineau, biologiste

Pour Jérôme Dupras, « l’approche volontaire » mise de l’avant par le Ministère ne crée pas de pression pour la restauration ou la création de milieux humides. Même si Québec continue de récolter des millions de dollars en compensation, les chances qu’on se bouscule au portillon pour proposer des projets de restauration sont minces, d’autant plus, précise-t-il, que « les coûts de restauration sont beaucoup plus élevés que les coûts de compensation ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Branchaud, biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec

Selon Alain Branchaud, biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec, il faut corriger les lacunes de la stratégie déployée par Québec en inversant le fardeau de la restauration des milieux humides. « Il faudrait qu’il y ait une prise en charge par le promoteur du projet. C’est à lui de trouver le terrain et c’est à lui de réaliser le projet de compensation. Le Ministère, de son côté, pourrait créer un registre des sites accessibles pour la compensation [de milieux humides]. »

« On voit bien que le fait de payer pour détruire des milieux humides, ce n’est pas un dissuasif pour freiner leur destruction, affirme-t-il. Il faut arrêter de les détruire, surtout en Montérégie. »

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

Lisez l’article « Des solutions pour les milieux humides »

En savoir plus

  • 14 milliards de dollars
    En Ontario, le gouvernement a estimé que les milieux humides dans le sud de la province produisaient chaque année 14 milliards de dollars d’« avantages économiques » pour la population.

SOURCE : MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT DE L’ONTARIO

567 km⁠2
En 2013, la chercheuse Stéphanie Pellerin a calculé qu’une superficie égale à 567 km⁠2 de milieux humides avait été détruite dans les 22 années précédentes dans les basses terres du Saint-Laurent.

Source : Analyse de la situation des milieux humides au Québec et recommandations à des fins de conservation et de gestion durable (2013)

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Au Téléjournal

L’érosion aux Îles-de-la-Madeleine fait des ravages

Une partie du site de La Pointe de Grande-Entrée, aux Îles-de-la-Madeleine, est en danger à cause de l’érosion des berges. Des Madelinots à bout de nerfs réclament l’aide de Québec.

L’endroit, inondé lors de la tempête Fiona en 2022, est fragile et accueille aussi le plus important port de pêche de l’archipel. Le gouvernement exige maintenant la démolition de certains bâtiments.

Isabelle Larose a rencontré des Madelinots qui risquent de tout perdre.

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Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) ne parvient pas à assurer une protection adéquate du territoire agricole québécois. Une situation qui pourrait entraîner l’étiolement à long terme du secteur bioalimentaire, constate la commissaire au développement durable, Janique Lambert, dans un audit de performance rendu public jeudi.

Dans son rapport déposé en Chambre en avant-midi, le principal chien de garde de l’environnement au Québec reproche au MAPAQ son trop grand laxisme face à la « perte de superficies cultivées » à travers les années. Le constat est clair, selon la commissaire : sans un bon tour de roue, la pérennité du territoire arable est en danger, et l’atteinte des cibles d’autonomie alimentaire du Québec, aussi.

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Bombe géopolitique ou coup de génie pour la nature ? Un groupe environnemental propose de transformer en aire protégée un territoire que se disputent le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador depuis plus d’un siècle.

Résumé

Paix verte au Labrador

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le projet du directeur général de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs, Alain Branchaud, « a une valeur écologique assurée », selon lui.


Philippe Mercure
Philippe Mercure La Presse

Bombe géopolitique ou coup de génie pour la nature ? Un groupe environnemental propose de transformer en aire protégée un territoire que se disputent le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador depuis plus d’un siècle.

Publié à 1h52 Mis à jour à 6h00

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Une aire protégée de la taille… de la Belgique.

« On sait que notre proposition va faire réagir, mais on invite les gouvernements du Canada, du Québec et de Terre-Neuve à l’évaluer à son mérite. On a une opportunité de regarder un vieux différend avec une vision moderne qui inclut nos devoirs en termes de protection de l’environnement », dit Alain Branchaud, directeur général de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec).

L’organisation annoncera officiellement sa proposition ce lundi, dans le cadre d’un appel à projets lancé par le gouvernement du Québec pour créer de nouvelles aires protégées. Le coup d’éclat tombe donc en pleine fête du Canada, ce qui ne manque pas de piquant compte tenu de la nature de la proposition.

Le territoire visé se situe à la frontière du Québec et du Labrador. Si vous regardez des cartes du Québec, vous verrez qu’à l’est, cette frontière peut prendre deux formes. Sur certaines cartes, la démarcation est une ligne droite qui suit le 52e parallèle. Sur d’autres, la frontière est sinueuse : elle suit la ligne de démarcation des eaux entre les bassins hydrographiques du Saint-Laurent et de l’Atlantique.

La première frontière avantage Terre-Neuve-et-Labrador. La seconde, le Québec. Entre les deux se déploie une zone de 29 000 km⁠2, soit environ 61 fois la superficie de l’île de Montréal.

Aux yeux de la SNAP Québec, la beauté de la chose est que le litige interprovincial a contribué à préserver ce territoire sauvage.

« Nous avons fait de doubles et même de triples vérifications. Il n’y a pas de chemins, pas de mines, pas de foresterie », dit M. Branchaud.

CARTE FOURNIE PAR SNAP QUÉBEC

La zone fait toutefois partie des territoires ancestraux d’au moins cinq communautés innues qui se sont sédentarisées au Québec : Uashat mak Mani-utenam, Ekuanithit, Nutashkuan, Unamen Shipu et Pakua Shipi. Les Innus continuent d’y chasser et d’y pratiquer des activités traditionnelles.

On y trouve aussi deux populations de caribous forestiers, un écotype menacé, ainsi que des rivières à saumon. La SNAP Québec souligne que le saumon atlantique est en « fort déclin ».

« Le projet a une valeur écologique assurée », dit M. Branchaud.

C’est en regardant la carte du Québec accompagnant l’appel à projets du gouvernement du Québec que M. Branchaud a eu l’idée de protéger cette zone. Sur cette carte, la frontière entre le Québec et le Labrador est la ligne sinueuse qui avantage le Québec⁠1.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Canada section Québec, Alain Branchaud

Quand on regarde cette carte, la zone contestée est accessible. On peut proposer quelque chose. On s’est dit : allons-y !

Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Canada section Québec

La grande question est de savoir quelles réactions suscitera cette proposition.

Jean-Paul Lacasse, professeur émérite à l’Université d’Ottawa, croit que Québec hésitera avant de déclarer une zone protégée en territoire contesté. D’autant plus qu’en 1927, le Conseil privé de Londres a tranché la question et a tracé la frontière en ligne droite qui favorise Terre-Neuve.

L’expert convient que cette décision est particulière parce qu’elle a été prise ultra petita, c’est-à-dire qu’elle allait au-delà des demandes de Terre-Neuve. M. Lacasse observe toutefois que le Québec ne l’a pas systématiquement contestée.

« Le Québec a reconnu cette frontière à plusieurs reprises, mais a prétendu à d’autres occasions qu’il ne la reconnaissait pas », dit-il.

En 1971, M. Lacasse a lui-même participé à une commission sur « l’intégrité du territoire du Québec ». Cette commission avait conclu que le Québec avait peu de recours judiciaires pour contester la frontière avec le Labrador.

Selon lui, le fait que les Innus ont des intérêts dans la région complique l’analyse. Il faut aussi rappeler que Québec et Terre-Neuve-et-Labrador doivent s’entendre sur le renouvellement du fameux contrat de Churchill Falls, qui fournit actuellement de l’hydroélectricité à un prix ridiculement bas au Québec. Le projet d’aire protégée arrive donc dans un contexte politique chargé.

« C’est quasiment un panier de crabes ! s’exclame Jean-Paul Lacasse. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas intéressant comme idée. Ça peut même contribuer à régler le problème. »

C’est aussi l’avis d’Alain Branchaud. L’écologiste souligne que les communautés autochtones pourraient poursuivre leurs activités sur le territoire si celui-ci est transformé en zone protégée, et que les espèces importantes pour leur culture seraient mieux protégées.

Pour amadouer tant Québec que Terre-Neuve-et-Labrador, M. Branchaud fait une proposition audacieuse : que chaque province comptabilise l’aire protégée dans son bilan provincial. Cela aiderait particulièrement Terre-Neuve, qui n’a encore protégé que 6,9 % de son territoire alors que la cible est de 30 %.

La nouvelle aire protégée l’amènerait d’un coup à 14 %.

N’est-ce pas de la triche ? Selon M. Branchaud, non. Parce que le fédéral, lui, ne compterait pas l’aire protégée en double. Et c’est lui qui doit rendre des comptes à l’international.

La proposition de la SNAP Québec est drôlement audacieuse. À mon avis, la question qu’on doit se poser est simple : défavorise-t-elle quelqu’un ? Si elle permet aux Innus de protéger leur territoire traditionnel tout en aidant le Québec et Terre-Neuve à atteindre leurs objectifs de protection, il me semble qu’on devrait l’étudier au lieu de recourir au vieux réflexe de se braquer les uns contre les autres.

La façon dont on accueillera cette proposition est donc à suivre de près. Parce qu’on peut la voir comme un baromètre de la maturité des débats collectifs qui se tiennent entre différents groupes de la société canadienne.

1. Consultez l’appel à projets sur le site du gouvernement du Québec

Résumé

Planète bleue, idées vertes Léguer sa terre aux ours

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Arnold Raymond a légué une parcelle de sa terre, 34 hectares (l’équivalent de 214 patinoires de hockey), sur un flanc des monts Sutton, pour qu’elle soit conservée à l’état sauvage à perpétuité.

« Un peu plus haut, là-bas, en remontant le ruisseau, il y a des mûres. C’est le paradis pour les ours noirs. Il y a l’eau de source. Nous sommes chez eux, ici ; ce sont nous, les envahisseurs, pas les animaux, pas la nature », dit Arnold Raymond, en pointant à nos pieds les traces fraîches du passage d’un ours noir.

Publié à 1h52 Mis à jour à 8h00

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Sara Champagne
Sara Champagne La Presse

Le vieil homme a passé 45 ans de sa vie sur cette terre située sur le versant sud des monts Sutton, en Estrie, dans le corridor de ce qu’on appelle les montagnes Vertes. Il a décidé d’en léguer une bonne partie pour qu’elle demeure à l’état sauvage à perpétuité. Ainsi, 34 hectares de son territoire – l’équivalent de 214 patinoires de la Ligue nationale de hockey – ont été donnés à l’organisme Conservation de la nature Canada (CNC). La protection offerte par l’organisme fait en sorte qu’il sera à jamais interdit de chasser ou de camper dans cette zone, ou même d’en faire un parc, un lieu de villégiature.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La terre est traversée par un ruisseau.

Couvert en bonne partie par la forêt, le territoire dorénavant protégé abrite une espèce d’oiseau rare, le pioui de l’Est (Contopus virens). Dans son ruisseau nage la salamandre pourpre, désignée vulnérable selon la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec. Au fil des ans, M. Raymond a croisé des lynx et des chevreuils. Il croit même avoir aperçu un cougar. Mais c’est en pensant aux ours noirs qu’il a choisi de léguer cette terre au nom de ses beaux-parents, Hugh et Dorothy Sherrer, qui l’avaient achetée en 1949.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Arnold Raymond

Je crois bien qu’une famille de cinq ours vit dans les environs. Je veux m’assurer qu’ils vont conserver leur maison.

Arnold Raymond

Au Québec, pas moins de 70 organismes ou fiducies acceptent des « dons écologiques » provenant d’individus, d’industries, de municipalités. Dans le cas de M. Raymond, c’est son agent immobilier qui l’a aidé dans les démarches au moment de la vente de l’ancienne ferme de ses beaux-parents. Une équipe accompagnée d’un biologiste s’est d’abord rendue sur les lieux pour constater la valeur de l’écosystème. CNC a financé les démarches de M. Raymond, allant de l’inventaire écologique à l’arpentage en passant par le certificat de localisation et l’évaluation de la propriété, jusqu’au cabinet du notaire.

En échange de la terre, les donateurs reçoivent un reçu pour don de charité qui donne droit à un crédit d’impôt.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

M. Raymond a fait ce « don écologique » à l’organisme Conservation de la nature Canada.

Caroline Petit est chargée de projet chez CNC. Elle explique que la mission de l’organisme est d’être le chien de garde des legs écologiques. Un réseau de bénévoles sillonne les terres protégées, notamment pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’espèces envahissantes. L’organisme est financé par les gouvernements provincial et fédéral, ainsi que par des donateurs. Au-delà de la conservation des milieux naturels, CNC a un mandat de recherche et d’éducation.

« C’est grâce à des gens comme M. Raymond qu’on peut accélérer la conservation de la nature et avoir un impact sur la biodiversité. Les terrains sont de plus en plus chers, l’acquisition est un défi majeur même avec le soutien des gouvernements. C’est donc grâce à des dons de terrains qu’on espère atteindre nos objectifs de conservation d’ici 2030 et changer les choses », explique Mme Petit.

Au Québec, 76 815 hectares sur 1587 sites de conservation dits « volontaire » sont protégés, selon le Réseau de milieux naturels protégés. Une nouvelle carte est actuellement mise à jour. Dans l’ensemble du Canada, entre 1995 et 2016, près de 1300 dons écologiques ont été dénombrés par le gouvernement fédéral, surtout au Québec et dans les Prairies.

Dons de Lanaudière

Le dirigeant de l’organisme, Brice Caillé, estime que le nombre de dons peut sembler élevé, mais que ce n’est pas assez. « Beaucoup de terres ont été échappées. On le voit encore ces jours-ci pour Rabaska, à Lévis, où il y a des projets industriels malgré l’achat d’un des terrains par le gouvernement. Les municipalités doivent avoir plus de devoirs et de pouvoirs légaux de protection écologique », estime-t-il.

PHOTO FOURNIE PAR LA FICEL

Quelque 22 hectares d’un territoire montagneux ont été légués récemment à la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière (FiCEL). La terre compte de nombreuses zones humides.

Le 6 juin dernier, à Sainte-Émélie-de-l’Énergie, la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière (FiCEL) a célébré le plus grand don de terre à ce jour dans cette région : 22 hectares. Le don provient d’une citoyenne de Montréal, Linda Reven. Elle avait acquis le territoire montagneux, avec de nombreuses zones humides, mais dévastées par les coupes à blanc*,* il y a 22 ans. L’organisme protège, conserve et met en valeur 645 hectares dans 20 zones, de Mascouche à Saint-Zénon, plus au nord.

300

Nombre d’espèces animales recensées sur les terres protégées de la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière, soit 35 % des 844 espèces répertoriées au Québec.

Source : FiCEL

Biologiste et dirigeante de la FiCEL, Marie-Pierre Thibeault explique qu’un vaste inventaire des insectes et des chauves-souris sera réalisé cet été sur leurs terres, dont plusieurs milieux humides. De 2018 à 2023, près de 80 espèces d’oiseaux ont été dénombrées, dont la paruline du Canada (Cardellina canadensis) et la grive des bois (Hylocichla mustelina), des espèces fragiles en vertu de la Loi sur les espèces en péril.

PHOTO FOURNIE PAR LA FICEL

La donatrice Linda Reven, entourée de Martin Héroux, maire de Sainte-Émélie-de-l’Énergie, et de Marie-Pierre Thibeault et Marie-Josée Berteau, respectivement directrice générale et directrice générale adjointe de la fiducie

« Il n’y a pas d’aménagement ni de coupe forestière sur nos terres, rappelle Mme Thibeault. Notre mission est de les protéger, nous effectuons des suivis biologiques. Et on a des bénévoles qui agissent comme anges gardiens, notamment pour empêcher les dépôts sauvages de déchets ou d’autres activités mettant en péril les écosystèmes. »

Découvrez le Programme de dons écologiques du Canada Consultez le Répertoire des sites de conservation volontaire du Québec Consultez le site de CNC Consultez le site de la FiCEL

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À Sacré-Cœur sur la Haute-Côte-Nord, alors que certains saluent le décret d’urgence du gouvernement fédéral pour protéger le caribou, l’industrie forestière se prépare au pire.

Résumé

Un décret pour protéger le caribou au Québec qui sème l’inquiétude

Des travailleurs dans l'usine de Boisaco.

Boisaco à Sacré-Cœur estime que la « continuité » de l’entreprise est compromise par le décret d’urgence d’Ottawa pour protéger le caribou.

Photo : Radio-Canada

Publié à 4 h 00 HAE

À Sacré-Cœur sur la Haute-Côte-Nord, alors que certains saluent le décret d’urgence du gouvernement fédéral pour protéger le caribou, l’industrie forestière se prépare au pire.

Près d’un mois après l’annonce des intentions d’Ottawa par le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, ceux qui étaient inquiets n’ont rien vu pour les rassurer.

C’est catastrophique, tranche le président de Boisaco, Steeve St-Gelais. Ça ne peut pas être autre chose que catastrophique, ajoute-t-il, comme s’il tentait de trouver d’autres qualificatifs à ce que prépare le gouvernement fédéral.

Depuis le 19 juin, Ottawa tient une consultation publique concernant un décret d’urgence pour protéger le caribou forestier du Québec. Trois hardes qui font face à « une menace imminente » de disparition ont été identifiées, dont celles de Val-d’Or et de Charlevoix, mais c’est celle du Pipmuacan qui semble faire l’objet d’une contestation plus vive.

Selon le dernier inventaire, réalisé en 2020, la population de l’espèce y est estimée à environ 225 individus. C’est pour assurer sa survie et son rétablissement que le gouvernement fédéral veut protéger des parties de son habitat essentiel, sur ce territoire à cheval entre le Saguenay–Lac-Saint-Jean et la Côte-Nord.

La zone de protection envisagée à l’heure actuelle couvre près d’un million d’hectares de forêt, où la récolte forestière serait dorénavant interdite.

Ce qu’on réalise, c’est qu’il n’y a pas eu de travail sérieux pour prendre en compte les impacts, affirme Steeve St-Gelais, qui critique l’approche d’Ottawa.

Steeve St-Gelais en entrevue.

Le président de Boisaco, Steeve St-Gelais, croit qu’il est possible de protéger le caribou « tout en préservant les retombées socioéconomiques » liées à l’activité forestière.

Photo : Radio-Canada

Le décret d’urgence priverait Boisaco de 70 % du volume de bois qu’elle peut récolter cette année et couperait l’accès à près de la moitié des superficies d’où proviennent ses approvisionnements historiques.

Ça va avoir comme conséquence, carrément, de compromettre la continuité de Boisaco et de l’ensemble de l’écosystème d’entreprises qu’il y a autour, craint le président de la forestière.

Il faut penser qu’on joue avec la vie des gens. C’est les gens de notre milieu.

Une citation de Steeve St-Gelais, président de Boisaco

Vous savez, la MRC de la Haute-Côte-Nord, c’est parmi les MRC les plus dévitalisées au Québec, insiste-t-il. Nous, c’est pas vrai qu’on va se faire à cette idée-là puis qu’on va accepter ça sans broncher.

4:19

Téléjournal Montréal

Protection du caribou : l’industrie forestière se prépare au pire

Le reportage de Sébastien Desrosiers

Ça fait longtemps que cette épée de Damoclès nous plane au-dessus de la tête, renchérit Lise Boulianne, la mairesse de Sacré-Cœur, où est installée Boisaco.

C’est sûr que pour notre municipalité, c’est quelque chose de dramatique, je dirais. Il n’y a pas d’autre mot, parce que la principale industrie de notre municipalité, c’est l’industrie forestière, dit-elle.

Elle estime qu’environ 70 % de la population dépend de la forêt pour subvenir à ses besoins.

Je pense que ce serait, pour notre village, un désastre économique.

Une citation de Lise Boulianne, mairesse de Sacré-Cœur

D’après les estimations du ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF), rendues publiques en juin, le décret d’urgence du fédéral pourrait toucher jusqu’à 2400 emplois directs et indirects, dont plus de 1800 seulement dans le secteur du Pipmuacan.

Le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, a qualifié d’irresponsable l’approche du gouvernement Trudeau

Ottawa n’a d’autre choix que d’intervenir

Les arguments économiques invoqués ne sont toutefois pas parvenus à convaincre tout le monde, y compris sur la Côte-Nord.

La Première Nation innue d’Essipit, qui s’inquiète de la disparition du caribou forestier sur son territoire, plaide depuis longtemps pour des mesures de protection plus strictes.

Martin Dufour en entrevue.

Le décret d’urgence du gouvernement fédéral va « forcer Québec » à agir pour protéger le caribou, croit le chef de la Première Nation innue d’Essipit, Martin Dufour.

Photo : Radio-Canada

On n’est pas contre le développement, mais il faut que ça se fasse de façon responsable, indique le chef Martin Dufour.

C’est un animal emblématique pour les Premières Nations, il fait partie de nous autres. Il nous a permis de survivre pendant des millénaires. On ne peut pas laisser tomber le caribou.

Une citation de Martin Dufour, chef de la Première Nation innue d’Essipit

Il accueille favorablement le décret d’urgence d’Ottawa et rappelle qu’une stratégie de protection de l’espèce est attendue dans la province depuis 2016.

Il juge que le Québec a manqué de leadership et qu’il devrait se sortir la tête du sable.

Le biologiste Serge Couturier est du même avis. Je pense que le fédéral, à ce moment-là, n’a pas d’autre choix que d’intervenir, dit-il. Il ne peut pas servir de spectateur à la disparition de quelques populations critiques de caribou.

Au fil des ans, aucun gouvernement n’a osé prendre des mesures, déplore ce spécialiste du caribou depuis des décennies.

Serge Couturier en entrevue.

Le biologiste Serge Couturier aurait préféré que le gouvernement du Québec agisse plus tôt pour protéger le caribou forestier.

Photo : Radio-Canada

Au gouvernement, semble-t-il qu’il n’y a personne qui a eu l’imagination de se dire : “Comment on fait pour mieux protéger le caribou et pour permettre aussi l’exploitation forestière?” […] On a toujours retardé les actions de conservation et continué la coupe forestière dans des habitats critiques pour le caribou, se désole-t-il.

À mesure que son habitat change et que des routes y sont aménagées, l’animal perd du terrain au profit d’autres espèces, comme l’orignal, qui attirent à leur tour des prédateurs tels que le loup.

On entend parler d’équilibre, mais je peux vous dire que moi, depuis presque 40 ans […], l’équilibre, j’en ai pas vu tellement qui a favorisé le caribou.

Une citation de Serge Couturier, biologiste

Le biologiste qualifie d’ailleurs de farfelues les données évoquées par Québec concernant les pertes d’emplois.

Pour les hardes de Val-d’Or et de Charlevoix, qui ne comptent plus que quelques dizaines d’individus et qui vivent en enclos, l’intervention du fédéral arrive même tard, selon lui.

Pour Pipmuacan, c’est probablement encore le temps de contrôler l’habitat de telle sorte que la population va d’elle-même réussir à se repeupler, estime-t-il.

Le décret pourrait encore être modifié

Les mécontents qui souhaitent que le décret d’urgence soit modifié peuvent s’exprimer lors de la consultation publique qui se déroule jusqu’au 18 août.

Les limites des zones où il s’appliquera peuvent en effet changer sur la base d’un travail de vérification et suite à l’analyse des données reçues durant le processus de consultation, indique Environnement et Changement climatique Canada, dans un courriel transmis à Radio-Canada.

Le ministère précise toutefois que la zone a été choisie en fonction du meilleur habitat du caribou boréal sur l’aide de répartition de la population.

Une analyse préliminaire des impacts socioéconomiques a été réalisée pour les zones de décret proposées, indique-t-on également, sans toutefois en dévoiler les conclusions.

Environnement et Changement climatique Canada ne peut pas non plus s’avancer quant à la date d’entrée en vigueur du décret, puisque plusieurs étapes devront être franchies après la fin de la consultation.

À lire aussi :

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Les décrets d’urgence annoncés par le gouvernement fédéral pour protéger l’habitat des hardes de caribous forestiers de Val-d’Or, de Charlevoix et du Pipmuacan pourraient priver le Québec de 1,4 million de mètres cubes de bois par année, soit 4 % de la possibilité forestière en territoire public.

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La donnée a été dévoilée mardi à l’initiative du Bureau du forestier en chef du Québec, un mois après que le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, eut annoncé son intention d’imposer des mesures de protection dans la province.

Résumé

Caribou : les décrets d’Ottawa retireraient 4 % de la possibilité forestière au Québec

Les régions du Saguenay—Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord en subiraient les effets les plus importants.

Un caribou se déplace sur une montagne.

Le caribou des bois (écotype forestier) fait partie des espèces menacées les plus prisées par la population québécoise, indique une étude de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique.

Photo : Getty Images

Publié hier à 17 h 11 HAE

Les décrets d’urgence annoncés par le gouvernement fédéral pour protéger l’habitat des hardes de caribous forestiers de Val-d’Or, de Charlevoix et du Pipmuacan pourraient priver le Québec de 1,4 million de mètres cubes de bois par année, soit 4 % de la possibilité forestière en territoire public.

La donnée a été dévoilée mardi à l’initiative du Bureau du forestier en chef du Québec, un mois après que le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, eut annoncé son intention d’imposer des mesures de protection dans la province.

Le forestier en chef Louis Pelletier a rappelé d’emblée qu’il avait le mandat d’analyser tout événement ou toute décision ayant un impact important sur les possibilités forestières.

Les possibilités forestières représentent le volume de bois qui peut être récolté annuellement sans compromettre la pérennité de la ressource. La possibilité forestière du Québec est évaluée à près de 35 millions de mètres cubes de bois par année.

Dans ce cas-ci, les décrets d’urgence du gouvernement fédéral auraient pour effet d’interdire la récolte de bois dans certains pans de l’habitat du cervidé, privant ainsi les industries d’une partie de leur approvisionnement annuel.

Selon les calculs présentés mardi, 1,4 million de mètres cubes seraient retranchés de la possibilité forestière annuellement si des décrets d’urgence étaient appliqués.

En comparaison, la superficie totale affectée (1,6 million d’hectares) est légèrement supérieure à celle touchée par des brasiers lors de la saison historique des feux de forêt de l’année 2023 (1,3 million d’hectares).

Impossible toutefois de connaître le nombre d’emplois mis à risque, les évaluations socio-économiques ne faisant pas partie des travaux du forestier en chef, a-t-il rappelé.

Impacts importants autour du Pipmuacan

Si Ottawa appliquait ses décrets tels que présentés dans le cadre de sa consultation lancée le mois dernier, les régions du Saguenay—Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord en subiraient les impacts les plus importants, selon le Bureau du forestier en chef.

Ces régions se trouvent dans l’aire de répartition de la harde de caribous forestiers du Pipmuacan.

En tout, quelque 790 000 mètres cubes de bois seraient retirés des possibilités forestières pour permettre une diminution du taux de perturbation de l’habitat de cette population.

Ottawa vise un taux de perturbation maximal de 35 % dans l’habitat du caribou forestier, protégé par la Loi sur les espèces en péril au Canada. Si rien n’est fait, ajoutait le fédéral le mois dernier, la harde pourrait atteindre le seuil de quasi-disparition d’ici 10 ans, selon Environnement Canada.

Pour la Côte-Nord, les retraits potentiels représentent 12,3 % de la possibilité forestière, contre 7,7 % pour le Saguenay—Lac-Saint-Jean.

Déjà, la coopérative Boisaco, située à Sacré-Cœur en Haute-Côte-Nord, se dit très inquiète des impacts sur ses approvisionnements. Selon l’entreprise, 70 % de ses volumes sont en jeu.

Selon les documents du Bureau du forestier en chef présentés mardi, toutes les unités d’aménagement dans lesquelles Boisaco puise son bois seraient affectées par les décrets.

Piles de bois dont les tiges sont noircies en surface par le feu.

La coopérative Boisaco craint les effets du décret fédéral.

Photo : Radio-Canada

Les régions de la Capitale-Nationale et de l’Abitibi-Témiscamingue, qui abritent les deux hardes de caribous forestiers les plus mal en point de la province, ne sont pas épargnées.

Pour la Capitale-Nationale, la protection du caribou de Charlevoix supposerait un retrait de 20 % de la possibilité forestière totale. La proportion est plus élevée qu’ailleurs, mais il s’agit tout de même des plus faibles retraits en volumes de bois, avec 132 500 mètres cubes par année.

En Abitibi-Témiscamingue, les retraits représentent 6 % de la possibilité forestière.

Les caribous de Val-d’Or et de Charlevoix vivent actuellement en enclos.

Données provisoires

Le forestier en chef, Louis Pelletier, a fait produire cette analyse afin d’éclairer la population et les décideurs, a-t-il précisé mardi. Le gouvernement fédéral consulte actuellement les acteurs locaux, dont l’industrie et les Premières Nations, concernant ses décrets.

Cette étape se terminera le 18 août prochain, alors qu’une mise en application desdits décrets est prévue quelque part à l’automne, à moins d’une entente avec le gouvernement Legault.

Les travaux du Bureau du forestier en chef se sont basés sur le document de consultation d’Environnement Canada fourni par le fédéral, peu de temps après l’annonce de son intervention au Québec. Il détaille les modalités d’aménagements forestiers prévus dans les secteurs visés.

Le Bureau du forestier en chef du Québec a tenu compte de ce qui est défini comme des zones provisoires. Ces territoires consistent en superficies où la récolte forestière serait complètement interdite, sans exception, si un décret d’urgence était en vigueur. Ces zones ont été délimitées pour chacune des trois hardes ciblées par l’intervention du fédéral.

Carte de localisation des trois populations de caribous visés : Charlevoix, Pipmuacan et Val d'Or.

Les zones provisoires sont les seules où les décrets d’urgence s’appliqueraient.

Photo : Bureau du forestier en chef du Québec

À ce sujet, Louis Pelletier a admis que ses calculs sont sujets à changement. Les délimitations des zones provisoires pourraient être modifiées, a-t-il dit, alors que les pratiques sylvicoles autorisées pourraient aussi changer la donne.

Il précise que le document présenté mardi n’est pas une recommandation à la ministre des Forêts, Maïté Blanchette-Vézina, mais plutôt un outil d’information mis à la disposition des autorités et des acteurs locaux dans le cadre de leurs interventions.

À lire aussi :

Les entreprises privées sont généralement des sociétés anonymes (actionnaires) dont l’objectif premier est de créer de la richesse aux investisseurs. En plus ces entreprises n’ont aucun compte à rendre au public et se cachent très souvent derrière des secrets d’affaires qui rendent opaques toutes informations sensibles les concernant.

On n’a qu’à regarder la gestion désastreuse des mines au Canada et au Québec pour comprendre à quel point le privé ne respecte pas les lois environnementales. Pire elles abandonnent systématiquement au gouvernement leurs sites miniers après exploitation, contrairement à leur responsabilité contractuelle de remettre en état et à leurs frais ces terres contaminées.

Ici on parle d’un dépotoir nucléaire près d’une rivière (Outaouais) dont dépend plusieurs millions de citoyens pour leur eau potable dont la ville de Montréal. Ce dépotoir par ailleurs devra être sous contrôle rigoureux par cette entreprise privée pendant au moins 5 siècles. Une situation kafkaïenne et totalement absurde à laquelle il faut absolument s’opposer avant qu’il ne soit trop tard. :rage:

Résumé

« On met la sécurité du public dans les mains du privé »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les Laboratoires nucléaires canadiens (LNC) entendent construire le premier dépotoir nucléaire permanent au pays sur le site des Laboratoires de Chalk River, en Ontario.

(Île Morrison, Québec) De son chalet rustique, Lynn Jones a une vue imprenable sur la rivière des Outaouais. Sur l’autre rive, la retraitée peut presque apercevoir le site d’un futur dépotoir nucléaire. « Ils n’auraient pas pu choisir un pire endroit », soupire-t-elle.

Publié à 5h00

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TEXTE : Fannie Arcand
TEXTE : Fannie Arcand La Presse


PHOTOS : Alain Roberge
PHOTOS : Alain Roberge La Presse

Le terrain du futur dépotoir se trouve à un kilomètre du bassin versant de la rivière des Outaouais, source d’eau potable pour des millions de personnes en aval, dont des habitants de la région de Montréal.

L’installation de gestion des déchets près de la surface (IGDPS) sera le premier dépotoir nucléaire permanent au Canada. Le projet permettra aux Laboratoires nucléaires canadiens (LNC), une entreprise de recherche nucléaire privée, de disposer d’un million de tonnes de déchets nucléaires de faible activité sur le même terrain que ses installations à Chalk River, en Ontario.

L’installation pourrait représenter « un cauchemar pour les générations futures », alerte Lynn Jones, qui estime que la proximité du dépotoir avec la rivière risque de contaminer l’eau. Celle qui milite contre le projet depuis sept ans au sein d’un groupe citoyen craint notamment que des tornades, des inondations ou de fortes précipitations fragilisent le monticule et provoquent l’écoulement de matériaux radioactifs dans l’environnement.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Lynn Jones possède un chalet au bord de la rivière des Outaouais depuis 40 ans.

Et Lynn Jones n’est pas la seule à s’inquiéter du projet. Près de 140 municipalités, dont Montréal, Gatineau et Ottawa, ont manifesté leurs préoccupations en lien avec le dépotoir à la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN), l’organisme de réglementation nucléaire canadien, et 10 Premières Nations algonquines se sont opposées à l’installation. En février, le Bloc québécois et le Parti vert ont demandé qu’Ottawa mette un terme au projet qui, selon eux, représente une menace pour l’environnement et pour les droits autochtones.

Plutôt que d’être enterré profondément sous la terre, le dépotoir sera construit à la surface du sol, dans un monticule protégé notamment par une membrane synthétique et des couches d’argile. Pour le construire, les LNC devront raser la forêt qui recouvre le site et évacuer la faune qui y réside.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La rivière des Outaouais approvisionne des municipalités comme Gatineau, Ottawa et Montréal en eau potable.

La CCSN a donné son feu vert au projet en janvier dernier, en concluant dans son rapport final que l’installation n’aura pas d’effet significatif, autant sur la biodiversité que sur la santé humaine et la qualité de l’eau. La date du début des travaux n’est pas encore connue.

« Une masse critique de personnes est au courant de ce qui se passe, mais il reste à voir si le gouvernement est capable de faire la bonne chose », laisse tomber Lynn Jones, un sourire las au visage.

Peurs de contamination

Les déchets qui seront entreposés dans le dépotoir incluent des linges, des outils et des équipements contaminés provenant majoritairement du site de Chalk River, selon les LNC. L’installation accueillera aussi les déchets produits par d’autres sites nucléaires canadiens, ainsi que par des universités et des hôpitaux.

Le dépotoir sera exploité pendant 50 ans par les LNC, qui devront assurer la surveillance du site pour les 500 années suivantes. Après cette période, la radioactivité des matériaux entreposés dans le dépotoir aura suffisamment décru pour ne pas poser de danger, selon l’entreprise.

IMAGE TIRÉE DU SITE WEB DES LABORATOIRES NUCLÉAIRES CANADIENS

L’IGDPS sera exploitée à ciel ouvert pendant 50 ans après sa construction, qui devrait demander 3 ans.

D’après le physicien Gordon Edwards, qui milite contre le dépotoir au nom de la Coalition canadienne pour la responsabilité nucléaire (CCNR), ces précautions sont insuffisantes.

On parle ici de matériaux qui seront actifs pendant des milliers d’années.

Gordon Edwards, physicien

Les déchets de faible activité devraient être enfouis sous terre, selon le physicien, qui affirme que « les entreposer à la surface près de la rivière semble tout simplement irresponsable ».

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Les Laboratoires de Chalk River génèrent une importante partie de l’électricité de l’Ontario.

Or, selon Guy Marleau, physicien spécialiste de sécurité nucléaire de Polytechnique Montréal, le projet d’IGDPS est « relativement bien ficelé », et les risques qu’il contamine la rivière des Outaouais sont minimes.

Même dans le cas de tempêtes monstrueuses qui inonderaient le site, la quantité de contaminants qui se rendraient à Ottawa ou à Gatineau serait suffisamment diluée pour qu’il n’y ait pas d’impact, et encore plus dans la région de Montréal.

Guy Marleau, physicien spécialiste de sécurité nucléaire de Polytechnique Montréal

Construire l’IGDPS sur le site des LNC est le choix le plus économique et pratique, d’après Guy Marleau, qui ajoute toutefois que « si Chalk River avait été à 200 kilomètres de la rivière, ça aurait probablement été mieux ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les LNC affirment que le dépotoir nucléaire n’aura pas d’effet significatif sur l’environnement.

« Les LNC ont un excellent historique de protection de l’environnement », a affirmé l’entreprise dans un courriel. Le dépotoir a été conçu pour résister à des évènements climatiques extrêmes, et « l’eau potable de tous les endroits en aval n’est pas à risque », a-t-elle ajouté.

La majorité des déchets qui iront dans le dépotoir se trouvent déjà à Chalk River dans des installations temporaires. Ainsi, construire l’IGDPS sur le site des laboratoires « limite le besoin de transporter les déchets sur les routes publiques », d’après les LNC.

Un enjeu de gouvernance

Lors des consultations sur le projet, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) s’est opposée à l’installation « compte tenu notamment de son impact potentiel sur les sources d’approvisionnement en eau potable ».

Par ailleurs, le projet « met la sécurité du public dans les mains du privé », d’après la mairesse de Lachine, Maja Vodanovic. Celle qui a présenté le mémoire de la CMM durant les consultations doute de la capacité des LNC à surveiller pendant 500 ans le site de Chalk River.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Maja Vodanovic, mairesse de Lachine

La même entreprise est responsable à la fois d’exploiter et de surveiller le dépotoir. Déjà là, on a un problème.

Maja Vodanovic, mairesse de Lachine

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La petite ville de Chalk River

Derrière les LNC se trouvent trois multinationales : AtkinsRéalis (anciennement SNC-Lavalin) et deux firmes texanes, Jacobs Solutions et Fluor Federal Services.

Une des installations nucléaires de Jacobs Solutions fait actuellement l’objet d’une enquête du département de Gestion environnementale du Rhode Island (RIDEM), en lien avec le déversement de 10 millions de gallons d’eau usée dans une rivière. En 2011, une filiale de Fluor Federal Services a versé 4 millions de dollars à la justice américaine pour mettre fin à une enquête sur des allégations de détournement de fonds, dans le cadre d’un contrat de gestion de déchets radioactifs dans l’État de Washington.

Quel est l’intérêt de compagnies au Texas à assurer la protection de l’eau potable des Montréalais ? Ce n’est pas rassurant.

Maja Vodanovic, mairesse de Lachine

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Énergie atomique du Canada limitée (EACL), une société publique, est propriétaire du site et des installations de Chalk River, mais ce sont les LNC qui les exploitent.

Le 26 juin dernier, la Commission canadienne de sûreté nucléaire a annoncé la nomination de son nouveau président, Pierre Tremblay, ancien président-directeur général de la firme AECOM, qui a conçu le dépotoir nucléaire de Chalk River. « On pourrait dire qu’il s’y connaît, et que c’est une bonne chose, suggère Maja Vodanovic. Mais en fait, on laisse le privé réguler le privé. »

Résumé

Défendre la rivière sacrée

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Les femmes anichinabées comme Mariette Buckshot sont traditionnellement désignées gardiennes de l’eau.

Des dessins d’enfants sont empilés sur le bureau de Melodie Hurtubise. Sur l’un d’eux, des poissons morts et des déchets nucléaires flottent dans une rivière verte, sous le regard attristé d’une femme. « Sauvez-nous », est-il écrit au crayon rouge.

Publié à 5h00

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Texte : Fannie Arcand
Texte : Fannie Arcand La Presse


Photos : Alain Roberge
Photos : Alain Roberge La Presse

Des dessins comme celui-là, Melodie Hurtubise en a reçu par dizaines. En tant que coordonnatrice à l’évaluation d’impact pour la Première Nation algonquine de Kitigan Zibi, c’est son travail de sonder la communauté sur les projets proposés près de son territoire traditionnel, en Outaouais.

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Dans la communauté de Kitigan Zibi, le projet de dépotoir nucléaire de Chalk River préoccupe même les enfants.

Partout dans la communauté, on s’inquiète du dépotoir nucléaire que les Laboratoires nucléaires canadiens (LNC) prévoient construire à Chalk River, en Ontario.

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Melodie Hurtubise juge que les communautés autochtones comme Kitigan Zibi n’ont pas été consultées assez tôt dans la planification du dépotoir nucléaire de Chalk River.

Si ce n’était que de nous, le projet n’aurait jamais passé.

Melodie Hurtubise, coordonnatrice à l’évaluation d’impact pour la Première Nation algonquine de Kitigan Zibi

Le site se trouve sur le territoire traditionnel de la nation algonquine, pour qui la rivière des Outaouais est un lieu sacré. Les Algonquins de Pikwàkanagàn ont donné leur consentement au projet et signé un accord de relation à long terme avec les LNC, mais 9 communautés algonquines au Québec s’y opposent pour des raisons environnementales.

Les Premières Nations algonquines ont été invitées à échanger avec les Laboratoires nucléaires canadiens à partir de 2016, et elles ont eu l’occasion de participer aux consultations. « Mais ce n’est pas suffisant pour déterminer l’impact du projet sur notre communauté, alors que toute notre culture est inséparable du territoire », déplore Melodie Hurtubise.

Une contestation judiciaire

Selon Lance Haymond, chef de la Première Nation algonquine de Kebaowek, en Abitibi-Témiscamingue, le gouvernement n’a pas rempli son devoir de consulter les communautés autochtones, comme le stipule la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

« On n’est pas contre le nucléaire, et on n’est pas contre les solutions », lance le chef, par-dessus le vent qui souffle sur la marina de Kebaowek. « C’est une question de sens commun, au fond : pourquoi construire un dépotoir de déchets radioactifs aussi près de l’eau ? », lance-t-il, en ouvrant les bras devant l’eau placide du lac Kipawa, qui borde la petite communauté.

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Lance Haymond, chef de la Première Nation de Kebaowek, et Justin Roy, membre du conseil de bande, espèrent arrêter le projet de dépotoir nucléaire à Chalk River avec leur contestation judiciaire.

Avec trois regroupements de citoyens, la Première Nation de Kebaowek a demandé au cours de l’hiver une révision judiciaire du permis de construction octroyé au projet. Lors de l’audience, qui s’est tenue les 10 et 11 juillet à Ottawa, le regroupement a plaidé que le projet menace les espèces en voie de disparition qui vivent autour du site, dont la tortue mouchetée et la paruline du Canada.

Le gouvernement devait prouver qu’il a envisagé d’autres sites que celui de Chalk River et que l’endroit optimal a été choisi, en vertu de la Loi sur les espèces en péril.

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Lance Haymond aurait voulu être consulté plus tôt pour le projet de dépotoir nucléaire à Chalk River.

Pour Lance Haymond, la contestation judiciaire représente un effort ultime pour arrêter le projet. « On ne sait pas si on va y arriver, mais on choisit de se battre jusqu’au bout », affirme le chef.

La CCSN a reconnu que plusieurs communautés autochtones déplorent ne pas avoir été suffisamment consultées, mais « en s’acquittant de l’obligation de consulter, la Commission note qu’elle n’est pas tenue à la perfection », a-t-elle écrit dans son rapport final.

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Le lac Kipawa, qui borde la communauté de Kebaowek, se déverse dans la rivière des Outaouais.

« Les LNC sont déterminés à développer des relations à long terme avec les Nations, communautés et organisations autochtones », a affirmé l’entreprise dans un courriel. Depuis le début du projet d’IGDPS, les LNC ont rapporté avoir organisé 300 « activités d’engagement » avec 16 Premières Nations autochtones, y compris les Algonquins du Québec et de l’Ontario.

« Nous croyons que l’inclusion des connaissances autochtones dans nos projets et dans toutes les opérations des LNC améliore la façon dont nous travaillons », a ajouté l’entreprise.

Les gardiennes de l’eau

Si les Algonquins vont au front pour dénoncer le projet, c’est notamment parce qu’ils ont la responsabilité traditionnelle de protéger la rivière des Outaouais. « Ce projet va contre les valeurs qu’on porte, en tant que personnes autochtones », souligne Justin Roy, membre du conseil de bande et responsable du dossier de l’IGDPS de la Première Nation de Kebaowek.

La cause résonne particulièrement chez les femmes algonquines, d’après Marie Rose Commanda, une aînée de la communauté de Kitigan Zibi. « Les femmes anichinabées sont les gardiennes de l’eau, c’est notre rôle traditionnel », explique-t-elle, dans son salon entouré de baies vitrées.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Marie Rose Commanda et Melodie Hurtubise ont toutes les deux eu l’occasion de visiter le site du futur dépotoir à Chalk River.

Sur un ton ferme, la femme âgée de 80 ans fait part de son inquiétude pour la rivière des Outaouais, mais aussi pour les prochaines générations.

Les Canadiens ne se sentiront concernés par le projet que s’ils en vivent les conséquences, mais d’ici là, j’ai peur qu’il soit trop tard.

Marie Rose Commanda, une aînée de la communauté de Kitigan Zibi

En mai dernier, une vingtaine de membres de la Première Nation de Kitigan Zibi sont allés visiter le site du futur dépotoir pour y tenir une cérémonie de l’eau menée par Marie Rose Commanda. Des employés des LNC accompagnaient le groupe. « Ils étaient très respectueux, et ils se sont montrés rassurants, se rappelle l’aînée. Mais peut-on vraiment leur faire confiance ? »

La visite du site a été « crève-cœur » pour Mariette Buckshot, coordonnatrice du comité du territoire, de l’eau et des animaux de Kitigan Zibi. « J’ai été vraiment contrariée de voir à quel point le dépotoir sera proche de l’eau », confie-t-elle, dans son bureau baigné de lumière.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Mariette Buckshot est contrariée par le fait que la forêt intacte qui recouvre le site du futur dépotoir sera rasée.

Selon Mariette Buckshot, le projet ne fait rien pour encourager la confiance des communautés autochtones envers le gouvernement canadien. « Depuis le début du projet, on nous parle des points positifs, de l’atténuation des risques et de la protection de l’eau, énumère-t-elle avec une pointe d’ironie dans la voix. Mais on le sait bien, qu’il y a un autre côté à l’histoire. »

C’est là qu’on voit la réelle définition de la carboneutralité et les réels objectifs du gouvernement. La carboneutralité, c’est juste une façon plus acceptable de continuer le système qui détruit l’environnement.

« Un décret d’urgence pourrait compromettre nos efforts de production d’énergie verte », notamment éolienne, affirment les ministres québécois Maïté Blanchette Vézina et Benoit Charette, respectivement responsables des Ressources naturelles et des Forêts, et de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.

Cet argument n’est pas bien différent de celui de Luc Poirier qui, en détruisant un écosystème dit que ce n’est pas grave car il va replanter des arbres. La conservation est LE choix le plus écologique, même si c’est pour développer des énergies vertes.

Même pour l’indépendantiste que je suis, je ne m’oppose pas à l’action du fédéral, qui avait donné le choix et le temps à Québec de protéger les populations de caribous, mais qui n’a strictement rien livré.

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Chu désolé, mais tu répand le propagande anti nucléaire des compagnies de gaz avec cette article. Les dépôts nucléaire profond sont parmis les installations les plus contrôler et sécuritaire au monde. Les voitures, camions, les pipelines, les stations d’essence et les compagnies pétrolières posent sans exagérer 1,000,000x plus de risque au fleuve que le site nucléaire. Sans ce dépotoir, on continuera a stocker les déchets nucléaires dans les centrales directement, ce qui posent beaucoup plus de risque.

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Petite correction, ce n’est pas un dépôt profond, c’est un dépôt de surface

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La dernière chose qui m’intéresse de faire c’est de la propagande d’une quelconque manière. Dans l’article que j’ai publié on ne parle pas de dépôt en profondeur mais bien en surface et c’est ce qui menace potentiellement la rivière Outaouais et l’eau potable des villes qui s’y approvisionnent, dont l’importante agglomération de Montréal.

Donc l’entreposage en profondeur n’a aucun contact avec l’extérieur et encore moins avec les rivières qui coulent bien au-dessus Mais ce n’est le cas ici.

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Quebec says it will not take part in consultation meetings surrounding the drafting of a possible emergency decree to protect the caribou.

In a six-page letter sent on Wednesday to Canadian Environment Minister Stephen Guilbeault, Quebec Environment Minister Benoit Charette and Natural Resources and Quebec Forestry Minister Maïté Blanchette Vézina reiterated that the emergency decree announced by Ottawa last month represents a “unilateral and illegitimate decision by the federal government, which is categorically rejected by Quebec.”

Ottawa’s move “constitutes an unspeakable affront and runs counter to respect for the constitutional division of powers between the two levels of government,” according to the ministers.

Not only will Quebec not participate in the consultations, but “the federal government will have to fully assume the economic and social consequences of its decision,” the ministers argue.

S’il va bel et bien de l’avant avec son décret d’urgence de protection du caribou, Ottawa devra « porter l’odieux » d’au moins 2000 pertes d’emplois, alerte le gouvernement du Québec, qui ne participera pas aux consultations entourant l’élaboration de ces mesures.

Les ministres québécois de l’Environnement, Benoit Charette, et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, en ont averti le ministre fédéral, Steven Guilbeault, mercredi matin, dans une longue missive dénonçant sa décision prise en juin. Ils n’y mâchent pas leurs mots.

« La démarche de votre gouvernement […] constitue un affront inqualifiable et s’inscrit en opposition au respect du partage des compétences constitutionnelles entre les ordres de gouvernement », ont-ils écrit.

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Les humains derrière le caribou

Facile de défendre la protection du caribou forestier quand on vit en ville. Mais à Sacré-Cœur et à Essipit, sur la Haute-Côte-Nord, les communautés sont tiraillées entre la crainte de pertes d’emplois massives, la protection de la faune et le respect des traditions autochtones. Portrait d’une région inquiète et divisée qui attend de connaître son sort.

Résumé

Protection du caribou Des communautés en suspens

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Vue aérienne de Sacré-Cœur, sur la Haute-Côte-Nord


Philippe Mercure
Philippe Mercure La Presse

(Sacré-Cœur et Essipit) Si on organisait un concours de popularité à Sacré-Cœur, un village tissé serré de 1700 habitants de la Haute-Côte-Nord, j’ignore qui gagnerait.

Publié à 5h00

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Un ou une Dufour, peut-être, vu la prévalence du nom de famille dans le coin.

Je sais toutefois qui n’aurait aucune chance. En tête de liste se trouve le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault.

À la mi-juin, M. Guilbeault a convaincu le Conseil des ministres d’autoriser un décret d’urgence visant à protéger trois hardes de caribous forestiers en situation précaire au Québec.

L’une d’elles occupe les environs du réservoir Pipmuacan, au nord d’ici. Or, il se trouve que c’est aussi le terrain de coupe du Groupe Boisaco, une coopérative forestière qui compte 440 employés et fait travailler 160 entrepreneurs forestiers à temps plein.

Je répète les chiffres parce qu’ils sont au cœur des enjeux : Boisaco fournit directement du boulot à 600 travailleurs dans un village de 1700 âmes.

Parmi ceux qui récolteraient peu de votes à ce concours populaire, on trouve aussi les journalistes d’opinion qui ont soutenu cette intervention du fédéral — et en particulier ceux qui écrivent leurs chroniques de Montréal. J’en suis.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Des travailleurs à l’usine de Boisaco

En conclure que j’étais en terrain hostile en me rendant à Sacré-Cœur serait largement exagéré. J’y ai été accueilli cordialement partout. Mais disons que les gens de la région avaient un message à passer.

Un message qui dit essentiellement ceci : nous n’avons rien contre la protection du caribou, bien au contraire. Mais c’est l’avenir de notre village qui est en jeu et on ne peut pas faire comme si ça ne comptait pas.

Je suis convaincu qu’il faut protéger le caribou. Je persiste aussi à penser que le gouvernement Legault aurait dû pondre un véritable plan de protection il y a longtemps au lieu de rejeter l’odieux sur le fédéral et le forcer à intervenir (il en a l’obligation légale). Mais j’estime aussi qu’il faut entendre les gens touchés et bien comprendre les impacts des actions.

À Sacré-Cœur, j’ai parlé aux dirigeants et aux travailleurs de Boisaco, une coopérative dont il est facile de sous-estimer l’ancrage dans son milieu (j’y reviendrai). J’ai parlé à des entrepreneurs dont le boulot dépend de Boisaco. J’ai parlé à l’épicier, à la mairesse, au propriétaire de motel. Tous tiennent le même discours : si le décret fédéral est adopté, Boisaco tombe. Et si Boisaco tombe, c’est toute la communauté qui s’écroule.

« Si ça arrive, on va devoir s’exiler, m’a dit Valérie Dufour, coordonnatrice aux ventes et à la facturation chez Boisaco, sans parvenir à retenir ses larmes.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Valérie Dufour, coordonnatrice aux ventes et à la facturation chez Boisaco

Moi, mes racines sont ici, ma famille est ici. J’ai choisi de vivre ici !

Valérie Dufour, coordonnatrice aux ventes et à la facturation chez Boisaco

Le conjoint de Mme Dufour travaille aussi chez Boisaco. Ils ont trois enfants. Leur vie est en suspens.

Dans le texte suivant, je donne la parole à 10 habitants de la région comme Mme Dufour. Leurs propos illustrent la complexité des enjeux qui se jouent cet été sur la Haute-Côte-Nord. Un été qui prend la forme d’un compte à rebours sous haute tension.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Le décret du ministre Guilbeault inclut une carte que tout le monde a vue ici. Une carte parsemée de grosses taches vertes : des zones où couper les arbres deviendrait interdit pour protéger l’habitat du caribou. Cette carte et d’autres sont déployées en format géant dans les bureaux de Steeve St-Gelais et d’André Gilbert, respectivement président et directeur général du Groupe Boisaco.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

André Gilbert (à gauche) et Steeve St-Gelais (à droite)

Les deux hommes affirment que si le décret est appliqué tel quel, la coopérative perdrait de 50 à 60 % de son approvisionnement en bois. Impossible, dans ce contexte, de couvrir les frais fixes, encore moins de dégager des profits. Il ne resterait qu’à fermer boutique.

Les chiffres de 50 à 60 % sont spectaculaires, mais difficiles à confirmer. Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts affirme que le décret entraînerait des baisses d’approvisionnement pour les usines de transformation de bois rond de la province variant entre moins de 1 % et 50 %, mais sans expliquer sa méthodologie⁠1. Et les impacts par entreprise sont gardés confidentiels.

À Sacré-Cœur, on entend pratiquement le tic-tac de l’horloge. Le ministre Guilbeault avait annoncé une période de consultation de 60 jours avant de déclencher son décret. Cela nous menait à la mi-août. Cette semaine, le ministre a ajouté 30 jours au compteur. D’un côté, cela donne du temps pour trouver des solutions. De l’autre, cela prolonge l’incertitude dans laquelle sont plongées les communautés.

Les Innus pour le caribou

Même s’il est situé à moins de 20 minutes de Tadoussac, Sacré-Cœur appartient à un autre monde. Ici, l’air ne sent pas la mer, les rues sont bordées de quincailleries et d’ateliers de soudure plutôt que de boutiques de souvenirs et le village est résolument tourné vers la forêt plutôt que vers le fleuve.

Le paysage est différent à Essipit, une communauté innue à une trentaine de minutes de Sacré-Cœur. Le discours sur le caribou aussi.

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Un des cadeaux qu’offre le paysage d’Essipit

Le grand chef Martin Dufour nous amène devant un complexe de condos avec vue sur la mer. Des touristes y pique-niquent sur des rochers, contemplant deux baleines qui donnent un spectacle époustouflant près de la côte.

Ici, le caribou est vu comme un pilier de la culture traditionnelle. Le décret fédéral, loin d’être décrié comme à Sacré-Cœur, avait été réclamé par le conseil de bande.

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Martin Dufour, chef d’Essipit

« Le but de demander un décret n’a jamais été de faire fermer Boisaco, c’est important de le dire. C’était de faire réagir Québec », précise le chef Dufour, qui déplore l’inaction du gouvernement Legault dans le dossier.

Jean-François Boulianne, un Innu d’Essipit qui occupe la fonction de gardien du territoire, constate que la protection du caribou alimente malheureusement les tensions entre Blancs et Innus.

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Jean-François Boulianne, gardien du territoire

Ici, on a toujours été mixés. On allait tous à la même polyvalente, mes chums travaillent à Boisaco. Mais on sent maintenant une fracture sociale.

Jean-François Boulianne, gardien du territoire

Il blâme le gouvernement provincial qui, selon lui, a laissé « pourrir la situation » en reportant sans cesse son plan d’intervention pour le caribou.

À Sacré-Cœur, au contraire, le gouvernement provincial est vu comme un allié.

« Le provincial a compris qu’il y a des enjeux importants, qu’ils sont complexes et qu’il faut faire attention. C’est dans cet esprit qu’il travaille », m’a dit Steeve St-Gelais, président de Boisaco.

En creusant, on découvre toutefois que ces positions sont teintées de nuances. Plusieurs Innus travaillent dans l’industrie forestière. Essipit est même partenaire d’une usine de granules de bois, Granulco, qui relève du Groupe Boisaco.

« On comprend que le caribou est important, mais on pense que ce décret-là n’a aucun sens », dénonce Louis Bouchard, un Innu de 20 ans qui travaille dans l’industrie forestière.

Je termine en vous parlant de Boisaco. Pour bien saisir les enjeux locaux, il faut en effet comprendre cette entreprise et son histoire.

Entre 1975 et 1982, trois tentatives d’établir une scierie dans le village ont échoué. Les citoyens ont toutefois refusé de plier l’échine. Ils ont sorti du capital de leur propre poche et fondé une coopérative.

Celle-ci compte aujourd’hui 300 travailleurs membres (ce ne sont pas tous les employés du groupe qui sont actionnaires) et 800 citoyens investisseurs.

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Les installations de la coopérative Boisaco, une entreprise spécialisé dans la coupe et transformation du bois

Groupe Boisaco est devenu une vaste constellation d’entreprises qui valorisent les moindres parties de l’arbre. Le site principal est grand comme 100 terrains de soccer. On y fabrique autant du bois d’œuvre et des panneaux de porte que des composantes de palettes. Les sciures de bois sont transformées en granules pour le chauffage ; les rabotures, en litière pour chevaux. L’écorce alimente une centrale thermique qui fournit la chaleur nécessaire au séchage du bois.

Ce vaste complexe, détenu par les citoyens eux-mêmes, fait la fierté de Sacré-Cœur.

Marc Gilbert, 76 ans, est l’un des fondateurs de cet empire régional.

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Marc Gilbert, cofondateur de Boisaco

Lorsque je lui ai demandé comment il accueille les récents évènements, il a toussé, s’est excusé, est allé chercher un verre d’eau et est revenu les yeux humides.

« Les gens ne se laisseront pas faire, m’a-t-il prédit d’une voix douce contrastant fortement avec la force de ses propos. Ça va barder. Et très fort. »

1. Lisez le texte « Mesures fédérales de protection du caribou : le flou persiste sur les pertes d’emplois »

Une guerre de faits

Les dirigeants de Boisaco luttent contre le décret du ministre Steven Guilbeault par tous les moyens — y compris des arguments que je me devais de vérifier.

M. St-Gelais et M. Gilbert soutiennent notamment que le déclin de la harde du Pipmuacan est mal documenté. Que même si on cesse les activités forestières, le caribou forestier migrera quand même vers le nord à cause des changements climatiques. Que les zones que cherche à protéger le fédéral sont déjà trop dégradées pour assurer la survie de l’animal. Les dirigeants de Boisaco connaissent une chose ou deux sur la forêt, le marché du bois et l’art de créer des emplois. Mais quand vient le temps de comprendre le caribou, je me fie aux biologistes qui l’étudient. Leurs conclusions sont révisées par les pairs et publiées dans des journaux internationaux. Or, il se trouve que leurs constats diffèrent de ceux de Boisaco.

Martin-Hugues St-Laurent, de l’Université du Québec à Rimouski, est l’un des plus grands spécialistes du caribou. Il convient que les relevés effectués sur la harde du Pipmuacan ne sont pas si nombreux.

« Mais quand on regarde les marqueurs, ils nous disent ceci. A : l’habitat est de mauvaise qualité. B : la survie des caribous adultes est basse. C : le nombre de faons par femelle est trop bas. D : les chiffres d’abondance montrent une diminution. Ça fait plusieurs marqueurs qui sont au rouge. »

Les changements climatiques ? Oui, ils contribuent à repousser la limite de l’aire de répartition du caribou vers le nord. Mais les recherches montrent que les impacts humains, dont ceux de l’industrie forestière, ont des effets cinq fois plus importants⁠2. Martin-Hugues St-Laurent reconnaît également que limiter la récolte d’arbres ne sera pas suffisant pour empêcher le déclin du caribou dans la région. Mais il estime qu’il s’agit d’une condition essentielle à un rétablissement par ailleurs possible.

« Dans le catalogue de tous les outils qu’on a pour aider le caribou, il y en a énormément qui ne sont pas déployés dans un territoire comme Pipmuacan, dit-il. Ce n’est pas vrai qu’il est trop tard. »

2. Lisez l’article scientifique « Climate change alone cannot explain boreal caribou range recession in Quebec since 1850 » (en anglais)

Résumé

Dix regards sur le caribou

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Vue aérienne de la communauté d’Essipit


Philippe Mercure
Philippe Mercure La Presse

Ils sont travailleurs de la forêt, Innus, commerçants, résidants de la Haute-Côte-Nord. Et ils sont directement touchés par la protection du caribou. La Presse leur donne la parole.

Publié à 5h00

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Joseph-Pierre Dufour, mécanicien de machine fixe chez Boisaco

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Joseph-Pierre Dufour, mécanicien de machine fixe chez Boisaco

« Avec ma blonde, on avait des projets, des ambitions. On pensait acheter un bloc de logements, on parlait de fonder une famille. Mais j’ai dit à ma blonde : je ne me lance dans rien. On a tout mis nos projets sur la glace. Fonder une famille pour l’arracher à ses racines et l’amener ailleurs, ce serait déchirant un peu. »

L’homme de 34 ans vante son « emploi gratifiant » et les paysages exceptionnels de la Haute-Côte-Nord qu’il aime parcourir à vélo.

« Tout ce que j’ai créé, tout ce qui me tient à cœur, j’ai peur que ça me soit arraché. »

Yvan et Pierre-Luc Lessard, entrepreneurs

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Yvan et Pierre-Luc Lessard, entrepreneurs

Yvan Lessard et son fils Pierre-Luc dirigent Constructions SRV, une entreprise familiale fondée par le père d’Yvan et qui fait autant de l’ouverture de chemins forestiers que du transport d’équipement. Des 80 employés, 50 travaillent directement sur des projets liés au Groupe Boisaco.

« C’est l’inquiétude, résume Pierre-Luc Lessard. Nos employés nous demandent des nouvelles. Il faut les rassurer, on ne veut pas que les gens partent d’avance non plus, surtout que ça peut se régler. »

« Plus de Boisaco ici, c’est terminé, lance son père, Yvan. Il restera juste au gouvernement à envoyer des chèques au monde. Mais jusqu’à ce que le bateau coule, je vais garder la tête hors de l’eau. Je vais être le dernier sur le bateau. Je ne lâcherai jamais. »

Martin Dufour, chef d’Essipit

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Martin Dufour, chef d’Essipit

« En tant que gouvernement responsable, on veut être capables de concilier l’industrie, le développement et la protection. Nous ne sommes pas contre le développement, c’est important à dire. Nous sommes partenaires avec Boisaco dans une usine de granules. Si on se met tous ensemble, on est assez intelligents pour trouver des solutions. »

« La solution, c’est Québec qui l’a. C’est Québec qui donne les approvisionnements de bois. C’est Québec qui a une vue d’ensemble et qui peut répartir les impacts entre les différentes entreprises. C’est Québec qui aurait dû faire une stratégie pour le caribou depuis huit ans. Le Québec remet l’odieux sur le fédéral, mais le fédéral intervient à cause de l’inaction de Québec. »

Christian Castonguay, propriétaire de motel

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Christian Castonguay, propriétaire de la station d’essence, du restaurant et de l’hôtel-motel Le Coronet

Christian Castonguay est propriétaire du Coronet, un motel de Sacré-Cœur qui compte aussi un restaurant et une station-service. À l’écart du circuit touristique, ses commerces dépendent fortement de Boisaco. À 70 ans, M. Castonguay cherche à vendre son entreprise.

« C’est sûr que si demain matin, Boisaco tombe, mes commerces viennent de perdre 50 % de leur valeur. J’ai travaillé 36 ans ici, sept jours par semaine, du matin au soir. J’espère bien récupérer une partie de ce que j’ai mis. » Il espère que les gouvernements parviendront à dénouer la situation.

« Il a sûrement moyen de trouver des solutions autres que couper le CAAF [le contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier] en deux ! »

Jean-François Boulianne, chef d’équipe des gardiens du territoire d’Essipit

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Jean-François Bouliane, chef d’équipe des gardiens du territoire d’Essipit

Dès 2001, les Innus d’Essipit ont imposé un moratoire sur la chasse au caribou afin de le protéger, même s’ils avaient le droit de le chasser. Depuis, des ententes permettent à quelques Innus d’aller chasser le caribou migrateur en territoire cri, là où l’animal est plus abondant. L’idée : conserver le savoir-faire et garder les traditions des Innus en vie. L’an dernier, Jean-François Boulianne a participé à une telle chasse.

« Le caribou, c’est l’âme de la nation innue. C’est au cœur de notre identité. Ce lien est difficile à comprendre pour un non-autochtone. Ce qu’on veut préserver, ce n’est pas seulement l’animal. C’est la culture, ce sont les valeurs traditionnelles. Ça va au-delà de l’animal sur un 25 cents. »

André Gilbert, directeur général de Boisaco

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André Gilbert, directeur général de Boisaco

« Soixante-dix pour cent de ce qu’on récolte cette année est touché par le décret. Ça veut dire que le matin où le décret passe, l’opération forestière arrête à 70 % chez Boisaco. À long terme, l’impact sur notre approvisionnement est de 50 à 60 %. Comme catastrophe, c’est dur de faire pire. »

« Oui, il faut protéger le caribou. La question est de savoir comment. Pour moi, un plan qui fonctionne, ce n’est pas un plan qui tient compte d’un seul critère. Et ce n’est pas un plan de type cloche de verre. »

« Le provincial est mieux placé que le fédéral pour faire un plan de protection. C’est lui qui gère le régime forestier, les municipalités, les emplois. Pourquoi il ne l’a pas fait avant ? Je n’embarque pas là-dedans, je ne fais pas de politique. »

Gaétan Hovington, copropriétaire de l’épicerie Hovington Intermarché

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Gaétan Hovington, copropriétaire de l’épicerie Hovington Intermarché

« Quasiment tous mes clients travaillent chez Boisaco. Si ça slack là-bas, c’est sûr que ça slack ici aussi », dit l’épicier. Il avoue ne pas voir clair dans la joute politique que se livrent le provincial et le fédéral au sujet de la protection du caribou. « On en vient à avoir de la misère à suivre, à savoir qui a raison. » Après avoir hésité à cause du contexte d’incertitude, M. Hovington a décidé d’investir pour agrandir l’entrepôt de son épicerie.

« C’est sûr que c’est spécial d’investir dans un climat comme ça, mais on y va pareil. Un moment donné, on n’a pas le choix. C’est la seule épicerie de Sacré-Cœur et il fallait le faire. »

Frank-Olivier Maltais, opérateur et chef d’équipe chez Granulco

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Frank-Olivier Maltais, opérateur et chef d’équipe chez Granulco

« J’avais de la misère à l’école, j’ai juste un secondaire 1. J’ai commencé sur le plancher ici et ils m’ont donné ma chance. J’ai monté les échelons. Aujourd’hui, j’opère l’usine au complet », dit-il devant les écrans qui documentent en direct l’état de fonctionnement de l’usine de granules du Groupe Boisaco. À 32 ans, ce père d’un enfant de 4 ans avoue être déstabilisé par la perspective d’une fermeture.

« J’ai acheté un terrain et une maison. On est sur le bord de la rivière Sainte-Marguerite, j’ai la forêt à côté, je loue des champs à des cultivateurs. Moi, aller travailler en ville, oublie ça. Si ça ferme, je vais te dire franchement, je ne sais pas ce que je fais faire. »

Lise Boulianne, mairesse de Sacré-Cœur

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Lise Boulianne, mairesse de Sacré-Cœur

« On prend ça de façon assez dramatique. On espère que M. Trudeau et son ministre vont changer d’idée », dit la mairesse de Sacré-Cœur. Devant le bras de fer entre le fédéral et le provincial sur la protection du caribou forestier, Mme Boulianne a résolument choisi son camp.

« L’industrie n’a pas été entendue, le gouvernement provincial non plus. Le fédéral a déposé son décret sans écouter personne », déplore-t-elle.

« Je ne crois pas que si on ferme la forêt à l’industrie forestière, ça va donner un regain de vie au caribou. Je n’y crois pas. »

Vicky Savard, présidente de la coopérative Cofor (qui fait partie de Boisaco)

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Vicky Savard, présidente de la Coopérative Cofor

« Ça me choque de lire dans certains médias qu’on a juste à se recycler, qu’on va faire du récréotouristique. La personne qui est mécanicien industriel ou ingénieur forestier, ses ambitions de carrière, ce n’est pas le récréotouristique. On dit qu’on va nous aider à trouver d’autres emplois, mais ce n’est pas ça que je veux, ce n’est pas ça que mon conjoint veut », dit Vicky Savard, en couple avec un employé de Boisaco.

Cette mère d’un fils de 18 ans dit être « tombée en amour » avec le modèle coopératif de Boisaco et est heureuse de vivre à proximité de ses beaux-parents. « Pour moi, Sacré-Cœur, ça représente ça : le bonheur familial, la possibilité de s’occuper de notre entourage », dit-elle, redoutant de devoir partir.

Tout l’été, La Presse vous fait parcourir le Québec en vous racontant la vie des rivières. Des histoires humaines, scientifiques ou historiques qui ont toutes une rivière pour attache. Cette semaine : la dernière rivière de l’île de Montréal, la rivière à l’Orme.

Résumé

La vie des rivières Protéger la dernière rivière de l’île de Montréal

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Sue Stacho en kayak sur la rivière à l’Orme

Tout l’été, La Presse vous fait parcourir le Québec en vous racontant la vie des rivières. Des histoires humaines, scientifiques ou historiques qui ont toutes une rivière pour attache. Cette semaine : la dernière rivière de l’île de Montréal, la rivière à l’Orme.

Publié à 0h56 Mis à jour à 5h00

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Philippe Teisceira-Lessard
Philippe Teisceira-Lessard La Presse


Martin Tremblay
Martin Tremblay La Presse

Avez-vous vu la rivière Saint-Pierre traverser Côte-des-Neiges ou la rivière Saint-Martin mouiller le Vieux-Montréal ? Impossible : la ville les a avalées depuis longtemps. Mais la rivière à l’Orme, dans l’ouest de l’île, coule encore.

La toute dernière rivière de Montréal fait l’objet d’une attention particulière, malgré sa taille modeste et son parcours parfois peu glorieux à travers une autoroute et un parc industriel.

« Ça n’a l’air de rien comme ça, mais c’est vraiment vivant », explique Jean-Philippe Poulin, du Service de l’environnement de la Ville de Montréal. Le cours est effectivement loin d’être spectaculaire, avec son faible débit et la végétation dense qui l’enserre.

On va voir souvent toutes sortes d’oiseaux, on va voir des hérons, des martins-pêcheurs. Ce n’est pas vide. C’est un beau milieu qu’on a ici.

Jean-Philippe Poulin

Partout ailleurs dans l’île, les rivières ont été canalisées au fil des siècles, souvent parce qu’elles étaient utilisées comme égouts par les Montréalais de l’époque. D’autres ont été victimes du drainage des milieux humides dans lesquels elles prenaient leur source, comme le grand lac à la Loutre, dans le secteur de l’actuel échangeur Turcot.

M. Poulin est l’un de ceux qui sont chargés de surveiller la rivière à l’Orme, dernier vestige d’une époque révolue. Plusieurs fois par été, il prend des échantillons à divers emplacements dans la rivière pour vérifier la qualité de son eau. Il la fréquente depuis plus de 20 ans.

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Tout près du pont du boulevard Gouin qui permet de passer la rivière, il plonge une sonde dans un seau qu’il vient de remplir. Avec l’aide de son collègue Maximilien Mariage, il remplit aussi toute une série de petites bouteilles. Destination : labo.

« Ce qui fait notre indice de qualité de l’eau, c’est un ensemble de paramètres : la microbiologie (les coliformes fécaux), la matière en suspension (comme la terre), on détecte des métaux », détaille-t-il.

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Les échantillons d’eau sont pris à différents endroits de la rivière.

Et à rivière urbaine, problèmes urbains. « Un des apports importants qu’on a pour la rivière, c’est le réseau pluvial qui vient de l’autoroute 40. Ça draine une grande surface et ça se rejette à la tête de la rivière. » Avec parfois les contaminants en provenance de l’autoroute.

Une autre forme de protection

Sue Stacho prend aussi soin de la rivière à sa façon.

Avec un groupe de militants, l’enseignante au secondaire a mené pendant des mois, jusqu’en 2018, un combat pour limiter le développement immobilier autour de la dernière rivière de l’île de Montréal. Des promoteurs immobiliers voulaient y ériger un nouveau quartier de près de 6000 logements.

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Sue Stacho et Alison Hackney, de Sauvons l’Anse-à-l’Orme

« J’ai découvert la rivière une journée, en faisant du vélo », relate la résidente de l’ouest de l’île, près de l’intersection du chemin de l’Anse-à-l’Orme, qui longe la rivière sur près de quatre kilomètres.

Quand Sue Stacho a vu en 2016 que « du travail d’arpentage et de lotissement commençait » dans le secteur, elle s’est impliquée en créant – avec d’autres – un groupe baptisé Sauvons l’Anse-à-l’Orme. Pétition, pressions politiques, visites guidées publiques : une véritable campagne d’opposition au projet a émergé.

Le développement n’aurait pas touché directement la rivière, qui « était déjà protégée ». Mais « la rivière aurait été impactée », ajoute Jamie Kinsman, un des comparses de Sauvons l’Anse-à-l’Orme.

« Avant, c’était tout agricole ici, continue-t-il. La nature a repris le dessus, mais on peut encore voir la trace des murs de pierres que les fermiers bâtissaient. On peut marcher dans la forêt et arriver sur un mur de pierres. »

Leur combat a pris fin peu après l’élection de Valérie Plante à l’hôtel de ville de Montréal. Son administration a opposé une fin de non-recevoir au projet de développement et a plutôt exprimé sa volonté de voir naître un « grand parc de l’Ouest » qui inclurait notamment la rivière à l’Orme.

« Encore sauvage »

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Cet immense territoire (15 fois le parc du Mont-Royal), c’est éventuellement le service des grands parcs de la Ville de Montréal qui le gérera. Ces équipes gèrent déjà plusieurs parcs qui seront englobés dans ce projet.

Il y a vraiment une mosaïque d’habitats qui vient supporter une biodiversité importante autour de la rivière à l’Orme. C’est pas mal la dernière partie de l’île de Montréal qui est encore sauvage… jusqu’à un certain point.

Marie Lafontaine

À l’est de la rivière : les anciennes friches agricoles rendues à la nature que Sauvons l’Anse-à-l’Orme voulait protéger. À l’ouest : le parc agricole du Bois-de-la-Roche, des terres remises en culture depuis quelques années dans le cadre de projets communautaires.

« C’est un des parcs les plus riches en termes d’oiseaux aquatiques, ajoute-t-elle. Même chose du côté de l’herpétofaune (amphibiens, reptiles), on a aussi 14 espèces qui avaient été recensées en 2019-2020. Bref, c’est vraiment la diversité des habitats qui n’ont pas été trop perturbés encore. » Ses services procèdent d’ailleurs chaque printemps à un recensement des tortues géographiques – une espèce en « situation précaire » – dans le coin.

La rivière à l’Orme, dernier spécimen de son espèce, mérite elle aussi les efforts de conservation qu’on lui accorde.

8 kilomètres

C’est la modeste longueur de la rivière à l’Orme, de sa source au sud de l’A40 jusqu’à son embouchure sur le lac des Deux Montagnes.

Étude de l’IEDM, ça dit tout…

https://www.journaldemontreal.com/2024/08/15/on-pourrait-construire-70-000-logements-en-dezonant-des-terres-agricoles-selon-liedm

Entrevue de l’auteur de l’étude avec Luc Ferrandez

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“Il y a énormément de terres au Québec, on en manquera pas”. Les terres de l’ile Jésus et de la CMM sont les plus riches du Québec et les prix des terres agricoles dans la région sont les plus élevés. Il y a une crise d’abordabilité dans le monde agricole autant que dans celui résidentiel.

À la quantité d’espaces à requalifier à Laval, il faudra vraiment me donner de meilleurs arguments pour dézoner ces espaces.

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Je trouve ça bizarre comme pratique. Au moins, la majorité du temps, c’est plutôt la déconstruction qui est privilégiée

Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec (MRNF) ne se laisse pas impressionner par ceux qui occupent illégalement le territoire public. Ses fonctionnaires ont volontairement brûlé 178 installations et bâtiments illégaux, l’an dernier, comme le démontrent les données et les photos obtenues par Radio-Canada grâce à la loi sur l’accès aux documents.

Les expéditions incendiaires se font parfois à motoneige ou en hélicoptère, dans les coins les plus reculés. Les inspecteurs du ministère peuvent brûler près d’une dizaine de bâtiments illégaux dans la même journée, souvent des camps de chasse.
[…]
« Le démantèlement des structures est toujours priorisé dans les zones accessibles, indique le porte-parole du MRNF, Patrick Harvey. Les opérations de brûlage représentent la dernière étape du processus de libération des lieux par les occupations illégales sur le territoire public. »

« La technique de brûlage est utilisée dans les zones reculées ou difficiles d’accès. Elle permet de retirer rapidement les structures occupées illégalement sur le territoire public.»

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Surprenante pratique je ne connaissais pas, et les chiffres sont quand même élevés pour une seule année !

Démanteler nécessiterait de la main d’oeuvre qui n’est pas nécessairement disponible, surtout qu’il n’y a pas dans la majorité des cas de chemins de bois carrossables pour y arriver. Il faut aussi tenir compte des distances importantes à couvrir pour s’y rendre et toute la logistique pour héberger et nourrir ces travailleurs.

On remarque que généralement ces brûlages se font en hiver au moment où la neige et le froid limitent les potentiels incendies de forêt. Donc au premier coup d’oeil cela peut paraitre choquant, mais logistiquement parlant cette pratique se défend et a peu d’impact durable sur l’environnement.

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