Le mot patrimonial « a le dos très large »
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Les bâtiments anciens sont souvent en brique ou en pierre, matériaux beaucoup plus durables que les matériaux actuels.
Vous regardez les maisons anciennes sur Centris les après-midi de pluie comme d’autres feuillettent un livre de recettes ? Si cette part de rêve devient un projet, n’oubliez pas de vérifier la valeur patrimoniale de la maison. Cela pourrait influer sur les primes d’assurance. Pire, vous ne trouverez peut-être pas d’assureur pour votre belle demeure pièce sur pièce…
Publié à 5 h 00

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Stéphanie Bérubé La Presse
](La Presse | Stéphanie Bérubé)
Assurer une vieille maison au Québec peut être très compliqué. Plusieurs assureurs trouvent que le risque est trop grand – et les règles entourant le patrimoine bâti sont si complexes qu’ils préfèrent refuser des clients.
Déjà, il y a ce préjugé que dès qu’un bâtiment est ancien, il coûtera plus cher à rénover, selon Renée Genest, directrice générale du groupe Action Patrimoine. « Il y a une incompréhension de la durabilité des matériaux nobles », déplore-t-elle.
« Les bâtiments anciens sont souvent en brique, en pierre, des matériaux beaucoup plus durables que les matériaux actuels. Ils peuvent avoir des toitures en tôle qui vont durer jusqu’à 100 ans », poursuit-elle.
Un assureur aura une grille d’analyse qui ne convient pas à une vieille maison. Ce qui peut mener à des polices mal adaptées et très chères.
« On ne voudrait pas que ça décourage les propriétaires ou les amoureux de patrimoine d’acheter une maison patrimoniale parce qu’il y a une problématique d’assurances », dit Renée Genest.
C’est pourtant le cas, tranche l’architecte Marie-Josée Deschênes, spécialiste des bâtiments patrimoniaux, qui estime que la situation rebute plus d’un amoureux d’histoire, particulièrement chez les jeunes.
Selon elle, les assureurs ont une grande méconnaissance des maisons anciennes.
À force de faire peur à tout le monde […], il ne reste que les mordus qui achètent de vieilles maisons, contre vents et marées. Quand vient le temps d’assurer la maison, ils ne sont pas capables…
Marie-Josée Deschênes, architecte et spécialiste des bâtiments patrimoniaux
L’architecte déplore elle aussi que l’on ne reconnaisse pas la valeur des matériaux nobles.
« Si j’ai une maison qui a des fenêtres de bois, une toiture métallique et des fondations de maçonnerie, les compagnies d’assurance ne devraient pas refuser de m’assurer. »
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Au Québec, une maison qui a été construite avant 1940 est ancienne ou patrimoniale, selon la Loi sur le patrimoine culturel.
Qu’est-ce qu’une vieille maison ?
« Ce qui va rebuter les assureurs, c’est l’année de la propriété, explique Renée Genest. Avant 1940, on peut avoir des refus automatiques. »
Au Québec, une maison qui a été construite avant 1940 est ancienne ou patrimoniale, selon la Loi sur le patrimoine culturel.
Et dès l’année prochaine, la loi 69 obligera toutes les municipalités à répertorier l’ensemble des propriétés construites avant 1940. Elles seront inventoriées dans le Répertoire du patrimoine culturel du Québec.
Rassurez-vous, une maison qui fait partie du Répertoire n’est pas nécessairement protégée. Son propriétaire ne se retrouvera pas du jour au lendemain à devoir demander au ministère de la Culture et des Communications s’il peut changer sa porte de garage. Toutefois, selon Renée Genest, ça rend un peu plus complexe encore un dossier qui l’était déjà suffisamment.
« Ça crée un vent de panique auprès des propriétaires et des assureurs », dit la directrice générale d’Action Patrimoine, qui explique qu’il y a beaucoup de confusion dans les termes et les statuts.
Le mot patrimonial « a le dos très large, dit-elle. Le bâtiment peut être patrimonial sans avoir de statut ».
Et le statut fait foi de tout (voir autre texte).
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Plusieurs assureurs ont décidé de quitter le marché des maisons patrimoniales.
Des mythes et des faits
Un des grands mythes autour des maisons patrimoniales concerne la valeur de reconstruction pour les bâtiments protégés.
Si une maison historique brûle, son histoire s’envole aussi en fumée. Le propriétaire n’a pas l’obligation de reconstruire une réplique de l’original, même pour les maisons qui détiennent le plus haut niveau de protection de Québec.
« Si on reconstruit à l’identique, c’est du faux patrimoine. Une fois que c’est perdu, c’est perdu », lance Renée Genest.
Les choses se compliquent si une maison est endommagée en partie. Par exemple, si un dégât d’eau touche 20 % de la maison.
Dans ce cas, malgré les subventions offertes aux propriétaires de maisons classées, les travaux risquent d’être plus complexes et plus onéreux. Même beaucoup plus onéreux…
« La prime, en assurance, on la base sur le risque. Lorsque l’on parle de maisons patrimoniales, ça n’est pas toujours évident pour l’assureur de déterminer combien va coûter la réparation s’il y a une perte partielle », explique Pierre Babinsky, directeur des communications et des affaires publiques du Bureau d’assurance du Canada (BAC).
« Est-ce que ça va coûter deux fois plus cher ? Est-ce qu’on doit faire appel à des artisans spécialisés ? Est-ce que les matériaux pour réparer sont disponibles ? »
« Pour mettre un prix sur une police d’assurance, ça prend de l’expertise et des connaissances », poursuit Pierre Babinsky.
Dans ce contexte, plusieurs assureurs ont préféré quitter ce marché.
Le Bureau vient de mener des consultations auprès de ses membres. « Le BAC a aussi eu plusieurs discussions avec le ministère de la Culture et des Communications », ajoute Pierre Babinsky.
Le but : simplifier le processus de règlement de sinistre ou de délivrance de permis pour ce type de maisons afin de freiner la diminution de l’offre.
On est en train de voir avec les assureurs qui sont intéressés à rester ou à couvrir ce marché-là quel serait le mécanisme, le programme ou le produit d’assurance qui répondrait le mieux aux besoins de cette clientèle.
Pierre Babinsky, directeur des communications et des affaires publiques du BAC
Un autre élément joue grandement dans la couverture d’assurance d’une maison patrimoniale : les délais.
Pour une maison classée, les rénovations sont plus compliquées, puisque le propriétaire doit obtenir des autorisations. Ça impose des délais qui dérangent autant les propriétaires que les assureurs.
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« Lorsque l’on parle de maisons patrimoniales, ça n’est pas toujours évident pour l’assureur de déterminer combien va coûter la réparation s’il y a une perte partielle », explique Pierre Babinsky, directeur des communications et des affaires publiques du BAC.
« Ça prend de la patience », concède l’architecte Marie-Josée Deschênes, qui s’est maintes fois frottée aux exigences du Ministère dans sa pratique.
Or, les assureurs n’ont pas cette patience.
« Si on doit réparer une maison patrimoniale, que c’est long pour obtenir les permis, les matériaux, les devis et que pendant ce temps-là, l’assureur paye les frais de subsistance à l’hôtel et au restaurant, ça rend le dossier plus complexe. », explique Pierre Babinsky.
« Restaurer peut coûter cher, confirme l’architecte Marie-Josée Deschênes. Mais ça vaut la peine. » Car ces contraintes imposent aussi un niveau de qualité supérieur et, selon elle, les propriétaires prennent souvent grand soin de leur maison ancienne.
« Les résidences patrimoniales qui sont gérées par des propriétaires consciencieux, dit-elle, c’est aussi une garantie de pérennité. »
En savoir plus
- 2000
Depuis l’adoption en 1922 de l’ancêtre de la Loi sur le patrimoine culturel, soit la Loi sur les monuments historiques et artistiques, plus de 2000 statuts légaux ont été attribués à des biens patrimoniaux au Québec, dont des sites et des immeubles.
source : ministère de la Culture et des Communications
Une question de statut
Résumé
Une question de statut
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Le Vieux-Québec est un site patrimonial déclaré. De facto, toutes les résidences qui s’y trouvent doivent respecter le plan d’aménagement du quartier. Certaines maisons ont un statut supplémentaire.
On peut bien parler de vieille maison, de maison patrimoniale, ancienne ou ancestrale, le vocabulaire ne fait pas le poids face au statut de la propriété, qui fait foi de tout.
Publié à 5 h 00

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Stéphanie Bérubé La Presse
](La Presse | Stéphanie Bérubé)
Plusieurs statuts peuvent être accordés à une propriété par une municipalité ou par le ministère de la Culture et des Communications au Québec. Une maison peut être protégée, classée ou citée. Toutefois, si elle fait partie d’un inventaire sans autre protection, il n’y a aucune exigence pour rénover l’extérieur ou l’intérieur.
La municipalité ou Québec peut aussi encadrer les rénovations d’une maison citée ou qui se trouve dans un site déclaré, classé, cité ou dans une aire de protection.
Si cette énumération donne le tournis aux assureurs, avec raison, il faut d’abord retenir que la maison classée a le plus haut statut au Québec. Son propriétaire doit préserver sa valeur et aura des restrictions lorsqu’il fait des travaux.
Lexique
- Maison classée : Le propriétaire d’un immeuble classé doit avoir une autorisation avant de l’altérer, de le restaurer, de le réparer, de le modifier, d’en démolir une partie ou de le déplacer. C’est le plus haut niveau de protection – et il touche autant l’intérieur que l’extérieur de la propriété.
- Site patrimonial déclaré ou cité : Si une maison se trouve dans un site déclaré ou cité, son propriétaire doit notamment avoir la permission avant de la diviser, de réparer ou de modifier l’apparence de son immeuble, de le démolir en tout ou en partie et même d’y faire un nouvel affichage. Le tout est encadré par un plan d’aménagement, qui comprend plusieurs directions propres au site.
- Maison citée : Une maison qui n’est que citée fait partie d’une liste ou d’un registre, sans plus. Son propriétaire n’est pas tenu de suivre des règles strictes. Toutefois, plusieurs statuts peuvent être attribués à un même immeuble en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel. Les municipalités locales, les MRC et les communautés autochtones peuvent aussi attribuer des statuts en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel.
« Si ça coûte cher de faire des rénovations à ces bâtiments, c’est parce qu’on doit se rapprocher d’une authenticité », explique Étienne Berthold, professeur de développement durable du territoire à l’Université Laval, spécialiste des quartiers historiques.
Au Québec, une dizaine de « quartiers » sont protégés dans leur ensemble. Ce sont les sites patrimoniaux déclarés.
Le Vieux-Québec, par exemple, est un site déclaré où se trouvent des résidences privées. Ce qui veut dire que les propriétaires doivent respecter les règles du plan de conservation qui vise à assurer que la valeur du quartier va être protégée – et qui assure une certaine uniformité. La règle tient aussi pour l’affichage, y compris pour les commerces qui s’y trouvent.
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Le Vieux-Québec est un site déclaré où se trouvent des résidences privées.
Par exemple, le restaurant Subway du Vieux-Québec, précise Catherine Vien-Labeaume, du ministère de la Culture et des Communications, a un affichage extérieur restreint, afin qu’il se fonde mieux dans le paysage.
Vivre au cœur de l’histoire
Le professeur Étienne Berthold est non seulement un spécialiste du patrimoine bâti, il est aussi résidant du Vieux-Québec. Il connaît le quartier et les enjeux liés aux résidences – dont celui concernant les assureurs, peu nombreux dans le Vieux-Québec.
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Étienne Berthold, professeur de développement durable du territoire à l’Université Laval
Très largement, ce qui est contrôlé, c’est les façades extérieures, les ouvertures, les fenêtres. On ne peut pas rénover comme on veut. Il faut ramener les fenêtres à doubles battants. Pour les toitures, c’est la tôle à baguettes…
Étienne Berthold, professeur de développement durable du territoire à l’Université Laval
« Il y a des exigences, des choses vraiment précises et une expertise à posséder », dit-il pour expliquer le fait que peu de compagnies d’assurance se partagent le parc immobilier de ce quartier historique. Même chose pour les entrepreneurs, qui ne se battent pas pour y faire des travaux. Un propriétaire ne peut pas diviser, subdiviser ou morceler un immeuble sans autorisation, par exemple.
Ce qui peut compliquer les choses dans le cas d’un site comme le Vieux-Québec, c’est que dans ce territoire délimité se trouve aussi une cinquantaine de résidences classées – donc qui jouissent de la plus importante protection et doivent respecter des normes supplémentaires.
Dans ce cas, les demandes vont au-delà du respect de la façade ; l’intérieur est aussi protégé.
Malgré tous ces niveaux de complexité, M. Berthold croit que le Québec est encore un endroit où le patrimoine bâti demeure relativement accessible, lui qui a étudié les quartiers historiques ailleurs dans le monde. Les propriétaires des édifices classés par Québec jouissent d’un précieux soutien de l’État lorsqu’ils doivent faire des restaurations architecturales, rappelle-t-il.
Même les propriétés du Vieux-Québec ne sont pas démesurément chères, selon Étienne Berthold, qui compare le marché à celui d’autres grandes villes. « Quand tu traverses les fortifications, c’est sûr que ça coûte moins cher » si on compare avec le reste de la ville de Québec. « Mais on n’a pas perdu le contrôle. »
Quant aux enjeux d’assurance, c’est partout pareil…
Liste des sites patrimoniaux déclarés
- Vieux-Québec
- Beauport
- Charlesbourg
- Bois-de-Saraguay
- Percé
- Trois-Rivières
- La Prairie
- L’île d’Orléans
- Sillery
- Vieux-Montréal
- Arvida
Trois conseils
Magasinez bien vos assurances
Le conseil vaut évidemment pour tous les propriétaires, mais particulièrement lorsque votre maison présente des spécifications particulières, comme les vieilles résidences. Celles qui sont classées vont demander plus de soins, lors de travaux et de la part des assureurs.
Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) fournit des informations très utiles sur son site.
Consultez le site du Bureau d’assurance du Canada (BAC)
Ayez en main toutes les informations
Lorsque vous consultez un assureur potentiel, ayez en main toutes les informations à propos du statut de la propriété et des demandes qui y sont liées en cas de rénovations et de sinistre.
Le ministère de la Culture et des Communications a produit de nombreux documents sur le sujet. Faites aussi des vérifications auprès du service d’urbanisme de votre municipalité.
Consultez le site du Répertoire du patrimoine culturel du Québec
Consultez des gens qui s’y connaissent
Le sujet des assurances est bien connu des amateurs de vieilles maisons. Le groupe Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ) travaille sur ce dossier depuis des années. Avant de vous lancer dans le processus, consultez des groupes comme celui-là. Il possède une mine de renseignements (y compris sur les assurances) et tient plusieurs activités autour des demeures anciennes.
Consultez le site des Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec