Résumé
L’Est du Québec
Les villages disparus de l’Est-du-Québec: des tragédies qui laissent des traces
Par Johanne Fournier, Collaboration spéciale
17 novembre 2024 à 04h30
L’ancien village de Saint-Octave-de-l’Avenir, au sud de Cap-Chat, a été fermé en 1971. (Johanne Fournier/Collaboration spéciale)
Forillon, Saint-Octave-de-l’Avenir, Saint-Louis-de-Gonzague, Labrieville, Gagnon et bien d’autres municipalités de l’Est-du-Québec ne sont maintenant plus que le souvenir d’une occupation. Certains portent encore certains vestiges, d’autres en sont complètement dépourvus. Si les raisons de leur disparition varient selon le lieu, ils ont tous un dénominateur commun: des récits d’abandons et de fermetures qui ont été tragiques pour plusieurs familles délocalisées.
C’est en résumé ce qu’est venu raconter Jean-René Thuot, professeur d’histoire au département des lettres et humanités de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), lors d’une conférence prononcée vendredi à Rimouski et qui était diffusée par visioconférence.
Raconter l’histoire de l’occupation d’un territoire, c’est parler de ce qui a traversé le temps. C’est aussi témoigner de ce qui a disparu et qui a parfois laissé peu de traces physiques, mais souvent plusieurs stigmates psychologiques.
Que ce soit au Bas-Saint-Laurent, en Gaspésie ou sur la Côte-Nord, chaque époque a produit son lot d’exploitation des ressources qui ont participé à l’émergence de nouveaux paysages bâtis, mais qui ont aussi contribué à les faire mourir. C’est ainsi que de nombreuses localités ont été rayées de la carte. À travers un éventail d’études de cas, le spécialiste du monde préindustriel québécois a cherché à mesurer les impacts et l’héritage qu’il reste aujourd’hui de ces villages fantômes. «Quelles sont les causes de ces fermetures?, s’interroge-t-il. Qu’est-ce que ça nous apprend sur l’identité? Chaque étude de cas nous apprend quelque chose.»
Guerres et conflits
Les guerres et les conflits ont modifié le paysage. «L’expérience collective qu’on a de la guerre nous fait oublier l’impact des guerres précédentes qu’on a vécues», croit l’expert, dont les travaux portent sur les paysages bâtis, les identités et le patrimoine.
En 1690, le village de Percé est complètement brûlé. Des bombardements de la flotte britannique sur les côtes gaspésiennes en 1759 ravagent les villages de Mont-Louis, de Grande-Rivière, de Pabos et de Penouille. À la même époque, les Anglais détruisent cinq postes de pêche sur la Côte-Nord. Sur l’île d’Anticosti, les villages de l’Anse-aux-Fraises et de Baie-Sainte-Claire, dont des établissements avaient été érigés en 1895, disparaissent vers 1926.
Expériences mono-industrielles
La naissance et l’extinction de plusieurs hameaux résultent d’expériences mono-industrielles. Le village de Saint-Élysée de Bersimis, situé près de la réserve innue de Pessamit, a existé de 1873 à 1920 en raison de sa scierie qui permettait à 400 personnes d’y vivre. Il ne reste aujourd’hui que le chemin du Banc-des-Blancs et un cimetière non entretenu. En 1881, 300 personnes travaillent au moulin de Sault-au-Cochon, qui devient plus tard Forestville. «La maison de Grant W. Forrest est la seule survivante du premier village de Sault-au-Cochon», indique le professeur.
Fondé en 1889, Saint-Eugène-de-Manicougan a périclité après la faillite du moulin en 1907, jusqu’à s’effacer complètement en 1915. «Il n’y a plus rien qui rappelle l’ancien village de Saint-Eugène», confirme M. Thuot. Chute-aux-Outardes, près de la centrale Outardes-1, est un village champignon qui est sorti de terre avec la construction de la centrale hydroélectrique. Le petit hameau s’est évaporé. «Il ne reste que la centrale qui rappelle les premiers développements hydroélectriques sur la Côte-Nord», précise-t-il.
Le village des Forges de Moisie se forme de façon très hâtive en 1867 pour l’extraction du fer. Si le développement du lieu est rapide, la faillite spectaculaire de l’entreprise minière va entraîner sa fermeture tout aussi précipitamment en 1875. À ce moment, 600 personnes occupent le territoire. «On ne voit plus aucun vestige, indique Jean-René Thuot. Il y en a, mais ils sont cachés.»
Créée en 1959 pour son gisement de fer, la Ville de Gagnon compte environ 4000 habitants à son apogée. La ville ferme abruptement en 1985. Elle est rasée sous le pic des démolisseurs. Tout est détruit et les vestiges sont enterrés. «C’est une disparition pour le moins tragique», observe l’enseignant universitaire.
Saint-Octave-de-l’Avenir est l’un des rares villages disparus qui a encore son église. (Johanne Fournier/Collaboration spéciale)
Projets d’État
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, des projets d’État entraînent une série de fermetures de villages. Dans plusieurs cas, celle-ci cause des traumatismes qui sont encore douloureux dans la mémoire de plusieurs familles et de leurs descendants.
Dans les années 1950, dans sa volonté de sédentariser les peuples autochtones, le gouvernement fédéral impose des déplacements forcés sur la Côte-Nord. En 1961, Ottawa procède au déplacement de la communauté de Pakua Chipi qui compte quelque 80 familles dans le but de la fusionner à Unamen Chipu, située à 250 km à l’ouest. «Un matin, on les embarque de force sur un navire et on les amène à Unamen Chipu, où il n’y avait pas d’installations pour les accueillir, raconte M. Thuot. Face à la désorganisation et au découragement, un certain nombre de familles vont partir à pied d’Unamen Chipu pour retourner à Pakua Chipi.»
En 1970, pensons aux habitants de Forillon qui ont été expropriés et dont les maisons ont été incendiées pour créer un parc national en 1970. Puis, la création du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) fait de l’Est-du-Québec une région pilote. De 1969 à 1974, plusieurs localités du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie sont fermées parce que considérées non rentables pour le gouvernement. «Mais, les Opérations Dignité vont freiner ce mouvement-là», souligne l’universitaire.
En 1974, Saint-Louis-de-Gonzague, en Gaspésie, en est un puissant symbole. «Ça va provoquer une division dans la communauté, relate-t-il. Certains résidents décident de rester là. On leur dit de déménager leur maison ou de la brûler sur place. Pour s’assurer de mettre fin à la saga, le gouvernement va couper l’électricité, le chemin d’accès cesse d’être entretenu. L’État engage rapidement des planteurs pour reboiser les terres, de manière à s’assurer de faire cesser toute activité de culture et d’occupation du territoire.» On y retrouve aujourd’hui des empreintes de chemins, des fondations de bâtiments et le cimetière est encore entretenu de manière impeccable.
En 1974, lorsque les habitants de Labrieville, sur la Côte-Nord, apprennent la fermeture de leur municipalité fondée 21 ans plus tôt et gérée par le gouvernement provincial, c’est le choc brutal. «Toute la ville est supportée par Hydro-Québec, précise-t-il. On va offrir aux familles de racheter leur maison pour 500$.» De nos jours, il ne reste que quelques débris.
Catastrophes naturelles
La suppression de villages n’est pas que l’œuvre des humains. Des incendies, des glissements de terrain, des tremblements de terre, des inondations et des érosions ont souvent été la cause de déplacements dans l’histoire. Pensons à une partie des villes de Rimouski et de Cabano qui a été complètement effacée par un incendie majeur. Les fréquentes inondations et un tremblement de terre ont été à l’origine du déplacement de Kamouraska sur un cran rocheux après 100 ans d’occupation.
En 1972, Québec ferme Saint-Vital-de-Moisie en raison de l’érosion. Il dédommage les habitants en fonction de la valeur de leur propriété. Très peu de maisons sont déménagées; la plupart sont détruites. L’église et le presbytère sont démantelés. Puis, on procède à l’exhumation des corps du cimetière. Aucun panneau ne témoigne d’une ancienne occupation de ce territoire.
Quelques réflexions
Jean-René Thuot en vient à quelques réflexions sur l’effacement de ces villages. «Les processus d’effacement ou de disparition ont été divers, allant de la violence au laisser-aller. On a démantelé, on a détruit, on a déménagé, on a enterré, on a converti ou on a simplement abandonné. Il y a des sites où sont survenues des disparitions définitives qui laissent voir des traces de fondations, de rues, de débris, d’artefacts divers. Il y a des remblais, des bâtiments entiers, des cimetières qui sont entretenus ou non.»
D’un endroit à l’autre, le professeur d’histoire constate qu’il existe d’importants décalages dans les dispositifs de mise en valeur. Plusieurs de ces lieux ne disposent d’aucune signalisation qui indique la présence de vestiges qui permettraient de souligner la mémoire d’un ancien milieu de vie. À l’inverse, des résidents intéressés par l’histoire de certains endroits se mobilisent. «Ils veulent garder vivante la mémoire du lieu, combattre l’effacement de l’histoire, mentionne-t-il. Combattre l’oubli, c’est en même temps combattre l’effacement d’une partie de son identité.»
Selon le professeur de l’UQAR, il importe d’être consciente de ces enjeux comme société afin que les décisions se prennent autrement. Il doit y avoir, selon lui, une conversation collective qui soit plus ouverte et respectueuse.