Au sujet du laisser-aller au cimetière Notre-Dame-des-Neiges
Le plus grand cimetière du Canada à la croisée des chemins
Zacharie Goudreault
20 juillet 2022
Suspension d’un leader syndical, réduction du personnel et situation financière précaire affectent durement l’entretien et le service à la clientèle du plus grand cimetière du Canada. Une situation qui entraîne une pluie de critiques de la part de proches des personnes inhumées, dont certains envisageraient même de mettre fin à la présence de leurs ancêtres sur ce site, a appris Le Devoir.
La tension a monté d’un cran mardi entre l’employeur et les employés de bureau du cimetière Notre-Dame-des-Neiges, au pied du mont Royal, qui ont tenu une journée de grève pour dénoncer la suspension pour cinq jours du président de leur syndicat, Éric Dufault. Ce dernier aurait été suspendu pour son « insubordination », mais le syndicat voit plutôt là une réplique dans le contexte d’un conflit de travail qui s’étire depuis cinq ans et gravite autour des salaires offerts aux employés.
« En gros, c’est un coup de marteau après une situation qui aurait tout simplement dû entraîner une rencontre du patron avec l’employé », relève M. Dufault en entrevue au Devoir. Autour de lui, des travailleurs syndiqués manifestaient bruyamment à l’entrée du cimetière, mardi.
Plusieurs petits drapeaux soulignant la courte grève de ce syndicat ont d’ailleurs été apposés aux différentes entrées de cet immense cimetière au grand dénivelé. Ses membres reprendront leurs activités ce mercredi, mais les problèmes de fond, eux, persistent. Le nombre d’employés de bureau a chuté de 23 à 18 depuis 2020, tandis que l’on compte aujourd’hui 93 employés contre 125 il y a deux ans pour assurer l’entretien de ce site de plus de 139 hectares.
Il en résulte des clients déçus de l’entretien des tombes de leurs proches inhumés et des plaintes qui ne peuvent être prises en compte rapidement, faute d’une main-d’oeuvre suffisante, relève M. Dufault. « On est surchargé, ça ne fournit pas », relève le leader syndical.
Dégradation
Lors du passage du Devoir mardi après-midi, des employés de longue date du site ont confié n’avoir jamais vu ce cimetière dans un aussi mauvais état. Des herbes hautes et des plantes dépassent plusieurs tombes, dont les noms gravés se retrouvent cachés, tandis que les terriers de marmottes se multiplient partout sur le site, plongeant de nombreux proches des défunts dans le désarroi.
« Je ne veux même plus aller au cimetière, parce que ça me désole tellement », confie Karine Payton, dont la mère a été enterrée dans ce cimetière il y a une dizaine d’années. La dernière fois qu’elle s’est rendue sur ce site, raconte-t-elle, elle ne reconnaissait même plus la tombe de sa mère, cachée par la verdure. Elle constate d’ailleurs que l’entretien de ce cimetière, qu’elle trouvait jadis « beau », n’a cessé de se détériorer au fil du temps, en particulier cette année.
« C’est dégradant », ajoute Mme Payton, dont la soeur a confié en entrevue avoir tenté en vain dans les derniers mois que ses plaintes soient entendues par l’administration du cimetière. Une autre dame, rencontrée dans les allées mardi après-midi, a fondu en larmes lorsque nous l’avons questionnée sur le mauvais entretien des lieux, qu’elle a qualifié de « manque de respect » pour les proches des personnes décédées.
« Honnêtement, c’est pathétique. J’ai été choqué, comme citoyen », lance pour sa part le conseiller indépendant dans Ville-Marie, Serge Sasseville, dont tous les proches décédés ont été inhumés dans ce cimetière, où la famille compte un lot depuis 1914. C’est lorsqu’il a voulu rendre hommage plus tôt ce mois-ci à son conjoint décédé en 2018 qu’il a constaté le mauvais entretien « du plus grand cimetière de Montréal » .
« Cette année, j’ai constaté que je n’ai jamais vu le cimetière dans cet état-là », relève l’élu, qui compte soulever cette problématique à la mi-septembre pendant la prochaine rencontre de la Table de concertation du mont Royal, dont il est membre.
Dans ce contexte, les employés de bureau du cimetière reçoivent un nombre croissant d’appels de personnes qui désirent déplacer le corps de leurs proches dans un autre cimetière pour vendre ensuite leur lot au cimetière Notre-Dame-des-Neiges dans un processus de « rétrocession », a appris Le Devoir. « Le volume d’appels est beaucoup plus présent » concernant de telles demandes, affirme M. Dufault. « C’est comptabilisé. » Une information que le cimetière n’a pas été en mesure de valider mardi.
« La situation financière ne s’améliorera jamais avec l’abandon de la clientèle et du cimetière », renchérit le leader syndical, qui fait état d’un « cercle vicieux » dans lequel est plongé ce cimetière, qui a ouvert ses portes en 1854.
« Plan vert » qui laisse perplexe
Tandis que les critiques s’accumulent sur les réseaux sociaux et la boîte vocale des employés du bureau du cimetière, ce dernier fait valoir qu’il ne fait qu’appliquer le « plan vert » qu’il a mis en place dans une optique de développement durable en 2021. Celui-ci prévoit notamment de remplacer graduellement les pelouses du site par « un pré de plantes indigènes ».
« Forcément, il y a moins de pelouses qui sont tondues qu’auparavant. On laisse pousser la végétation davantage », fait valoir le porte-parole du cimetière, Daniel Granger, qui estime « qu’il y a une éducation à faire auprès des personnes » concernant cette démarche écologique.
Des employés syndiqués répliquent toutefois que ce « plan vert » sert plutôt de prétexte pour réduire le nombre d’employés destinés à l’entretien dans un contexte où ce cimetière a enregistré des pertes totalisant près de 103 millions de dollars entre 2008 et 2019, soit environ 8,6 millions par année. « Le plan vert, c’est de la frime », lance ainsi Éric Dufault.
Joint par Le Devoir, le président de l’Association des cimetières chrétiens du Québec, François Chapdelaine, souligne que nombre de cimetières dans la province se trouvent à devoir faire face à « une sensibilité écologique plus forte » tout en répondant aux attentes de leurs clients. « Ce n’est pas toujours facile », souligne-t-il. Quant aux défis financiers, ceux-ci peuvent entraîner une réduction des heures d’ouverture, voire une diminution de l’entretien des lieux dans certains cimetières, relève-t-il, mais rares sont ceux qui sont menacés de fermeture. « On a un devoir de pérennité. »
Réponse de la direction à cet article
Le plan vert du cimetière Notre-Dame-des-Neiges est vrai et il fonctionne
Photo: Zacharie Goudreault - Le Devoir
«Nous avons entrepris depuis 2020 le plus important virage vert de l’histoire du cimetière Notre-Dame-des-Neiges afin de réduire notre empreinte écologique et de contribuer à la biodiversité sur le mont Royal, tout en assurant le respect, la valorisation et le développement des milieux naturels», écrit l’auteur.
Jean-Charles Boily
L’auteur est le chef de la direction de la fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal.
21 juillet 2022
IDÉES
Dans un article publié le 20 juillet dans Le Devoir, il est laissé supposer que le Plan vert du cimetière Notre-Dame-des-Neiges est de la « frime ». Après près de trois ans de travail et d’investissement, une mise au point s’impose, à notre avis.
Nous avons entrepris depuis 2020 le plus important virage vert de l’histoire du cimetière Notre-Dame-des-Neiges afin de réduire notre empreinte écologique et de contribuer à la biodiversité sur le mont Royal, tout en assurant le respect, la valorisation et le développement des milieux naturels. La réduction, la récupération, le recyclage et la réutilisation sont au coeur de notre réflexion écologique, nourrie par la volonté d’innover afin de mieux répondre aux besoins actuels et à venir de notre clientèle, des visiteurs et des partenaires de la communauté.
Éliminer le gaspillage de l’eau. Le Cimetière a d’abord mis un terme, en 2020, à l’exploitation de son réseau vétuste d’alimentation en eau, dont les bris fréquents et les fuites entraînaient un gaspillage énorme d’eau chaque année. Nous avons installé sur le site 22 réservoirs d’eau, qui recueillent notamment l’eau de pluie, afin de répondre aux besoins des visiteurs qui ajoutent aux terrains de leurs proches des plantes saisonnières, qui, idéalement, pourraient graduellement devenir des vivaces.
Initiatives vertes et appui de nos clients. Nous avons aussi proposé la conversion d’une grande surface gazonnée (93 000 m2) en un espace accueillant des plantes indigènes vivaces et la création de zones d’inhumation écologique permettant aux personnes qui choisissent la crémation de remplacer l’installation d’un monument par la plantation d’un arbre d’une essence indigène de qualité. Ces deux projets ont suscité l’intérêt et l’appui des experts en développement durable. Nous avons consulté plus de 4000 clients à leur sujet en mars 2021, ainsi que sur la possibilité de responsabiliser les visiteurs quant à la récupération de leurs déchets afin de réduire le volume de matières résiduelles abandonnées sur le site chaque semaine. Ces changements ont été appuyés par plus de 80 % de nos clients.
Le Boisé du souvenir, un franc succès. Nous avons annoncé la création du Boisé du souvenir afin de répondre aux clients souhaitant poser, à l’occasion de leur décès, un geste écologique en retournant leurs cendres entièrement et rapidement à la nature à travers un arbre magnifique qui grandira au cours des prochaines générations, dans un site exceptionnel et protégé sur les flancs du mont Royal, pour le meilleur souvenir de leurs proches et le plaisir des visiteurs et visiteuses. À la fin décembre 2021, la centaine d’arbres prévus dans la phase 1 avaient été réservés, et plus d’une trentaine sont déjà en croissance. La phase 2, commencée au printemps 2022, a déjà permis la réservation de plus d’une quarantaine de nouveaux arbres.
Nouveaux espaces de restauration écologiques. À l’été 2021, le Cimetière et l’Université de Montréal ont entrepris de créer des zones de restauration écologique pour rehausser la qualité des habitats et la biodiversité sur le mont Royal. Dans chaque zone, la pelouse a été retirée et remplacée par l’ensemencement d’un mélange d’espèces indigènes choisies à partir de renseignements fournis par les services spécialisés de la Ville de Montréal. Les résultats de ce projet permettront de bien documenter les prochaines transformations des terrains du cimetière. L’Union des artistes et la Fondation des artistes ont d’ailleurs accepté de participer à la transformation de leurs terrains respectifs en espaces qui seront bientôt couverts de plantes et fleurs indigènes vivaces.
Notre plan vert n’est pas terminé, et nous avons encore beaucoup de travail à faire. Mais les mesures que nous avons mises en oeuvre ont notamment permis de réduire, de 2020 à 2021, notre consommation d’essence de 14 000 litres, de 22 600 litres de diesel, de 245 tonnes de sel, de 134 tonnes de gravier. Nous avons aussi planté 305 nouveaux arbres hors du Boisé du souvenir. De nombreuses familles qui conservaient les cendres d’un proche ou des parents endeuillés d’un enfant ont choisi de prolonger par un arbre le souvenir de l’être aimé.
Le Cimetière est un OBNL qui a enregistré de lourdes pertes durant plusieurs années, notamment parce que les coûts associés à la main-d’oeuvre représentent environ 80 % de ses charges d’exploitation. Nos plus de 90 employés des opérations reçoivent, en temps régulier, un salaire de plus de 30 $ l’heure, plus 50 % en avantages sociaux, pour un horaire de travail hebdomadaire de 37,5 heures, réparties sur quatre jours par semaine. Ils et elles assurent les travaux d’entretien des terrains, des arbres, des chemins et des bâtiments. L’entretien du cimetière demeure une priorité, et une bonne partie de nos employés des opérations sont affectés à ces tâches. Nous traitons avec diligence toutes les demandes adressées à notre service à la clientèle. Nous souhaitons conclure une entente qui nous permettra d’assurer l’équilibre budgétaire et la pérennité de notre institution.
Nous servons chaque année environ 4000 familles endeuillées qui choisissent notre cimetière comme lieu de dernier repos. Nous souhaitons que ce lieu de repos et de recueillement s’embellisse, devienne moins bruyant, moins polluant, et contribue à la biodiversité du mont Royal pour l’avenir de notre planète.