Chronique de Paul Journet dans La Presse au sujet de l’augmentation des frais de scolarité dans les universités anglophones
La pente n’a pas changé
PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE
L’Université McGill
Paul Journet
LA PRESSE
À en juger par l’indignation dans le reste du pays, l’enseignement supérieur en anglais serait menacé au Québec. Les établissements de la minorité anglophone agoniseraient sous les assauts du gouvernement caquiste.
Publié à 1h22 Mis à jour à 5h00
Pourtant, les chiffres disent autre chose.
Les universités ont raison de critiquer des aspects controversés et parfois contradictoires de la nouvelle politique caquiste – j’y reviendrai samedi. Mais avant d’analyser ce problème, replaçons les choses dans leur contexte.
Au primaire et au secondaire, le réseau anglophone est fragile. Les inscriptions y ont diminué de 18 % dans les 15 dernières années. Et la loi 40, contestée devant les tribunaux, éliminerait ses commissions scolaires.
Au cégep et à l’université, toutefois, ses établissements sont en excellente santé.
Commençons par le cégep. La communauté anglophone compte pour 8 % de la population. Les cégeps dans sa langue accueillent plus de 17 % des élèves.
Ce pourcentage est en hausse constante. Depuis les années 1990, la majorité de la croissance des effectifs s’est faite dans le réseau anglophone. Il serait encore plus fréquenté si deux des plus grands cégeps au Québec, Dawson et John Abbott, ne devaient pas refuser autant de candidats à cause de leur manque de places.
La demande y est forte. La majorité des jeunes qui les fréquentent sont désormais francophones ou allophones. Ils auront ensuite davantage tendance à étudier à l’université en anglais. Et ensuite, à travailler dans cette langue.
Les universités McGill et Concordia profitent de cette pente qui mène à elles. Cela accentue leur avantage, surtout pour McGill.
Historiquement, elle a toujours été en position de force. Elle récolte le fruit de son travail académique et philanthropique. Mais elle bénéficie également d’un cercle vertueux, où ses riches diplômés deviennent donateurs, ce qui hausse son budget et sa capacité d’attirer les meilleurs professeurs et les bourses de recherche, et ainsi de suite.
Sur le plan des investissements, les établissements supérieurs anglophones ne sont pas à plaindre. Québec finance actuellement 17 projets immobiliers qui totalisent 2,17 milliards. La majorité de l’argent (1,23 milliard) ira à McGill et à Concordia, en bonne partie grâce au projet sur l’ancien site de l’hôpital Royal Victoria. Avec le quart des étudiants, elles récoltent ainsi 56 % des investissements.
À ces atouts, il faut ajouter celui du recrutement à l’international. Le nombre d’inscrits étrangers a presque triplé depuis 20 ans. Les universités anglophones en profitent davantage, parce qu’elles ont déployé plus d’efforts dans le passé, et aussi car elles misent sur un plus grand bassin de candidats fortunés. En 2018, elles récoltaient ainsi pas moins de 47 % des droits de scolarité venant de l’étranger.
Puis, à la fin de 2018, il y a eu un virage majeur. À la suite d’un lobbying de McGill et d’autres, le gouvernement Couillard a déréglementé les étudiants étrangers. Les universités leur facturent le prix qu’elles souhaitent et elles gardent tout l’argent. Elles ne doivent plus le partager avec les autres établissements. Cette décision a été prise en coulisses, sans débat.
Dans les trois dernières années, McGill, Concordia et Bishop ont empoché 70 % de ces revenus. Les établissements francophones rattrapent lentement leur retard grâce à leurs récents efforts accrus en recrutement à l’étranger. Reste que leur bassin d’étudiants – notamment en Afrique francophone – est de façon générale moins fortuné et peuplé que celui de l’Asie du Sud-Est, où les diplômes en anglais sont convoités.
Nos établissements anglophones ne vendent pas seulement un diplôme. Ils offrent aussi une voie facilitée vers la résidence permanente canadienne. Après avoir obtenu un diplôme en anglais, leurs clients reçoivent un permis de travail ouvert d’une durée de trois ans. Au terme de ces sept années, où ils n’ont pas besoin de maîtriser le français, ils peuvent ensuite se rendre vers les autres provinces pour compléter leur dossier et y devenir ultimement citoyens canadiens.
Cela exerce une pression sur le français. On dénombre actuellement quelque 80 000 étudiants étrangers et 20 000 Canadiens des autres provinces inscrits en enseignement supérieur. À l’université, ces étrangers et Canadiens fréquentent respectivement à plus de 40 % et de 80 % les établissements anglos.
Ils enrichissent notre vie universitaire. Ce sont aussi d’excellents candidats pour devenir des immigrants permanents – les autres pays se battent d’ailleurs pour les attirer. Toutefois, leur francisation est laborieuse.
Par exemple, Statistique Canada rapporte que 47 % des allophones qui ont terminé leurs études supérieures en anglais travaillent principalement en anglais au Québec, contre seulement 7 % de ceux ayant étudié en français. Pas moins de 23 % des francophones ayant étudié en anglais adopteront aussi cette langue au boulot.
C’est parce que le marché du travail les y encourage. Et pour les allophones, c’est aussi parce que leur établissement ne les a pas incités à apprendre adéquatement le français. Ceux qui le parlent le maîtrisent parfois moins bien que l’anglais – leur bilinguisme asymétrique les incite à préférer l’anglais.
Voilà le portrait d’ensemble. Il y a donc deux enjeux : la fragilisation du français et le déséquilibre entre les établissements qui a été aggravé par la déréglementation libérale.
Pour les régler, il serait bête de viser un égalitarisme revanchard qui nivellerait par le bas.
Quand McGill se démarque à l’international, toute l’économie du Québec en profite. Le ministre des Finances, Eric Girard, l’a lui-même reconnu quand il s’est récemment désolé que l’Université de Toronto la devance désormais. Car la concurrence n’est pas seulement entre les établissements québécois. Elle est aussi entre le Québec et le reste du monde.
Reste qu’on pourrait faire mieux pour protéger le français et pour aider les établissements francophones afin de rétablir un minimum d’équité, sans nuire à la petite Université Bishop’s, en Estrie.
C’est ce rééquilibrage que visait le gouvernement caquiste. Hélas, il me semble avoir raté la cible, surtout avec sa mesure visant les étudiants des autres provinces canadiennes. J’y reviendrai samedi.
Le Devoir a fait un comparatif des frais de scolarité
La hausse des droits de scolarité des étudiants canadiens et étrangers, qu’est-ce que ça change?
Marie-France Coallier, archives Le Devoir
Le gouvernement Legault augmentera drastiquement l’automne prochain les droits de scolarité des étudiants canadiens et imposera un tarif plancher de 20 000 $ par année aux étudiants étrangers.
Anne-Marie Provost
20 octobre 2023
Éducation
Le gouvernement Legault augmentera drastiquement l’automne prochain les droits de scolarité des étudiants canadiens et imposera un tarif plancher de 20 000 $ par année aux étudiants étrangers. La mesure suscite une forte opposition du côté des universités anglophones, qui craignent qu’elle ne décourage cette clientèle de venir s’instruire au Québec. Qui exactement est concerné par cette réforme ? Et qu’implique-t-elle ? Explications.
Qui est touché par cette mesure ?
Tous les étudiants du reste du Canada ou de l’étranger qui étudient au premier cycle dans une université québécoise (au certificat ou au baccalauréat, par exemple) sont touchés. Ceux qui étudient au deuxième cycle professionnel et qui n’écrivent donc pas de mémoire — en administration des affaires (MBA) ou en orthophonie, notamment — le sont aussi.
Il y a toutefois quelques exceptions. Ainsi, les étudiants de France et de Belgique, qui paient moins cher que les autres étudiants étrangers en vertu d’ententes internationales, ne sont pas concernés par cette réforme. C’est aussi le cas des étudiants à la maîtrise et au doctorat (deuxième et troisième cycles universitaires). Les étudiants canadiens ou étrangers déjà inscrits dans un programme d’étude ne verront pas non plus de différence dans leurs droits de scolarité.
La ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, a précisé que les étudiants canadiens de l’extérieur du Québec qui souhaitent étudier en français seront exemptés de cette hausse, mais le détail de la mesure n’est pas encore connu.
Combien d’étudiants sont concernés ?
Selon des données du ministère de l’Enseignement supérieur du Québec, 14 340 étudiants venant d’ailleurs au Canada étaient inscrits dans une université québécoise en 2021, principalement dans des établissements d’enseignement anglophones. Quelque 47 860 étudiants étrangers s’instruisaient quant à eux dans les universités francophones ou anglophones du Québec.
En 2021, environ 80 % des étudiants du réseau universitaire provenaient du Québec, contre 4,7 % pour le reste du Canada et 16 % de l’étranger.
Combien paient les étudiants de l’extérieur du Québec en ce moment ? Qu’est-ce qui changera pour eux ?
Sur son site Web, l’Université de Montréal estime que la facture est de 5071,73 $ par trimestre pour un étudiant canadien inscrit au premier cycle à temps plein ; elle serait donc d’un peu plus de 10 000 $ pour une année d’étude. Du côté de l’Université Concordia, il en coûte 8992 $ par année à un étudiant canadien provenant de l’extérieur du Québec, peu importe la discipline.
Pour les étudiants internationaux, dont les frais avaient été déréglementés, cela varie d’une université à l’autre — et d’un programme à l’autre. À Concordia, il en coûte en moyenne autour de 25 000 $ par an à un étudiant étranger.
Québec fixera dorénavant des tarifs planchers aux étudiants canadiens et aux étudiants internationaux, et les universités conserveront le droit de facturer des montants discrétionnaires. Les étudiants canadiens paieront ainsi l’équivalent de ce que leur formation coûte au gouvernement, c’est-à-dire 17 000 $ par année — ce qui représente un bond appréciable de leurs droits de scolarité. Les étudiants internationaux seront quant à eux facturés un prix plancher de 20 000 $.
Le gouvernement du Québec empochera une partie de l’argent récupéré par cette réforme afin de le réinvestir dans le réseau universitaire francophone.
Combien paie un Québécois qui étudie ailleurs au Canada ?
La réponse varie d’une université et d’un programme à l’autre, a constaté Le Devoir.
À l’Université de Toronto, par exemple, les droits de scolarité facturés aux Ontariens et aux autres Canadiens diffèrent. Quelqu’un qui entame un baccalauréat au sein de la Faculté des arts et des sciences paiera 6590 $ par an s’il est originaire d’une autre province, tandis qu’un étudiant ontarien paiera 6100 $.
À l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), par contre, tout étudiant canadien, qu’il soit originaire de la province ou non, déboursera les mêmes droits de scolarité, qui varient de 5800 $ à 9400 $ par année selon le programme de premier cycle concerné.