Résumé
Le milieu culturel s’écroule et le gouvernement s’en fout
Par Mickaël Bergeron, La Tribune
4 février 2025 à 04h00|
Mis à jour le4 février 2025 à 08h11
En 2024, plus de 10 000 personnes ont visité l’un des trois musées du centre-ville de Sherbrooke grâce aux dimanches gratuits. (Jessica Garneau/Archives La Tribune)
CHRONIQUE / Ça ne va pas bien dans le milieu culturel. Les mauvaises nouvelles s’empilent depuis quelques semaines. Des productions annulées, des organismes qui ferment, des mises à pied. De Montréal à Rimouski, de Sherbrooke à Québec, la situation est de plus en plus étouffante.
Je ne pourrais relever ici tous les organismes ou événements culturels qui ont dû faire un sacrifice depuis le début de l’année. L’équipe du député solidaire Sol Zanetti a une liste de près de 25 organismes qui ont dû, récemment, prendre des décisions difficiles reliées au sous-financement.
Du Musée de la civilisation qui coupe des postes à l’Orchestre Métropolitain qui annule deux concerts par manque de budget, sans oublier Robert Lepage qui a dû suspendre une création, le réputé festival FIMAV de Victoriaville qui doit couper dans sa programmation, la faillite du Carrousel international du film de Rimouski ou la fermeture de la compagnie Populus Mordicus qui m’a ébloui et ému plus d’une fois, ça tombe partout.
Au même moment, le gouvernement du Québec annonçait qu’il souhaitait revoir le programme qui permettait la visite gratuite des musées les premiers dimanches de chaque mois. Comme si ce n’était pas suffisant, ça s’ajoute aussi aux gels des groupes scolaires qui ne peuvent plus visiter les musées. Même les coupes en francisation ont un impact, puisque plusieurs groupes incluaient les musées dans leur programme d’intégration québécoise.
Tout ça se passe en même temps que le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Jean-François Roberge, annonce une loi-cadre censée faciliter l’intégration des personnes immigrantes et de les aider à découvrir la culture québécoise. Ce projet de loi n’ira pas bien loin si le gouvernement ne soutient pas le milieu culturel et coupe dans la francisation.
Un étau serré
Il y avait un fond de découragement derrière chacune de mes discussions depuis une semaine. Malgré les besoins, personne ne semble croire que le gouvernement du Québec va augmenter le financement en culture. Et du côté d’Ottawa, l’arrivée probable du Parti conservateur inquiète, puisque ce parti n’a pas l’habitude de financer la culture. Si ça se trouve, il y a aura peut-être même encore moins d’argent du fédéral.
La directrice générale du Musée des beaux-arts de Sherbrooke, Maude Charland-Lallier, juge que le sous-financement envoie un message dévalorisant pour les artistes et toutes les personnes qui travaillent dans des lieux culturels. (Maxime Picard/Archives La Tribune)
«On se fait charcuter de partout», déplore le directeur général du Musée d’histoire de Sherbrooke, David Lacoste. «Il y a un sous-financement depuis des années, donc de couper en plus, c’est absurde», soulève de son côté la directrice du Musée des beaux-arts de Sherbrooke, Maude Charland-Lallier.
La codirectrice générale et directrice artistique de La Bordée, Rosie Belley, mentionnait aux Coops de l’info que si l’inflation des couts de production et la stagnation du financement offert par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) se poursuivent, elle aura perdu environ 40 % de son pouvoir d’achat d’ici 2028. Pour arriver, le théâtre de Québec a donc amputé sa prochaine saison d’une production.
Du côté du Théâtre du Double signe de Sherbrooke, on mise sur la coproduction pour survivre. «Ce n’est pas une mode, la coproduction, c’est une nécessité, explique le directeur artistique et général, Hubert Lemire. C’est riche, c’est une super expérience et de belles rencontres artistiques, je suis très heureux de faire ces projets, mais c’est le symptôme de notre réalité.»
Un peu comme deux personnes qui vivent en colocation par nécessité, parce qu’individuellement, elles seraient incapables d’assumer les frais du loyer.
La scène musicale ne s’en sort pas mieux. L’été dernier, le festival Colline de Lac-Mégantic a failli être annulé après la perte d’une subvention. Le soutien du public qui est venu en grand nombre et une campagne de sociofinancement ont permis d’éviter le pire, mais le festival ne peut pas se projeter plus loin qu’une année à la fois.
Le festival Colline utilise les lieux naturels de Lac-Mégantic pour offrir des ambiances uniques. (Christophe Roberge)
Au moment de notre discussion, le directeur général de Colline, Hubert Lavallée, venait de remplir des formulaires pour du financement. Il aura une réponse au printemps. Sauf qu’il ne peut pas attendre avril pour organiser la prochaine édition. Un festival, ça se prépare un an d’avance. Les artistes sont signés et l’équipe prépare l’affiche et la promotion, mais sans savoir s’il y aura du financement.
Le Front commun pour les arts tente de convaincre le gouvernement d’investir 2 % du budget québécois dans la culture. Revendication de longue haleine qui ne s’est jamais réalisée. En ce moment, les investissements en art frôlent plutôt le 1 %. Si au moins le gouvernement indexait les budgets du CALQ.
Les études se suivent et contiennent sensiblement les mêmes constats: investir en culture, ça rapporte. Le festival Colline, ce sont des retombées d’environ un million de dollars pour Lac-Mégantic, une ville de moins de 6000 personnes.
Selon une étude commandée par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, la culture génère 6 % du PIB montréalais, imaginez si on doublait son financement! Le taux multiplicateur d’emplois du milieu culturel se compare aux milieux les plus dynamiques, comme la pharmaceutique. Chaque dollar investi en culture en rapporte presque autant à la société.
Manque de respect
Ça fait des années qu’on le sait que la culture, ce n’est pas une dépense, c’est un investissement payant. Mais même ces données ne semblent pas toucher la fibre économique habituellement sensible des ministres. Et ça, c’est dévalorisant.
«On l’a vu pendant la pandémie, l’importance de la culture, rappelle Maude Charland-Lallier, mais il n’y a pas de reconnaissance.»
Et malgré tout, «il n’y a pas un artiste qui accepte de botcher sur scène parce qu’il est mal payé», souligne Hubert Lemire, parce que les artistes ont du cœur, évidemment, mais aussi parce que le public ne sait pas si c’est bien payé ou non, le public va juger la performance nonobstant les moyens de production.
Hubert Lemire, directeur artistique et général du Théâtre du Double signe espère un engagement politique de la part du gouvernement, non seulement pour le financement, mais aussi la reconnaissance envers le milieu culturel. (Jessica Garneau/Archives La Tribune)
Au-delà des arguments économiques et de la reconnaissance envers les artistes qui ont un si grand impact dans nos vies, c’est l’identité québécoise qui est en jeu.
Si nous avions un gouvernement qui ne croyait pas que le Québec est une nation distincte, on aurait une partie de l’explication, sauf que c’est tout l’inverse. Le gouvernement actuel multiplie les discours et les campagnes pour dire à quel point c’est important de défendre la culture québécoise, que c’est au cœur de notre identité.
Alors, pourquoi laisser tomber celles et ceux qui la font vivre? Qui la stimulent? Qui la font briller?
Le Québec n’a pas besoin d’une nouvelle loi sur l’intégration des personnes immigrantes, le Québec a besoin de permettre à la culture de rayonner dans toutes les régions, d’aider les artistes à parcourir les routes et à se faire connaitre, à rendre accessible les musées, les salles de spectacles et le patrimoine pour que les nouvelles générations et les personnes immigrantes les découvrent et ses les approprient.
La fierté québécoise a toujours été tricotée serrée avec sa culture, avec ses artistes. En ce moment, il n’y a pas de quoi être fier.