Résumé
Vie numérique L’arme de combat contre les milliardaires
PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE
Pour déjouer ce qu’ils considèrent comme une prise de contrôle par Elon Musk, Jeff Bezos et Mark Zuckerberg des plateformes numériques et de l’internet, des chercheurs et entrepreneurs du Canada et d’Europe vous proposent de vous joindre à une nouvelle plateforme entièrement participative.
Aux claviers, citoyens ! Pour déjouer ce qu’ils considèrent comme une prise de contrôle par Elon Musk, Jeff Bezos et Mark Zuckerberg des plateformes numériques et de l’internet, des chercheurs et entrepreneurs du Canada et d’Europe vous proposent de vous joindre à une nouvelle plateforme entièrement participative.
Publié à 7 h 00


Alain McKenna La Presse
Le projet a un nom : FreeOurFeeds. Libérez nos fils sociaux. Des milliardaires. Ou en tout cas, des dirigeants qui ont manifestement les mains dans la pâte, et qui semblent s’activer ces jours-ci pour promouvoir leur propre vision du monde et privilégier le rendement financier au détriment de l’expérience d’utilisation.
Ce projet est lancé quelques jours à peine après que le grand patron de Meta, Mark Zuckerberg, a rejoint Elon Musk dans le groupe très sélect des milliardaires de la techno qui semblent privilégier les profits et la désinformation à la modération des contenus. M. Zuckerberg a annoncé au début janvier que ses plateformes, Facebook, Instagram et Threads, laisseraient leurs utilisateurs déterminer eux-mêmes la véracité des faits présentés dans leurs fils d’actualité.
Meta déménagera par ailleurs de la Californie au Texas ses modérateurs restants. Zuckerberg s’inquiète que ses employés californiens ne partagent pas son opinion sur les enjeux sociaux du moment.
En ce sens, Zuckerberg et Meta rejoignent Elon Musk et X, dont l’approche a fait des millions de mécontents, ce qui a souri au réseau Bluesky. Bluesky a vu son nombre d’utilisateurs passer de 10 à 27 millions au cours des trois derniers mois, soit depuis que X a relâché ses propres règles sur la modération des contenus.
Place publique numérique
« Les réseaux sociaux promettaient à une époque de devenir la place publique numérique », expliquent les créateurs du projet, qui comprennent des dirigeants de la Fondation Mozilla, des chercheurs de l’organisme sans but lucratif New_ Public et quelques autres personnalités, dont l’entrepreneur technologique montréalais Philippe Beaudoin1. « Sous le contrôle de milliardaires et de spéculateurs, ces réseaux ont dégénéré en outils qui maximisent les profits et poussent un programme corporatif que ne renierait pas Donal Trump. »
« Nous pensons qu’il existe un autre avenir où ce contrôle peut être remis aux citoyens. »
Bluesky est le premier réseau social ouvert qui a réussi à percer la barrière des effets de réseau, constate Philippe Beaudoin, ex-cofondateur d’Element AI, dans un échange de courriels avec La Presse. « Les gens y viennent, trouvent leur communauté et y restent. C’est en grande partie parce qu’ils ont misé sur la facilité d’utilisation. C’est aussi facile d’utiliser Bluesky que n’importe quel autre réseau social. »
Le défi, c’est de s’assurer qu’un écosystème riche et diversifié se construise sur l’infrastructure ouverte qu’ils ont bâtie, continue Philippe Beaudoin. « C’est comme ça qu’on peut empêcher que cette infrastructure soit capturée par un milliardaire. »
Le projet FreeOurFeeds a un échéancier : trois ans. Il a une lourde tâche devant lui : convaincre le public de financer à hauteur de 4 millions de dollars américains la mise en place d’une fondation qui s’approprierait et assurerait le fonctionnement et l’indépendance d’une technologie décentralisée à l’abri d’une éventuelle prise de contrôle par un seul dirigeant. À terme, FreeOurFeeds souhaite récolter 30 millions US pour assurer la réalisation de son projet.
AT Protocol et fédivers
L’essentiel de cet argent servirait à assurer la continuité de la technologie qui anime le réseau social Bluesky, appelée AT Protocol. AT Protocol a été créé par quelques employés de Twitter en 2019 puis essaimé en 2021, bien avant le rachat de l’entreprise par Elon Musk, pour devenir une plateforme entièrement indépendante.
Cette technologie est présentée comme un moyen fiable et décentralisé d’assurer l’authentification des usagers, la découvrabilité des contenus, l’interopérabilité des réseaux et la sécurité des renseignements personnels.
C’est ambitieux. On peut déjà avoir un aperçu de son fonctionnement sur Bluesky, où les utilisateurs peuvent créer un compte à partir des serveurs du réseau (comme bsky.social), ou à partir de leur propre nom de domaine (comme lapresse.ca). Le fait d’utiliser un nom de domaine pour s’identifier complique la vie des utilisateurs anonymes et des créateurs en masse de faux comptes.
Ce n’est pas gagné d’avance non plus. Bluesky doit rivaliser avec d’autres réseaux sociaux et leur propre protocole d’interopérabilité, appelé ActivityPub. Mastodon et Threads, entre autres, utilisent ce modèle. On peut partager des contenus entre ces deux réseaux grâce à ActivityPub, qui n’est pas tout à fait compatible avec AT Protocol.
On peut quand même partager des contenus entre Bluesky et Mastodon, mais pour mener à l’établissement d’une véritable constellation de réseaux sociaux indépendants et compatibles entre eux, ce que certains appellent déjà le « fédivers », il reste quelques différences à aplanir entre ces protocoles. D’ailleurs, lundi, le PDG de Mastodon, Eugen Rochko, a lui aussi annoncé que son réseau social deviendrait un organisme à but non lucratif afin d’éviter de devenir « la propriété d’une seule personne ».
Il ne reste plus qu’aux citoyens du numérique à adhérer au mouvement.
1. Lisez l’article « De meilleurs réseaux sociaux s’en viennent »