Hydro-Québec souffle le chaud et le froid sur un mégaprojet domiciliaire
Hydro peut-elle fournir l’électricité nécessaire? Les élus de Saint-Bruno-de-Montarville sont inquiets après des communications avec la société d’État.

Le mégaprojet résidentiel sera situé à côté des Promenades Saint-Bruno.
Photo : Radio-Canada / Source : Cogir
Publié à 4 h 00 HNE
Dans quelques années, le paysage va radicalement changer aux abords des Promenades Saint-Bruno, sur la Rive-Sud, dans la région de Montréal. Un énorme écoquartier, l’un des plus importants au Québec avec 3800 unités d’habitation, va sortir de terre. Si le projet suscite l’excitation, c’est surtout la confusion qui règne actuellement parce que des doutes subsistent sur l’approvisionnement en énergie par Hydro-Québec.
Lors du passage de Radio-Canada, on pouvait y voir les traces de camions sur le terrain boueux qui jouxte le centre commercial. Déjà, des analyses ont été menées lors des dernières semaines. Au loin, on imagine le quartier, de forme triangulaire, où seront implantés les deux projets domiciliaires menés par Cogir et par le Groupe Beauregard.
C’est un beau quartier, un beau projet. On a protégé les milieux humides, il y a des logements abordables, des logements sociaux, lance Vincent Fortier, conseiller à Saint-Bruno-de-Montarville.
Pourtant, le jeune élu est inquiet. Dans la forme actuelle du projet, le complexe sera approvisionné en partie par du gaz naturel. M. Fortier souhaiterait que le quartier soit alimenté à 100 % en énergie renouvelable, notamment de l’électricité.

Le conseiller municipal de Saint-Bruno, Vincent Fortier, est contre l’approvisionnement en gaz naturel dans le futur écoquartier.
Photo : Radio-Canada
On parle d’un écoquartier, on ne peut pas le brancher avec du gaz fossile pour une centaine d’années. Ça n’a juste pas de bon sens, lance-t-il, découragé.
Qu’est-ce qu’un écoquartier?
Un écoquartier est une zone urbaine aménagée et gérée selon des objectifs et des pratiques de développement durable qui appellent l’engagement de l’ensemble de ses habitants.
(Source : Office québécois de la langue française)
La question de l’approvisionnement en énergie est d’ailleurs devenue un sujet très épineux à Saint-Bruno. Lors de conseils municipaux, des citoyens ont dénoncé la présence attendue du gaz naturel dans le projet.

Quelques photos du projet fournies par le promoteur.
Photo : Radio-Canada / Source : promoteur Cogir
Hydro-Québec avertit la municipalité
Hydro-Québec joue un rôle de premier plan dans le dossier. Après l’adoption d’une résolution de la Ville visant à bannir le gaz naturel des nouvelles constructions, la société d’État a envoyé une lettre à la municipalité.
Dans cette missive, Hydro-Québec avertit la Ville que le bannissement du gaz naturel serait une mauvaise idée, car les surplus énergétiques ont rétréci comme une peau de chagrin ces dernières années.
Vous aurez compris que puisqu’en période de pointe le réseau électrique est déjà saturé, une municipalité qui obligerait désormais l’alimentation tout électrique des projets de développement sur son territoire occasionnerait une pression importante sur le réseau disponible, ce qui pourrait compromettre la fiabilité ainsi que la disponibilité même de l’électricité requise en période de pointe, écrit Marie-Ève Sylvestre, cheffe, relations avec le milieu, dans une lettre obtenue par Radio-Canada.
La société d’État indique aussi qu’il est donc impossible de donner l’assurance sans réserve qu’elle sera en mesure de fournir cette énergie renouvelable de façon fiable, constante et suffisante pour tous les nouveaux projets de développement prévus à l’horizon de 30 ans.
Douche froide
Cette lettre a eu l’effet d’un coup d’assommoir sur la municipalité. Le maire de Saint-Bruno-de-Montarville, Ludovic Grisé Farand, ne sait toujours pas si Hydro serait en mesure d’assurer l’approvisionnement à 100 % électrique du projet si le gaz naturel était abandonné.
Pour nous, ce n’est pas rassurant. On est une ville, on essaie de prendre des décisions éclairées pour nos citoyens […] On est dans une impasse. Ce n’est pas rassurant pour nous.
Une citation de Ludovic Grisé Farand, maire de Saint-Bruno-de-Montarville
En entrevue, il avoue ne plus savoir sur quel pied danser. D’un côté, il souhaite que l’écoquartier aille de l’avant dans les délais et que le projet de résolution visant l’abandon du gaz soit adopté, mais il veut des assurances de la part d’Hydro-Québec.

Le maire de Saint-Bruno, Ludovic Grisé Farand
Photo : Radio-Canada / Source : Ville de Saint-Bruno-de-Montarville
Si Hydro nous dit qu’il peut nous fournir à 100 % en électricité sans délai, c’est certain que ça change la donne pour le projet. Le règlement passerait. Toutes les nouvelles constructions devraient être à l’énergie renouvelable à 100 %, explique-t-il.
Le projet va nécessiter 23 mégawatts (MW) d’énergie. En comparaison, le Centre Bell a besoin de 5 MW. Si son approvisionnement devait être revu avec davantage d’électricité, le complexe devrait obtenir une autorisation du ministre de l’Énergie et de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, en vertu de la loi 2 sur la répartition d’électricité, a confirmé le ministère à Radio-Canada.
Toutefois, l’analyse du dossier serait basée sur un processus distinct et particulier de celui des projets industriels. Ce n’est pas simple, avoue le maire Grisé Farand.
Lors du dépôt d’un mémoire, le promoteur Cogir s’était lui aussi interrogé sur l’approvisionnement par Hydro-Québec. Selon la réglementation de Saint-Bruno, 50 % des cases de stationnement d’un nouveau projet devraient être prêtes à recevoir éventuellement une borne de recharge.
L’entreprise affirme qu’il est impossible de respecter la réglementation en raison de l’incapacité d’Hydro-Québec de fournir l’énergie nécessaire pour alimenter les bornes.
Hydro a la capacité, mais…
Questionnée par Radio-Canada, Hydro-Québec affirme que le mégaprojet pourrait être alimenté à 100 % à l’électricité.
Je vais être très clair, le poste de Saint-Bruno a la capacité. C’est un poste qui a fait l’objet de travaux récemment, il y a la capacité électrique pour desservir de nouveaux projets d’envergure, assure le porte-parole d’Hydro-Québec, Maxence Huard-Lefebvre.
Mais du même souffle, la société d’État met en garde les municipalités qui voudraient restreindre le gaz naturel.
On dit attention […] Si on va à 100 % électrique dans tous les projets, partout au Québec, ça aura un impact énorme sur la capacité du réseau à répondre à la demande, surtout pendant la pointe hivernale, quand il fait plus froid que -12 [°C], assure-t-il.

Maxence Huard-Lefebvre, porte-parole d’Hydro-Québec
Photo : Radio-Canada
Depuis plusieurs mois, Hydro-Québec fait la promotion de la biénergie, un mixte d’électricité et de gaz naturel, qui permettrait de diminuer la pression sur le réseau. La société d’État soutient aussi que l’utilisation du gaz naturel renouvelable (GNR) est un bon moyen de décarboner le Québec.
Actuellement, il y a 2 % de GNR dans le réseau de gaz naturel québécois. Le reste provient du gaz d’origine fossile.
Ce message de la société d’État alimente l’incertitude chez les élus et entrave leur travail, croit Vincent Fortier.
Ça crée une immense confusion qui fait en sorte de ralentir la volonté des conseils municipaux des villes qui veulent décarboner, particulièrement les nouvelles constructions, indique l’élu.
Même son de cloche pour Jean-Pierre Finet, analyste au Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEE).
Hydro tente depuis plusieurs mois de décourager les municipalités de bannir le gaz dans la nouvelle construction. Comme si le gaz était un mal absolument nécessaire pour gérer la pointe dans les nouveaux bâtiments. Les maires ne sont pas dupes, ils savent très bien qu’il n’y a que 2 % de GNR dans le réseau, dit M. Finet.

Jean-Pierre Finet est un expert en énergie.
Photo : Source : LinkedIn
Ce dernier rappelle que la société d’État a vu ses surplus fondre notamment en raison des contrats d’exportation. Hydro va d’ailleurs fournir le cinquième de l’électricité de la ville de New York qui a elle-même banni le gaz dans les nouvelles constructions.
C’est quand même ironique, on se retrouve les cordonniers les plus mal chaussées en Amérique du Nord. On vend notre électricité pour les aider à se décarboner, mais nous on ne peut pas décarboner à cause de cela.
Une citation de Jean-Pierre Finet, analyste au ROEE
Hydro-Québec met en garde les municipalités
Ce n’est pas la première fois que la société d’État intervient auprès de municipalités québécoises dans les derniers mois.
À l’hiver 2023, Radio-Canada rapportait qu’Hydro-Québec s’inquiétait du nouveau règlement que prépare la Ville de Montréal pour limiter la place du gaz dans les bâtiments.
On discute avec plusieurs municipalités, affirme M. Huard Lefebvre. Ce n’est pas un secret qu’on a eu des échanges avec la Ville de Montréal. Je pense que la Ville était bien consciente des enjeux liés à une réglementation qui aurait été trop ferme. Elle est arrivée avec un règlement équilibré.

Hydro-Québec s’inquiète des règlements contre le gaz naturel adoptés dans les villes québécoises.
Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson
Au printemps dernier, la société d’État avait critiqué ouvertement la Ville de Laval pour son intention de bannir le gaz naturel dans les nouvelles constructions.
Une telle décision aurait des conséquences directes sur notre capacité à électrifier efficacement le territoire de Laval, avait soutenu Hydro au quotidien Le Devoir.
Plusieurs municipalités ont adopté des règlements limitant le gaz naturel dans les nouveaux bâtiments, notamment Prévost, Candiac et Mont-Saint-Hilaire.
L’Union des municipalités (UMQ) vient tout juste de lancer un parcours de décarbonation à l’usage des villes. Ce processus se fait en partenariat avec Hydro-Québec et Énergir.
Vincent Fortier se dit déçu de l’attitude d’Hydro-Québec dans ce dossier.
Hydro-Québec ne soutient pas clairement les villes qui veulent sortir du gaz fossile. Je me demande si on est encore maître chez nous. J’aimerais qu’on revienne à cette fierté et que la société d’État nous aide à décarboner, conclut-il.