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Michael Sabia chez Hydro-Québec Le milieu de l’énergie inquiet, le milieu économique ravi

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Siège social d’Hydro-Québec, boulevard René‑Lévesque Ouest, à Montréal

Des spécialistes en matière de transition énergétique s’inquiètent de l’arrivée de Michael Sabia à la tête d’Hydro-Québec. Ils jugent que l’ancien patron de la Caisse de dépôt ne dispose d’aucune « compétence particulière » pour relever les défis imposants qui attendent la société d’État dans les prochaines années. Le milieu économique, lui, salue le « parcours brillant » du principal intéressé.

Publié à 0h57 Mis à jour à 5h00

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Henri Ouellette-Vézina
Henri Ouellette-Vézina La Presse

« Pour moi, l’enjeu est que M. Sabia reste d’abord et avant tout un financier, alors qu’on a devant nous un enjeu de transition qui est très technique. On aurait eu besoin de quelqu’un qui comprend en profondeur le système énergétique, qui maîtrise les technologies et les investissements requis », affirme le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, Normand Mousseau.

Celui qui est aussi professeur de physique à l’Université de Montréal déplore de surcroît que Michael Sabia « n’a jamais réellement mené une compagnie technologique ».

Il y a toute une différence entre son passé et le rôle qu’il va devoir mener ici. Hydro-Québec est appelée à se transformer, à devenir beaucoup plus capable de prendre des risques et à transformer son approche.

Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal

Aux yeux de M. Mousseau, l’arrivée de M. Sabia n’est tout simplement « pas une bonne nouvelle ». « Ce n’est pas quelqu’un qui a déjà fait des transformations environnementales de très haut niveau. Il a pris la Caisse de dépôt, il l’a retournée, mais c’était dans un tout autre champ de compétences. Je ne suis pas vraiment convaincu que ce soit la bonne personne », insiste encore le spécialiste.

Un « allié du milieu économique »

Dans le milieu économique, on a plutôt salué mardi l’arrivée de Michael Sabia à la tête d’Hydro-Québec. Le président et chef de la direction du Conseil du patronat, Karl Blackburn, a parlé d’un « choix judicieux pour reprendre les rênes d’une société d’État en pleine transformation ».

Avec un parcours aussi brillant que celui de M. Sabia, nul doute qu’il saura répondre aux défis actuels et futurs de l’organisation. Ce sera un allié du milieu économique, j’en suis certain.

Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat, dans une déclaration

En entrevue, M. Blackburn rétorque aux plus sceptiques « qu’il est aujourd’hui faux de prétendre que les finances sont dissociées de la transition énergétique ». « Plus que jamais, ils doivent être ensemble. Partout dans le monde, on le voit : les finances et la transition font maintenant partie du discours économique », plaide le gestionnaire, qui se dit « convaincu que M. Sabia saura trouver les bons mots » pour faire comprendre aux Québécois « la nécessité de changer nos comportements ». « Le passé sera garant de l’avenir », lance encore le président du Conseil du patronat.

Sur Twitter, le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) a également parlé d’une « très sage nomination ». « Michael Sabia a démontré qu’il est intègre, compétent et fin stratège. Il s’entoure d’équipes fortes. Il a l’envergure qu’il faut pour ce poste névralgique. Il donne des résultats », a-t-il jugé.

Des risques à éviter

De son côté, Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, est aussi préoccupé. « Michael Sabia n’a pas de compétences particulières en énergie. Ça va être tout un défi, parce qu’en réalité, rien ne le prépare aux défis dans le secteur de l’énergie. La courbe d’apprentissage va être très grande pour lui », illustre-t-il.

Le principal danger, poursuit M. Pineau, est que l’ancien patron de la Caisse « arrive avec une grande confiance et peu d’humilité ».

Ça pourrait être risqué d’arriver avec une certaine arrogance, parce que contrairement à la Caisse de dépôt, Hydro-Québec a des fonctions opérationnelles au quotidien. Il faut avoir une vision à long terme, mais en même temps très présente. On est complètement ailleurs.

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal

Selon lui, ce n’est pas « la capacité à lever des milliards » qui aurait dû intéresser le gouvernement dans sa sélection du prochain PDG d’Hydro-Québec, mais bien sa capacité d’innover pour « sensibiliser les Québécois » aux défis de transition qui guettent la province. « Aller chercher des milliards, gérer des finances, en fait, c’est la dernière capacité dont on a besoin en ce moment », ajoute Pierre-Olivier Pineau, qui ne demande toutefois qu’à être « surpris ».

Les écologistes, eux, demeurent aussi sur leurs gardes. « Ce dont on a besoin, c’est davantage un spécialiste de la décarbonation et de la transition énergétique. On espère au moins que M. Sabia va consulter au maximum l’expertise à l’interne », soutient un porte-parole de Greenpeace Canada, Patrick Bonin.

Son groupe dit surtout craindre une éventuelle « privatisation de l’électricité au Québec » pour laquelle M. Sabia « pourrait être mis à contribution ». « La réalité, c’est qu’il y a un virage inégalé à faire en termes d’augmentation de l’efficacité énergétique au Québec, alors qu’on voit en ce moment la fin des surplus poindre », conclut M. Bonin.

PDG d’Hydro-Québec L’opposition veut entendre Michael Sabia à l’Assemblée nationale

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(Québec) Les partis d’oppositions veulent que Michael Sabia, qui sera le prochain PDG d’Hydro-Québec, vienne présenter sa vision du développement énergétique du Québec à l’Assemblée nationale lorsqu’il entrera en fonction.

Publié à 8h51 Mis à jour à 11h28

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Charles Lecavalier
Charles Lecavalier La Presse

« Est-ce que monsieur Sabia va acheter la vision caquiste par rapport au Dollarama de l’énergie ? Est-ce que monsieur Sabia va avoir la liberté de dire ce qu’il pense par rapport à l’avenir énergétique du Québec ? Et est-ce qu’aujourd’hui, les Québécois vont en avoir pour leur argent par rapport à une vision énergétique très claire ? », a lancé le député libéral Monsef Derraji en point de presse mercredi.

Il reproche au gouvernement Legault le flou entourant le chantier énergétique qu’il veut lancer : quelle place l’économie d’énergie et la construction de nouveaux barrages occuperont-ils, s’est-il demandé ? Pourquoi le gouvernement Legault n’a pas été capable de convaincre Volkswagen d’installer une usine de batteries au Québec, par manque d’énergie ? « C’est beaucoup, c’est 10 milliards que le fédéral a investis. On l’a raté », a-t-il déploré.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Monsef Derraji

C’est dans ce contexte que M. Sabia, qui a dirigé la Caisse de dépôt et placement du Québec, et lancé l’ambitieux projet du Réseau express métropolitain, arrivera à la tête d’Hydro-Québec. Il succédera à Sophie Brochu, qui a quitté son poste deux ans avant la fin de son mandat, quelques mois après avoir exprimé son désaccord avec les orientations du gouvernement Legault.

Pourra-t-il rester debout face à François Legault et au ministre de l’Énergie Pierre Fitzgibbon ? « La question, c’est debout pourquoi ? », rétorque le député de Québec solidaire Haroun Bouazzi. « On va donner la chance au coureur. Mais il faut avoir une vision, et on a besoin d’entendre cette vision ici, à l’Assemblée nationale », a-t-il dit.

Le défi de la transition énergétique

Il souligne que M. Sabia a « beaucoup d’expérience en gestion, en finance », mais qu’Hydro-Québec fait plutôt face à des « questions opérationnelles très compliquées » et à un défi de « transition énergétique ».

M. Bouazzi déplore que le gouvernement Legault n’a toujours aucun plan officiel sur cette question, alors qu’il en a fait un cheval de bataille en campagne électorale. Québec veut doper la production d’énergie d’Hydro-Québec pour accélérer l’électrification de l’économie québécoise pour réduire la consommation d’hydrocarbures.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Haroun Bouazzi

Mais les gros contrats d’exportations d’énergie vers le Massachusetts et New York viennent réduire la marge de manœuvre d’Hydro-Québec, qui se retrouve aujourd’hui incapable d’accepter de gros projets industriels, trop énergivores. Il a d’ailleurs critiqué ces contrats d’exportation.

« Le principal critère, actuellement, c’est de réussir une transition écologique juste. On a de vrais problèmes de choix de société à faire. […] Le gouvernement n’a pas de plan sur papier. Hydro-Québec oui, mais il n’est pas venu l’expliquer à l’Assemblée nationale », a-t-il dit.

Nationalisme

Le député péquiste Pascal Bérubé a affirmé qu’il ne connait « aucun engagement de Michael Sabia en matière énergétique, en matière environnementale ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Pascal Bérubé

« Il y a des enjeux environnementaux. Il y a les relations avec les Autochtones. Il y a les relations avec l’environnement. Il y a le virage, la transition énergétique. Il y a peut-être une sensibilité que je ne connais pas. Ce serait bien de l’entendre à l’Assemblée nationale, de pouvoir lui poser des questions en début de mandat », a-t-il dit.

Il a toutefois critiqué les origines de M. Sabia, qui n’est pas né au Québec. « Les libéraux l’aimaient beaucoup, les caquistes l’aiment autant. L’Ontarien Michael Sabia a une carrière remarquable dans le domaine financier », a-t-il dit. Il a affirmé « qu’au Québec, il y a plein de talents qui auraient pu être mis à contribution ». « Moi, je veux un nationaliste à la tête d’Hydro-Québec. Est-ce que Michael Sabia est un nationaliste québécois au plan économique ? ».

La première ministre péquiste Pauline Marois avait pourtant renouvelé le contrat de M. Sabia en 2013 et était satisfaite de son travail à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec. M. Bérubé, qui était ministre à l’époque, a rétorqué que son gouvernement a « prolongé son contrat », mais que « ce n’est pas nous qui l’avons nommé ».

Le premier ministre François Legault a affirmé que M. Sabia était un gestionnaire « crédible », mais n’a pas voulu commenter davantage, en expliquant que « les annonces seront faites au moment approprié ». Le ministre de l’Éducation Bernard Drainville a soutenu « qu’il a fait un excellent travail comme PDG de la Caisse ».