Course à l’énergie éolienne au Québec : « On bouscule tout le monde »
Promoteurs, élus et citoyens subissent le « sprint » imposé par Hydro-Québec pour plus d’énergie éolienne.

Cédric Lascombe, vice-président du développement et des investissements chez Hydroméga, doit convaincre des municipalités d’appuyer ses projets d’éoliennes avant le 12 septembre.
Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet
Publié à 4 h 00 HAE
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SALABERRY-DE-VALLEYFIELD – C’est par un petit carton d’invitation, dans sa boîte à lettres, en plein été, que Claude H Vallée a appris qu’un projet de 12 à 15 éoliennes se préparait autour de chez lui, dans ce paysage qu’il apprécie tant, « sans aucun fil ni nuisance visuelle ».
Lorsqu’il s’est présenté à la séance d’information de la compagnie Hydroméga, le 6 juillet, le retraité a eu la stupeur d’apprendre que ces éoliennes, dont la pale culmine à 205 mètres, seraient les plus hautes jamais érigées au Québec.

Claude H Vallée, résident du rang Sainte-Marie, à Salaberry-de-Valleyfield
Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet
M. Vallée a aussi appris qu’Hydroméga discutait avec la Ville de Salaberry-de-Valleyfield depuis le mois d’avril et qu’elle avait déjà conclu des ententes de principe avec des agriculteurs pour accueillir les éoliennes dans leurs champs. Le projet doit être soumis à l’appel d’offres d’Hydro-Québec avant le 12 septembre.
On a l’impression d’être prévenus trop tard.
Une citation de Claude H Vallée, résident de Salaberry-de-Valleyfield
Le maire de Salaberry-de-Valleyfield, Miguel Lemieux, reconnaît que les citoyens et les élus doivent faire un apprentissage accéléré, alors que la municipalité n’a jamais accueilli une seule éolienne sur son territoire. Lui-même avait encore beaucoup de questions sans réponses au sujet du projet au début de la semaine dernière.
C’est sûr que, dans un monde idéal, on aurait pris beaucoup plus de temps pour s’informer, mais surtout pour informer par la suite les citoyens, assure le maire. Il raconte qu’au moment où la compagnie a rencontré les citoyens, le projet n’était pas encore complètement ficelé.

Miguel Lemieux, maire de Salaberry-de-Valleyfield
Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet
Les délais de dépôt des soumissions sont très, très, très serrés. […] Ça nous donne peu de temps pour rétroagir par rapport aux questions et aux inquiétudes qui nous ont été soumises par les citoyens.
Une citation de Miguel Lemieux, maire de Salaberry-de-Valleyfield
La compagnie Hydroméga partage son sentiment de précipitation. On a cette urgence-là d’aller vite, admet le vice-président du développement et des investissements, Cédric Lascombe. On en a conscience, qu’on bouscule […] et que ça peut être désagréable pour les gens qui sont sur le terrain.
M. Lascombe qualifie même le processus de « sprint » depuis l’annonce de l’appel d’offres, le 31 mars.
Il faut savoir qu’historiquement, ce sont les délais les plus courts qu’on ait jamais eus au Québec pour répondre à un appel d’offres.

Les 10 zones choisies par Hydro-Québec pour l’appel d’offres du 12 septembre. Les projets retenus devront être mis en service en 2027, 2028 et 2029.
Photo : Hydro-Québec
En moins de six mois, le promoteur doit, entre autres, réaliser des mesures de vents, planifier le site d’installation des éoliennes et leur connexion, mais aussi étudier les impacts environnementaux ou encore analyser la réglementation locale.
Il doit également démontrer qu’il a informé les citoyens, répondu à leurs questions et même obtenu, par résolution des élus, l’appui officiel des communautés concernées (villes, MRC, Premières Nations), voire leur participation au projet comme actionnaires.
Je vous avoue que, si on avait deux mois de plus, on aurait le temps de faire de l’acceptabilité sociale, de bien mieux présenter le projet, avec plus de détails, plus de précisions. Je pense que ça rassurerait tout le monde.
Une citation de Cédric Lascombe, vice-président d’Hydroméga

Cédric Lascombe, vice-président du développement et des investissements chez Hydroméga
Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet
Course contre la montre
Le gouvernement Legault a réalisé, l’an dernier, que le Québec risquait de manquer de puissance électrique d’ici quelques années. Hydro-Québec anticipe la fin des surplus dès 2027. Depuis, une course contre la montre s’est enclenchée.
Il va falloir commencer à envisager des projets éoliens massifs, prévenait le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec, Pierre Fitzgibbon, le 2 décembre.

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
La décarbonation de l’économie québécoise entraîne une importante croissance de la demande anticipée en électricité propre. Les échéanciers de l’appel d’offres visent à répondre à cette demande, pour des mises en service dès 2027, explique le porte-parole d’Hydro-Québec, Maxence Huard-Lefebvre.
Nous jugeons l’échéancier réaliste. […] Si des promoteurs ne peuvent soumettre leur projet maintenant, il y aura d’autres occasions de le faire prochainement.
Une citation de Maxence Huard-Lefebvre, porte-parole d’Hydro-Québec

Maxence Huard-Lefebvre, porte-parole d’Hydro-Québec
Photo : Radio-Canada
L’un des promoteurs d’éoliennes au Québec, Innergex, reconnaît que certaines municipalités ont dû se sentir bousculées. Son PDG Michel Letellier trouve également que « les délais sont serrés ». « On fait avec, on s’ajuste », dit-il, mais « ça fait des étés courts ».
À la MRC de Nicolet-Yamaska, dans le Centre-du-Québec, les élus ont jugé les « délais trop courts », d’ici le 12 septembe, pour analyser un projet d’éoliennes et ils ont passé leur tour.
Nous manquons de temps pour informer la population, pour travailler en collégialité avec les conseils municipaux et le comité consultatif. Les délais s’avèrent surtout trop courts pour définir l’ensemble des conditions, comme une réglementation adaptée et sécuritaire.
Une citation de Communiqué de la MRC de Nicolet-Yamaska, le 20 juillet
Certaines municipalités sont sollicitées par deux ou trois promoteurs éoliens en même temps. Plusieurs élus sous pression ont interpellé la Fédération québécoise des municipalités (FQM) pour qu’elle les aide à prendre une décision éclairée rapidement.
« C’est un peu le far west qui s’installe »
C’est clair que les délais amènent une pression incroyable. […] C’est dommageable pour tout le monde, explique le président de la commission permanente Énergie et ressources naturelles de la FQM, maire de Saint-Cyprien et préfet de la MRC de Rivière-du-Loup, qui participe déjà à un projet éolien.

Michel Lagacé
Photo : Radio-Canada / François Gagnon
Avec la « quasi-urgence énergétique, c’est un peu le far west qui s’installe », selon lui, car « les choses se bousculent ».
M. Lagacé estime qu’un délai d’une année pour préparer l’appel d’offres d’Hydro-Québec « aurait été le minimum requis ». Sans compter les rencontres programmées avec les populations locales en plein été, pas une période idéale, ajoute-t-il.
Ça sème de l’inquiétude et ce n’est pas une bonne approche pour le développement des énergies renouvelables.
Une citation de Michel Lagacé, président de la commission permanente Énergie et ressources naturelles de la Fédération québécoise des municipalités
Bientôt des milliers d’éoliennes au Québec
Il y a actuellement 2212 éoliennes en fonction dans la province, mais avec tous les projets en cours, ce parc devrait monter à 3000 éoliennes d’ici l’année 2030, selon une compilation réalisée par Radio-Canada.
Les nouvelles éoliennes sont plus grandes et génèrent plus de puissance. Ainsi, d’ici 2030, Hydro-Québec prévoit doubler la production d’électricité générée par les éoliennes et la quadrupler d’ici 2040.

Un champ d’éoliennes à Cap-Chat, en Gaspésie
Photo : Radio-Canada / Sandra Fillion
Des millions de dollars de revenus par année pour Salaberry-de-Valleyfield
Même si la Ville n’a pas encore fait connaître officiellement sa position, le maire est de toute évidence en faveur du projet et même d’une participation de la Municipalité comme actionnaire. Selon lui, la Ville pourrait en tirer des revenus de quelques millions de dollars par année, l’équivalent des revenus de taxes foncières générés par 300 maisons.
En entrevue, Miguel Lemieux dit comprendre la réticence de certains citoyens (« les craintes sont légitimes »), mais il ajoute qu’entre un champ de maïs vide et un champ avec des éoliennes dedans, je trouve ça beaucoup plus beau avec des éoliennes, ça attire l’œil.
Pour certaines personnes, il n’y a rien de plus laid qu’une éolienne, alors que pour d’autres, c’est majestueux. Il y a même des endroits où ça devient une attraction touristique. Moi, je fais partie de ceux qui trouvent ça beau.
Une citation de Miguel Lemieux, maire de Salaberry-de-Valleyfield

Des citoyens ont formé d’urgence un comité pour s’opposer aux éoliennes à Salaberry-de-Valleyfield.
Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet
Au même moment, des résidents des rangs Sainte-Marie et Gérard-Cadieux se mobilisent. Ils ont créé le comité Impacts-Éoliennes-Valleyfield. Ils s’inquiètent notamment de la dégradation visuelle du paysage, du bruit et d’une diminution potentielle de la valeur des propriétés dans le secteur.
Actuellement, la MRC Beauharnois-Salaberry impose une distance minimale de 500 mètres entre une éolienne et une résidence. Dans la MRC voisine du Haut-Saint-Laurent, la distance est portée à deux kilomètres.
Est-ce que les gens vont encore vouloir acheter une maison à 500 mètres d’une éolienne? Pas certain, s’interroge le producteur laitier Gérard Pittet, dont la ferme est située sur le rang Sainte-Marie.

Gérard Pittet, producteur laitier à Salaberry-de-Valleyfield
Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet
Hydroméga a courtisé des agriculteurs avec une offre financière pour accueillir une éolienne dans leur champ. Selon le maire, ils peuvent recevoir entre 21 000 et 23 000 $ par année, un montant alléchant pour une perte d’environ un hectare de terre cultivable. Plusieurs ont accepté, mais pas Gérard Pittet, réfractaire à une telle installation chez lui.
Moi, d’emblée, je n’ai pas accepté. […] Ça ne me tente pas de me lever le matin, de voir une éolienne et d’entendre les pales.
Une citation de Gérard Pittet, agriculteur de Salaberry-de-Valleyfield
Selon le maire Miguel Lemieux, les éoliennes ne font pas plus de bruit qu’un réfrigérateur. Il s’engage toutefois à revoir la réglementation de la MRC, dont il est préfet, pour augmenter la distance minimale avec les maisons à 750 mètres. Il s’agit précisément de la distance envisagée par Hydroméga.
« On s’engage à ce que la population reçoive les informations factuelles véridiques », assure le maire. Il rappelle par ailleurs qu’un projet retenu par Hydro-Québec doit ensuite faire l’objet de consultations publiques et d’une évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).

Les paysages du Québec seront appelés à changer avec le développement de la filière éolienne.
Photo : Associated Press / Keith Srakocic
Face à son paysage qu’il apprécie tant, Claude H Vallée, du rang Sainte-Marie, regrette qu’il n’y ait pas eu de « débat national » au sujet du développement des éoliennes au Québec.
Dans le temps, rappelle-t-il, il y a eu un débat sur la nationalisation de l’électricité et ça a donné la Manic, la Baie-James… C’est une fierté nationale et les citoyens avaient l’impression de participer à quelque chose de grand.
À Salaberry-de-Valleyfield, les citoyens pourront toujours en débattre au conseil municipal du 15 août, le dernier avant la clôture de l’appel d’offres d’Hydro-Québec.