Les institutions de MontrĂ©al LâExpress, source dâallĂ©gresse
PHOTO FRANĂOIS ROY, LA PRESSE
Câest lâarchitecte Luc Laporte (mort en 2012) qui avait imaginĂ© lâintemporel intĂ©rieur de LâExpress.
Les tables montrĂ©alaises Ă©tablies sont-elles toujours Ă la hauteur de leur rĂ©putation ? Nous en visiterons quelques-unes pendant lâannĂ©e, question de renouer avec ces restaurants qui rĂ©sistent Ă lâĂ©preuve du temps. LâExpress, ouvert il y a 42 ans, est plus que jamais un musĂ©e vivant de la restauration montrĂ©alaise.
Mis Ă jour Ă 11h00
Ăve Dumas La Presse
Un peu dâhistoire
LâExpress servait ses premiers clients le 19 dĂ©cembre 1980, avec pour cible les artistes et autres travailleurs du théùtre, ainsi que leurs spectateurs. François Tremblay, Colette Brossoit et Pierre Villeneuve en Ă©taient les fondateurs. On dit souvent que lâĂ©quipe voyait son restaurant comme un « service public » : « fiable, rĂ©confortant, accueillant, peu importe lâheure », est-il Ă©crit sur le site.
Et on connaĂźt la suite. Pendant des annĂ©es, les portes ont Ă©tĂ© ouvertes sept jours, matin, midi, soir et mĂȘme la nuit, ne fermant quâĂ 3 h. AprĂšs la COVID-19, le petit-dĂ©jeuner nâa pas repris. Le restaurant a rouvert cinq jours par semaine, six depuis peu, bientĂŽt sept, si la main-dâĆuvre se maintient. « Ăa commence Ă sentir les dimanches ! », confirme Mario Brossoit (frĂšre de Colette, morte en 2014). La cuisine et la salle ferment une heure plus tĂŽt quâavant. Il reste que de pouvoir commander un saumon au cerfeuil Ă minuit et demi est une chose bien rare dans la mĂ©tropole.
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Le chef Jean-François Vachon (au centre) a pris la relĂšve des cuisines en 2016. Le maĂźtre dâhĂŽtel de jour Jacques-Yves BoltĂ© (Ă gauche) travaille Ă LâExpress depuis plus de 20 ans. Yannick Chaput occupe pour sa part le poste de sous-chef.
Câest en 2016 que Jean-François Vachon, un ancien des Caprices de Nicolas, du Club des pins et du M sur Masson, entre autres, a pris les commandes de la cuisine, Ă la place dâun JoĂ«l Chapoulie retraitĂ©. Ce dernier avait donnĂ© trois dĂ©cennies de loyaux services. Comme bien des chefs français, il Ă©tait arrivĂ© Ă MontrĂ©al pendant Expo 67. Aujourdâhui, câest presque au pĂ©ril de sa vie que M. Vachon peut apporter des modifications au mythique menu dĂ©veloppĂ© par M. Chapoulie et proposer de nouveaux plats ! Mais jusquâici, tout va trĂšs bien.
La direction de LâExpress est maintenant assurĂ©e par HĂ©lĂšne Dansereau, Pierre Villeneuve et lâinfatigable Mario Brossoit, qui alimente toujours la superbe carte des vins de lâendroit. Ne cherchez pas le fameux barman Monsieur Masson. Il a servi son dernier martini juste avant la COVID-19 et profite de sa retraite bien mĂ©ritĂ©e.
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Le chef Jean-François Vachon nous montre la cave courante de LâExpress, qui ne contient quâune partie du trĂšs grand stock de vin de la maison.
LâexpĂ©rience
LâExpress est source dâallĂ©gresse pour ceux et celles qui y ont des habitudes de longue date. Les fidĂšles ont leurs plats prĂ©fĂ©rĂ©s que la cuisine serait bien mal avisĂ©e de faire disparaĂźtre : potage Ă lâoseille, os Ă moelle, mousse de foies de volaille, tartare, foie de veau, rognons, etc.
Pour ma part, ça remonte Ă lâenfance, quand ma mĂšre et moi faisions lâoccasionnel voyage Ă MontrĂ©al, depuis la capitale fĂ©dĂ©rale oĂč nous habitions. Câest dans la salle aux murs et plafond lustrĂ©s et au mythique quadrillĂ© noir et blanc que jâai dĂ©couvert le chĂšvre chaud, le cĂ©leri-rĂ©moulade et les petits cornichons français. On mangeait aussi les raviolis et le steak-frites. Jây ai appris lâexistence de ces petits volatiles dĂ©licieux que sont les cailles. Bref, LâExpress a Ă©tĂ© une de mes premiĂšres « Ă©coles » culinaires.
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Ă lâexception du chĂšvre, qui est aujourdâhui emballĂ© dans de la pĂąte kataifi (ces cheveux dâange avec lesquels on fait aussi un dessert semblable aux baklavas) plutĂŽt que dâĂȘtre posĂ© sur des croĂ»tons, comme je le prĂ©fĂ©rais (nostalgie quand tu nous tiens !), mes « madeleines de Proust » sont demeurĂ©es Ă peu prĂšs intactes. La sauce des raviolis est toujours aussi dĂ©licieusement collante de collagĂšne, tant elle a Ă©tĂ© rĂ©duite. Les cailles toutes dorĂ©es reposent comme avant sur un lit de riz sauvage, avec leurs petits Ćufs cuits durs.
Mon amoureux, qui a encore plus que moi grandi avec cette cuisine, dans lâHexagone, a profitĂ© de lâexcellente rĂ©putation de la maison pour commander les rognons. Plat « brun » sâil en est, avec ses champignons, ses cubes de pommes de terre rĂŽties bien fondants et sa riche sauce moutarde, lâabat remplit parfaitement sa mission de rĂ©confort. Le dessert, un gĂ©nĂ©reux baba au rhum, Ă©tait aussi une plongĂ©e dans les souvenirs dâenfance pour lui, avec sa texture impeccablement spongieuse. Au premier service, il sâĂ©tait laissĂ© tenter par les dĂ©licats harengs fumĂ©s des Ăles-de-la-Madeleine, servis sur une petite salade crĂ©meuse de lĂ©gumes en dĂ©s.
Peut-on, en 2023, toujours apprĂ©cier LâExpress, mĂȘme quand ses codes ne nous sont pas familiers ? Certaines personnes dĂ©testent, mais la grande majoritĂ© en redemande. LâĂ©clairage vif, le son des assiettes qui sâentrechoquent, le vieux tĂ©lĂ©phone Ă cadran qui sonne, le classicisme de la cuisine et le service costumĂ© centrĂ© sur lâefficacitĂ© en font une maison tout Ă fait unique de nos jours.
Ă propos du service, dâailleurs, les membres de lâĂ©quipe de salle sont de vrais de vrais guerriers. Ils et elles ont des yeux tout le tour de la tĂȘte. Une serviette tombĂ©e par terre est aussitĂŽt remplacĂ©e, le verre dâeau nâest jamais vide, les couverts sont changĂ©s Ă chaque service sans mĂȘme quâon sâen rende compte.
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Ă la place dâune enseigne sur la façade, LâExpress a choisi de sâannoncer au sol, au-dessus dâun trottoir chauffant oĂč la neige ne se pose pas.
Un restaurateur qualifiait rĂ©cemment LâExpress de « caisse de rĂ©sonance », oĂč lâexpĂ©rience du restaurant est amplifiĂ©e par son cĂŽtĂ© historique, quasi musĂ©al, mais loin dâĂȘtre figĂ©. Lorsque je parcours la salle bien vivante du regard, un mardi soir oĂč le restaurant fait comme toujours salle comble, je suis frappĂ©e par lâĂ©clectisme de la clientĂšle. Il y a des familles, des personnes seules au zinc, des couples, un petit groupe de jeunes hommes casquettĂ©s Ă la dĂ©gaine bien urbaine, dâapparents touristes, des vieux de la vieille, etc.
Quant Ă lâaccessibilitĂ© qui Ă©tait si chĂšre aux fondateurs, elle est toujours dâactualitĂ©, malgrĂ© la flambĂ©e des prix dâĂ peu prĂšs tout. Si on nâa pas les moyens (ou lâenvie) de se gĂąter avec entrĂ©e-plat-dessert et un grand cru de Bourgogne pigĂ© sur la carte des vins parallĂšle, on peut encore trĂšs bien commander un croque-monsieur avec frites ou une quiche pour 17,25 $ et un verre de vin Ă 7,75 $. Service public bien rendu !
3927, rue Saint-Denis, Montréal
Consultez le site de LâExpress
Les tables montrĂ©alaises Ă©tablies sont-elles toujours Ă la hauteur de leur rĂ©putation ? Nous en visiterons quelques-unes pendant lâannĂ©e, question de renouer avec ces restaurants qui rĂ©sistent Ă lâĂ©preuve du temps. LâExpress, ouvert il y a...