2024, lâannĂ©e des restaurants apportez votre vin ?
PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE
Le restaurant Le Marlow
Les restaurants apportez votre vin deviennent-ils lâoption privilĂ©giĂ©e par les consommateurs en temps de crise ? Fort populaires dans les annĂ©es 1980, oĂč ils se sont multipliĂ©s en raison de la rĂ©cession, ils pourraient bien faire le plein de nouveaux clients cette annĂ©e.
Publié à 1h20 Mis à jour à 5h00
Nathaëlle Morissette La Presse
Commander un verre de vin ou une bouteille pour accompagner son repas augmente considĂ©rablement la facture des consommateurs, dont plusieurs ne digĂšrent plus les additions de plus en plus salĂ©es. Dans ce contexte, ils pourraient donc ĂȘtre plus nombreux cette annĂ©e Ă changer de table en frĂ©quentant davantage des Ă©tablissements apportez votre vin, croient les restaurateurs interrogĂ©s.
« On est dans un crĂ©neau oĂč quand les gens ont un peu moins dâargent, ils viennent nous voir », affirme NoĂ© Lainesse, chef propriĂ©taire du restaurant OâThym Ă MontrĂ©al.
« Actuellement, câest probablement lâune des avenues Ă explorer pour les restaurateurs », croit pour sa part Christian Latour, professeur de gestion du CollĂšge MĂ©rici, Ă QuĂ©bec.
Alors que beaucoup dâexploitants vivent des moments difficiles, notamment en raison dâune diminution de la clientĂšle, de la hausse du prix des denrĂ©es et des loyers, ou encore parce quâils doivent, dâici le 18 janvier, rembourser le prĂȘt consenti par le gouvernement fĂ©dĂ©ral pendant la pandĂ©mie, M. Lainesse constate pour sa part que son Ă©tablissement ne vit pas « une Ă©norme baisse ».
AprĂšs avoir consultĂ© la carte de certains restaurants, La Presse a pu constater â comme le font la plupart des consommateurs qui mangent au restaurant â quâun verre de Joel Gott, un sauvignon blanc californien, par exemple, se vendait 13,50 $ alors quâil en coĂ»te 21,95 $ pour une bouteille Ă la SAQ. Au restaurant, cette mĂȘme bouteille est affichĂ©e Ă 52 $. Une bouteille de Kim Crawford, un chardonnay de la Nouvelle-ZĂ©lande, peut coĂ»ter 53 $ au restaurant alors quâelle est vendue Ă 20,95 $ sur les rayons de la SAQ.
« Câest sĂ»r quâen ce moment, avec le contexte Ă©conomique et lâaugmentation des prix, payer 25 $ pour un verre de vin, ça fait mal aux gens », mentionne Benjamin De ChĂąteauneuf, propriĂ©taire du restaurant Le Marlow Ă Longueuil.
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Benjamin De Chateauneuf, propriétaire du restaurant Le Marlow
Oui, les consommateurs vont clairement se tourner vers les apportez son vin ou ils vont acheter une bouteille au mĂȘme prix quâun verre de vin vendu ailleurs. En plus, ils peuvent choisir le produit quâils aiment, au lieu de miser sur un vin quâils nâont jamais goĂ»tĂ©, qui ne fera pas leur affaire, mais quâils vont prendre quand mĂȘme.
Benjamin De Chùteauneuf, propriétaire du restaurant Le Marlow à Longueuil
M. De ChĂąteauneuf mise dâailleurs sur cet atout pour attirer des clients dans sa salle Ă manger oĂč il offre une cuisine notamment composĂ©e de pavĂ©s de saumon, de joues de bĆuf braisĂ© ou encore de carpaccios de pĂ©toncles. « Notre resto apportez votre vin est une option intĂ©ressante pour les clients du Marlow, car ils peuvent apporter leur propre bouteille de vin ou leur biĂšre et Ă©viter de payer des prix exorbitants en alcool », peut-on lire sur la page dâaccueil de son site web.
« Si on va au restaurant, câest pour bien manger, avant de bien boire », ajoute-t-il en entrevue.
Ă Saint-Jean-sur-Richelieu, oĂč il est propriĂ©taire dâun restaurant Au Vieux Duluth depuis 33 ans, Pedro Marques affirme quâil a connu en 2023 son meilleur mois de dĂ©cembre « Ă vie ». Il a notĂ© une augmentation de ses ventes se situant entre 10 % et 15 % par rapport Ă la mĂȘme pĂ©riode en 2022, un mois quâil avait alors jugĂ© « trĂšs bon ».
« Les gens savent compter, dit-il. Je pense que les restaurants apportez votre vin sont ceux qui vont souffrir le moins cette annĂ©e. On va se retrouver avec une clientĂšle qui allait peut-ĂȘtre auparavant dans des restaurants un peu plus coĂ»teux. »
Est-ce rentable ?
Sachant que la vente de cocktails, de biĂšres en fĂ»t et de vin permet aux restaurateurs dâavoir une meilleure marge de profit, le concept apportez votre vin est-il viable ? Oui, rĂ©pondent les principaux intĂ©ressĂ©s. « Câest sĂ»r quâil faut faire du volume, souligne toutefois le chef propriĂ©taire de chez OâThym. Si tu ne remplis pas ta salle, ça devient trĂšs difficile. On vend juste de la nourriture, donc notre marge est juste sur la nourriture. »
En contrepartie, il nâa pas besoin de tenir de lâalcool, ce qui lui Ă©vite de penser Ă la rĂ©frigĂ©ration. Il gagne Ă©galement de lâespace. Et il a besoin de moins dâemployĂ©s, affirme-t-il.
Et ceux qui croient que les assiettes des restaurants apportez votre vin sont systĂ©matiquement plus chĂšres, il sâagit dâun mythe, selon Benjamin De ChĂąteauneuf. « Je mâen tire avec beaucoup plus de profits nets parce que je transforme tout de A Ă Z. Je vais me commander un demi-cochon et je vais le dĂ©pecer. Ma matiĂšre premiĂšre est beaucoup moins chĂšre. »
Une industrie stable
Pour le moment toutefois, le QuĂ©bec nâassiste pas Ă une hausse phĂ©nomĂ©nale du nombre dâĂ©tablissements oĂč les clients sâattablent avec une bouteille quâils ont prĂ©alablement achetĂ©e. « La croissance est somme toute minimale », soutient Martin VĂ©zina, vice-prĂ©sident, affaires publiques et gouvernementales, de lâAssociation Restauration QuĂ©bec (ARQ).
Il est toutefois difficile de trouver des chiffres prĂ©cis. En 2013-2014, la RĂ©gie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) a accordĂ© 1698 permis Ă ce type dâĂ©tablissement contre 9587 pour les restaurants vendant de lâalcool. Le nombre de permis dĂ©livrĂ©s pour des apportez votre vin est passĂ© Ă 1744 en 2016-2017. Par la suite, la façon de comptabiliser a changĂ©, et un titulaire de restaurant qui a plusieurs salles Ă manger peut dĂ©sormais payer un seul permis pour lâensemble de son Ă©tablissement, au lieu de le faire pour chaque salle comme câĂ©tait le cas avant. De plus, en raison de « modifications » apportĂ©es Ă son systĂšme informatique, la RACJ nâĂ©tait pas en mesure â dans un dĂ©lai de 48 heures â de fournir les donnĂ©es entre 2019 et 2023. Impossible aussi dâavoir des chiffres pour les annĂ©es 1980 et 1990.
Le besoin est lĂ
MalgrĂ© tout, Christian Latour, du CollĂšge MĂ©rici, croit que le besoin est lĂ et que lâouverture de ce genre dâĂ©tablissement est « une avenue Ă explorer ».
« Les gens veulent encore aller au restaurant. Câest juste quâil y a des limites Ă©conomiques qui font que la frĂ©quence a diminuĂ©.
« Si un restaurant rĂ©ussit Ă me prĂ©parer une cuisine que je ne peux pas me faire Ă la maison et Ă mâoffrir la possibilitĂ© dâapporter mon vin, câest sĂ»r que je deviens client. »
Difficile de savoir si lâon assistera Ă une augmentation du nombre de restaurants apportez votre vin au cours de la prochaine annĂ©e. M. VĂ©zina ne serait toutefois pas Ă©tonnĂ© de voir certains Ă©tablissements qui tiennent de lâalcool faire des offres oĂč ils vendent Ă lâoccasion leur vin au prix de la SAQâŠ
Les restaurants apportez votre vin deviennent-ils lâoption privilĂ©giĂ©e par les consommateurs en temps de crise ? Fort populaires dans les annĂ©es 1980, oĂč ils se sont multipliĂ©s en raison de la rĂ©cession, ils pourraient bien faire le plein...