Résumé
À quatre mains Des rues piétonnes toute l’année ?
PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES LA PRESSE
Des piétons déambulent dans la rue Saint-Denis.
Plus que jamais, la piétonnisation est en vogue à Montréal. La Plaza Saint-Hubert s’est ajoutée, cet été, aux artères piétonnes. On discute même de l’idée de réserver l’avenue du Mont-Royal aux piétons toute l’année, mais pas avant d’avoir fait des travaux d’aménagement. Est-ce une bonne idée de redonner la rue aux piétons toute l’année ? Ou une hérésie ? Nos chroniqueurs en débattent.
Publié à 1h17 Mis à jour à 6h00
Nathalie Collard La Presse
Alexandre Sirois La Presse
Alexandre Sirois : On vient d’apprendre qu’il y a des discussions à la Ville de Montréal pour piétonniser l’avenue du Mont-Royal toute l’année et je dois te dire, Nathalie, que je suis ravi d’entendre ça. Je suis bien conscient que cette initiative ne fera pas l’unanimité d’emblée. Certains n’ont pas encore digéré qu’on interdise la circulation automobile pendant quelques mois par année sur cette artère. Mais le fait est que plus les années passent, plus il y a d’adeptes et moins il y a de grogne. Et c’est parfaitement normal. Parce qu’on gagne beaucoup, notamment en matière de qualité de vie, à laisser les piétons se réapproprier l’espace public de cette façon.
Nathalie Collard : J’avoue que j’adore, moi aussi, les rues piétonnes. Ça invite à prendre son temps, à découvrir les commerces devant lesquels on passe souvent rapidement. J’aime aussi les structures conviviales qui invitent à s’asseoir, à observer et, pourquoi pas, à piquer une jasette avec son voisin.
PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE
La Plaza Saint-Hubert a été piétonne tout l’été.
Je me demande toutefois si la règle du « tout ou rien » devrait toujours s’appliquer. Je pense à la Plaza Saint-Hubert, qui a été piétonne tout l’été. La rue était vide en semaine, mais bondée les week-ends. Est-ce qu’on aurait pu la piétonniser seulement deux jours par semaine pour commencer ? Quant à la piétonnisation toute l’année, encore faudrait-il s’assurer que ça circule tout autour…
Alexandre Sirois : Les rues commerciales sont toujours moins achalandées en semaine. En les piétonnisant, on ne va pas nécessairement réussir à inverser cette tendance. Mais règle générale, on parvient à accroître leur pouvoir d’attraction. Et c’est normal, on transforme ces rues en milieu de vie ! Ça devient tellement plaisant de les fréquenter. L’été, maintenant, je me surprends à aller marcher sur Mont-Royal juste parce que… c’est agréable de marcher sur Mont-Royal. Avant la piétonnisation, j’y allais parce que j’avais besoin de quelque chose, c’est tout. Aurait-on dû y aller graduellement et interdire d’abord la circulation deux ou trois jours par semaine ? Je ne pense pas. Si on veut piétonniser pour vrai, notamment en installant toutes les structures conviviales dont tu parles, ça prend du temps.
Nathalie Collard : Je vois ces rues d’un très bon œil, mais est-ce que c’est la panacée ? Je crois qu’il faut être prudent. Je reviens de Copenhague où on trouve sans doute l’une des avenues commerciales piétonnes les plus importantes au monde : la célèbre Strøget. Or, un professeur d’urbanisme réputé de la Royal Danish Academy m’a expliqué que d’un point de vue urbanistique, on ne referait plus ce genre de rues. Pourquoi ? Parce que lorsque les magasins sont fermés, ces rues deviennent des artères fantômes. Ça m’a rappelé un jeudi soir cet été où je marchais sur une avenue du Mont-Royal presque déserte… à 21 h. Pour s’assurer qu’il y ait suffisamment de vie en tout temps, il faut aussi s’assurer qu’il y ait des restos et d’autres commerces et services ouverts en soirée. Sachant cela, ce serait sans doute une très mauvaise idée de piétonniser la rue Sainte-Catherine, par exemple. Quant aux infrastructures conviviales, elles peuvent être installées même dans des rues ouvertes aux voitures. Il suffit simplement de retirer quelques places de stationnement.
Alexandre Sirois : Ton reportage sur Copenhague était inspirant. Tout comme, dans la foulée, la table ronde organisée pour réfléchir sur la façon dont on peut construire des villes qui rendent heureux, notamment en les transformant pour qu’elles favorisent le vivre-ensemble et les quartiers où on peut marcher. La piétonnisation de plusieurs artères commerciales y contribue grandement. Alors, j’y reviens, pourquoi ne pas y songer 365 jours sur 365 dans le cas de l’avenue du Mont-Royal ?
PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE
L’avenue du Mont-Royal en août dernier
Je suis conscient que ça va demander davantage d’efforts et de créativité. Comment on fait pour déneiger, par exemple ? Et comment on fait pour s’assurer que la rue piétonnisée demeure un milieu de vie l’hiver aussi ? Mais je suis persuadé qu’on peut y arriver. Les activités extérieures du festival Montréal en lumière attirent désormais les foules chaque hiver. Je comprends ta circonspection. En revanche, je ne voudrais pas que la Ville dans ce dossier fasse preuve d’un excès de prudence… qui finirait par rimer avec immobilisme.
Nathalie Collard : Je pense que l’immobilisme – ou plutôt l’immobilité – se trouvait surtout du côté des rues du Plateau cet été. Et c’est sans doute cela qui hérisse les gens qui s’opposent à la piétonnisation : l’impact sur les rues avoisinantes. Quand on piétonnise une rue aussi importante que l’avenue du Mont-Royal (et je répète, je suis en faveur de la piétonnisation), il faut s’assurer que les rues autour soient minimalement dégagées. Or, cet été, non seulement le boulevard Saint-Joseph était en travaux, mais une partie de De Lorimier et de Papineau aussi. Ça formait un gros bouchon sur le Plateau-Mont-Royal. Le jour où on planifiera mieux les travaux de toutes sortes dans la ville, je suis pas mal certaine que les expériences de piétonnisation seront beaucoup mieux accueillies.