Chronique dans la Tribune de Sherbrooke
Humaniser les centres-villes
MICKAËL BERGERON
LA TRIBUNE
29 avril 2022 Mis à jour le 30 avril 2022 à 7h00
CHRONIQUE / Alors qu’à Sherbrooke on se demande comment rendre une partie de la rue Wellington piétonne, certaines villes comme Oslo créent des zones sans voitures en plein centre-ville. Pas juste un bout de rue, plus d’un kilomètre carré!
Pour donner une idée de grandeur, c’est comme si le centre-ville de Sherbrooke devenait une zone sans voiture, de la rivière Saint-François à Belvédère et de Galt à de Montréal.
J’entends déjà les réactions dire que ça n’a pas de bon sens! Que les axes routiers comme de Montréal-Terrill, King et Galt, qui permettent de relier l’est et l’ouest de la ville, ainsi que Belvédère ou des Grandes-Fourches, pour les axes nord-sud, sont trop importants.
Mais pas obligé de paniquer, c’était avant tout pour donner une idée de grandeur. N’empêche, ça stimule les réflexions. Surtout que c’est bien dans le centre-ville que la capitale norvégienne a implanté sa Car-Free Zone, pas au fond d’un fjord peu occupé. Une zone plus institutionnelle et économique que résidentielle, certes, mais un secteur quotidiennement traversé par 100 000 personnes.
Donc oui, certains importants axes routiers ne sont plus accessibles pour les voitures. Ou presque. Certaines rues demeurent accessibles pour le transport collectif, ça va de soi, ainsi que pour les taxis et certains camions de livraison – bien qu’on tente de trouver d’autres méthodes pour ce « dernier kilomètre de livraison ».
Tout ça ne s’est pas fait sans levée de boucliers non plus. Il y a même eu une mobilisation de plusieurs commerçants à Oslo, des campagnes sur les réseaux sociaux, etc. On craignait la mort du quartier, la fermeture des commerces, etc.
Un parti politique municipal contre ce projet a réussi à faire élire quatre personnes, mais la mairesse qui a mené ce projet a été réélue. Ça ne doit donc pas être la catastrophe.
Évidemment, un tel projet ne se fait pas juste en interdisant les voitures. La Ville d’Oslo a créé de nouveaux parcs. Elle a implanté 75 nouveaux bancs juste pour passer du bon temps dans le centre-ville. Une des anciennes intersections achalandées est devenue un populaire parc pour enfants.
Ça semble banal implanter des bancs, mais la mairie raconte que si le secteur avait plusieurs cafés et terrasses, il y avait peu d’endroits juste pour s’asseoir et profiter de l’espace public. En profiter avec peut-être un café et une sandwich achetés juste à côté.
Les déplacements piétons ont été facilités, les déplacements en vélo ont aussi été améliorés.
Ils ont aussi ajouté des toilettes publiques urbaines. Un truc qui manque cruellement dans l’ensemble des centres-villes. C’est tellement absurde de devoir quêter l’accès aux toilettes aux commerçants.
Me semble que voir les rues pleines de gens qui circulent ou profitent des espaces publics plutôt que des rues pleines de voitures stationnées est pas mal plus chaleureux et sympathique.
L’impact sur les commerces? Permettre aux gens de flâner, c’est plus payant qu’on pense. La Ville a pu constater une hausse de piétons dans la zone sans voiture. Et si seulement 14 % flânaient et utilisaient les bancs au début du projet, c’est maintenant près de la moitié.
Pour être sûr de comprendre le portrait. Au début, il y avait quelques piétons et beaucoup de voitures traversaient cette zone, mais ça ne voulait pas dire que toutes ces voitures arrêtaient pour consommer. Maintenant, très peu de voitures, mais beaucoup plus de piétons. Des piétons qui prennent le temps et s’arrêtent dans le quartier.
Il y a cette forte impression que les automobilistes rapportent plus aux commerçants. Des études permettent d’observer que les commerçants surestiment la clientèle automobiliste et sous-estiment la clientèle piétonne, cycliste ou qui utilise le transport en commun.
Les cas où la voiture rapporte peut-être réellement plus, ce sont ces endroits sans âme du type power centre, comme on retrouve à Sherbrooke près de la 410 ou le fameux 10-30 à Brossard. Mais ces lieux ont été bâtis loin de tout expressément pour l’automobile. C’est différent si on pense aux rues urbaines, comme Wellington ou Alexandre à Sherbrooke.
De plus en plus d’études démontrent que, dans les centres-villes, plus un quartier a un potentiel piétonnier élevé, meilleures sont les affaires pour les commerçants. Les commerçants ont toujours peur de perdre de l’argent avec le retrait de cases de stationnement, mais c’est bien souvent le contraire qui se produit.
Dans une étude londonienne, par exemple, on peut lire que les rues réfléchies et aménagées pour la marche et le vélo attirent 93 % plus de piétons et permettant de doubler l’achalandage dans les commerces. Si on compare mètre carré par mère carré, un raque à vélo génère 5 fois plus de ventes qu’un stationnement.
Ce qui est aussi intéressant dans la démarche d’Oslo, c’est qu’elle cherche à diminuer la dépendance à l’automobile, pas juste électrifier (quoique la majorité des voitures vendues là-bas sont électriques). Parce que si on ne fait qu’électrifier, on ne règle pas les problèmes de circulation, de mobilité durable, d’urbanisme, d’étalement, d’iniquité, etc. La Ville impose aussi un tarif pour circuler en ville et les voitures à essence paient plus que les voitures électriques.
Pour qu’un tel projet fonctionne, il faut une mobilité efficace. Larges trottoirs et rues piétonnes. Pistes cyclables partout, pour tous les trajets – je parle ici du vélo utilitaire, comme moyen de transport entre la maison et le travail ou les études ou aller diner avec ses proches. Et un transport en commun qui devient un avantage, pas la dernière option. Et pour ça, il faut des trajets efficaces – rapides et aux bons endroits. Mais quand tout un quartier est en rues spaghettis ou qu’un enchainement de stationnements, c’est dur.
Idéalement, on réfléchit à notre mobilité en amont, pour la rendre plus fluide, plus efficace et moins chère. Sinon, on se retrouve avec des absurdités comme Mi-Vallon et René-Lévesque qui ne débouchent sur rien – et ce, même si elles sont le principal boulevard d’un quartier résidentiel. Avec des problèmes de circulation autour d’un secteur commercial. Des quartiers où il est presque impossible d’implanter un transport en commun efficace. Des rues qui ont été conçues sans penser aux piétons ou aux cyclistes. Mais il existe des solutions pour adapter ces erreurs urbanistiques.
Il faut intégrer ces notions pour que l’autopartage va devenir particulièrement avantageux et que l’électrification des transports va passer du compromis à une mobilité intelligente. Et il faudra le faire, pas juste pour l’environnement, pour des raisons d’efficacité et de santé publique, aussi.
Pis ce n’est pas juste plus efficace, plus intelligent, plus vert, plus rentable. C’est aussi profondément plus agréable, plus beau, plus humain.