Logement, énergie : « la crise des pièces vides » pèse sur le Québec
Les ménages sont toujours plus petits et vivent dans des logements toujours plus grands, constate un rapport.
Une grande pièce inoccupée, chauffée à 22 degrés.
PHOTO : GETTY IMAGES / EONEREN
Thomas Gerbet
Publié à 4 h 00 HNE
Il n’y a jamais eu autant d’espaces vides dans les habitations du Québec. Un paradoxe, en pleine crise du logement. C’est aussi un enjeu de surconsommation d’électricité, à une époque où elle se fait plus rare, constate l’édition 2024 de l’État de l’énergie au Québec, publié jeudi.
Il y a de plus en plus de gens qui ont des résidences secondaires, qui ont de plus grands logements. Tout ça fait des mètres carrés en plus à construire, à chauffer, à climatiser…, déplore le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau, coauteur du rapport (Nouvelle fenêtre), avec sa collègue Johanne Whitmore.
Entre 1990 et 2021, au Québec, la surface moyenne des logements (superficie de plancher) a augmenté de 23 %. Sur la même période, le nombre de logements pour 1000 habitants a connu une hausse de 18 %.
Graphique publié dans L’État de l’énergie au Québec, édition 2024, à partir de données de l’Office de l’efficacité énergétique.
PHOTO : OEÉ
Les familles québécoises sont plus petites qu’avant et on vit de plus en plus seuls.
Dans tout le débat sur la crise du logement, personne ne semble parler de la crise des pièces vides, remarque M. Pineau.
Nous sommes devenus une société qui cultive les espaces vides et ne songe qu’à construire plus encore, plutôt qu’à mieux répartir ce qui existe.
— Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la chaire de gestion du secteur de l’énergie, à HEC Montréal
Pendant que la superficie par ménage augmente, le nombre d’occupants par habitation diminue, montre le graphique suivant.
Graphique réalisé par Pierre-Olivier Pineau avec les données de l’Office de l’efficacité énergétique et de Statistique Canada.
PHOTO : OEÉ/STATCAN
La superficie de plancher à chauffer a continué d’augmenter plus vite que la population, note le rapport. C’est un enjeu énergétique, dit M. Pineau. On chauffe tous ces espaces-là.
Le nombre total de logements au Québec a connu une hausse de 45 %, alors que la population n’augmentait que de 23 %. Cela s’explique par une diminution du nombre de personnes par ménage, expliquent les auteurs du rapport.
Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie
PHOTO : RADIO-CANADA
La surface moyenne de plancher augmente non seulement parce que les logements habités sont plus grands, mais aussi parce que le parc de maisons unifamiliales et attenantes croît plus rapidement que celui des appartements (incluant les condos).
En plus d’être de plus petite taille, les appartements requièrent 28 % moins d’énergie par mètre carré, par année, qu’une maison unifamiliale.
Cela explique qu’un ménage vivant en appartement consomme près de 44 % moins d’énergie qu’un ménage occupant une maison unifamiliale.
Tableau publié dans L’État de l’énergie au Québec, édition 2024.
PHOTO : OEÉ, 2023
Pierre-Olivier Pineau constate que la gestion automatisée du chauffage dans les habitations, pour baisser la température dans les pièces inutilisées, est encore peu répandue. Il y a Hilo, mais il a de la difficulté à pénétrer le marché, dit-il. Ultimement, il faudra des bâtiments performants pour avoir une bonne efficacité énergétique.
Le gouvernement du Québec a déposé un projet de loi pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, mais ça ne concerne pas les plex ni les maisons, comme en France.
Hydro-Québec entrevoit la fin de ses surplus d’électricité pour 2026-2027 et doit lancer un grand chantier pour accroître la production afin de répondre à la demande (Nouvelle fenêtre).
Les Canadiens et les Québécois sont parmi les champions du monde de la consommation d’énergie par habitant.
Tableau tiré de l’État de l’énergie au Québec, édition 2024.
PHOTO : EÉQ2024
Les auteurs calculent que 61 % de l’énergie utilisée par les résidences du Québec sert au chauffage, 18 % au fonctionnement des appareils électriques et 14 % au chauffage de l’eau. L’éclairage ne compte que pour 4 % de la consommation totale et la climatisation pour 3 %.
Pas de pitié pour les riches
Le rapport démontre que plus les Québécois sont riches et plus ils consomment de l’électricité.
Tableau publié dans L’état de l’énergie au Québec, édition 2024.
PHOTO : STATISTIQUE CANADA
C’est problématique, selon Pierre-Olivier Pineau, car on ne devrait pas subventionner des ménages à revenu élevé qui ont de plus en plus de mètres carré.
Au Québec, les clients résidentiels paient un tarif équivalent à 85 % de ce qui l’en coûte à Hydro-Québec pour les alimenter. Ce sont les industriels et surtout les clients commerciaux, comme les petites moyennes entreprises (PME), qui comblent la différence.
Selon lui, une possibilité serait de faire payer l’électricité selon son revenu.
Je n’ai pas de pitié, parce que ce ne sont pas les gens pauvres qui ont des espaces vides, ce sont les gens riches.
— Pierre-Olivier Pineau, coauteur de l’édition 2024 de l’État de l’énergie au Québec
Je préfèrerais que tout le monde paie un prix plus élevé, mais qu’on fasse des programmes ciblés pour des gens à faible revenu, explique-t-il. C’est ce qu’on a fait avec la TPS-TVQ, tous la paient, mais en dessous d’un certain revenu, vous avez un retour d’impôts du gouvernement.
19 % des Québécois vivent seuls dans leur logement.
PHOTO : GETTY IMAGES / BORIS_ZEC
M. Pineau évoque même une écofiscalité pénalisant les mètres-carré au-delà de 50 m2 par personne, ce qui créerait un incitatif à la location/colocation, en plus de générer des fonds pour du logement social.
Les Québécois, champions de la vie en solo
Au Canada, en 2021, 4,4 millions de personnes vivaient seules, comparativement à 1,7 million, en 1981. Et, le Québec est la province qui affiche la proportion la plus élevée : 19 %.
Selon une étude de Statistique Canada publiée en 2022, cette hausse du nombre de ménages d’une seule personne (qui se poursuit malgré le ralentissement économique et les problèmes d’abordabilité du logement dans certaines régions) s’explique presque entièrement par le vieillissement de la population.
Le Québec est un surconsommateur d’énergie qui refuse de se sevrer
Photo: Alexandre Shields, Archives Le Devoir
Le parc de véhicules personnels a augmenté de 57% au Québec depuis 1990, soit une hausse deux fois plus importante que la croissance démographique.
Alexandre Shields
Pôle environnement
7 février 2024
Environnement
La croissance de la production d’électricité souhaitée par le gouvernement Legault est loin d’être une panacée, selon ce qui se dégage de la 10e édition de l’État de l’énergie au Québec. Au contraire, cette ruée vers de nouveaux projets risque de stimuler notre surconsommation énergétique, alors que nous devrions réduire la demande en transformant nos modes de transport centrés sur l’auto solo, mais aussi en révisant les tarifs résidentiels.
« En 10 ans de travail sur le portrait énergétique du Québec, je constate que la situation ne change pas du tout à la hauteur de nos ambitions. Le problème est l’agrandissement du parc de véhicules et de bâtiments. Au lieu d’être dans une logique de réduction de la consommation, on est dans une logique d’électrification », résume Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal et coauteur de ce rapport annuel devenu un outil de référence.
Par habitant, le Québec est un très gros consommateur d’énergie, pas loin derrière les États-Unis, mais à un niveau qui représente près de quatre fois la moyenne mondiale. Et la moitié de l’énergie que nous consommons provient toujours des sources fossiles qui alimentent la crise climatique, selon ce qu’on peut lire dans le rapport dont l’édition 2024 est publiée jeudi.
« Cette grande consommation s’explique en partie par la consommation industrielle liée à l’hydroélectricité, qui a attiré ici des secteurs industriels énergivores, mais aussi par une consommation énergétique, dans les transports et les bâtiments (résidentiels et commerciaux), supérieure à celle de pays européens dont le niveau de vie est comparable ou supérieur », précise le document.
Ce rapport met aussi en lumière la hausse continue de notre appétit en raison notamment de l’augmentation du parc automobile et de la superficie de l’espace à chauffer dans les secteurs résidentiel, commercial et institutionnel. Sans oublier le manque de progrès en matière de « performance énergétique » des industries, où pas moins de 60 % de l’énergie consommée est perdue.
Véhicules plus gros
Les transports, qui dépendent à plus de 97 % des produits pétroliers, sont particulièrement révélateurs de cette voracité. Depuis 1990, la consommation totale d’énergie du secteur a augmenté de 41 %, dans un contexte où le parc de véhicules personnels a augmenté de 57 %, « soit une hausse plus de deux fois celle de la croissance démographique de la province », précise l’État de l’énergie au Québec.
Au cours de cette période, « la diminution de la consommation énergétique des voitures (–41 %) a été plus que compensée par une augmentation importante de la consommation de camions légers (véhicules utilitaires sports, pickup et camionnettes ; +174 %) en raison de la progression des ventes de ces modèles ». Globalement, le nombre de « camions légers pour passagers » a bondi de 332 %, et cette catégorie domine les ventes depuis 2015 au Québec.
En 10 ans de travail sur le portrait énergétique du Québec, je constate que la situation ne change pas du tout à la hauteur de nos ambitions.
— Pierre-Olivier Pineau
Cette tendance lourde est d’ailleurs de mauvais augure, même dans une optique d’électrification des véhicules, affirme Pierre-Olivier Pineau. Non seulement les véhicules plus imposants consomment plus d’énergie que les voitures, mais, surtout, ils nécessitent plus de ressources pour leur construction, en plus d’influencer l’occupation du territoire.
« Avec des camions légers électriques, l’attachement des individus au véhicule croît. Ce n’est pas un simple moyen de transport, mais un style de vie et une image de soi-même. On ancre encore plus le paradigme de l’auto dans nos styles de vie et on s’éloigne d’un chemin possible vers la carboneutralité », fait valoir Pierre-Olivier Pineau. Il souligne du même souffle que le Québec n’est pas le « leader » climatique dépeint par le gouvernement, lorsqu’on le compare à d’autres États plus ambitieux en Amérique du Nord et en Europe.
« Si nous restons dans un paradigme du véhicule individuel, même électrique, nous n’allons pas inverser la tendance à l’étalement humain qui morcelle le territoire, appauvrit les écosystèmes et demande énormément de ressources (béton, acier et autres matériaux) pour être développé », ajoute l’expert.
Tarifs d’électricité
Selon lui, la baisse de la demande énergétique dans le secteur des transports devrait d’ailleurs être une priorité. Pour y parvenir, la recette est bien connue : « mettre en place des incitatifs au télétravail, au transport actif, au transport en commun, au covoiturage et à l’autopartage ». Bref, mettre en oeuvre la politique de mobilité durable du Québec.
Dans son plus récent rapport, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat plaidait lui aussi pour une révolution dans le secteur des transports qui passerait par l’aménagement des villes, afin de « permettre les déplacements en transports collectifs, mais aussi à pied ou à vélo ».
À l’heure actuelle, rappelle l’État de l’énergie du Québec, Hydro-Québec se prépare à une hausse marquée de la demande québécoise en électricité de près de 20 % d’ici 2035, et ce, même en tenant compte des économies d’énergie prévues. D’où l’empressement à développer des projets éoliens et potentiellement un nouveau projet de grand barrage sur la Côte-Nord.
Mais avant de songer à « construire des infrastructures controversées qui alimenteraient notre surconsommation », Pierre-Olivier Pineau plaide pour la mise en oeuvre de solutions « moins dispendieuses », mais possiblement plus difficiles à mettre en place sur les plans social et politique. Il cite comme exemple le besoin de rénovations des bâtiments pour des raisons d’efficacité énergétique, mais aussi la nécessité de permettre l’« autoproduction » pour les consommateurs industriels.
M. Pineau souligne en outre le besoin d’aborder de front le débat sur les tarifs résidentiels. « Les consommateurs résidentiels sont ceux qui consomment le plus et qui ont le plus grand appel de puissance. Il est temps qu’ils reçoivent un signal de prix plus proche des coûts d’approvisionnement d’Hydro-Québec. Cela n’exclut pas, évidemment, qu’on aide les ménages à faible revenu. Mais doit-on aider tous les ménages, même à revenu élevé, alors que ce sont les ménages riches qui consomment le plus ? »