La saga du minage de cryptomonnaie sur des terres agricoles se poursuit
Olga Maltseva, Archives Agence France-Presse
Cette nouvelle saga a débuté il y a quelques années déjà, lorsqu’une entreprise de Benoît Laliberté a commencé à bâtir des «dômes de serveurs informatiques» sur des terres agricoles situées à Sainte-Marie-Madeleine sans obtenir l’autorisation de la CPTAQ.
Ulysse Bergeron
5 décembre 2022
Économie
Une étape de plus est franchie dans le bras de fer judiciaire qui oppose la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) à l’homme d’affaires controversé Benoît Laliberté. La Cour d’appel a récemment tranché en faveur du gardien des sols cultivables qui, depuis quatre ans, tente de faire démanteler des installations de minage de cryptomonnaies installées sans autorisation sur des terres agricoles de bonne qualité.
Avec sa décision, la Cour d’appel refuse à l’homme d’affaires controversé une demande qui aurait eu pour effet de freiner des démarches entamées par la CPTAQ. L’organisation tente d’homologuer devant un tribunal une première décision qui ordonne le démantèlement des infrastructures informatiques en territoire agricole.
La saga judiciaire n’est pas pour autant terminée. En entretien avec Le Devoir, Benoît Laliberté persiste et signe dans sa volonté de miner des cryptomonnaies : « Nous, on a une panoplie d’arguments à faire valoir. Puis, à l’issue de ça [si le jugement nous est défavorable], on a toutes sortes de recours, dont un appel de plein droit [de la décision]. »
Même si cette portion-là qui est liée à nos dômes [infrastructures qui servent au minage de cryptomonnaies] n’est pas de l’agriculture au sens propre, nous, on conçoit ça comme un système accessoire de chauffage pour nos serres qui doivent être construites.
— Benoît Laliberté
Ses infrastructures de minage, soutient-il, font partie d’un projet plus vaste qui, lui, serait de nature agricole. À terme, la chaleur de ses installations devrait chauffer des serres de tomates, dit-il : « Même si cette portion-là qui est liée à nos dômes [infrastructures qui servent au minage de cryptomonnaies] n’est pas de l’agriculture au sens propre, nous, on conçoit ça comme un système accessoire de chauffage pour nos serres qui doivent être construites. »
Or, quatre ans après le début du projet, il concède que les serres ne sont toujours pas installées, indiquant les avoir commandées il y a près de « deux ans et demi ».
Questionné quant à la possibilité de devoir démanteler ses installations si la décision lui était finalement défavorable, M. Laliberté se montre confiant. « Nous, on est sûrs qu’on va trouver une solution de bonne foi avec la CPTAQ pour utiliser la chaleur de nos équipements pour cultiver », dit-il. Pendant les procédures, il compte poursuivre les activités sur les terres.
Benoît Laliberté est un entrepreneur qui a connu son lot de controverses. Dans les années 2000, la faillite de son entreprise en informatique, Jitec, a été très médiatisée. En 2008, il a été condamné pour 41 infractions à la Loi sur les valeurs mobilières pour manipulation du titre de Jitec. En novembre dernier, La Presse publiait une enquête révélant, entre autres choses, que les gouvernements du Québec et du Canada lui réclamaient plus de 55 millions de dollars pour impôts, taxes et amendes non payés. Et dans les dernières semaines, Radio-Canada racontait ses déboires avec la CPTAQ.
Les cryptomonnaies en terres agricoles
Cette nouvelle saga a débuté il y a quelques années déjà, lorsqu’une entreprise de Benoît Laliberté a commencé à bâtir des « dômes de serveurs informatiques » sur des terres agricoles situées à Sainte-Marie-Madeleine sans obtenir l’autorisation de la CPTAQ. Dès 2018, la municipalité a constaté que des travaux de branchements électriques et d’excavation avaient été réalisés sans permis, et un avis d’infraction a alors été établi.
« Ces travaux visaient à permettre l’installation, à l’intérieur d’un dôme ayant auparavant servi de manège à chevaux, d’environ 1000 modules informatiques servant à effectuer des calculs et utilisés dans des opérations de minage de cryptomonnaies », est-il détaillé dans l’ordonnance de la CPTAQ qui remonte à 2018.
L’année suivante, alors que le dossier est devant les tribunaux, Benoît Laliberté vend pour un million de dollars ses installations à une entreprise qu’il dirige : le Centre de données de Blockchain (Blockchain Data Centers). Enregistrée à Toronto, cette dernière appartient en partie à United American Corp, une société floridienne spécialisée dans le minage de cryptomonnaies.
Depuis, Blockchain Data Centers s’est redéfini comme une entreprise serricole, maintenant connue sous deux noms : Corporation d’énergie thermique agricole du Canada et AgroDômes. « Nous, on considère faire des activités agricoles », dit M. Laliberté.
L’absence de serres n’a pas empêché les serveurs informatiques de rouler à plein régime dans les dernières années. Pour assurer l’approvisionnement en électricité, la facture mensuelle de l’entreprise atteignait 350 000 $, selon des documents de cour. Le bloc de 12,3 MW qui lui est attribué représente la quasi-totalité du volume destinée aux activités de chaînes de bloc (12,9 MW) du réseau régional d’électricité de Saint-Jean-Baptiste de Rouville.
À partir de 2020, le projet de Benoît Laliberté commence néanmoins à battre de l’aile. L’entrepreneur Emco, qui a fait des travaux de construction sur le site, lui fait parvenir une hypothèque légale, suivie d’un préavis d’exercice de vente sous contrôle de justice.
À l’automne de la même année, c’est la Coopérative régionale d’électricité de Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville qui lui envoie un avis d’interruption de service parce que les sommes impayées atteignent près de 285 000 $, selon les documents de cour.
Benoît Laliberté concède « avancer avec plusieurs vents de face », qu’il qualifie à plusieurs reprises de « politiques » durant l’entretien avec Le Devoir. Au sujet de l’avis d’infraction de 2018 de la CPTAQ, il dit : « c’était “canné”, c’était une job de bras ». Chauffer des serres par l’entreprise de la chaleur créée par des systèmes de minage de cryptomonnaies, c’est « relativement innovant et nouveau », constate-t-il, ajoutant « qu’il n’y a pas de jurisprudence » à cet effet : « Nous, on a fait ce qu’on pensait être le mieux, tout simplement. »