Résumé
Suspension d’Écocamionnage Un virage électrique stoppé net
PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE
La suspension surprise du programme gouvernemental Écocamionnage surprend l’industrie du camionnage, qui anticipe un coup de frein dans son virage électrique.
Encore à ses balbutiements, le virage électrique se retrouve au point mort dans l’industrie du camionnage. La suspension sans préavis d’un programme du gouvernement Legault a aussitôt provoqué des annulations de commandes, prenant au dépourvu l’industrie et les concessionnaires – qui craignent une facture salée imprévue.
Publié à 3h20 Mis à jour à 5h00
Julien Arsenault La Presse
Ce qu’il faut savoir
- Sans préavis, Québec a suspendu le programme Écocamionnage.
- Cette enveloppe sert à atténuer les coûts du virage électrique dans l’industrie du camionnage.
- Le secteur a été pris de court par cette mesure et des concessionnaires craignent des annulations de commandes.
- Un poids lourd électrique peut coûter jusqu’à 600 000 $, soit trois fois plus cher que sa version alimentée au diesel.
« Quand l’annonce est sortie, nous avions dix camions en commande et en stock à livrer à des clients, explique Guillaume Chénard, vice-président des ventes du réseau de concessionnaires Globocam. Là, il y a un gros point d’interrogation. Tous ces camions-là ont été vendus avec la subvention. »
Le changement en question concerne le programme Écocamionnage, dont la mouture actuelle devait venir à échéance le 31 mars prochain. En invoquant un « engouement exceptionnel », le ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD) a récemment annoncé, sur son site web, qu’il cessait d’accepter les nouvelles demandes d’aide financière en date du 6 septembre. Cette « suspension temporaire » est en vigueur jusqu’à « nouvel ordre ».
Écocamionnage consiste à stimuler l’électrification et l’utilisation de technologies visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le transport de marchandises.
À titre d’exemple, pour la version électrique d’un poids lourd (classe 8), il était possible d’obtenir jusqu’à 175 000 $ en vertu d’Écocamionnage. L’acheteur d’un poids lourd électrique pouvait absorber plus de la moitié du coût d’acquisition en combinant l’aide avec le soutien fédéral – un maximum de 150 000 $.
PHOTO FOURNIE PAR GLOBOCAM
Globocam craint des annulations de commandes pour le poids lourd électrique eCascadia du constructeur Freighliner.
Le hic ? Le client doit solliciter la subvention du programme provincial après la réception de son achat, tandis que l’aide fédérale prend la forme d’un rabais à l’achat. Dans l’industrie du camionnage, on craint de voir la clientèle refuser des livraisons de véhicules déjà commandés puisqu’elle n’a plus la garantie que l’argent de Québec sera au rendez-vous.
« Il y a une très grande part de risque pour le client de commander un camion électrique ne sachant pas s’il va être subventionné », dit M. Chénard.
Poids financier
Le message du MTMD a provoqué une vive secousse dans l’industrie, le magazine spécialisé Transport routier l’a récemment évoqué. Propriétaire des marques Peterbilt et Kenworth, Paccar, qui exploite également une usine d’assemblage à Sainte-Thérèse, dans les Laurentides, a même senti le besoin d’y aller d’une tentative de rappel à l’ordre auprès du gouvernement Legault.
Dans une lettre adressée au premier ministre François Legault et à trois de ses ministres, que La Presse a pu consulter, la multinationale américaine souligne qu’il est « difficile de comprendre pourquoi cette situation n’a pas été signalée à l’avance ».
« L’achat, la construction et la livraison d’un camion électrique peuvent prendre plusieurs mois, souligne le directeur des ventes nationales, énergies alternatives de Peterbilt du Canada, Martin Blanchet. Il est donc raisonnable de conclure que si la situation n’est pas résolue, les commandes clients confirmées que nous pensions livrer cette année et en 2025 seront tout simplement annulées et deviendront un inventaire coûteux. »
Dans une lettre envoyée également au gouvernement Legault, l’Association du camionnage du Québec (ACQ) estime qu’un coup de barre est nécessaire pour « limiter les dommages ».
« Nous recommandons très fortement d’utiliser toutes les sommes d’argent disponibles, notamment celles émanant du Fonds d’électrification et de changements climatiques et de réinstaurer, rétroactif au 6 septembre, le programme », écrit son président-directeur général, Marc Cadieux.
Écocamionnage, c’est quoi ?
Il s’agit d’un programme qui s’adresse aux propriétaires et exploitants de véhicules lourds. Son objectif : réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’industrie en finançant des initiatives d’efficacité énergétique ou l’électrification. Écocamionnage est financé par le Fonds d’électrification et de changements climatiques – autrefois appelé le Fonds vert. En avril dernier, ce Fonds était assis sur un surplus accumulé de 1,7 milliard. Selon la commissaire au développement durable, cette enveloppe a financé pour 3 milliards de projets de lutte contre les changements climatiques sans avoir d’indicateurs pour connaître leur effet.
Coûteux inventaire à financer
Un poids lourd électrique peut coûter jusqu’à 600 000 $, soit trois fois plus cher que sa version alimentée au diesel. Jusqu’à la livraison du véhicule, c’est le concessionnaire qui assume les coûts de financement. Chez Peterbilt, la facture mensuelle peut frôler les 65 000 $ pour 18 modèles électriques en stock ou commandés chez deux concessionnaires, selon la missive consultée par La Presse.
La situation est similaire chez Globocam, qui exploite un réseau de neuf concessionnaires dans la province ainsi qu’un centre de préparation pour camions neufs.
PHOTO MATHIEU DESLANDES, FOURNIE PAR GLOBOCAM
Guillaume Chénard, vice-président des ventes du réseau de concessionnaires Globocam.
« On peut supporter cette situation pendant environ trois ou quatre mois, prévient M. Chénard. Après cela, ça commence à faire mal dans nos livres. C’est plusieurs millions de dollars en stocks que nous devons supporter. »
Encore au début
Contrairement aux véhicules de promenade électriques, les poids lourds alimentés à l’électricité circulent depuis moins longtemps sur les routes de la province. Ce n’est donc pas demain la veille que l’écart de prix avec les modèles à combustion se rétrécira de façon marquée.
« Une transition comme celle-là, si on veut qu’elle fonctionne, il ne faut pas ébranler la confiance des gens qui investissent dedans, estime M. Blanchet. C’est ça qu’Écocamionnage vient faire. »
Au moment d’écrire ces lignes, lundi, il n’avait pas été possible de savoir pourquoi le programme québécois s’était retrouvé sur la voie de garage. Le MTMD n’avait pas répondu aux questions de La Presse envoyées par courriel. On ignore si Québec table sur une solution de rechange.
Dans son plan de mise en œuvre 2023-2028 entourant sa stratégie pour une économie verte, le gouvernement Legault avait prévu une enveloppe de 31 millions en 2023-2024 pour le programme Écocamionnage. Elle devait atteindre 56 millions cette année et grimper progressivement jusqu’à 95 millions en 2027-2028.
À l’ACQ, M. Cadieux a de la difficulté à croire que le gouvernement Legault a été surpris par un « engouement exceptionnel » envers son programme.
« On sait ce qu’un camion de classe 8 coûte et ce que la subvention coûte, dit-il. Ça ne prend pas un classeur Excel. On devrait être capable de faire de la planification et d’offrir de la prévisibilité. Là, on a mis quelque chose en ligne sans aucun avertissement. »
De manière prudente, Lion Électrique a également plaidé pour un redémarrage rapide d’Écocamionnage en soulignant que le programme devait être « adapté ». Selon le vice-président camion et affaires publiques Patrick Gervais, les mesures doivent « cibler particulièrement le remplacement des véhicules plus polluants, comme ceux des classes 5 à 8 ».
En savoir plus
- 61 %
Croissance des émissions de gaz à effet de serre du transport par camion au Québec de 1990 à 2021
comité consultatif sur les changements climatiques
2014
Entrée en vigueur du programme Écocamionnage
gouvernement du québec