Électrification des transports

La puissance d’Hydro-Québec menacée par le poids des véhicules électriques

Une nouvelle étude anticipe ce qui se passera quand toutes les voitures du Québec seront électriques.

Un Ford F-150 électrique, présenté à la presse en 2021. Le véhicule pèse 2950 kilos.

Photo : afp via getty images / JEFF KOWALSKY

Thomas Gerbet (accéder à la page de l’auteur)

Thomas Gerbet

Thomas Gerbet

Publié à 4 h 00

Hydro-Québec devra augmenter sa capacité pour répondre aux besoins des véhicules électriques de plus en plus nombreux et de plus en plus lourds. C’est ce que démontre une nouvelle étude réalisée à Polytechnique et à l’Université de Montréal, obtenue par Radio-Canada. La société d’État demeure confiante, même si elle n’a pas de vision précise de la demande au-delà de 2032.

La transition arrive et il va falloir faire des changements, sinon, on n’y arrivera pas, conclut Simon Brassard, l’auteur de l’analyse. L’étudiant en physique a été encadré dans son travail par Normand Mousseau, chercheur associé à la Chaire en transformation du transport de l’Université de Montréal et Polytechnique.

Le professeur Normand Mousseau et son étudiant, Simon Brassard.

Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet

Selon leurs calculs, si les 5 millions de voitures et camions légers du Québec devenaient tous électriques, demain matin, il risquerait de manquer de puissance dans le réseau d’Hydro-Québec pour alimenter leur recharge durant l’hiver.

« Clairement, on ne peut pas continuer dans l’état actuel, parce que le système électrique ne sera pas capable d’endurer le changement. »

— Une citation de Simon Brassard, stagiaire à la Chaire en transformation du transport Université de Montréal/Polytechnique

L’enjeu n’est pas de manquer d’électricité (les ressources sont grandes), mais plutôt de manquer de capacité à fournir cette électricité à tous ceux qui la demandent au même moment. C’est ce qu’on appelle la puissance.

La puissance d’Hydro-Québec est actuellement de 37 gigawatts (GW). Certaines journées très froides, le réseau est déjà à pleine capacité. Or, l’étude conclut que dans un hiver standard, on aurait besoin de 3,65 GW au minimum avec le parc de voitures actuel électrifié.

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Il pourrait donc manquer au moins 10 % de puissance (3,65 GW sur 37 GW) pour que les véhicules électriques puissent se recharger. Et les besoins s’accentuent avec le froid, mais aussi avec les années qui passent.

L’étude tient compte du fait que le nombre de véhicules de promenade augmente constamment, année après année, au Québec. Les besoins de puissance devraient donc augmenter en 2030 puis en 2040.

En 2035, la vente de voitures neuves à essence sera interdite au Québec et au Canada. (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada / Simon-Marc Charron

Des calculs conservateurs

L’auteur de l’étude est resté très prudent dans ses calculs. Il n’a inclus que les véhicules de promenade, et pas les autres véhicules qui vont aussi s’électrifier, comme les autobus ou les camions de transport.

Aussi, il a considéré que les gens rechargeraient leur voiture à des moments différents, répartis durant toute la journée. Or, on sait que les gens seraient probablement plus nombreux à le faire à l’heure de pointe du soir, en rentrant du travail. Il est donc probable que le besoin de puissance serait encore plus grand.

La Kona de Hyundai pèse 14 % plus lourd en modèle électrique qu’en modèle à essence. (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada / Carl Boivin

Des véhicules de plus en plus lourds

Dans son calcul, l’auteur prend aussi en compte la hausse du poids des véhicules, puisqu’une voiture électrique pèse plus lourd qu’une voiture à essence, à cause de la batterie. Un véhicule plus lourd a besoin de plus d’énergie pour être propulsé.

Normand Mousseau se soucie beaucoup de la taille des véhicules qui augmente. Il y a un coût à ne pas se préoccuper de ça, dit-il. Le professeur aimerait une législation au Québec pour décourager les gens d’acheter de gros véhicules électriques. Ainsi, il y aurait moyen de réduire de manière importante la demande en puissance.

« Une taxe, c’est une façon de faire de la sobriété énergétique. »

— Une citation de Normand Mousseau, chercheur associé à la Chaire en transformation du transport de l’Université de Montréal et Polytechnique

Pour ne rien arranger, même les modèles à essence augmentent de poids année après année, sans même être électrifiés.

Les véhicules de plus en plus lourds, quand ça va frapper un piéton, ça va faire de plus en plus mal. Et la capacité de freiner est réduite, rappelle Normand Mousseau, inquiet pour la sécurité.

Hydro-Québec demeure confiante pour sa puissance

La Société d’État reconnaît que l’électrification du parc automobile va accentuer la pression sur son réseau. À l’horizon 2032, la hausse anticipée de demande d’électricité au Québec, tous domaines confondus, correspond à quelque 25 térawattheures (TWh) d’énergie et 4 GW de puissance.

« L’essor des véhicules électriques est responsable du tiers des besoins additionnels en énergie et d’un peu moins de la moitié des besoins additionnels en puissance sur 10 ans, soit 1800 MW [1,8 GW]. »

— Une citation de Jonathan Côté, porte-parole d’Hydro-Québec

Mais le risque de manquer de puissance ne semble pas inquiéter la société d’État : Nous n’anticipons pas, pour l’instant, d’enjeu à ce niveau.

Hydro-Québec rappelle que, dans les faits, l’arrivée d’une telle quantité de véhicules électriques sur le réseau ne se fera pas du jour au lendemain. Nous serons en mesure de répondre à la demande au rythme requis, croit le porte-parole.

Le gouvernement du Québec veut voir circuler 1,5 million de véhicules électriques sur les routes québécoises en 2030. C’est 10 fois plus qu’aujourd’hui (environ 150 000). (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada / Carl Boivin

Hydro-Québec pense pouvoir combler les besoins additionnels d’ici 10 ans, en économisant de la puissance, grâce à l’efficacité énergétique et aux efforts de ses clients pour mieux répartir leur demande, mais aussi en augmentant la puissance de ses centrales existantes et en misant sur le développement des éoliennes.

Hydro-Québec n’a pas de vision précise de la demande au-delà de 2032

En 2035, la vente de voitures neuves à essence sera interdite au Québec et au Canada et la transition vers un parc automobile 100 % électrique s’étalera jusqu’en 2050, selon CAA-Québec.

Nos prévisions de demande ne vont pas aussi loin, admet le porte-parole d’Hydro-Québec, Jonathan Côté. [Elles] s’effectuent sur un horizon d’une dizaine d’années.

La société d’État a quand même accepté de se prêter à l’exercice pour nous.

Jonathan Côté, porte-parole d’Hydro-Québec.

Photo : Gracieuseté : Jonathan Côté

En 2050, si les habitudes observées aujourd’hui restaient 100 % identiques, nous estimons que l’impact en pointe des véhicules électriques sera de l’ordre de 7 000 MW [7 GW], dit le porte-parole.

Dans le même temps, Hydro-Québec pense que les voitures électriques entraîneront un déplacement de la pointe en fin de soirée, l’impact de ce déplacement permettrait de sauver 1 GW. Donc, l’adoption des véhicules électriques aurait pour effet d’augmenter globalement la pointe d’environ 6000 MW [6 GW].

Hydro-Québec anticipe que l’évolution technologique va faire diminuer le poids des batteries et augmenter leur capacité. Ceci aura un impact sur la fréquence des besoins de recharge, explique Jonathan Côté.

Des solutions envisagées

Le développement de la recharge intelligente permet de programmer l’heure de recharge en dehors des périodes de pointe. Pour réduire l’impact, il faut recharger la nuit, conseille Simon Brassard.

Plusieurs véhicules électriques permettent de différer le temps de recharge de la batterie en le programmant d’avance. (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada

Aussi, Hydro-Québec mise sur l’avenir des technologies bidirectionnelles, comme le V2H (vehicle-to-home) et V2G (vehicle-to-grid) considérées comme une superbe opportunité. La batterie du véhicule pouvant ainsi devenir une batterie pour la maison.

« Le défi pourra se transformer en opportunité car les véhicules électriques pourront devenir des outils de gestion des pointes de consommation. »

— Une citation de Jonathan Côté, porte-parole d’Hydro-Québec

Moi, j’ai de la misère à y croire, tempère le professeur Normand Mousseau. Au moment où on aura le plus besoin de puissance, je ne suis pas sûr que les gens vont se dire que c’est le temps de vider leur batterie de véhicule électrique.

Les propriétaires de véhicules électriques au Québec ont bien remarqué que la performance de leur batterie diminue grandement avec le froid. Recourir à l’électricité de leur voiture pour griller des toasts ou faire la lessive pourrait leur faire craindre de provoquer une usure prématurée de la batterie, selon le professeur.

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