Résumé
La Presse en France Un quartier pensé pour les familles
PHOTO RAFAEL MIRÓ, COLLABORATION SPÉCIALE
La classe de petite section de Mme Sarah, qui donne sur le parc Martin-Luther-King. Inspirées de l’architecture nordique, selon le concepteur de l’école, les fenêtres ont été conçues pour laisser passer un maximum de lumière.
(Paris) En regardant les très larges fenêtres en bois qui donnent sur la cime des arbres, on pourrait s’imaginer dans un luxueux chalet des Laurentides. Mais non, on est bien dans la classe de Mme Sarah, enseignante à l’école primaire publique Rostropovitch, en plein Paris.
Publié à 6h50
Rafael Miró Collaboration spéciale
« Toute la journée, on a une belle lumière naturelle qui entre dans la classe. Je dirais que ça calme les enfants », explique Sarah, qui enseigne en petite section (prématernelle) à une vingtaine d’enfants de 3 et 4 ans. « Le matin, il y en a tellement qu’on est obligés de fermer partiellement les volets, sinon il fait trop chaud. »
La classe de Mme Sarah n’est pas la seule à avoir une si belle vue. Dans cette petite école de six classes, construite toute en bois dans le 17e arrondissement de Paris, toutes les salles ont au moins un mur couvert de fenêtres, sinon deux. « À plusieurs endroits, on peut même voir la butte Montmartre », explique la directrice, Florence Davy, qui raconte avoir été éblouie par l’architecture du bâtiment lors de son arrivée il y a cinq ans.
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Florence Davy, directrice de l’école Rostropovitch, dans une des salles de classe
De la classe de Mme Sarah, on peut surtout voir les étangs du parc Martin-Luther-King, un espace vert de 10 hectares dans lequel l’école est encastrée. « Au fil des saisons, on voit passer des canards et des hérons pendant les cours », explique l’institutrice.
Pour les sorties scolaires, pas de casse-tête : les enseignants n’ont même pas de rue à traverser pour se retrouver dans le parc.
L’école comporte plusieurs curiosités architecturales, à l’extérieur comme à l’intérieur. Dans les classes, du mobilier intégré a été prévu pour faciliter le travail des enseignants. « Les professeurs aiment beaucoup les armoires coulissantes imbriquées dans le mur, qui sont inclinées pour que les enfants puissent les utiliser comme chevalet de peinture », explique Mme Davy, la directrice.
Une école, une crèche, 127 logements
L’école maternelle Rostropovitch a été inaugurée en 2019 pour accueillir des enfants de 3 à 5 ans. Le bâtiment abrite aussi une crèche publique (l’équivalent d’un CPE) au rez-de-jardin, avec sa propre cour de récréation.
Pierre Thibault, l’architecte québécois qui a porté le projet du Lab’École ces sept dernières années aux côtés de Ricardo Larrivée et de Pierre Lavoie, a eu l’occasion de voir l’école et la cite comme un modèle de réussite. « C’est un bâtiment d’une qualité extraordinaire, surtout qu’elle a été construite sur une toute petite parcelle », vante-t-il. La conception de l’école s’est faite au terme d’un concours d’architecture, comme c’est toujours le cas pour les bâtiments publics en France.
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L’école Rostropovitch a été construite en forme de « X ».
Ce qui épate surtout Pierre Thibault, c’est que l’école Rostropovitch a été construite en même temps que deux tours résidentielles de 6 et 15 étages. « On pourrait penser que ce serait un problème, mais on ressent à peine la présence des immeubles », illustre-t-il.
« Pour que la lumière arrive partout, on a construit l’école en forme de “X”, avec les pattes qui enroulent le bas des immeubles », détaille au téléphone Boris Schneider, l’architecte qui a dessiné les plans. « Et dans les deux espaces vides qui sont formés, il y a une cour pour l’école et une autre pour la crèche. » Dans les deux cours, des arbres, des jeux, des petits bancs en bois et un sol coloré adapté pour que les enfants puissent jouer sans se faire mal.
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La cour de récréation de l’école, vue depuis le deuxième étage. Derrière, le parc Martin-Luther-King, un espace vert de 10 hectares construit en même temps que le nouveau quartier parisien des Batignolles.
Pas de problèmes de bruit
L’immeuble de 6 étages sert de résidence temporaire à des travailleurs étrangers, tandis que celui de 15 étages est constitué en grande majorité de logements sociaux, destinés à plusieurs niveaux de revenus. « Et pour l’avoir visité, c’est un logement social de très grande qualité, sans différence visible avec du logement privé », s’étonne Pierre Thibault.
Il faut dire que le logement social est très répandu en France et n’est pas destiné uniquement aux populations les plus défavorisées : 16 % des résidences principales dans le pays sont des logements sociaux, contre 3,5 % au Québec.
« À Paris, on ne fait quasiment plus d’écoles sans superposer avec des bâtiments publics ou du logement, souvent à vocation sociale », explique Boris Schneider. Cette manière de faire comporte tout de même quelques défis. « Il faut prévoir beaucoup d’entrées différentes, et surtout, il faut respecter une distance entre les fenêtres et la cour pour que des objets ne puissent pas tomber sur les enfants », détaille l’architecte.
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Construite en même temps qu e l’école Rostropovitch, cette tour de 15 étages accueille 77 logements sociaux.
Les résidants des lieux rencontrés par La Presse ne se plaignent pas de la présence de l’école au bas de l’immeuble. « Ça fait beaucoup de bruit, c’est vrai, mais c’est un bruit agréable. Ce n’est que quelques fois par jour, et seulement la semaine », explique Abdel, qui habite pourtant au deuxième étage, tout près de la cour. « Je ne me plains pas, parce que j’aurais eu de la difficulté à trouver un logement aussi grand ailleurs », raconte-t-il. « Ça aide que les fenêtres aient été très bien isolées. »
Fatou Dabo, qui a choisi de s’installer ici il y a trois ans avec son conjoint et ses deux bambins, ne se plaint pas non plus du bruit, heureuse de se trouver aussi près de l’école. « Entre le boulot et la vie quotidienne, ça fait une chose en moins de déposer les petits à la crèche en sortant de chez soi », explique-t-elle.
Une école de proximitéFlorence Davy estime qu’une « douzaine de familles » qui fréquente son école habitent directement au-dessus. « Et la quasi-totalité des enfants viennent de la rue Rostropovitch, qui compte plusieurs immeubles », explique-t-elle.
Les parents viennent presque tous chercher leurs enfants à pied, et souvent ils font un pique-nique dans la poussette pour aller au parc après.
Florence Davy, directrice de l’école Rostropovitch
Au moment de la construction du quartier des Batignolles, dans les années 2010, tout a été pensé pour que des familles viennent s’installer. L’emplacement des écoles a été réfléchi en amont, par des architectes mandatés par l’État, et elles ont été construites en même temps que les habitations. En plus de l’école Rostropovitch, trois d’entre elles se trouvent en lisière du parc Martin-Luther-King, très fréquenté par les familles.L’État a même prévu des classes en trop. « On a une classe qui nous sert à entreposer du matériel, c’est dommage », explique Florence Davy. Même si elle est globalement très satisfaite de l’architecture de son école, la proviseure a quand même trouvé, en cinq ans, quelques défauts de fabrication. « Ils auraient pu penser à mettre une toilette dans la cour, c’est toute une logistique de faire rentrer des enfants de 3 à 5 ans à chaque envie… mais c’est peut-être un détail trop précis pour être pensé à l’avance ! »
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Comment bâtir de meilleures écoles au Québec ?
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Cour de récréation de l’école Rostropovitch, dans le quartier des Batignolles, à Paris
Innover ici est possible, à en croire les réponses de Pierre Thibault, architecte et co-initiateur du projet Lab-École, d’Anne Cormier, professeure et ancienne directrice de l’École d’architecture de l’Université de Montréal, et de François Racine, urbaniste et architecte, professe ur au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM.
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Combiner des logements avec des écoles, est-ce que ça s’est déjà fait au Québec ?
Anne Cormier : Il y a eu des projets ailleurs au Canada, à Toronto et à Vancouver, mais jamais au Québec. Pourtant, c’est clair qu’en milieu très dense, on aurait avantage à le faire. D’abord pour s’attaquer à la crise du logement, ensuite parce que ça n’a pas vraiment de sens économiquement pour le gouvernement de construire seulement une école classique de deux étages quand la parcelle coûte aussi cher.
Je pense qu’on s’en va vers ça, mais il va d’abord falloir régler des problèmes de normes et de règlements. Pour le moment, construire une école en même temps que du logement, ce serait un exercice de haute voltige administrative, sans rapport avec l’architecture.
Les écoles publiques en France sont toutes construites après un concours d’architecture, c’est-à-dire que plusieurs architectes soumettent des plans à un jury, qui choisit le meilleur. Est-ce que ce système existe au Québec ?
Anne Cormier : À ma connaissance, avant le Lab-École, aucune école n’avait été construite après un concours d’architecture depuis les années 1960. Par contre, les bâtiments qui relèvent du ministère de la Culture comme les bibliothèques et les musées sont construits avec des concours, ce qui a toujours donné de bons résultats.
Il y a une réticence au Québec à faire des concours d’architecture, pour des raisons qui me semblent assez mauvaises. Certains vont dire que les coûts de réalisation sont plus difficiles à contrôler que dans le cas d’un appel d’offres, mais d’après ce qu’on peut observer, ce n’est pas nécessairement le cas. Parfois, les donneurs d’ouvrage peuvent avoir l’impression de perdre la maîtrise du projet parce que les architectes travaillent en vase clos au moment de faire leurs propositions.
Pierre Thibault : Au Québec, on fonctionne avec un système d’appels d’offres, où les architectes sont choisis avant de faire les plans en fonction de leurs honoraires et de leurs réalisations passées. Cela fait que ce sont souvent les mêmes firmes qui construisent et qu’il n’y a pas beaucoup de variété !
Avant le Lab-École, on construisait à peu près les mêmes écoles au Québec depuis 50 ans : un bloc, deux étages, un corridor, des classes de chaque côté et une dalle d’asphalte dehors pour la cour et le stationnement. Le Lab-École a eu le mérite d’expérimenter pour la première fois avec le concours, ce qui a donné cinq écoles extrêmement novatrices.
Est-ce que de procéder par concours pourrait aider à intégrer la question du logement dans les écoles ?
Pierre Thibault : Ce n’est pas la seule solution possible, mais c’est clair que les concours d’architecture permettent de faire émerger des solutions plus originales à des problèmes.
Malheureusement, si on organise un appel d’offres pour faire une école avec du logement, j’ai peur que ce soit un projet un peu bancal, parce qu’on ne l’a jamais fait avant. Si on fait un concours et qu’on a 30 propositions qui intègrent du logement, il y a certainement deux ou trois propositions innovantes qui vont devenir des références pour ce qu’on va construire ensuite. Dans le quartier des Batignolles, où se trouve l’école Rostropovitch, l’État a prévu assez d’écoles pour accueillir tous les enfants du quartier, et certaines classes ont été prévues en surplus. À l’inverse, certains quartiers récemment construits au Québec, comme Griffintown, n’ont toujours pas d’école. Qu’est-ce qui est différent ?
François Racine : Au Québec, on a laissédans les dernières années des promoteurs privés construire des quartiers au complet. À Griffintown, par exemple, ça a donné un quartier complet sans écoles, sans espaces verts et sans espaces publics. C’est un vrai gaspillage d’espace, à deux pas du centre-ville !
En France, l’État s’implique beaucoup dans la conception des quartiers, en fixant dès le départ des contraintes sur la présence d’écoles et d’espaces verts. Ensuite, c’est un organisme parapublic qui s’occupe d’attribuer les parcelles, souvent après un concours d’architecture pour trouver le meilleur plan d’ensemble pour le quartier. On commence à s’inspirer de ça au Québec, notamment avec le projet à la Cité Angus. Il faut que l’on continue dans cette direction, pour ne plus faire d’erreurs comme à Griffintown !