Dans la serre des Fermes Lufa, sur le toit d’un bâtiment de la Ville de Montréal, les employés procèdent au vide sanitaire annuel des installations. Plants de poivrons ou de piments, tout est vidé, nettoyé et désinfecté avant le prochain cycle de culture.
Une nouvelle production devrait donner ses premiers fruits dans environ cinq semaines, indique l’entreprise.
Tiges, feuilles, attaches, cordes, substrats de culture : jusqu’à récemment, tout allait à l’enfouissement.
Résumé
Les résidus des serres : une ressource qui ne demande qu’à être exploitée
La culture des fruits et légumes en serre produit une quantité gigantesque de déchets qui prennent le chemin des sites d’enfouissement. Des chercheurs québécois ont pour mission de trouver des débouchés à ces résidus. La semaine verte les a rencontrés.
Publié à 4 h 00 HAE
Dans la serre des Fermes Lufa, sur le toit d’un bâtiment de la Ville de Montréal, les employés procèdent au vide sanitaire annuel des installations. Plants de poivrons ou de piments, tout est vidé, nettoyé et désinfecté avant le prochain cycle de culture.
Une nouvelle production devrait donner ses premiers fruits dans environ cinq semaines, indique l’entreprise.
Tiges, feuilles, attaches, cordes, substrats de culture : jusqu’à récemment, tout allait à l’enfouissement.
Seulement dans le complexe du groupe Savoura, dans les Basses-Laurentides, l’opération d’effeuillage, combinée au vide sanitaire, représente 2500 tonnes de biomasse par année.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Presque au même moment, dans un vaste complexe du groupe Savoura, dans les Basses-Laurentides, les employés effeuillent les plants de tomates pour favoriser leur productivité. Les feuilles qui s’accumulent finiront aussi dans un site d’enfouissement.
Les plants forment à peu près trois feuilles par semaine. Il faut les enlever parce qu’on garde toujours un niveau d’à peu près une quinzaine de feuilles par plant de tomates, explique Richard Dorval, vice-président à la production du Groupe Savoura.
Richard Dorval est le vice-président à la production du Groupe Sagami-Savoura.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Au Québec, seulement dans les serres de tomates, on estime que les opérations d’effeuillage et les vides sanitaires génèrent chaque année jusqu’à 42 000 tonnes de résidus, soit 300 tonnes de résidus à l’hectare.
On les enfouit parce que la biomasse est contaminée avec des attaches et des cordes en plastique. Trier le plastique représenterait une tâche titanesque.
Parce qu’ils sont contaminés par du plastique, il est très difficile de valoriser les résidus serricoles.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Les producteurs serricoles doivent donc payer pour envoyer leurs résidus à l’enfouissement. Et la facture est salée. On parle de centaines de milliers de dollars, précise Richard Dorval, du Groupe Savoura. C’est au-dessus de 100 $ la tonne. Et à cela s’ajoutent les coûts de transport.
Sans compter que la quantité de déchets produits par l’industrie risque d’augmenter. La culture des fruits et légumes en serre occupe de plus en plus de place au Québec. Et pour accroître l’autonomie alimentaire de la province, le gouvernement veut pratiquement doubler les superficies cultivées d’ici 2025.
Afin de diminuer leurs coûts d’exploitation et d’améliorer leur bilan environnemental, le Groupe Savoura, Les fermes Lufa, mais aussi Productions Horticoles Demers, Gen V, Les Serres Royales et Excel Serres ont confié l’ambitieuse mission de valoriser ces résidus au chercheur Philippe Constant, de l’Institut national de la recherche scientifique.
Le chercheur Philippe Constant s’est vu confier l’ambitieuse mission de valoriser ces résidus serricoles.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Mon rôle, c’est d’orchestrer un groupe de recherche et un groupe d’entreprises intéressés à valoriser cette matière-là, trouver une nouvelle façon de générer de la valeur avec les résidus, indique M. Constant.
On vise un retour financier au producteur. Peut-être redéfinir de nouveaux modèles économiques aussi, là où le résidu sert d’intrant pour une nouvelle entreprise.
L’ennemi numéro un : le plastique
Il faut d’abord gérer le plastique. Une équipe de l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA), dont le centre de recherche est situé à Deschambault-Grondines, dans Portneuf, fait des essais préliminaires.
La chercheuse Laura Mila Saavedra participe au projet de valorisation des plastiques agricoles usagés par voie thermochimique dans les laboratoires de l’IRDA à Deschambault-Grondines.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Une fois qu’on reçoit la biomasse avec des résidus de plastique à l’intérieur, on va faire une étape préliminaire. On va broyer tout cet ensemble de résidus avec du plastique pour avoir une biomasse homogène. Une fois que c’est homogène, on va se rendre à l’étape de la pyrolyse, explique Laura Mila Saavedra, professionnelle de recherche à l’IRDA
La pyrolyse décompose les molécules du plastique en molécules plus petites. Ce procédé thermochimique, par lequel la décomposition se fait sous haute température et en l’absence d’oxygène, donne trois sous-produits :
- du biochar, riche en carbone, qui est de plus en plus utilisé comme amendement agricole;
- une bio-huile aqueuse, qui peut être transformée en bio-pesticide;
- une bio-huile visqueuse, qui constitue une alternative au mazout.
Le biochar, riche en carbone, est de plus en plus populaire en agriculture.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Le procédé thermochimique produit une bio-huile aqueuse et une bio-huile brune et visqueuse.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Si le plastique est transformé par la pyrolyse, une portion du carbone issu de la dégradation de ce plastique demeure présente dans les sous-produits. L’IRDA doit les analyser pour s’assurer qu’ils ne sont pas dommageables pour l’environnement.
Du compost
Les résidus exempts de plastique donnent moins de fil à retordre. Au centre de compostage Mironor, à Lachute, dans les Laurentides, deux approches mises à l’essai avec les résidus des Fermes Lufa et les feuilles de tomates de Savoura donnent des résultats prometteurs.
D’abord, la méthode classique du compostage en andains : les résidus sont mélangés avec des copeaux puis brassés mécaniquement à intervalles réguliers, pour former des piles qui seront compostées pendant quelques mois.
On utilise également la technologie de piles statiques aérées. Le mélange de feuilles et de copeaux est déposé dans de grandes cellules. Un système de ventilation forcée dans le plancher aère la matière et permet une meilleure distribution de la chaleur, comme le précise la spécialiste en gestion des matières résiduelles Françoise Forcier.
Françoise Forcier est directrice de projets chez Solinov.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Ces températures élevées vont assurer la destruction des pathogènes. C’est un des enjeux que l’on doit examiner dans ce projet. Est-ce qu’on peut effectivement détruire tous les agents pathogènes qui pourraient être problématiques pour les cultures?
Une citation de Françoise Forcier, directrice de projets chez Solinov
Car il faut absolument éviter que le compost propage des maladies comme le virus du fruit rugueux brun, aussi appelé rugose de la tomate, qui fait des ravages dans l’industrie serricole.
Des engrais
Un insecte tropical, la mouche soldat noire, fait peut-être aussi partie de la solution pour se débarrasser des résidus. Cet insecte est détritivore, c’est-à-dire qu’il se nourrit de déchets organiques.
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Une mouche soldat noire.
Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard
Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard
Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard
Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard
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Les « néonats » tombent dans la moulée. C’est dans ce milieu que débute leur croissance.
Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard
Une mouche soldat noire.
Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard
Des entreprises produisent déjà de la farine à base de larves de mouches soldats noires destinée à l’alimentation des animaux domestiques et du bétail.
On sert aux larves une diète à base de déchets végétaux et de produits de boulangerie récupérés dans les supermarchés.
Dans son élevage expérimental, à l’Université Laval, à Québec, le professeur Grant Vandenberg modifie le régime alimentaire des insectes et y incorpore des résidus serricoles pour voir si les larves peuvent les convertir en une protéine de qualité.
Grant Vandenberg est professeur titulaire, sciences de l’agriculture et de l’alimentation à Université Laval.
Photo : Radio-Canada / France Beaudoin
On va remplacer la diète avec des feuilles de tomates à 25, 50, 75 % – 100 %, à la limite –, pour voir jusqu’où la croissance est affectée ou non, dit Grant Vandenberg, professeur titulaire à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval. On va faire ça avec des feuilles de tomates et des feuilles de concombres.
Pendant le processus de transformation de la matière organique, les larves laissent derrière des restes d’aliments, des exosquelettes issus de leur mutation et des déjections. C’est une sorte de fumier, aussi appelé frass.
Martine Dorais est professeur titulaire au Département de phytologie de l’Université Laval et elle est spécialiste des cultures en serre.
Photo : Radio-Canada / France Beaudoin
Au centre de recherche en horticulture de l’Université Laval, la spécialiste des cultures en serre, Martine Dorais, analyse le potentiel fertilisant de ces frass.
On les introduit dans les milieux de culture ou comme sources fertilisantes, précise-t-elle. On a vu qu’ils avaient des propriétés biostimulantes.
Le frass de mouches soldats noires a des propriétés biostimulantes et peut agir comme fertilisant.
Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard
La chercheuse évalue aussi des granules de différentes dimensions fabriqués à partir de feuilles de tomates.
Dans une feuille, on a de 2 à 5 % d’azote, ce qui est quand même considérable. On va retrouver 2,5 à 6 % de potassium, jusqu’à 7 % de calcium, du magnésium, du phosphore, tous nos micro-éléments, explique Mme Dorais.
Tous les fertilisants qu’on achète sous forme synthétique, qu’on dissout dans l’eau, on les a dans nos feuilles, parce que la plante a prélevé tous ces éléments nutritifs là.
Dans les serres de l’Université Laval, on évalue les granules de différentes dimensions fabriqués à partir de feuilles de tomates.
Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard
En fait, tous les résidus serricoles transformés devront passer le test de la performance agronomique de l’équipe de Martine Dorais. On pourra ainsi connaître leurs impacts potentiels, détecter d’éventuels agents pathogènes et vérifier si des traces de plastique sont encore présentes et si elles pourraient s’avérer toxiques pour les végétaux.
Car le but ultime est de réintroduire éventuellement ces produits transformés comme sources fertilisantes en production serricole ou pour le grand public.
Pour l’heure, les travaux de recherche en sont encore à leurs balbutiements. Le défi est immense pour les scientifiques. Les attentes le sont tout autant.
On est précurseurs dans notre projet. On veut que ça fonctionne. Beaucoup de gens autour de nous nous font confiance, donc il faut livrer la marchandise.
Une citation de Philippe Constant, professeur agrégé à l’Institut national de la recherche scientifique
Le reportage de France Beaudoin et de Pier Gagné à ce sujet sera présenté à l’émission La semaine verte samedi à 17 h (18 h 30 HA) sur ICI Télé.
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