Pendant ce temps, on évitera de parler des vraies affaires. On ne parlera pas des salaires insuffisants versés par Amazon à ses employés québécois. On ne parlera pas des conditions de travail souvent exécrables. De la cadence parfois infernale imposée aux employés sans filet de protection et, pour bon nombre d’entre eux, issus de l’immigration.
Il est vrai que la CSN a misé gros en s’attaquant à l’empire de Jeff Bezos, dont la fortune personnelle, en ce début de 2025, est estimée à 247,7 milliards de dollars US, selon Forbes.
Résumé
Les méchants syndicats…
Par Yvon Laprade
26 janvier 2025 à 04h00|
Mis à jour le26 janvier 2025 à 07h28
Pas de doute, il se dira pas mal de choses à propos de la décision d’Amazon de quitter le Québec de façon cavalière. (Ross D. Franklin/Archives AP)
CHRONIQUE / Les cendres sont encore toutes chaudes, mais il y a fort à parier qu’au cours des prochaines semaines, il s’en trouvera pour blâmer les méchants syndicats, la CSN pour ne pas la nommer, pour expliquer maladroitement la fermeture des sept entrepôts au Québec du géant américain du web et de la techno Amazon.
On leur reprochera d’avoir foutu le bordel en faisant signer des cartes d’accréditation à un groupe de travailleurs, à l’entrepôt DXT4 de Laval, qui compte 250 employés. On prétendra, aussi, que les 3 600 pertes d’emplois, au total, auraient pu être évitées si on avait continué à faire des courbettes devant cette multinationale anti-syndicale.
Pas de doute, il se dira pas mal de choses à propos de la décision d’Amazon de quitter le Québec de façon cavalière. On prendra beaucoup de raccourcis. On fera peut-être allusion au fait que le Québec est «trop syndiqué», avec un taux de 40 %, comparativement à 10 % chez nos voisins américains.
Pendant ce temps, on évitera de parler des vraies affaires. On ne parlera pas des salaires insuffisants versés par Amazon à ses employés québécois. On ne parlera pas des conditions de travail souvent exécrables. De la cadence parfois infernale imposée aux employés sans filet de protection et, pour bon nombre d’entre eux, issus de l’immigration.
Il est vrai que la CSN a misé gros en s’attaquant à l’empire de Jeff Bezos, dont la fortune personnelle, en ce début de 2025, est estimée à 247,7 milliards de dollars US, selon Forbes.
Il est vrai qu’il y avait un risque à prendre et la centrale syndicale l’a pris. C’est ce qu’avait fait la FTQ en syndiquant les travailleurs du Walmart de Jonquière, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, il y a de cela 20 ans.
Le géant américain, on le sait, avait fermé son magasin, contrarié par la manœuvre syndicale. Il aura plus tard été condamné à verser des indemnités aux employés qu’il avait mis la porte injustement.
Posons-nous la question: le droit de se syndiquer est-il encore un droit au Québec? Comment se fait-il que cette démarche, dans le cas des travailleurs de l’entrepôt d’Amazon à Laval, se soit avérée catastrophique?
Pour faire un court résumé, la CSN aura mis les pieds dans cet entrepôt sans parvenir à ratifier une première convention collective. L’employeur aura même eu le culot d’offrir zéro hausse salariale au cours des courtes négociations…
Et pourquoi donc Amazon s’en va sans crier gare? Ses dirigeants veulent nous faire croire que ça s’inscrit dans le cadre d’une «révision» de ses opérations.
Le modèle québécois ne fait plus leur affaire. Mais, curieusement, aucun départ n’est prévu dans les autres provinces canadiennes.
Comme quoi.
- Amazon compte un million et demi d’employés dans le monde.
- Chiffre d’affaires de l’entreprise: 675 milliards de dollars US (2023)
- L’action sur Nasdaq a clôturé à 234,85 dollars US vendredi.
La peur de se syndiquer
Il faudra voir pour la suite des choses. Il faudra surtout retenir que l’affront que fait subir Amazon à tous ces vaillants employés payés autour de 20 dollars de l’heure laissera des traces, c’est certain.
«Je suis convaincu que ça va générer des craintes chez les employés qui veulent se syndiquer, mais qui craignent de perdre leur emploi [dans le processus d’accréditation]», observe Luc Vachon, président de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD).
Il ajoute: «J’ai bien peur que cela servira d’argument pour les “anti-syndicaux” qui vont dire: “Vous voulez syndiquer le monde? Regardez ce qui est arrivé chez Amazon! Ils ont fermé l’entreprise. Le syndicat a fermé l’entreprise.”»
Le leader syndical ne vit pas pour autant dans une cage de verre. Il est conscient que ces organisations vouées à la défense des travailleurs et travailleuses n’ont pas toujours bonne presse. Il les entend, ces commentaires acidulés formulés à propos des grévistes qui tiennent leurs pancartes tout en marchant sur le trottoir.
«Quand les gens passent en auto et qu’ils voient des travailleurs en grève, ils disent: “Tiens, encore une gang de chiâleux!” Mais personne ne dit: “encore une grosse entreprise riche qui refuse de partager une partie de ses profits.”»
Sa mission, c’est bien sûr de défendre ses membres. Or, dans le contexte actuel, avec toutes ces pressions économiques qui pèsent lourd sur les entreprises québécoises, avec cette menace tarifaire de 25 % que laisse planer Donald Trump, ce n’est pas toujours évident d’en arriver à des compromis acceptables avec l’employeur.
C’est un fait qu’il y a beaucoup de nervosité dans l’air, ces jours-ci, au sein de la communauté des affaires. Tous s’entendent, tant du côté patronal que syndical, qu’il faudra se serrer les coudes et travailler à trouver des solutions pour traverser la tempête.
Le ministre du Travail, Jean Boulet. (Stéphane Lessard/Archives Le Nouvelliste)
Code du travail modifié?
Lors de notre entretien, vendredi après-midi, Luc Vachon venait de s’entretenir avec le ministre du Travail, Jean Boulet, en visioconférence. Une réunion à laquelle ont participé trois autres leaders syndicaux, y compris la présidente de la CSN.
Le dossier Amazon, un incontournable dans les circonstances, a bien sûr été abordé. Mais le but de la rencontre portait principalement sur des craintes exprimées par les syndicats québécois après qu’ils eurent appris que le ministre pourrait apporter des modifications au Code du travail.
«Ça nous préoccupe», concède-t-il.
Est-ce à dire que le ministre pourrait élargir ses pouvoirs pour être en mesure d’ordonner un retour au travail lors d’un conflit d’envergure comme on l’a vu au fédéral au cours des derniers mois?
«Il ne nous a pas donné de précisions, mais on a compris qu’il se préoccupe de modifier [des aspects de la règlementation]», souligne le président de la CSD.
Les grands syndicats sont convaincus qu’il va bientôt se passer «quelque chose» de déterminant en matière de relations de travail au Québec.
Un dossier à suivre.