Saint-Bruno se densifiera… loin de son centre-ville
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Vue aérienne du centre-ville de Saint-Bruno-de-Montarville
La densification du territoire n’a pas que des adeptes. Après Saint-Lambert, c’est au tour de Saint-Bruno-de-Montarville, en Montérégie, d’intervenir pour préserver le caractère unifamilial de sa ville. Mardi soir, les élus ont adopté une modification au règlement de zonage pour limiter à deux étages la hauteur des nouveaux bâtiments au centre-ville.
Publié à 5h00
Suzanne Colpron La Presse
Le maire de Saint-Bruno-de-Montarville a trouvé une façon de résoudre un problème en apparence insoluble : densifier sa ville tout en préservant à tout prix son caractère unifamilial.
La solution ? Densifier un secteur bien à l’écart du noyau urbain. Dans ce cas, à 5 km du centre-ville, de l’autre côté de l’autoroute 30.
« Notre vision, c’est que la densification se fasse plus dans le secteur des Promenades St-Bruno, là où ça ne dérange personne », explique le maire Ludovic Grisé Farand, en entrevue avec La Presse.
Pour concrétiser cette vision, son administration a adopté mardi soir une modification musclée au règlement de zonage interdisant toute nouvelle construction de plus de deux étages dans le centre-ville. Jusqu’ici, on permettait des immeubles de trois, quatre ou cinq étages, pour attirer des citoyens et assurer le dynamisme du cœur villageois.
INFOGRAPHIE LA PRESSE
Sources : Ville de Saint-Bruno-de-Montarville et agence immobilière CBRE
Le conseil municipal se réserve toutefois le droit d’octroyer des « étages supplémentaires » pour certains bâtiments.
« Saint-Bruno, c’est une ville qui a gagné plusieurs prix », souligne le maire de 30 ans, élu en novembre 2021.
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Ludovic Grisé Farand, maire de Saint-Bruno-de-Montarville
Saint-Bruno est reconnu à l’échelle canadienne pour sa beauté, sa verdure, sa joie de vivre. Nous, on veut conserver ça. Donc, notre vision, c’est de conserver un centre-ville avec cachet. Ça, ça veut dire pas de tours de cinq étages.
Ludovic Grisé Farand, maire de Saint-Bruno-de-Montarville
Isabelle Bérubé, spécialiste en environnement et en protection du territoire et candidate défaite à la mairie de Saint-Bruno, constate plutôt : « À la réponse on va densifier ailleurs, venait aussi la réponse on va mettre du logement abordable ailleurs. C’est comme si on prenait les gens qui n’avaient pas les moyens et qu’on les envoyait en périphérie, derrière les Promenades St-Bruno. Puis, nous, on garde le présumé caractère villageois pour plaire aux vieux résidants qui n’aiment pas la transformation du centre-ville. »
Un juste milieu
Mais comment le nouveau maire concilie-t-il sa stratégie avec les principes établis par le gouvernement du Québec et la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), dont Saint-Bruno est membre, pour contrer l’étalement urbain et, à cette fin, densifier le territoire ?
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Les bungalows comptent pour 72,6 % des habitations de Saint-Bruno-de-Montarville.
« On peut faire beaucoup de densification dans des villes comme Longueuil, Montréal, Laval, Sherbrooke ou Gatineau, répond M. Grisé Farand. Mais il ne faut pas raser les petits villages et les villes de plus petites tailles pour faire des boulevards Taschereau et des Quartiers DIX30. Il peut y avoir un juste milieu entre les deux. »
Je pense qu’il faut limiter l’étalement, mais ça prend un certain équilibre aussi, parce que les gens qui partent des grandes villes veulent un terrain. Ce n’est pas vrai qu’on va tous vivre dans des 4 1/2.
Ludovic Grisé Farand, maire de Saint-Bruno
À Saint-Bruno, avec sa population de 26 873 habitants, l’habitat est largement constitué de bungalows, qui comptent pour 72,6 % des habitations. La ville compte également un important territoire agricole représentant 28 % de sa superficie, selon l’Observatoire du Grand Montréal.
Cette composition urbaine peut contribuer à expliquer les priorités de l’édile : « On conserve le plus de maisons unifamiliales possible parce que c’est ce que recherchent les jeunes familles quand elles viennent ici. Nous, on pense que c’est aux citoyens de décider du développement de la ville et pas aux promoteurs. »
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Vue aérienne du centre-ville de Saint-Bruno-de-Montarville
Le maire, qui est comptable de formation, estime également qu’avec le projet de développement de « 2800 portes » derrière les Promenades St-Bruno et le Walmart, il s’acquitte de ses obligations. « Il pourrait y avoir à cet endroit des tours avec quatre, cinq ou six étages, ce qui nous permet de respecter les ratios de la densification édictés par la CMM. Parce qu’on est lié par ça. »
Fausse route
Michel Rochefort, professeur en planification urbaine à l’Université du Québec à Montréal, croit que Saint-Bruno fait fausse route : « Quand on regarde le centre-ville, on voit qu’il y a énormément d’espaces qui peuvent être optimisés, sans permettre des immeubles en hauteur. » « La question, c’est pourquoi déplacer beaucoup de densité à l’extérieur du centre-ville. Dans le fond, on va créer un nouveau quartier, complètement détaché du vieux Saint-Bruno, qui va entraîner des déplacements en automobile au lieu de déplacements actifs. »
C’est un problème en matière de développement durable. On refait une ville où il faut se déplacer en voiture pour se rendre d’un point à l’autre.
Michel Rochefort, professeur en planification urbaine à l’UQAM
Cette approche de l’occupation du territoire ne se reflète pas seulement dans le règlement de zonage. Elle est au cœur d’un autre débat, sur l’emplacement d’un futur complexe sportif de plus de 50 millions, soit sur le site de l’école secondaire du Mont-Bruno, à moins d’un kilomètre du centre-ville, soit sur le site Marie-Victorin, près de l’autoroute 30, plus éloigné et donc plus susceptible d’encourager le recours à l’automobile.
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Commerces du centre-ville de Saint-Bruno-de-Montarville
Le choix d’un des deux sites sera soumis à une forme de référendum au début de juin. « Pour ma part, mon choix est fait. Je vais voter pour le site Marie-Victorin », affirme le maire, évoquant les coûts et les délais, et estimant que le caractère « un peu excentré » du site, proche de l’autoroute, ne pose pas de problème.
« On aurait pu aller en référendum légal, un processus qui coûte énormément d’argent. On a plutôt fait affaire avec une firme spécialisée qui a un système de vote ultra sécurisé. Chaque citoyen va recevoir un numéro d’identification personnel par la poste et va pouvoir voter en ligne, par téléphone ou en personne », précise-t-il.
Projets compromis
La modification au règlement de zonage a aussi des effets très concrets sur des projets en développement qui, soudainement, se trouvent compromis.
Brendan O’Dowd, spécialisé dans le logement abordable, poursuit la Ville parce que son projet a été refusé. Il a acquis deux maisons sur le chemin de la Rabastalière qu’il comptait faire démolir pour construire un immeuble de 19 logements. Son projet, approuvé par le comité consultatif d’urbanisme (CCU) de Saint-Bruno, a été bloqué par le comité de démolition.
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Brendan O’Dowd, promoteur immobilier, poursuit la Ville de Saint-Bruno.
On poursuit parce qu’il n’y a pas de cohérence dans la ligne directrice de la Ville.
Brendan O’Dowd, promoteur immobilier
« Le nouveau règlement ne tient pas la route par rapport à l’étalement urbain, à la densification des centres-villes, à l’environnement, aux transports en commun et aux commerces de proximité, juge ce promoteur. Tout ce que le gouvernement demande aux villes de faire, lui, Ludovic [Grisé Farand], dit non, nous on est au-dessus de ça et on va envoyer les gens dans un nouveau quartier qui va peut-être être construit dans cinq ou dix ans derrière les Promenades St-Bruno. »
Le conseiller Vincent Fortier a voté contre la modification du règlement de zonage qui, en plus d’encourager l’étalement, donne selon lui un pouvoir discrétionnaire au maire. « Le maire a la capacité et le droit de filtrer les projets immobiliers qui ne sont pas conformes au cadre réglementaire et de soumettre au conseil de ville ceux qu’il juge intéressants. Comment assurer, sans cadre réglementaire cohérent, le développement unifié ? C’est impossible pour moi », lance-t-il.
Lisez l’article « Densification urbaine : “pas dans ma cour” à Saint-Lambert ? »