Chronique de Paul Journet au sujet de la déclaration du ministre des Transports
Ceci n’est pas un débat de valeurs
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE
En zone urbaine, les infrastructures coûtent 1416 $ par ménage. En zone périphérique, la facture est 2,4 fois plus élevée.
Paul Journet
La Presse
Publié à 5h00
En matière de citation qui pourrit un débat, il est difficile de faire mieux.
« Je suis qui, moi, pour dire à une jeune famille : vu que la mode est à la densification, tu vas aller vivre dans une tour de 12 étages ? »
Elle vient du ministre des Transports, François Bonnardel, qui se défendait contre les critiques sur l’étalement urbain accéléré par le troisième lien Québec-Lévis.
Pour ceux qui ont manqué quelques épisodes, il n’existe pas encore de police militaire qui emprisonne les familles dans des gratte-ciels où la La semaine verte est diffusée en boucle*.
La liberté demeure, autant en matière de lieu de résidence que de divertissement télévisuel. Mais il n’y a rien d’hérétique à orienter le choix des gens.
Il y a une expression pour cela : faire de la politique.
Les caquistes aiment caricaturer les urbanistes en snobs qui méprisent les banlieues. De grâce, ne tombons pas dans ce piège.
Freiner l’étalement urbain, cela ne signifie pas que tout le monde doive habiter au centre-ville, et encore moins dans un gratte-ciel. Des banlieues comme Terrebonne peuvent aussi être densifiées.
Vous rêvez d’une maison à prix raisonnable avec une petite cour arrière ? Un arbre et des oiseaux ? Une piscine hors terre ? C’est correct. Il n’y a pas de mal à ça.
Le rapport du comité d’experts sur les changements climatiques ne contient aucun jugement de valeur. Il rappelle un fait : nos décisions individuelles ont aussi un coût collectif.
Le besoin d’espace des citoyens est légitime, mais l’État doit y répondre avec une vision d’ensemble qui sert l’intérêt public. Dans ce cas-ci, en trouvant la meilleure façon d’occuper le territoire.
En ce moment, ça ne fonctionne pas bien.
Quelques exemples :
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En 2018, la congestion routière a coûté 4,2 milliards de dollars dans le Grand Montréal. En ajoutant les coûts indirects, la facture s’élève à 7,6 milliards.
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Le transport routier – en excluant le camionnage – coûte entre 43 et 51 milliards par année.
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En zone urbaine, les infrastructures (rues, distribution d’eau, égouts, distribution d’électricité) coûtent 1416 $ par ménage. En zone périphérique, la facture est 2,4 fois plus élevée.
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Les VUS sont deux fois plus souvent impliqués dans des collisions avec des piétons qu’une voiture standard. Et lors des accidents avec d’autres véhicules, ils ont 28 % plus de risques de tuer**.
Lisez le rapport du comité d’experts sur les changements climatiques
Le comité d’experts pose la question : est-ce le modèle à privilégier ?
De toute évidence, non. Surtout pas quand on considère aussi l’impact sur l’environnement.
L’étalement urbain n’est pas une fatalité. De 2006 à 2016, Toronto s’est densifié. Mais Montréal et Québec se sont étalés. Leur deuxième couronne a bondi de 11 % et de 19 % respectivement par rapport à leur ville centrale.
Les voitures sont plus grosses et elles parcourent des distances plus grandes. Les maisons prennent également du volume.
Quant aux milieux humides et naturels, ils rétrécissent, ce qui augmente les risques d’inondations. Et le territoire agricole rapetisse, ce qui nuit à notre autonomie alimentaire.
Bien sûr, l’impact de cette bétonisation ne se mesure pas seulement en dollars. La nature ne se réduit pas à son utilité. Elle a aussi une valeur intrinsèque.
Le rapport du comité d’experts rappelle simplement que même en fonction d’une analyse économique, notre urbanisme est malade.
Le gouvernement Legault déposera bientôt sa Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire.
En l’attendant, on ne peut que le juger sur son bilan.
Sa vision est clientéliste. Le meilleur exemple : le plan vert qui repose surtout sur l’électrification des transports.
Il promet une révolution verte en changeant peu de choses, à part le type de moteur dans notre véhicule.
Vrai, il offre une option de rechange, le transport collectif. À Québec, le projet de tramway avance. Et à Montréal, la ligne bleue du métro sera prolongée, et le projet de REM de l’Est est à l’étude. Mais les routes restent deux fois plus financées que les transports en commun. Les dés sont encore pipés.
Si le nombre d’automobiles, même électriques, continue d’augmenter plus vite que la population, il y aura plus de congestion, d’étalement et de destruction de milieux naturels et de terres agricoles. Sans oublier le déficit commercial qui résulte de l’achat de voitures importées.
Les gens sont libres de choisir leur résidence et leur mode de déplacement. Mais l’État a un rôle : s’assurer que ces gestes individuels ne donnent pas une facture collective trop salée. Il doit établir des règles qui servent le bien commun.
À la question que se posait M. Bonnardel, on peut donc répondre assez facilement. Qui êtes-vous ? Mais vous êtes le ministre !
Heureusement, une nouvelle génération de mairesses et de maires assume ses responsabilités. Elle veut densifier et végétaliser les villes, favoriser le transport actif et collectif, assainir l’air et réduire la pollution sonore.
Cela peut exister hors du Plateau Mont-Royal. Comme à Drummondville, Granby ou Longueuil, dirigés par des mairesses vertes.
Elles ne jugent pas leurs citoyens. Elles ne veulent pas les séquestrer dans des tours. Elles cherchent simplement un autre modèle pour améliorer leur qualité de vie.
Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est un projet rassembleur.
- À noter que s’il fallait choisir une émission à regarder à perpétuité, La semaine verte ne serait pas un mauvais choix.
** Cette statistique sur les VUS vient d’Équiterre, et non du comité d’experts.
Et une de Stéphanie Grammond
Oui, dans ma cour !
PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE
Les mises en chantier ont explosé l’an dernier dans les zones rurales.
STÉPHANIE GRAMMOND
LA PRESSE
Publié à 5h00
Pas dans ma cour ! Même si ce réflexe est humain, la densification intelligente des villes reste la meilleure façon de faire d’une pierre deux coups en s’attaquant à deux crises plutôt qu’une : celle du logement et celle de l’environnement.
Deux crises dont la Coalition avenir Québec (CAQ) peine à reconnaître l’ampleur, à en juger par les déclarations malheureuses de ses ministres.
En mars, Éric Caire a dû s’excuser d’avoir accusé le maire de Québec de « polluer la vie des automobilistes ». Mais cette semaine, François Bonnardel ne regrette pas un instant d’avoir qualifié de simple « mode » la densification urbaine, malgré la réprobation des maires de plusieurs villes.
N’en déplaise à la CAQ, la densification n’est pas du tout une tendance passagère. Le problème est structurel. Les jeunes ont du mal à acheter une maison tellement les prix ont grimpé depuis le début de la pandémie. Ils roulent de plus en plus loin pour trouver un nid qui correspond à leur rêve et à leur budget, propulsant ainsi l’étalement urbain.
On le voit, les maisons poussent comme des champignons dans les zones rurales où les mises en chantier ont explosé de 56 % l’an dernier, contre 21 % dans les centres urbains.
Ce mouvement fait en sorte que le Québec s’artificialise à la vitesse grand V. En 13 ans, c’est l’équivalent de l’île de Laval qui est passée sous les bulldozers, s’inquiète le Comité consultatif sur les changements climatiques, dans un avis sur l’aménagement du territoire présenté au gouvernement lundi1.
L’effet est doublement néfaste.
Non seulement l’étalement urbain détruit des terres agricoles et naturelles qui absorbent le carbone, mais il augmente le recours à l’automobile puisque les travailleurs s’éloignent du boulot et que la voiture en solo devient leur mode de transport privilégié.
Alors bonjour la congestion routière ! Tout le temps perdu derrière le volant coûte 4,2 milliards par année, selon la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Et en construisant de nouvelles routes, on ne fait que creuser notre tombe, car toutes les études démontrent que cela engendre davantage de circulation. Après 5 à 10 ans, ça bloque encore autant.
Pas le choix, il faut faire marche arrière. Au lieu d’étendre le périmètre urbain, favorisons les espaces vacants dans les quartiers centraux qui bénéficient déjà de tous les services, des services qui coûtent beaucoup moins cher à fournir en ville (1416 $ par ménage) qu’en périphérie (3462 $) en raison de la densité.
Le hic, c’est que les municipalités sont accros aux taxes foncières qui composent 70 % de leur assiette fiscale. Pour hausser leurs revenus, elles créent de nouveaux quartiers… ce qui nécessite un réseau de distribution d’eau, de l’électricité, des égouts, etc. Alors, pour payer ces dépenses, elles ouvrent d’autres quartiers, et ça devient presque un Ponzi.
Pour casser cette spirale, la CMM a mis en place un programme de compensation qui donne une redevance aux municipalités rurales qui laissent tomber l’étalement urbain.
Il s’agit d’une initiative inspirante. Mais quand une région impose des limites à l’étalement, ses voisines peuvent continuer d’être laxistes, ce qui ne fait que repousser la construction dans des patelins encore plus éloignés.
Pour éviter cette concurrence malsaine, il faut davantage de concertation à l’échelle provinciale.
On espère que la Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire, qui doit être déposée par Québec ce printemps, amènera des solutions concrètes, même si le temps commence à manquer avant les élections pour mettre en branle une réforme en profondeur.
Il faut inverser la tendance actuelle. La lutte contre le réchauffement climatique passe par la densification des villes, car le transport routier et le secteur des bâtiments sont responsables de presque la moitié (44 %) des émissions de GES au Québec.
Il faut miser sur une densification douce et intelligente qui verrait naître des milieux de vie agréables pour les familles avec des parcs, des écoles et des services à quelques minutes de marche.
Bien sûr, c’est plus compliqué que de construire au beau milieu d’un champ, sans contraintes municipales et sans levée de boucliers de la part des résidants de longue date.
Mais si on croit à l’environnement, il faut changer nos mentalités et cultiver le réflexe du : oui, dans ma cour !