Consommation

Résumé

Nouvelle loi 72 Des pourboires en baisse… et remis en question

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Pour les serveurs, l’entrée en vigueur de la nouvelle loi représente un manque à gagner.

Les serveurs gagnent moins depuis l’entrée en vigueur de la loi 72, il y a un mois. Pour motiver les troupes, les restaurateurs réfléchissent à de nouveaux modes de fonctionnement. Certains ont mis fin au partage des pourboires avec les employés de cuisine… ou les ont carrément abolis en échange de salaires plus élevés.

Publié à 5 h 00

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Nathaëlle Morissette La Presse

](La Presse | Nathaëlle Morissette)

Chaque fois qu’elle travaille, Amélya Guillemette empoche 50 $ de moins qu’avant, selon ses calculs. Cet « avant » correspond à la période précédant le 7 mai.

Car depuis cette date, la Loi protégeant les consommateurs contre les pratiques commerciales abusives et offrant une meilleure transparence en matière de prix et de crédit exige notamment une reprogrammation des terminaux de paiement, qui permettent désormais aux clients d’un bar ou d’un restaurant d’ajouter le pourboire sur le total du montant de la facture avant la TPS et la TVQ, comme le veut la convention. Avant la mise en application de la loi, les consommateurs qui payaient par carte se faisaient remettre un module où le service était calculé après l’ajout des taxes. Pour une facture de 100 $ (avant taxes), ils laissaient en fait un pourboire sur un total de 114,98 $, par exemple.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

La nouvelle loi exige notamment que les terminaux de paiement permettent aux clients d’ajouter le pourboire sur la facture avant les taxes.

Quelques semaines à peine après la mise en place de ces modifications, les appréhensions des serveurs de restaurant se sont confirmées. L’entrée en vigueur de la loi 72 a eu un effet sur la générosité des clients. « Sur une facture de 20 $, avant, les gens pouvaient laisser 5 $ de tips, mais là, c’est vraiment rendu le strict minimum avec 2,50 $ », illustre Mme Guillemette, qui travaille comme serveuse dans un restaurant Normandin de la région de Québec.

Elle ajoute qu’il n’est pas rare maintenant que les clients appuient sur l’option d’un pourboire de 13 % (avant taxes), en deçà des 15 % laissés normalement par convention.

« Les gens ne réalisent pas que le pourboire, c’est notre salaire », dit la serveuse Amélya Guillemette, en rappelant que les employés de service gagnent 12,90 $ l’heure. « On encourage les gens à comprendre notre réalité. »

De leur côté, 41 % des consommateurs canadiens trouvent que les pourboires (frais de service) sont trop élevés et que c’est un frein à la sortie au restaurant.

C’est du moins ce qu’a révélé la semaine dernière Francis Parisien, vice-président principal des ventes pour les PME au Canada chez NielsenIQ, qui faisait un bilan devant les membres du Conseil de la transformation alimentaire du Québec, en webinaire.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Kyrianne Ouellette, du pub L’Île noire

La diminution des pourboires fait également partie de la nouvelle réalité des employés du pub L’Île noire. « Ce qu’on avait prévu se concrétise : on assiste à une baisse de salaire de 3 % à 4 % pour chaque quart de travail », souligne Kyrianne Ouellette, ancienne serveuse qui occupe désormais un poste de gestion au sein de l’établissement spécialisé en whisky et en gin.

Copropriétaire du restaurant Le Toasteur Villeray, Marc-André Goudreau fait aussi ce constat. « [Avant], les gens laissaient un pourboire de 20 %, 18 %, 15 % sur un montant après taxes. Maintenant, ils laissent le même pourcentage. Pour eux, ça ne change pas grand-chose, ils ont l’impression de laisser le même bon pourboire, mais c’est certain que le montant est plus bas. Ce sont de simples mathématiques. Donc, on voit une diminution assez marquée. »

Motiver les troupes

« Comme employeur et gestionnaire de salle, je pousse vraiment mes serveurs à offrir un service de bonne qualité, souligne-t-il. Dans le déjeuner, tout est rapide, il y a plein de menus détails. Les gens ne restent pas trois heures chez nous. Il faut leur donner un bon service en 45 minutes, une heure. »

Dans ce contexte, M. Goudreau veut garder son équipe motivée. Pour compenser cette baisse de salaire, on a mis fin à la convention de partage de pourboire avec les employés de cuisine. Et pour éviter que les gens aux fourneaux soient à leur tour pénalisés, Le Toasteur Villeray a augmenté leurs salaires.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Marc-André Goudreau, copropriétaire du restaurant Le Toasteur Villeray

Mais au final, on va augmenter nos prix en conséquence, et le client va se retrouver à payer cette différence-là de toute façon. C’est juste un transfert de type de paiement. Ça rééquilibre, mais le client se retrouve à payer un peu plus cher, parce que les assiettes vont coûter un peu plus cher.

Marc-André Goudreau, copropriétaire du restaurant Le Toasteur Villeray

« Le pourboire a perdu son sens en 2025 »

D’autres établissements, comme la buvette Ambre à Québec, ont décidé de mettre fin aux pourboires. « On abolit les pourboires. Avec la nouvelle loi 72, ça crée de l’instabilité dans les salaires », a annoncé sur Instagram le chef propriétaire, Étienne Nadeau, quelques jours après l’entrée en vigueur des modifications.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Étienne Nadeau, chef propriétaire de la buvette Ambre

C’est important de pouvoir verser [à nos employés] un salaire stable pour qu’ils soient capables de bien vivre de la restauration. Je pense que le pourboire a perdu son sens en 2025. Je tiens à le dire, les salaires sont ajustés en conséquence pour toute l’équipe.

Étienne Nadeau, chef propriétaire de la buvette Ambre, dans un message publié sur Instagram

« C’est un appel aux restaurateurs qui ont une conscience sociale. Pensez-y. Ayez une discussion », a-t-il lancé à la fin de son message.

À l’Association Restauration Québec (ARQ), on reconnaît que « tout le monde est en réflexion » en ce moment sur les pratiques à adopter. Le vice-président aux affaires publiques et gouvernementales, Martin Vézina, indique également que certains clients ont maintenant tendance à laisser un pourboire nettement inférieur à 15 %.

Il souligne que d’inscrire manuellement le pourboire est « une pratique qui s’est perdue » chez certains consommateurs. « On a vu des pourboires vraiment à la baisse parce que les clients avaient perdu les trucs pour calculer le 15 %. »

Augmenter les pourcentages offerts dans les terminaux de paiement, mettre fin au partage des pourboires avec la cuisine ou simplement les abolir sont autant de pratiques auxquelles réfléchissent les restaurateurs. « On ne voit pas pour le moment de tendance vers un modèle quelconque, souligne toutefois M. Vézina. Il faut connaître son personnel, sa clientèle et avoir de bonnes discussions. »

Avec la collaboration de Stéphanie Bérubé, La Presse

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Bravo, un bâton de moins dans les roues de l’oligarchie. La CAQ ne se cache jamais de ces allégeances. Les grandes bannières sont capables de vendre à perte pour tuer les indépendants en s’auto-subventionnant. Même si on parle d’une ressource dont l’utilisation a atteint son apogée et qu’elle redescend, ça empêche presque totalement les entrepreneurs locaux de pouvoir compétitionner.

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