Il y a des facteurs fondamentaux qui peuvent expliquer les mouvements de prix du pétrole et de l’essence. Mais il n’y a que l’arrogance d’une industrie aussi dominante que celle du pétrole pour expliquer l’imposition, d’un coup sec, d’une hausse brutale de 10 % à ses clients, soit de 15 à 20 cents le litre, en quelques heures.
Peu d’entreprises peuvent se permettre un tel affront.
Résumé
AnalyseL’arrogance de l’industrie pétrolière
Le prix de l’essence a bondi le jeudi 18 avril 2024 au Québec et en Ontario.
Photo : Radio-Canada
Publié à 4 h 00 HAE
Il y a des facteurs fondamentaux qui peuvent expliquer les mouvements de prix du pétrole et de l’essence. Mais il n’y a que l’arrogance d’une industrie aussi dominante que celle du pétrole pour expliquer l’imposition, d’un coup sec, d’une hausse brutale de 10 % à ses clients, soit de 15 à 20 cents le litre, en quelques heures.
Peu d’entreprises peuvent se permettre un tel affront.
L’explication que donne l’industrie pour justifier la hausse du prix à la pompe, c’est que l’essence d’été coûte plus cher que l’essence d’hiver en raison de l’ajout de certains éléments dans la composition de l’essence afin de la rendre moins volatile.
Sur le web, le Guide de l’auto indiquait récemment qu’en hiver, on utilise du butane pour permettre un allumage plus rapide par temps froid, alors que l’été, on produit de l’essence alkylate, qui réduit la volatilité et dont le coût de production atteindrait de 5 à 8 cents de plus par litre.
De ce fait, au printemps, l’arrivée des beaux jours entraîne une augmentation des déplacements routiers. Et plus on avance vers les beaux mois d’été, plus la demande augmente alors que la saison des vacances s’amorce. Cette demande supplémentaire entraîne alors une pression à la hausse sur les prix de l’essence.
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Comme l’explique Anne-Marie Lecomte dans un texte publié jeudi matin sur notre site, les tensions géopolitiques provoquent aussi une hausse de l’incertitude. La réaction attendue d’Israël face à l’attaque de l’Iran la fin de semaine dernière suscite beaucoup de préoccupations et d’inquiétudes.
L’Iran est un acteur de premier plan en matière de production et d’exportation de pétrole. Un blocage du détroit d’Ormuz par Téhéran pourrait avoir un effet sur le tiers des exportations mondiales de pétrole, soit environ 20 millions de barils par jour. C’est colossal.
Et l’incertitude qui persiste sur la suite des choses fait également pression sur les prix des produits pétroliers.
Le poids des taxes
Maintenant, plusieurs pointent les taxes qui s’appliquent sur l’essence pour expliquer cette hausse. Ce n’est pas tout à fait exact.
Sur chaque litre d’essence que nous achetons, environ 30 % du prix va aux taxes. Prenons l’exemple de Montréal. Mercredi, le prix du litre d’essence s’y élevait à 176,6 cents, alors que jeudi, il est monté à 190,5 cents. Le niveau de taxe est passé de 55,2 cents à 57 cents d’une journée à l’autre.
Selon les estimations de la Régie de l’énergie du Québec, ce qui a monté de mercredi à jeudi, c’est la marge du détaillant. Elle est passée de 9,8 cents le litre à 22,5 cents à Montréal. Or, la moyenne annuelle est de 11,2 cents.
Par ailleurs, la tarification fédérale du carbone est passée de 65 à 80 $ la tonne le 1er avril. Sur le prix de l’essence, l’effet est de 3,3 cents, pour un total de 17,6 cents.
Ce n’est donc pas cette taxation qui explique la majeure partie de la hausse du prix de l’essence cette semaine. Et je vous rappelle que la tarification fédérale sur le carbone ne s’applique pas au Québec.
Variations brutales
Dans toute cette histoire, le problème fondamental, c’est la variation brutale à la hausse du prix de l’essence. C’est sur ce point que les gouvernements devraient intervenir pour encadrer les variations de prix et pour obliger les pétrolières et les stations-service à mieux informer le consommateur des mouvements à l’œuvre.
Il n’y a pas de raisons logiques pour expliquer que, mercredi après-midi, le prix du litre pouvait s’établir à 1,76 $ et que, jeudi, il devait se retrouver à 1,91 $. Il n’y a pas eu de catastrophe mercredi soir sur le marché du pétrole. Même qu’on constate que le prix du pétrole n’explose pas.
Pourquoi? Selon The Economist, deux grands facteurs expliquent la hausse plutôt lente du prix du pétrole.
D’abord, la production de pétrole, de nos jours, est moins concentrée au Moyen-Orient qu’elle ne l’était il y a 50 ans. En 1974, cette région représentait 37 % de la production. Aujourd’hui, c’est 29 %.
Les États-Unis et le Canada occupent aujourd’hui une place plus importante dans l’offre mondiale de pétrole.
Ensuite, la production et les exportations de la Russie se sont maintenues malgré les sanctions imposées par les pays occidentaux à la suite de l’invasion de l’Ukraine. De plus, les membres de l’OPEP ont une capacité de production excédentaire de 4,5 millions de barils par jour, l’équivalent de la production de l’Irak.
La demande demeure aussi très forte, mais la croissance économique mondiale est faible. Et la Chine connaît également un ralentissement de sa croissance économique.
La réalité, c’est que l’évolution des prix pétroliers était déjà connue par l’industrie. Entre les tensions géopolitiques et l’arrivée de l’essence d’été, tous les mouvements attendus sur les prix sont prévisibles pour l’industrie, qui aurait dû mieux communiquer l’information aux clients ou mieux calibrer ces mouvements en les appliquant progressivement.
Rien d’urgent ne s’est produit au cours des dernières heures et, donc, rien ne justifie une hausse aussi forte, une majoration surprenante et choquante pour les consommateurs.
Il faut bien reconnaître que nous sommes encore, en grande partie, dépendants de l’industrie pétrolière, qui n’hésite pas un seul instant à profiter de cet avantage concurrentiel.
Les pétrolières affichent des profits exceptionnels.
Lorsque les véhicules électriques occuperont une place conséquente sur nos routes, probablement d’ici une décennie, l’industrie ne pourra pas afficher la même arrogance envers sa clientèle, en appliquant des hausses brutales de 15 à 20 cents en quelques secondes. Cette époque achève.
En attendant, que peuvent faire les gouvernements?
Il est inutile de penser que l’État va contrôler le prix de l’essence, à moins de nationaliser toute l’industrie. Toutefois, il est certainement envisageable d’exiger de la part des pétrolières une plus grande transparence et une plus grande prévisibilité dans l’établissement des prix afin d’éviter les variations trop brusques.