Résumé
Du saumon d’élevage d’ici bientôt dans votre assiette
PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE
Au Canada, la majeure partie de l’aquaculture est faite en Colombie-Britannique, et le saumon est la principale production.
Une nouvelle vague d’aquaculture se lève sur le Québec, avec d’ambitieux projets de fermes dans des régions que l’on n’associe pas naturellement à la production commerciale de poisson, le Pontiac ou la Haute-Mauricie.
Publié à 1h13 Mis à jour à 5h00
Stéphanie Bérubé La Presse
« On voit que l’avenir de cette industrie va se faire dans des installations sur la terre », explique Cameron McDonald, président de Nayad Aquaculture. L’entreprise, qui fait aussi de l’aquaculture dans les Maritimes, développe à La Tuque un projet de ferme de truites arc-en-ciel qui aurait une capacité annuelle de 2000 tonnes, dans sa première phase.
En Outaouais, c’est plutôt une production de saumon en circuit fermé qui veut s’implanter sur la terre ferme près d’une ancienne usine de pâtes et papiers, à Litchfield, une petite municipalité située à une centaine de kilomètres de Gatineau. Production annuelle projetée : 12 000 tonnes.
Samonix vient de déposer un avis de projet au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs qui doit l’évaluer et l’autoriser. Preuve d’un certain engouement, le ministère doit étudier une autre demande de ferme de saumons, à Baie-Trinité, sur la Côte-Nord, sur le site d’une ancienne scierie. Ce projet est plus ambitieux encore puisqu’il prévoit, à terme, une production annuelle de 30 000 tonnes de saumon de l’Atlantique.
Mathieu Farley, qui a fondé Samonix, travaille avec des partenaires scandinaves qui ont les fonds et l’expertise nécessaires pour mener à terme une entreprise de cette envergure. Ce comptable de formation a travaillé sur le développement de ses plans six ans avant de les présenter pour approbation, le mois dernier.
La rigueur est essentielle, car d’autres projets d’aquaculture annoncés n’ont toujours pas vu le jour ou ne le verront jamais.
C’est le cas de cette usine de truites arc-en-ciel de Bécancour, Wôlinak Aquaculture, qui est tombée à l’eau.
En Gaspésie, le projet de ferme de truites sur l’ancienne piste de course de chevaux de Bonaventure prend plus de temps que prévu initialement, mais est toujours vivant, nous confirme la municipalité.
« Des projets ont été abandonnés parce que les gens espèrent avoir des autorisations rapidement et croient que ça va être simple », maintient Mathieu Farley, qui est désormais bien au fait que ça ne le sera pas.
Si son entreprise obtient toutes les autorisations, la construction des installations pourrait commencer en 2027 pour une production trois ans plus tard, au mieux. Le poisson sera abattu et transformé en filets sur place. Éventuellement, Samonix pourrait même faire du saumon fumé, du gravlax…
Une nouvelle technologie
Plusieurs raisons peuvent expliquer les échecs de certains projets et la lenteur du développement de l’aquaculture terrestre ici.
Selon Céline Audet, professeure émérite de l’Institut des sciences de la mer de Rimouski, la technologie a évolué et peut désormais rendre un projet terrestre rentable, ce qui était pratiquement impossible jusqu’à récemment.
Les systèmes en circulation sont de nouvelles façons de produire sur terre. On n’a pas besoin de pomper notre eau ni de faire de grosses décharges d’eau. C’est une nouvelle technologie qui arrive.
Céline Audet, professeure émérite de l’Institut des sciences de la mer de Rimouski
Le fondateur de Samonix tient le même discours : « Le futur de cette industrie-là va venir de ceux qui auront pris le temps de développer des installations qui utilisent des technologies à circulations intensives », dit Mathieu Farley, qui croit aussi que les fermes sur la terre font partie de l’avenir d’une aquaculture responsable : on utilise moins d’eau, elle est traitée plus efficacement et les déchets peuvent être valorisés sur place. Les poissons n’ont pas besoin d’antibiotiques. Les plans d’affaires de ces entreprises doivent inclure la provenance des œufs, un enjeu en soi, et le type d’alimentation de ces poissons carnivores – des projets réellement écoresponsables devront en tenir compte, note Céline Audet.
Selon cette professeure spécialiste de l’aquaculture, un plan bien ficelé doit aussi définir le marché visé par le producteur pour ces poissons locaux.
Autant Samonix que Nayad visent d’abord le Québec, avec un développement vers le Sud. La prétention est d’aller gruger une part à l’importation qui domine largement les comptoirs des poissonniers.
À huit heures de route de notre site, il y a environ 280 000 tonnes de saumon consommées annuellement. De ces 280 000 tonnes, il y en a à peu près 240 000 tonnes qui ne viennent pas du Canada.
Mathieu Farley, fondateur de Samonix
Le Canada est un grand importateur de saumon du Chili, mais notre plus grand fournisseur de poissons et fruits de mer demeure les États-Unis (36 %).
Reste la question de l’acceptabilité sociale à laquelle devront se frotter ces entreprises qui veulent produire des poissons en grands volumes – contrairement à d’autres piscicultures commerciales déjà présentes au Québec, mais qui font des volumes beaucoup plus modestes.
À Litchfield, Mathieu Farley assure que les discussions avec le voisinage et la municipalité se passent bien, jusqu’à présent.
« Quand on comprend la manière dont on s’approvisionne en saumon aujourd’hui au Québec, au Canada ou même en Amérique du Nord, on réalise qu’on vient régler beaucoup de problématiques causées par cet approvisionnement-là : 100 % du saumon de l’Atlantique qui est consommé à l’épicerie est du saumon d’élevage en milieu marin », dit Mathieu Farley.
La clé du succès de ces systèmes d’aquaculture en recirculation est un traitement d’eau plus efficace. La professeure Céline Audet rappelle qu’avec des circuits fermés, l’utilisation d’eau est également restreinte et les déchets métaboliques peuvent être bien gérés.
« Je pense que ce qu’on va voir dans le futur, et peut-être dans un proche futur, va être très différent de ce qu’on voyait en aquaculture il y a quelques années. Ça va vraiment être autre chose. Parce qu’on a identifié les problèmes et on essaie d’y remédier », indique Mme Audet.
Le président de Nayad Aquaculture va plus loin : le Québec est un possible eldorado pour cette industrie. « Le principal marché d’exportation de fruits de mer est juste au Sud, dit Cameron McDonald. La qualité de l’eau est incroyable et nous avons le meilleur système énergétique en Amérique du Nord, de l’hydroélectricité produite d’une manière renouvelable. » Nayad espère pouvoir entamer la construction de ses installations à La Tuque l’année prochaine.
En savoir plus
84
Il y a au Québec 84 entreprises détentrices d’un permis d’aquaculture commerciale en milieu terrestre. En quantité, la truite mouchetée (omble de fontaine) et la truite arc-en-ciel sont de loin les plus produites.
MAPAQ, données de 2023
25 tonnes
Les entreprises qui font déjà de l’aquaculture en milieu terrestre font de plus petits volumes que ce qui est proposé par les nouveaux projets. À titre comparatif, Opercule, qui fait de l’omble chevalier en plein cœur de Montréal, a une production de 25 tonnes annuellement.