Résumé
AnalyseCe que l’ouragan Helene nous apprend sur ce qui nous attend à l’avenir
Dévastateur et meurtrier, Helene n’est pas une anomalie mais un aperçu de ce que l’avenir nous réserve. Avec le climat qui change, les ouragans gagnent en puissance. Explications.
Des débris violemment emportés par la rivière Broad restent enroulés autour d’un arbre qui a survécu aux torrents pendant la tempête tropicale Helene, à Chimney Rock, en Caroline du Nord, aux États-Unis, le 1er octobre 2024.
Photo : Reuters / Jonathan Drake *
Étienne Leblanc
Publié à 4 h 00 HAE
Des destructions « inimaginables » : c’est ainsi que les responsables de la sécurité publique du comté de Pamlinco, en Caroline du Nord, ont décrit les ravages dans le village de Chimney Rock, dans l’ouest de l’État, lorsqu’ils ont vu ce qui restait de la petite bourgade. Pratiquement rien. Les pluies torrentielles et les inondations ont tout détruit.
On est pourtant au cœur des montagnes, dans les Appalaches, à des centaines de kilomètres de la côte de la Floride où Helene a touché terre et à 500 kilomètres de la côte atlantique.
Le bilan de Helene est funeste, au moins 200 morts, et il pourrait s’alourdir, car plus de 600 personnes manquent à l’appel. La tempête, qui a touché terre en Floride avec une puissance de catégorie 4, est le deuxième ouragan le plus meurtrier à avoir frappé les États-Unis depuis 50 ans. Six États ont été touchés par les effets de l’ouragan, qui a tracé sur son passage un couloir de destruction de près de 1000 kilomètres, jusque dans l’ouest de la Virginie.
Que nous apprend l’ouragan Helene sur ce que l’avenir nous réserve? Quel rôle jouent les changements climatiques dans ce genre de phénomène?
Il faut s’attendre à plus d’ouragans puissants
Y a-t-il plus d’ouragans que dans le passé à cause des changements climatiques? Y en aura-t-il davantage à l’avenir?
La science n’a toujours pas de réponse définitive à ces interrogations. Les données ne sont pas concluantes et ne permettent pas d’en arriver à un constat implacable.
Toutefois, on se rend compte qu’à la faveur du climat changeant, la fréquence des ouragans de grande puissance – ceux de catégorie 3 ou supérieure – semble augmenter. Les scientifiques disposent de preuves (Nouvelle fenêtre) de plus en plus nombreuses pour documenter ce phénomène.
Dans son plus récent rapport (Nouvelle fenêtre), le GIEC estime qu’il est probable que la proportion d’ouragans de catégorie 3 à 5 ait augmenté au cours des quatre dernières décennies et que ces changements ne s’expliquent pas seulement par une variabilité naturelle. Les bouleversements climatiques sont une des causes de cette augmentation.
De fait, Helene est devenu le 8e ouragan de catégorie 4 ou 5 à frapper les côtes américaines en autant d’années. C’est autant d’ouragans de forte puissance qui ont touché terre en huit ans qu’au cours des 57 années précédentes. Le seul épisode comparable dans le passé est survenu entre 1945 et 1950, lorsque cinq ouragans de catégorie 4 ont frappé le sud de la Floride.
Pourquoi ce phénomène? Pourquoi les changements climatiques causés par les activités humaines semblent-ils accroître la fréquence des ouragans de forte puissance?
Des images de drone montrent la destruction le long de la trajectoire de l’ouragan Helene, dans le centre-nord de la Floride, aux États-Unis, sur cette capture d’écran d’une vidéo publiée le 2 octobre 2024 et obtenue sur les médias sociaux.
Photo : via reuters / Congresswoman Kat Cammack
C’est en bonne partie parce que les océans se réchauffent. Or l’eau chaude, c’est le véritable carburant des ouragans. Plus l’eau est chaude, plus les ouragans ont du combustible pour augmenter en intensité et en puissance.
Or, selon des données (Nouvelle fenêtre) de l’Observatoire européen Copernicus publiées le 30 septembre dernier, le rythme du réchauffement des océans a presque doublé depuis 2005. Les mers se réchauffent plus vite qu’avant.
Ce phénomène touche de façon plus intense l’océan Atlantique. Pour ce qui est des eaux du golfe du Mexique, où se déplacent de nombreux ouragans qui touchent les côtes américaines, les données de la NOAA montrent qu’elles se sont réchauffées d’environ 1,3 degré par rapport à la moyenne préindustrielle.
Devant ces modifications, les ouragans réagissent comme de véritables pompes à chaleur qui transforment cette énergie cinétique en vent.
Or, pour chaque degré d’augmentation de la température de l’eau, la vitesse des vents augmente de 4 % à 5 %. Cette donnée peut paraître anodine, mais l’ampleur des dégâts qui lui est associée est exponentielle (Nouvelle fenêtre). De façon générale, un ouragan de catégorie 2 va provoquer au moins 10 fois plus de dégâts qu’un ouragan de catégorie 1, et un ouragan de catégorie 4 (comme l’ouragan Helene), au moins 80 fois plus de dégâts.
Des ouragans qui s’intensifient plus rapidement
Helene est une des 10 tempêtes historiques qui, depuis 1950, ont connu ce que les experts appellent une intensification rapide : dans les heures qui ont précédé le moment où il a touché terre, la puissance de ses vents s’est amplifiée d’au moins 65 km/h en à peine une journée. Il est passé de la catégorie 1 à la catégorie 4 en à peine 24 heures avant son arrivée sur le littoral. C’est majeur.
Or, cinq de ces dix ouragans se sont produits au cours des sept dernières années, un phénomène qui, de plus en plus, semble porter l’empreinte des changements climatiques causés par les activités humaines.
Des ouragans comme Harvey (Texas, 2017), Michael (Floride, 2018), Laura (Louisiane, 2020), Ida (Louisiane, 2021) ou Otis (Acapulco, 2023) ont tous décuplé leur intensité quelques heures à peine avant de toucher le continent.
Ici encore, le réchauffement de la température des eaux est en cause. Dans certains cas, cet excès de chaleur change la dynamique des vents, un peu comme si on appuyait vigoureusement sur la pédale d’accélération de l’ouragan.
Un véhicule tout-terrain s’approche d’une section de route détruite par l’ouragan Helene à Barnardsville, en Caroline du Nord, aux États-Unis, le 2 octobre 2024.
Photo : Reuters / Jonathan Drake
Le fait que les tempêtes se transforment en quelques heures en ouragans dangereux juste avant de toucher terre complique grandement les choses pour les autorités et les populations touchées. À quelques heures d’avis, il devient très difficile d’appeler les citoyens à évacuer, surtout quand c’est une région peuplée qui est dans l’œil du cyclone. Une telle situation risque ainsi d’entraîner des efforts d’évacuation inadéquats et des pertes humaines élevées.
Pour les responsables politiques, la gestion du risque qui découle d’une grosse tempête représente un équilibre délicat à trouver. Si on demande à la population d’évacuer et que l’ouragan s’éteint avant ou passe à côté, les gens seront moins portés à suivre les consignes la prochaine fois.
En contrepartie, si on ne lance pas d’appel à l’évacuation et que l’ouragan frappe de plein fouet la région, on va reprocher aux autorités d’avoir été négligentes.
L’intensification rapide des ouragans rend cette tâche encore plus complexe.
Toujours plus de pluie
La majorité des dommages provoqués par l’ouragan Helene provient des pluies torrentielles et des inondations qui en ont résulté. De fait, avant même qu’Helene ne touche terre, son humidité très élevée a été aspirée par un front orageux qui a précédé l’ouragan, déversant près d’un mètre de pluie sur certaines régions du Sud-Est, et ce, sur un parcours de plus de 800 kilomètres.
Si la tempête a fait autant de dommages dans les montagnes de la Caroline du Nord, ce n’est pas en raison du vent mais plutôt à cause des inondations provoquées par ces pluies abondantes.
C’est une tendance que notent les scientifiques : les ouragans semblent transporter et déverser plus de pluie qu’avant.
L’augmentation de la température des mers porte une bonne partie du blâme.
Une image de drone montre une zone inondée et endommagée par l’ouragan Helene à Steinhatchee, en Floride, aux États-Unis, le 27 septembre 2024.
Photo : Reuters / Marco Bello
Les experts estiment que pour chaque degré de réchauffement de l’eau, il en résulte une augmentation d’environ 7 % de la quantité de vapeur d’eau dans l’air. C’est quand cette vapeur d’eau atmosphérique se condense que les gouttelettes se forment et tombent en pluie.
Ainsi, plus l’eau est chaude, plus le taux d’humidité est élevé, plus l’atmosphère est chargée en vapeur d’eau et plus il y de pluie.
Mais ce n’est pas tout : la vapeur d’eau a pour particularité de retenir la chaleur qui provient de la mer. Lorsque cette vapeur se condense en pluie, cette énergie thermique latente est libérée. Cette chaleur supplémentaire contribue ainsi à alimenter encore plus l’ouragan, à lui donner plus de carburant, le rendant plus gros et plus puissant, ce qui lui permet d’aspirer la vapeur d’eau d’une zone encore plus vaste et donc de déverser encore plus de pluie sur un plus vaste territoire.
C’est une spirale endiablée.
Des ouragans qui stagnent
Comme si ce n’était pas assez, un autre phénomène parallèle préoccupe les scientifiques : les ouragans semblent se déplacer plus lentement. Même si la vitesse des vents à l’intérieur des ouragans s’accélère, le déplacement des ouragans le long de leur trajectoire sur les océans et dans les terres ralentit.
Selon les données contenues dans le plus récent rapport du GIEC, la vitesse de translation des ouragans qui prennent naissance dans l’Atlantique a diminué de 17 % depuis 1900.
En conséquence, les grosses tempêtes déversent leur pluie pendant plus longtemps, ce qui peut potentiellement causer plus d’inondations, donc plus de dégâts dans les zones habitées.
C’est à ce titre qu’en 2017, l’ouragan Harvey, au Texas, a frappé les esprits. La tempête a stagné pendant une semaine au-dessus du Texas, déversant à son maximum 1539 mm de pluie dans la ville de Nederland. Un mètre et demi d’eau.
Selon une étude phare sur le sujet, il est très probable que le réchauffement des températures ralentisse la circulation atmosphérique pendant l’été. Selon les chercheurs, le phénomène serait donc lié aux changements climatiques causés par les activités humaines. Les chercheurs soulignent en outre qu’il est essentiel de poursuivre les recherches sur cette question.
Elmira Glover est assise sur son porche après avoir jeté un premier coup d’œil à l’intérieur de sa maison, complètement inondée par l’ouragan Helene à Steinhatchee, en Floride, aux États-Unis, le 28 septembre 2024.
Photo : Reuters / Kathleen Flynn
On meurt longtemps des ouragans
Comme le montre le bilan d’Helene, les ouragans sont mortels. Mais le nombre de décès immédiats liés aux tempêtes ne représente qu’une fraction de la mortalité qui survient au cours des années suivantes. C’est du moins la conclusion d’une étude parue mercredi (Nouvelle fenêtre) dans la revue Nature.
Les chercheurs ont étudié 501 ouragans qui ont frappé les États-Unis entre 1930 et 2015 et ont analysé le nombre de décès excédentaires les 15 années suivantes, c’est-à-dire les décès qui ne seraient pas survenus s’il n’y avait pas eu de tempêtes.
Le nombre moyen de décès officiellement déclarés lors de ces différentes tempêtes était de 24. Mais si on tient compte des décès indirects les années suivantes, à cause notamment des conséquences à long terme du stress vécu, des pertes financières ou de la perte de son gagne-pain, le nombre moyen de victimes se situe entre 7000 et 11 000 pour chaque cyclone.
Les ouragans tuent et on serait bien naïf de penser que le Canada est à l’abri.
Parlez-en à ceux qui, dans la grande région de Montréal, ont tout perdu dans les inondations lors du passage récent de la tempête Beryl, qui avait touché terre… au Texas.