Une bataille pour l’avenir de la Canada Malting se dessine
Jacques Nadeau,Le Devoir
À nous la Malting a occupé le terrain le week-end dernier.
Marco Fortier
30 août 2023
Société
Une lutte déterminante pour l’accès au logement est en train de se jouer en bordure du canal de Lachine, à l’ombre de l’imposant bâtiment de la Canada Malting. Selon ce que Le Devoir a appris, cet immeuble emblématique de Montréal, qui attire les regards avec sa petite cabane rose érigée sur le toit, est convoité par deux promoteurs immobiliers et par un collectif de citoyens.
Encore un immeuble en copropriété ou des logements abordables ? Le débat fait rage dans le quartier Saint-Henri, où des centaines d’appartements en copropriété ont été construits au cours des dernières années, forçant autant de résidents à revenus modestes à se reloger en périphérie.
« Si la Malting est transformée en condos, c’est la mort du quartier au profit du marché », dit en soupirant Catherine Fontaine, organisatrice communautaire au P.O.P.I.R. – Comité logement.
Elle donne un coup de main au collectif À nous la Malting, qui a occupé le terrain situé en bordure du canal de Lachine le week-end dernier. Les militants ont planté des tentes, ont organisé des conférences et ont distribué des dépliants à l’ombre de l’ancienne usine plus que centenaire et abandonnée depuis près de 25 ans.
En pleine crise du logement, les citoyens insistent pour que ce vaste complexe industriel soit converti en logements sociaux et en d’autres espaces entièrement communautaires. L’ancienne usine abriterait notamment une serre, un centre de la petite enfance, un musée d’histoire populaire, des commerces de proximité et des centaines de logements abordables.
« On n’a pas le luxe de se priver d’un projet à 100 % communautaire. Regarde le canal, c’est partout du condo à 100 % privé », souligne David Grant-Poitras, chercheur en sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), en montrant du doigt les immeubles en copropriété qui ont poussé le long du cours d’eau.
Le collectif À nous la Malting s’inspire du Bâtiment 7, un projet semblable qui a vu le jour dans un ancien secteur industriel de Pointe-Saint-Charles, de l’autre côté du canal de Lachine.
Un bâtiment convoité
Ce groupe de citoyens n’est pas seul à convoiter l’immeuble désaffecté : deux promoteurs se disputent le bâtiment. L’entrepreneur Noam Schnitzer, de Renwick Development, a déposé en octobre 2015 une offre d’achat de 5,5 millions de dollars pour l’ancienne usine. La vente était conditionnelle à une série de conditions pouvant s’échelonner sur quatre années, y compris des inspections.
Un autre promoteur, Les Placements Luc Poirier, a fait une deuxième offre de 7,7 millions un peu moins de trois ans plus tard, en juin 2018. Le propriétaire de l’immeuble, Quanta Holdings, a accepté l’offre de M. Poirier en affirmant que Renwick n’avait pas rempli toutes les conditions de la vente.
Dans une décision du 19 décembre 2022, la juge Gabrielle Brochu, de la Cour supérieure, a donné le feu vert à la transaction avec Renwick Development. Le promoteur Luc Poirier a fait appel du jugement. Une audition est prévue au mois de novembre en Cour d’appel. Au moment où ces lignes étaient écrites, l’entrepreneur et son avocat n’avaient pas donné suite à notre demande d’entrevue.
Engagement social
Joint par Le Devoir, Noam Schnitzer, fondateur de Renwick, a dit être convaincu que son projet pourra se concrétiser. Il s’engage à ce qu’entre 25 % et 27 % des unités soient des logements sociaux ou abordables « gérés par un organisme à but non lucratif qui représente la communauté ».
« Il ne fait aucun doute qu’il y aura des logements sociaux », répond le promoteur quand on lui fait remarquer que plus de neuf entrepreneurs sur dix paient une pénalité financière plutôt que d’inclure des logements sociaux ou abordables dans leurs projets comme le demande le règlement à Montréal. Un atelier d’artistes, un local d’accompagnement pour les personnes autistes et des espaces collaboratifs et événementiels font aussi partie du projet de Renwick.
Noam Schnitzer prévient qu’il faut avoir les reins solides pour relancer le bâtiment industriel de plus d’un siècle et déserté depuis près de trois décennies. Une partie de l’immeuble sera démolie ; il faut aussi décontaminer le site.
Le critère de l’acceptabilité
Le zonage actuel interdit la construction résidentielle dans ce secteur, souligne Julie Bélanger, directrice de cabinet du maire de l’arrondissement du Sud-Ouest, Benoit Dorais. L’administration municipale tient à ce qu’un éventuel projet immobilier dans la Canada Malting passe le test de l’acceptabilité sociale. Aucun des projets proposés depuis 10 ans ne répond entièrement aux critères de l’arrondissement, précise-t-elle.
Le cabinet de Benoit Dorais estime d’ailleurs que la proposition du collectif À nous la Malting comporte des limites : il manque entre autres un chargé de projet et des précisions au plan d’affaires, y compris en matière de financement.
« Il faut que le gouvernement Legault soit là pour appuyer financièrement des initiatives comme À nous la Malting. Le quartier Saint-Henri a beaucoup plus besoin de logements sociaux que de condos », insiste de son côté le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard.