Campements urbains et autres enjeux liés à l'itinérance

Saint-Jérôme gagne une première bataille juridique dans le dossier de l’itinérance


Adil Boukind, Le Devoir
Des personnes en situation d’itinéraire se mettaient à l’abri du froid vendredi dans le stationnement de la Maison de la culture de Saint-Jérôme.

Jessica Nadeau
18 h 18
Justice

Malgré le temps froid, la Cour supérieure estime que la Ville de Saint-Jérôme peut continuer d’interdire aux itinérants qui dorment dans la rue de se protéger des intempéries dans des abris de fortune. En effet, le tribunal a refusé vendredi d’émettre une injonction interlocutoire provisoire pour que cessent les évictions et les démantèlements de campements. La Clinique juridique itinérante plaidait l’urgence dans l’espoir d’améliorer la qualité de vie des itinérants en attendant les procédures sur le fonds, qui auront lieu ultérieurement.

« Sur la question de l’urgence, le tribunal retient les arguments de la Ville, a tranché le juge Paul Mayer, après avoir pris le dossier en délibéré pendant quelques heures. C’est depuis octobre 2022 que la Ville évince les personnes en situation d’itinérance et démantèle leurs camps. C’est également depuis octobre 2022 que la Ville émet des constats d’infraction à ceux qui ont dormi dans la rue. Le tribunal constate ainsi que la situation urgente que la demanderesse veut arrêter existe depuis longtemps. En fait, depuis trop longtemps. »

Le magistrat a indiqué à plusieurs reprises être touché par ce qu’il entendait et ce qu’il avait lu dans les documents qui lui ont été présentés par la Clinique juridique itinérante, qui a présenté sous forme d’affidavits le témoignage de 14 personnes en situation d’itinérance.

« Ça vient nous chercher toute la souffrance [à laquelle sont confrontés] ces personnes, a affirmé le juge Mayer. Dans une société riche comme on l’est, de ne pas pouvoir faire face adéquatement à cette situation-là, c’est assez troublant. »

Or, il estime que « le tribunal doit être prudent à ce stade-ci des procédures ». Dans la salle, les intervenantes de l’organisme le Book Humanitaire et un itinérant cachaient mal leur déception. Certains retenaient leurs larmes.

« Il y a trois étapes, ce n’est que la première », a commenté brièvement le directeur de la Clinique juridique itinérante, Donald Tremblay, à sa sortie de la salle de cour.

L’avocat de Saint-Jérôme, Me Daniel Goupil, a pour sa part fait savoir que la Ville prendrait position « en temps et lieu ».

Principes de justice fondamentale

Ce n’est donc que partie remise puisque les parties se retrouveront à une date qui n’a pas encore été déterminée pour plaider sur le fond du dossier. La Clinique juridique itinérante espère faire déclarer « inconstitutionnels et inopérants » les dispositions réglementaires de la ville de Saint-Jérôme qui empêchent les itinérants de dormir dans la rue et d’ériger des abris de fortune pour se protéger du froid et des intempéries, forçant ceux-ci à s’isoler davantage pour se cacher de la police.

Selon la Clinique juridique itinérante, ces règlements « mettent la vie, la liberté et la sécurité de ces personnes en danger d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale », écrivent-ils dans la procédure de plus de 50 pages déposée vendredi à la cour.

Ils arguent que de dormir à l’extérieur n’est pas un choix, mais bien une absence de choix et soutiennent qu’il n’y a pas suffisamment de places pour accueillir les quelques 40 à 50 itinérants qui sont ainsi forcés de dormir à la belle étoile ou d’errer toute la nuit. Ils parlent du nombre de places, mais également de problèmes d’accès pour une partie de la population fragilisée.

« Un band-aid sur une solution inacceptable »

Selon la preuve déposée vendredi, il n’y a que 6 lits en hébergement d’urgence à Saint-Jérôme. Les 62 autres places, réparties dans deux refuges, sont limitées aux itinérants qui s’engagent dans un programme de réinsertion sociale. Cela nécessite également de devoir se plier à certaines règles, que plusieurs itinérants ont décrites dans leurs témoignages comme étant « infantilisantes ».

La Ville de Saint-Jérôme a également mis sur pied une halte chaleur, qui peut accueillir jusqu’à 50 personnes, mais il est interdit d’y dormir et les itinérants qui viennent y chercher un peu de répit doivent sortir à toutes les deux heures et rester une heure à l’extérieur avant de pouvoir y revenir.

La Ville de Saint-Jérôme argue donc qu’il y a assez de place pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de passer la nuit au chaud. Un argument retenu à cette étape-ci par le juge Mayer, bien qu’il estime que la halte chaleur « n’est qu’un band-aid sur une situation inacceptable » et ne constitue pas une solution à long terme. « Étant donné les ressources et le plan mis en place sur les mesures hivernales pour l’itinérance 2023-2024 en période de grand froid, l’objectif de la Ville est de s’assurer de ne laisser personne pour compte à l’extérieur, a résumé le magistrat. Que Dieu vous bénisse, et je vous souhaite bonne chance à respecter non seulement cet objectif-là, mais cette mission. »

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Comment peut-on affirmer que dormir dans des campements est le résultat d’une « absence de choix » alors que cette option est disponible? Dans ce cas, ce n’est évidemment pas un manque de choix, c’est une décision personnelle de ne pas se laisser « infantiliser ». Les adultes sont bien autorisés à faire ce choix, mais cela reste une décision personnelle. Jusqu’à quel point devons-nous tolérer des gens qui refusent de choisir les options qui leur sont présentées ?

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« Ça nous inquiète beaucoup »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Carl Lavigne vit dans une tente près d’une bibliothèque de Longueuil.

Carl Lavigne tire vigoureusement sur la fermeture éclair de sa tente avec une paire de pinces pour essayer de la fermer. La neige accumulée sur les branches d’un arbre tombe lourdement sur la toile, puis glisse à l’intérieur. La tempête des derniers jours a été dure. « Ce matin, je l’ai trouvé rough. Je me suis réveillé gelé », dit l’homme de 41 ans.

Publié à 5h00

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Gabrielle Duchaine
Gabrielle Duchaine Équipe d’enquête, La Presse


Caroline Touzin
Caroline Touzin Équipe d’enquête, La Presse

Il vit ici, au coin d’une rue tranquille de Longueuil, à deux pas de la bibliothèque et d’un refuge pour personnes itinérantes, depuis la mi-octobre. Il sortait alors de prison. Pendant les sept mois de sa peine, il n’a pas pu garder son logement à 750 $ par mois. Malgré plusieurs démarches et quelques contrats dans la construction, il est incapable de trouver quelque chose dans son budget. Il a même essayé de louer un garage chauffé. « Je ne paierai pas 1500 piastres pour un quatre et demie. »

Il s’est donc retrouvé à la rue pour la première fois de sa vie. Il a monté sa tente, qu’il partage avec sa copine et leur chien.

Il y a quelques années, une telle scène aurait été impensable en banlieue. Plus maintenant.

Des données inédites compilées à la fin de novembre par La Presse dans 20 villes et agglomérations permettent de brosser un tout premier portrait de la situation des campements au Québec. Le constat est clair : des installations de fortune poussent un peu partout, même en région. Avec les tensions engendrées par leur occupation de l’espace public et le manque de places dans les refuges, les autorités sont dépassées.

Nous avons demandé aux principales municipalités de plusieurs régions combien de démantèlements de campements ou de tentes individuelles ont eu lieu sur leur territoire dans la dernière année. Nous leur avons aussi demandé de quantifier, lorsque possible, le nombre de campements existants. Toutes les villes et agglomérations sollicitées ont rapporté avoir soit démantelé, soit observé des campements en 2023.

Résultat : plus de 609 campements démantelés et au moins 126 campements connus et non démantelés. Précisons qu’un même campement peut avoir été démantelé plusieurs fois.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le campement du parc Fisher à Granby avant qu’il soit démantelé en octobre.

Outre Montréal et Québec, des installations de fortune ont été remarquées à Sherbrooke, Joliette, Gatineau, Longueuil, Drummondville, Granby, Saint-Jean-sur-Richelieu, Saint-Jérôme, Laval, Lévis et Trois-Rivières, mais aussi dans des endroits plus excentrés comme Amos, Val-d’Or, Rouyn-Noranda, La Sarre, Napierville, Saguenay ou encore Saint-Georges, en Beauce.

« Vos chiffres sont troublants », dit Marie-Ève Sylvestre, doyenne et professeure titulaire de droit civil à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Selon elle, la situation est une « urgence nationale, loin de vouloir se résorber ».

Le ministère de la Santé et des Services sociaux et la plupart des villes sont en réaction ; ils laissent les choses s’aggraver jusqu’au moment où l’on se rend compte qu’il faudrait bien qu’on fasse quelque chose.

Marie-Ève Sylvestre, doyenne et professeure titulaire de droit civil à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa

Des approches divergentes

Les visions des municipalités quant aux manières de gérer ces installations varient. Idem pour leur manière de les comptabiliser.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Un campement installé près de l’église Saint-Paul, à Saint-Jérôme, en 2021

Il y a celles qui, comme Québec ou Saint-Jérôme, ont une politique de tolérance zéro. Dès qu’un campement y est signalé, il est démantelé. La Cour supérieure doit d’ailleurs se pencher sur cette pratique systématique de la municipalité. Après avoir refusé vendredi d’accorder une injonction interlocutoire provisoire pour y mettre fin, le tribunal doit évaluer le fond de la question à une date qui reste à déterminer.

À Québec, on compte 58 démantèlements entre janvier et novembre 2023. « Aussitôt que les patrouilleurs ou les services sociaux voient que quelqu’un s’est installé dans un endroit public, on fait une intervention pour le rediriger vers les services adéquats. Ensuite, on démantèle le campement, c’est systématique, dit le porte-parole Jean-Pascal Lavoie. On pense que c’est la meilleure façon de garder un équilibre entre les besoins de ces personnes-là et les besoins des citoyens. »

Sur le terrain, la situation est moins absolue. « Des campements, il y en a », note Mary-Lee Plante, coordonnatrice du Regroupement pour l’aide aux itinérants et itinérantes de Québec.

Les gens connaissent les endroits où s’installer sans être vus. Il y a du bouche-à-oreille dans la rue. Et quand il n’y a pas de plainte, les policiers regardent ailleurs.

Mary-Lee Plante, coordonnatrice du Regroupement pour l’aide aux itinérants et itinérantes de Québec

Plusieurs habitants des campements ne souhaitent pas vivre en refuge. Même s’ils le voulaient, il n’y aurait pas de place pour tout le monde dans les ressources, « qui n’ont pas le choix de refuser des gens tous les soirs », note Mme Plante.

Tolérance

De l’autre côté du spectre, il y a les villes qui ont des politiques de tolérance. Les autorités y effectuent une veille du nombre d’abris de fortune, bien que celle-ci ne soit pas exhaustive, puisque certaines installations sont cachées.

En 2023, la police de Sherbrooke faisait régulièrement la tournée d’une trentaine de sites. Le phénomène s’est accentué depuis la pandémie, note Gaétan Drouin, directeur général adjoint de la Ville, et continuera de croître en importance, prédit-il. Le manque de financement est « criant ». Le capitaine de police Sébastien Ouimette, responsable du volet itinérance, a d’ailleurs demandé de l’argent à Québec, qu’il n’a pas encore reçu, pour assigner d’autres agents à la clientèle itinérante. « On manque de temps pour tout », dit-il. (Voir autre texte)

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La tente de Carl Lavigne à Longueuil

L’agglomération de Longueuil rapporte pour sa part cinq lieux confirmés avec des tentes, dont celui où vit Carl Lavigne, et dix lieux qualifiés « d’incertains », « c’est-à-dire que les observations datent ou n’ont pas encore été vérifiées pour le moment ». « On va essayer d’aider les gens et de les emmener vers les bonnes ressources. Si le camp n’est pas sécuritaire, on va prendre des mesures, mais on n’arrive pas avec la cavalerie », explique Raphaël Larocque-Cyr, porte-parole de la Ville.

Ces phénomènes sont en progression depuis trois ans, ça nous inquiète beaucoup.

Raphaël Larocque-Cyr, porte-parole de la Ville de Longueuil

Manque de ressources

À Laval, l’étendue du territoire empêche les autorités d’avoir un portrait complet. « On a beaucoup de secteurs boisés et de champs. Il y en a sûrement qui ne sont pas portés à notre attention », dit Martin Métivier, chef de la division urgence sociale de la police de Laval. L’an dernier, son équipe a visité une dizaine de campements, dont sept ont été démantelés. Trois présentaient des risques d’incendie. Pour trois autres, les intervenants de la Ville n’ont jamais réussi à entrer en contact avec les occupants. Le résidant du septième a été transporté à l’hôpital après un mois d’interventions répétées à cause d’enjeux de santé mentale.

« Le phénomène est en augmentation. C’était anecdotique il y a deux ans, dit M. Métivier. On est encore en train de développer notre approche. Pour l’instant, on y va encore un peu à la pièce. Si on tolère trop, on va générer un problème au niveau de la sécurité, mais il y a aussi un respect à avoir. S’il n’y a pas de plainte ou de danger, est-ce qu’on est obligé de démanteler ? La réalité, c’est qu’il n’y a pas de place pour tous ces gens [dans les ressources]. On est tellement proche de Montréal qu’ils absorbent la majorité du financement. »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le campement de Gatineau photographié à l’été 2023

À Gatineau, l’équipe du CISSS de l’Outaouais visite régulièrement deux sites majeurs pour offrir des soins de base. Le premier, qui a souvent fait la manchette, comptait au 3 novembre 70 tentes et 21 autocaravanes. L’autre avait « six ou sept » installations. Attention, prévient Jeneviève Caron, de la direction de la santé mentale et dépendances, dans les camps, il y a souvent plus de tentes que de gens qui y vivent. La même personne utilise parfois plus qu’une tente pour ranger ses possessions. Des individus conservent une installation au campement même s’ils dorment dans un refuge.

Outre ces deux campements majeurs, d’autres sont sûrement cachés, mais le CISSS manque de ressources pour les repérer. « On a beaucoup de cours d’eau, beaucoup de pistes cyclables, et tout ça avec le parc [de la Gatineau] », dit Mme Caron.

À Saguenay, des gens « ont passé l’hiver dehors dans leur campement l’an passé », admet le porte-parole Dominic Arseneau. « Ils ont été très créatifs pour se garder au chaud », dit-il, ajoutant que leurs installations étaient discrètes et n’avaient pas suscité de plaintes.

« On essaie de rediriger les gens vers les ressources. S’ils acceptent, c’est tant mieux. Ça ne devient pour ainsi dire plus un démantèlement. Mais il y a aussi des campements qui ont été tolérés longtemps parce qu’ils étaient dans un endroit où ils ne dérangeaient personne », dit M. Arseneau.

À Longueuil, Carl Lavigne sait que sa présence dérange. « Il y a des gens qui se plaignent », dit-il. Pour l’instant, les policiers le tolèrent. Idem pour les quelques tentes voisines, sa « mini-communauté ».

Mais il veut plus. « Quand il y a un typhon quelque part, l’aide s’organise. C’est une situation d’urgence ici. Ouvrez les édifices la nuit, dit-il en pointant le chalet de la patinoire du parc d’en face. Mettez des lits de camp. »

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Partout au pays,

Via CityNews Edmonton

Removal of eight high-risk encampment paused, extreme weather response activated

The removal of the eighth and final high-risk encampment was postponed, according to advocates. As Laura Krause reports, the Extreme Weather Response was activated by the city due to extreme cold.

À Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick

Man dead after fire at homeless encampment in New Brunswick

A 44-year-old man was pronounced dead on Sunday after a fire at a homeless encampment on Saturday evening, according to Saint John police.

Après les bancs anti-itinérance, des clôtures Frost partout à Sudbury

Des cages et des hommes

Ezra Belotte-Cousineau
Publié à 4 h 00 HNE

Des cages abritant les entrées des commerces et des immeubles sont de plus en plus nombreuses dans le centre-ville du Grand Sudbury.

Depuis plusieurs années maintenant, ces commerçants du centre-ville qui cohabitent avec des personnes sans-abri doivent composer avec ces gens vulnérables qui tentent tant bien que mal de survivre dans la rue, été comme hiver, jour comme de nuit.

Une situation complexe où la volonté de compassion des entrepreneurs se heurte au besoin de maintenir leur commerce en ordre et de faire prospérer leur entreprise.

Ces cages qui bloquent l’accès aux entrées des commerces, particulièrement durant la nuit, sont souvent devenues la solution la plus simple pour éviter que leur parvis ne devienne un dortoir, mais aussi un dépotoir.

Se mettre à l’abri pour dormir est une chose, mais plusieurs commerçants se retrouvent le matin face à de véritables montagnes de détritus.

Des détritus sont amoncelés dans la rue et sur le parvis d'un commerce du centre-ville du Grand Sudbury.
Des montagnes de détritus se retrouvent souvent devant les commerces du centre-ville du Grand Sudbury.
PHOTO : RADIO-CANADA / EZRA BELOTTE-COUSINEAU

Plus que quelques papiers ou emballages de nourriture, ils peuvent retrouver jusqu’à des excréments sur le sol en passant par des seringues contaminées et des pipes de verres brisées.

Une cage en dernier recours

Le cabinet de dentisterie de la docteure Anik Archambault a pignon sur la rue Cedar, au coin de la rue Young, juste en face d’un Tim Hortons et du terminus d’autobus de la ville.

Ces deux lieux sont particulièrement fréquentés par les personnes sans-abri.

Une clôture ceinture les escaliers d'un cabinet de dentiste situé au centre-ville du Grand Sudbury.
Le cabinet de dentisterie de la Dre Archambault s’est résolu à ériger des clôtures pour protéger leur entrée principale.
PHOTO : RADIO-CANADA / EZRA BELOTTE-COUSINEAU

À contrecœur, Michel Toupin, le gérant du cabinet, s’est finalement résolu à installer des cages protégeant l’entrée principale, mais seulement après de nombreuses tentatives pour trouver d’autres solutions auprès de la Ville et du Service de police du Grand Sudbury (SPGS).

C’était au point où quand on arrivait au travail, on avait souvent de 5 à 10 personnes installées sur les escaliers devant l’entrée.

Michel Toupin, gérant Cabinet Anik Archambault

M. Toupin explique que cette situation s’est développée progressivement, mais que la pandémie de COVID-19 a dramatiquement accru leur présence.

Le gérant explique aussi que les employés du cabinet de dentiste retrouvaient beaucoup de seringues usagées sur place et qu’ils devaient aussi souvent nettoyer les besoins personnels des personnes sans-abri.

Face aux difficultés à convaincre ces personnes de quitter l’entrée, M. Toupin a demandé de l’aide à la Ville, mais il affirme n’avoir reçu aucun support de l’administration municipale qui l’a redirigé vers le SPGS.

Il s’est donc adressé aux policiers pour obtenir aide et conseils. Il y a cinq ans, on n’avait pas de caméras, pas de gros éclairages, ce n’était pas un besoin, explique-t-il.

Tout ça a finalement changé et le cabinet s’est résolu à installer petit à petit des caméras, des lumières, des affiches et finalement, une cage. Une dépense de plus de 20 000 dollars épongée par le commerce.

On ne voit rien [de la Ville]. C’est nous qui devons nous débrouiller.

Michel Toupin, gérant Cabinet Anik Archambault

Une lumière est installée sur le plafond de la marquise de la porte d'entrée principale du cabinet situé au centre-ville du Grand Sudbury.
*Des éclairages rajoutés par le cabinet de la Dre Archambault ont fini par attirer plus de gens durant la nuit plutôt que de les tenir à l’écart.
PHOTO : RADIO-CANADA / EZRA BELOTTE-COUSINEAU

Toutefois, malgré les suggestions de la police que le cabinet a appliquées, rien n’y faisait. En fait, l’ajout des éclairages attirait encore plus de gens raconte M .Toupin. Seule la cage mit un terme au problème.

On est quand même sympathique envers ces gens-là et les problèmes qui existent, mais d’après nous, ce n’est pas à nous de régler ce problème, conclut-il.

L’équilibre entre devoir et compassion

Du côté du Service de police du Grand Sudbury, l’agent Dan Gélinas de l’unité de réponse communautaire rappelle que des agents patrouillent dans le secteur du centre-ville à pied et à vélo avec l’objectif de ramener un sens de la sécurité aux commerçants et à ses habitants.

Il indique que le SPGS est bien au fait de la situation dans le centre-ville et cultive de bonnes relations avec les commerçants, mais il tente aussi de tisser des liens avec la population vulnérable.

Des hommes en uniforme sur des vélos dans un parc.
Des agents municipaux ont ordonné le démantèlement du camp de sans-abri du parc Memorial du Grand Sudbury mercredi.
PHOTO : CBC / SARAH MACMILLAN

Face aux appels des commerces leur demandant de déplacer les dormeurs qui se trouvent sur leur propriété, le SPGS tente d’adopter une attitude compassionnelle, explique le constable.

Après avoir fait contact avec cette personne [sans-abri], nous lui demandons de s’identifier. […] Le but est de s’assurer premièrement que cette personne est correcte et en sécurité. C’est rien de mal.

— Agent Dan Gélinas, Unité de réponse communautaire du Service de police du Grand Sudbury

Une fois le contact établi, M. Gélinas explique que les patrouilleurs vont tenter d’en apprendre davantage sur la situation de l’individu vulnérable. Qu’est-ce qui se passe dans leur vie? De quoi ont-ils besoin? Y-a-t-il des organismes avec qui on peut les mettre en contact?

Mais au bout du compte, les agents vont et doivent s’assurer que les dormeurs ramassent leurs effets personnels et quittent l’entrée du commerce.

Le constable de l’unité communautaire admet que parfois, les patrouilleurs vont essuyer des refus, mais il rappelle que ses agents sont entraînés à désamorcer les situations tendues.

Dormir dehors n’est pas un crime, mais…

L’agent Dan Gélinas confirme que dormir dehors n’est pas considéré comme un crime, mais cela peut dépendre de l’endroit où le dormeur se trouve.

Il explique que le principe de propriété privée s’applique et qu’un propriétaire pourrait se plaindre d’une entrée par effraction sur son domaine dans une telle situation.

Le même principe s’applique aux terrains appartenant à la Ville, mais M. Gélinas reconnaît qu’elle est très tolérante face à la présence de sans-abri.

Selon les procédures du SPGS, le désordre social se classe en différentes catégories. La première touche notamment la présence d’individus indésirables. Les autres catégories vont de la perturbation de la paix jusqu’à la prostitution.

Selon leurs données, 8433 appels relatifs à du désordre social ont été faits en 2021; 8045 l’ont été en 2022 et en 2023 jusqu’au mois d’octobre, ce sont 6612 appels qui ont été placés.

Une personne couchée sur le sol devant une porte d'entrée.
Plusieurs sans-abri occupent la devanture des commerces au centre-ville de Sudbury.
PHOTO : CBC / MARKUS SCHWABE

Le constable appelle toutefois à la prudence. Il recommande de ne pas prendre de chance considérant qu’il est difficile de prévoir comment les personnes sans-abri peuvent réagir et qu’il vaut mieux appeler le SPGS pour régler ce genre de situation.

L’architecture hostile en plein essor

L’architecture hostile est donc de plus en plus présente dans le Grand Sudbury, qu’il s’agisse de cages protégeant les entrées ou encore de pics empêchant n’importe qui de s’asseoir sur les divers éléments architecturaux des édifices.

Notons que ces installations ne visent pas uniquement les personnes sans-abri, mais peuvent aussi décourager les jeunes par exemple qui voudraient utiliser ces infrastructures pour y faire de la planche à roulettes.

Des pics ont été installés sur des éléments architecturaux de certains édifices pour empêcher les gens de s'y asseoir.
Des éléments considérés comme de l’architecture hostile sont de plus en plus présents dans le centre-ville du Grand Sudbury.
PHOTO : RADIO-CANADA / EZRA BELOTTE-COUSINEAU

Toutefois, comme le fait remarquer l’architecte Chris Baziw, ces installations ont un impact différent et bien souvent humiliant pour les populations vulnérables.

C’est troublant de voir un objet qui a été pensé pour chasser les pigeons et d’autres animaux considérés comme de la vermine, et de le détourner pour l’utiliser contre des membres de notre communauté.

— Chris Baziw, architecte pour Centreline Architecture

Une perspective qui a mené le jeune architecte jusqu’au conseil municipal du Grand Sudbury pour discuter de l’enjeu et présenter des solutions alternatives.

Des grilles sont installées devant la porte d'entrée d'un édifice fédéral du Grand Sudbury.
D’imposantes grilles bloquent dorénavant l’entrée de cet édifice fédéral du centre-ville du Grand Sudbury.
PHOTO : RADIO-CANADA / EZRA BELOTTE-COUSINEAU

Sa thèse de doctorat complétée en 2020 portait d’ailleurs sur la façon dont les municipalités nord-ontariennes géraient l’itinérance dans leurs rues.

En permettant l’utilisation de l’architecture hostile, Mr Baziw explique que la Ville gère la localisation du problème, mais pas le pourquoi du problème.

Selon lui, cette approche qualifiée de prévention du crime par le design environnemental revient somme toute à retirer puis à déplacer le problème.

Encourager l’architecture inclusive

Afin de prouver ses dires, Chris Baziw évoque l’expérience d’architecture inclusive conçue pour sa thèse de doctorat et qu’il a menée en catimini au centre-ville du Grand Sudbury.

Chris Baziw regarde les passants s'approcher de sa table et leur offre du café.
Chris Baziw offre des cafés gratuitement après avoir installé son mobilier inclusif dans le centre-ville du Grand Sudbury.
PHOTO : RADIO-CANADA / SOURCE : CHRIS BAZIW

En utilisant les éléments d’architecture hostile, il a conçu des bancs et des tables permettant non seulement aux personnes sans-abri de se reposer, mais aussi aux travailleurs du centre-ville d’avoir un espace plus accueillant pour prendre une pause café à l’extérieur de leur bureau par exemple.

Un plan tiré de la thèse de doctorat de Chris Baziw montrant l'instalation de tables et de bancs inclusifs.
Chris Baziw a imaginé des éléments de mobiliers inclusifs pour le centre-ville du Grand Sudbury.
PHOTO : RADIO-CANADA / SOURCE : CHRIS BAZIW

Une table temporaire installée sur le coin d'une rue où des passants prennent un café.
Le projet de thèse de doctorat de Chris Baziw a connu un beau succès auprès des personnes vulnérables, mais aussi auprès des travailleurs du centre-ville.
PHOTO : RADIO-CANADA / SOURCE : CHRIS BAZIW

Une table de bois est installée sur le coin d'une rue sur l'infrastructure d'un édifice gouvernemental.
Chris Baziw a installé une table en se servant d’éléments d’architecture hostile.
PHOTO : RADIO-CANADA / SOURCE : CHRIS BAZIW

Un dessin technique de l'installation de bancs utilisant un grillage comme structure.
Le design imaginé par Chris Baziw pour installer des bancs en se servant des grillages dans la ville.
PHOTO : RADIO-CANADA / SOURCE : CHRIS BAZIW

Des personnes sont assises et debout devant les bancs installés sur un grillage du centre ville du Grand Sudbury.
Les installations inclusives de Chris Baziw ont immédiatement été adoptées par les personnes vulnérables habitant le centre-ville de Sudbury.
PHOTO : RADIO-CANADA / SOURCE : CHRIS BAZIW

Des bancs en bois sont installés sur une clotûre du centre-ville du Grand Sudbury.
Chris Baziw a installé des bancs en se servant du grillage des palissades.
PHOTO : RADIO-CANADA / SOURCE : CHRIS BAZIW

Selon M. Baziw, le projet inclusif fut un franc succès, permettant de nombreux échanges entre divers membres de la communauté du centre-ville et en lançant aussi un débat sur la façon d’aborder l’enjeu de l’itinérance dans le Grand Sudbury.

Et les efforts de Chris Baziw ont porté certains fruits, mais des fruits qui ne plairont peut-être pas aux commerçants du centre-ville puisqu’à la suite de la présentation de l’architecte, il a été convenu que les fonds d’embellissement des façades du Plan d’améliorations communautaires ne peuvent être utilisés pour l’installation d’éléments d’architecture hostile.

L’approche coordonnée de la Ville

Pour sa part, la Ville du Grand Sudbury explique qu’elle a une approche coordonnée pour gérer les enjeux de l’itinérance dans son centre-ville.

Elle coordonne ainsi les efforts de diverses organisations dont le SPGS et d’autres organismes pour diriger ces populations vulnérables vers les services adéquats et leur offrir des options d’hébergement.

Ed Landry, le planificateur principal de la Municipalité, explique que son département est actuellement en train de développer une mise à jour du plan directeur du centre-ville.

Ed Landry durant une entrevue à l'hôtel de ville.
Ed Landry explique que le Grand Sudbury développe actuellement un plan directeur pour le centre-ville.
PHOTO : RADIO-CANADA / EZRA BELOTTE-COUSINEAU

Il admet qu’il faut continuer d’avoir ce genre de discussions en termes des défis sociaux et des problèmes mentaux puisque ce plan se veut une vision du Grand Sudbury à long terme.

Ça va faire partie d’une plus grande discussion en termes des niveaux de services de la municipalité et puis de trouver des pistes à suivre.

— Ed Landry, planificateur principal Grand Sudbury

Heidi Eisenhauer est la directrice du Réseau ACCESS Network, qui vient en aide aux personnes vulnérables de la région.

Heidi Eisenhauer devant un ordinateur et un bureau.
Heidi Eisenhauer est directrice générale de l’organisme de réduction des méfaits Réseau Access.
PHOTO : RADIO-CANADA / FRANCIS BEAUDRY

Bien qu’attristée par l’éclosion de plus en plus de grillages dans le centre-ville, elle ne s’étonne pas que cette pratique soit devenue la solution privilégiée par les commerçants. Ironiquement, c’est d’aillleurs la solution retenue par les propriétaires de l’édifice où se trouve l’organisme d’entraide.

Nous demandons continuellement à ces gens de se déplacer, de ne pas flâner et de ne pas entrer dans les espaces. Mais où doivent-ils aller quand la vie est rude et que les refuges sont fermés à 8 h 00 du matin?

— Heidi Eisenhauer est la directrice du Réseau ACCESS Network

Elle souligne que les bibliothèques sont souvent utilisées par les populations vulnérables pour se réchauffer, tout en reconnaissant que bien que tolérés, ils n’y sont pas vraiment les bienvenus.

Un homme se réfugie dans une bibliothèque publique du centre-ville. Il dort sur un un fauteuil et ses jambes allongées sur un tabouret.
Des personnes sans-abri se réfugient dans les bibliothèques partout au pays (Photo d’archives).
PHOTO : DAVID HOREMANS/CBC

Les centres de réchauffement que la Ville avait installés durant la pandémie de COVID-19 ne le seront pas cet hiver.

Pour Mme Eisenhauer, l’enjeu des cages n’est que la pointe de l’iceberg qu’est le problème du sans-abrisme dans le Grand Sudbury, où plusieurs paliers de gouvernement continuent de se renvoyer la balle quant au financement des solutions.

Le problème au final fait-elle remarquer, c’est peut-être qu’en tant que communauté, nous acceptons toujours que des hommes dorment dans la rue.

Des cages et des hommes - L’architecture hostile de plus en plus présente au centre-ville de Sudbury

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Reportage vidéo du Devoir

Sortir les femmes de la rue | Identité

Depuis 90 ans, le Chaînon aide des femmes en situation de vulnérabilité à se loger et à briser le cercle de l’itinérance. Le Devoir a suivi l’une de leurs intervenantes psychosociales. Alix Langlois accompagne les femmes, lorsqu’elles ont de nouveau un logement, à retrouver leur dignité.

Maxime Bergeron nous parle d’une initiative intéressante pour mettre les gens de la rue vers des logements:

Grosso-modo une subvention pour payer les premiers mois de loyers, en demandant au propriétaire, un par un, d’héberger une personne dans le besoin: le programme ERL.

Le projet fonctionne : la Mission Bon Accueil a réussi depuis 2021 à faire signer 263 baux, pour un total de 333 personnes placées en logement (dans certains cas des couples ou des familles). Pas moins de 281 sont toujours dans leur appartement à ce jour, autant de personnes qui ne sont plus aujourd’hui à la rue.

Quelques propriétaires ont mauvaise presse ces temps-ci avec les cas d’abus d’évicitions, mais faut souligner ici un qui applique de belles valeurs pour sortir les gens de la rue:

Le Montréalais, qui a choisi d’accorder à ses frais un rabais d’environ 15 % sur ses loyers habituels, encourage les propriétaires d’immeubles de logements à faire de même. « Je comprends que nous sommes dans une société capitaliste où on doit faire de l’argent, mais il y a aussi le concept de redonner. Si vous avez plusieurs unités locatives, peut-être pouvez-vous envisager d’en louer une. »

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Aussi, ce qui est bien c’est que c’est un programme financé par le CIUSSS, et non la Ville. On se rappellera que c’est le gouvernement du Québec, par l’entreprise du ministère des Services sociaux, qui est responsable des enjeux liés à l’itinérance, et non les municipalités.

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Un cadre de référence et un plan d’action pour lutter contre l’itinérance à Longueuil

Un homme itinérant portant un manteau fume une cigarette sous la neige.
Le plan d’action se veut complémentaire de la Stratégie d’habitation de la Ville de Longueuil dans sa lutte contre l’itinérance.
PHOTO : RADIO-CANADA / IVANOH DEMERS

Radio-Canada
Publié à 10 h 41 HNE

La mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, a dévoilé lundi le Cadre de référence municipal ainsi que le Plan d’action de lutte contre l’itinérance 2024-2026.

Cette démarche, présentée comme une première pour Longueuil, permettra, selon la Ville, d’énoncer une vision, des principes directeurs pour déterminer les meilleures pratiques et orienter ses actions, ainsi que des axes d’intervention misant sur le logement, la responsabilisation, la cohabitation sociale et l’action collective.

La Direction de la culture, du loisir et du développement social (DCLDS) aura la mission d’en assurer la coordination en collaboration avec les différents services et directions de la Ville.

Divers collaborateurs, dont une trentaine d’intervenantes et intervenants, une vingtaine de partenaires du milieu, deux chercheuses et des citoyennes et citoyens en situation d’itinérance, ont été appelés à participer à la démarche, précise la Ville.

Le plan présenté aujourd’hui se veut une feuille de route ambitieuse à la hauteur des besoins des citoyennes et citoyens en situation d’itinérance.

— Catherine Fournier, mairesse de Longueuil

Ce cadre de référence et ce plan d’action agiront en complémentarité avec la Stratégie d’habitation de Longueuil dans la lutte contre l’itinérance, indique la Ville.

Elle rappelle qu’en décembre dernier, Longueuil avait dévoilé sa Stratégie d’habitation visant un seuil de 20 % de logements locatifs à but non lucratif et un accompagnement des projets de logement social sur le territoire.

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Au Téléjournal 18h

Itinérance : de Drummondville à Rimouski, la crise s’étend

Les élus le disent partout au Québec : il y a de plus en plus de personnes en situation d’itinérance.

Ce n’est plus un phénomène réservé aux centres-ville de Montréal et de Québec, mais les raisons sont toujours les mêmes : la pauvreté et le manque de logements.

Le reportage de Mathieu Prost

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Itinérance à Lachine « La présence, c’est de la prévention »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Les agents Daniel Champagne et Louis-Carl Choquette patrouillent à pied à temps plein à Lachine.

L’itinérance à Montréal s’étend bien au-delà du centre-ville : à la suite de plaintes de citoyens l’année dernière, le Service de police de la Ville de Montréal a lancé une patrouille à pied à Lachine pour aider à résoudre les enjeux de cohabitation et d’insécurité engendrés par le nombre croissant de sans-abri dans le secteur.

Publié à 1h10 Mis à jour à 5h00

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Mayssa Ferah
Mayssa Ferah La Presse

Seringues qui traînent aux abords des commerces, individus bruyants et désorganisés, vol dans certaines boutiques, excréments trouvés devant des commerces : les préoccupations des résidants de Lachine, évoquées lors des séances du conseil municipal, étaient multiples. Le SPVM a donc cherché une solution en partenariat avec l’arrondissement avant que la situation ne dégénère.

Depuis octobre dernier, les agents du SPVM Daniel Champagne et Louis-Carl Choquette sont dégagés des appels d’urgence et patrouillent à pied à temps plein. Leur mandat : être toujours visibles, aller à la rencontre des citoyens et des commerçants et tisser des liens avec la population itinérante du coin pour calmer le jeu s’il y a lieu. Et au bout de quelques mois, ils n’étaient plus « juste des agents » pour les résidants du secteur : ils sont « Daniel et Louis-Carl ». Les gens les ont reconnus pendant toute la durée de leur patrouille lorsque La Presse les a accompagnés, mardi dernier.

Premier arrêt : un groupe d’entraide qui s’occupe de personnes vivant avec un handicap mental. Les bénévoles y sont accueillants et motivés par le désir d’aider autrui. Ça ne les empêche pas d’avoir des soucis de cohabitation avec des personnes en situation d’itinérance qui s’y réfugient parfois, faute d’autre lieu où passer la journée en ces temps froids.

L’agent Daniel Champagne jette un coup d’œil à l’intérieur : pas de problème aujourd’hui. « On le sent facilement quand on rentre et que l’ambiance est tendue », précise l’agent Louis-Carl Choquette, collègue avec qui il patrouille depuis 10 ans.

Se rendre visible

On ne parle pas toujours de violence lorsqu’il est question de cohabitation cahoteuse. Ça peut être un individu qui a consommé, crie et gesticule. Ça provoque un sentiment d’insécurité chez les gens, explique Louis-Carl Choquette.

Les commerçants sont prêts à aider [les sans-abri] en les laissant entrer pour qu’ils se réchauffent. Mais il reste qu’on a eu des vols dans certaines boutiques. On ne veut pas d’infractions et d’incivilités.

L’agent Louis-Carl Choquette

Il cite l’exemple d’un homme sans logis aperçu plus tôt dans la journée dans les environs. « Je sais qu’il ne peut s’approcher d’un établissement de la rue Notre-Dame selon une ordonnance de la cour. S’il s’approche, je vais le lui rappeler. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Les agents Daniel Champagne et Louis-Carl Choquette, en pleine discussion avec un brigadier

Le fait que les agents sont présents et visibles empêche l’homme de ne pas respecter ses conditions. On lui évite peut-être un passage devant les tribunaux et on s’assure de la quiétude du commerçant en question.

Ce type de prévention est seulement réalisable en tissant des liens, en connaissant la population itinérante. Et pour ça, il faut être sur le terrain et prendre son temps.

« La présence, c’est de la prévention. Clairement », ajoute l’agent Daniel Champagne.

Cohabitation difficile

Le propriétaire de Yalla Habibi, nouvellement installé dans la rue, en a long à dire sur l’itinérance. Le petit restaurant est tout neuf, prêt à accueillir des clients. Et parfois, la présence de certains individus le dérange, admet-il. Il se lance dans une longue tirade sur la difficulté de la cohabitation. L’agent Daniel Champagne l’écoute en hochant la tête, compréhensif.

Le restaurateur discute d’une femme et d’un homme en situation d’itinérance bien connus dans le secteur. « Ils ont un bon cœur. Mais ils crient sur la rue, ils essaient de me vendre des choses qu’ils ont volées… »

Il souhaite garder l’endroit calme et accueillant, surtout sur l’heure du dîner.

À la sortie du restaurant, les agents croisent un visage familier. L’homme ne fait rien de mal. Il se promène le manteau ouvert, malgré le froid perçant, observe les passants, entre dans les boutiques.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Louis-Carl Choquette et Daniel Champagne lors de leur patrouille

Les deux patrouilleurs le saluent poliment sans engager la conversation. Après tout, l’homme sans logis a le droit de se balader. Il se met à papoter avec les deux policiers de sa forte migraine, qui ne veut pas passer. « Mais tsé, j’ai tellement consommé. Tu vois ce côté de mon visage ? C’est toute paralysé », admet-il nerveusement.

« C’est la première fois qu’il nous parle aussi longtemps. C’est un record. On dirait que nos petits “Salut, ça va ?” depuis octobre ont été payants », s’étonne l’agent Louis-Carl Choquette.

Pour bâtir des liens avec la population itinérante, il faut être patient, ne rien prendre personnel. Parfois ils ne sont pas réceptifs. Ça aide de ne pas avoir à répondre aux appels d’urgence.

L’agent Daniel Champagne

Autre arrêt, à la friperie cette fois : le même homme se présente à la caisse.

La propriétaire des lieux, Chloé Boudreau, vient saluer les agents. Elle a l’habitude de leur tournée quotidienne. « Il est tout le temps ici, mais il n’achale personne », dit-elle d’emblée en faisant référence à l’homme à la caisse.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Louis-Carl Choquette et Daniel Champagne se sont arrêtés à une friperie, où ils ont discuté avec la propriétaire, Chloé Boudreault.

Elle demeure consciente que la présence de sans-abri peut rendre certains clients réticents. « On est une friperie, donc on demeure accessible à tout le monde. Donc c’est certain qu’on peut avoir des gens aux comportements problématiques. »

Elle applaudit l’initiative de la patrouille à pied, puisque certaines situations nécessitent une surveillance, mais n’ont pas dégénéré au point de devoir appeler le 911.

« Ça rend l’atmosphère plus calme. »

Bientôt des ressources ?

Des magasins à grande surface, des boutiques de vêtements branchées, des restaurants et quelques bars composent la rue Notre-Dame, bien animée. Le secteur offre une belle mixité sociale : il y a des petits lieux de rassemblement, une friperie, des organismes… et aucun refuge pour sans-abri. Si une personne originaire de Lachine en situation d’itinérance souhaite un lit pour la nuit, elle doit s’en remettre au couchsurfing ou se déplacer au centre-ville, admet l’agent Louis-Carl Choquette.

La lueur d’espoir, c’est un bâtiment en construction destiné à accueillir les sans-abri du coin.

Le projet annoncé en mars dernier comportera 13 studios pour personnes seules et 5 appartements aménagés pour des couples. Il n’y a pas de date d’ouverture officielle, mais l’inauguration est prévue pour l’automne prochain. Il ne s’agit pas d’un refuge d’urgence, mais bien de logement social destiné à des personnes en situation d’itinérance ou à risque de le devenir.

À besoin égal, la Mission Old Brewery priorisera des gens originaires de Lachine. « Comme les logements pour couples sont très rares, il pourrait aussi y avoir des gens de l’extérieur. Ce sont les citoyens qui nous ont sollicités pour ce projet », explique Marie-Pier Therrien, porte-parole de la Mission Old Brewery.

Phénomène nouveau

Une chose est sûre : la présence d’autant de gens qui se retrouvent à la rue est un phénomène nouveau dans ce coin de Montréal. André Monette, directeur de L’Œuvre Soupe Maison depuis six ans, peut en témoigner. L’organisme fréquemment visité par les policiers lors de leurs patrouilles distribue de la nourriture et des vêtements d’hiver au besoin.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

André Monette, directeur de L’Œuvre Soupe Maison, discutant avec Daniel Champagne

Au début, on n’avait pas d’itinérance. Mais maintenant, ils viennent tous ici ! C’est dur pour nous de les aider : ils n’ont pas de logement, donc pas de micro-ondes…

André Monette, directeur de L’Œuvre Soupe Maison

La croissance de l’itinérance dans des secteurs inhabituels comme à Lachine pourrait s’expliquer par la hausse du prix des logements, la crise des opioïdes et la suspension de certains services durant la pandémie, selon Vincent Clark, commandant du poste de quartier de Lachine.

« C’était plus concentré au centre-ville avant. Maintenant, ça s’étire dans les quartiers périphériques », poursuit-il.

Quelques tentes ont même commencé à apparaître. Pas de gros campements, mais les balbutiements de ce qui a déjà lieu dans les quartiers centraux. « Historiquement, dans l’ouest de Montréal, on n’avait jamais vu ça, des mini-campements de sans-abri. On s’est retrouvé en 2023 avec des citoyens qui ont manifesté un sentiment d’insécurité », indique le commandant Vincent Clark.

Il y a aussi les nouveaux visages de l’itinérance : ils ont perdu leur logement récemment, mais ne connaissent pas les codes de la rue. « Cette personne-là peut ne pas savoir où aller pour dormir, s’installer, et les citoyens peuvent trouver ça dérangeant. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Vincent Clark, commandant du poste de quartier de Lachine

Les problèmes de consommation peuvent créer des attitudes qui paraissent étranges pour la mère de famille qui promène ses enfants le week-end.

Le commandant Vincent Clark

Comme la patrouille n’a débuté qu’en octobre, il est difficile de quantifier les progrès. Le commandant constate cependant une nette amélioration du climat social. Ils ne sont toutefois que deux.

Sera-t-il nécessaire de bonifier l’équipe durant l’été ? Difficile à dire, admet le commandant Vincent Clark. « On est liés au fait qu’il y a des difficultés d’embauche au SPVM. On ne peut pas non plus délester tous les patrouilleurs des appels d’urgence au 911, déjà qu’il y a un gros volume d’appels par rapport à nos effectifs. »

Refuge d’urgence au centre-ville Des milliers d’incidents de sécurité

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Le refuge d’urgence pour sans-abri du Complexe Guy-Favreau a été ouvert de mai 2020 à fin 2023.

La présence d’un refuge d’urgence pour sans-abri au Complexe Guy-Favreau, au centre-ville de Montréal, a causé des milliers d’incidents criminels et de sécurité, selon un document fédéral obtenu par La Presse.

Publié à 1h08 Mis à jour à 5h00

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Philippe Teisceira-Lessard
Philippe Teisceira-Lessard La Presse

Ces informations viennent appuyer les inquiétudes exprimées à répétition par les résidants et les commerçants du secteur quant à l’insécurité grandissante qui y régnait.

Sur seulement huit mois, « entre le 1er octobre 2022 et le 30 mai [2023], 2243 incidents de nature criminelle et sécuritaire ont été signalés » en lien avec le refuge de 85 places, selon une note préparée à l’intention de Justin Trudeau en vue d’une rencontre avec Valérie Plante, en juin dernier. La Presse l’a obtenue grâce à la Loi sur l’accès à l’information.

« Plusieurs usagers et locataires commerciaux du Complexe Guy-Favreau ont été témoins de ces incidents et ont exprimé leur inquiétude quant à leur sécurité », continue la note, préparée par le Bureau du conseil privé.

Avec la présence en grand nombre de fonctionnaires, des autres occupants et des nombreux citoyens présents à tous les jours, force est de constater que la présence d’un refuge dans cet édifice est incompatible avec la vocation du Complexe Guy-Favreau.

Extrait de la note à l’intention du premier ministre Justin Trudeau

Ouvert au paroxysme de la pandémie, en mai 2020, ce refuge a été fermé fin 2023. Après plusieurs renouvellements, Ottawa a repris possession des lieux pour y effectuer des « travaux prioritaires et majeurs pour assurer l’intégrité de l’immeuble » à la suite de la découverte de moisissures, explique la note. « Ces travaux d’importance ne peuvent être faits dans le local servant au refuge si des occupants s’y trouvent toujours. »

La Ville de Montréal a annoncé l’automne dernier que c’est une ancienne résidence pour aînés de Verdun, les Jardins Gordon, qui prend le relais de cette installation.

Violence, incivilités et drogue

L’entrepreneur Winston Chan, membre de la communauté chinoise de Montréal qui a souvent dénoncé l’insécurité autour du Complexe Guy-Favreau, a indiqué que le nombre élevé d’incidents ne le surprenait pas.

« Ça ne me surprend pas », a-t-il dit en entrevue téléphonique. « Sur le terrain, plusieurs commerçants nous en parlent [de l’insécurité] à cause de ce refuge-là. »

Dans les dernières années, des gens du quartier ont rapporté avoir été invectivés et même frappés par des utilisateurs présumés du refuge, en plus d’être fréquemment témoins de consommation de crack et de drogues par injection. En 2022, un itinérant est mort poignardé dans le quartier.

« Le refuge ouvrait à une certaine heure et les gens faisaient la file pour pouvoir entrer, donc ils se tenaient dans ce coin-là » une bonne partie de la journée, a ajouté M. Chan. « C’est vraiment une cohabitation pas agréable pour les résidants. »

La Ville de Montréal a fait valoir qu’elle avait fait de son mieux pour mitiger les impacts de la présence d’un refuge pour sans-abri au Complexe Guy-Favreau.

« Lors de la période où un refuge temporaire a été en activité, la Ville de Montréal a travaillé étroitement avec la Société de développement social (SDS) qui opérait la ressource et les gestionnaires de l’immeuble pour assurer une sécurité et une cohabitation harmonieuse entre les résidants, les travailleurs, les commerçants et les usagers du refuge », a fait valoir le relationniste Guillaume Rivest, dans une déclaration par courriel.

« La Ville de Montréal est toujours engagée à assurer la cohabitation sociale et la sécurité dans les espaces publics », a-t-il continué. « C’est pourquoi, entre autres, nous avons bonifié l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale (ÉMMIS) et ajouté des patrouilles du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dans le secteur. »

Services publics et Approvisionnement Canada, le ministère qui gère les immeubles fédéraux, n’avait pas réagi au moment de publier ce texte.

« L’emplacement n’était pas idéal »

Le cabinet de la mairesse de Montréal n’a pas voulu commenter la situation.

« Le fait que le gouvernement fédéral souhaite faire des rénovations majeures [au Complexe Guy-Favreau], on comprend, mais c’est sûr que ça vient bousculer tout un écosystème, un milieu avec des gens très vulnérables », avait dit Valérie Plante, à la mi-août, au moment de l’annonce de la fermeture du refuge.

Vendredi, le porte-parole de l’opposition responsable du dossier de l’itinérance a tiré à boulets rouges sur la mairesse et son équipe.

« Je ne suis pas du tout surpris. On l’avait dit que l’emplacement n’était pas idéal », a dit Benoit Langevin en entrevue téléphonique.

[Le] plan de cohabitation a été, disons-le, inexistant. Ces chiffres-là, c’est la preuve que l’administration Plante n’a pas écouté le cri du cœur des résidants et des commerçants du Quartier chinois qui ne se sentaient pas en sécurité.

Benoit Langevin, porte-parole de l’opposition officielle en matière de lutte à la pauvreté et à l’itinérance

« Les ouvertures à la hâte de refuges, sans plan de cohabitation, ça a été la marque de fabrique de Projet Montréal dans les dernières années », a-t-il ajouté.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

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Un super beau texte pour mieux comprendre l’aspect humain du problème…


Itinérance De la chance en continu

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

L’itinérance est plus visible dans le Grand Montréal, depuis quelques années. Ici, un campement dans le Vieux-Montréal.


Claude Pinard
Claude Pinard Président et directeur général de Centraide du Grand Montréal, collaboration spéciale

La personne en situation d’itinérance n’a pas besoin d’une « seconde chance ». Ce qui l’aidera vraiment, c’est d’être soutenue sur le long terme, avec un solide plan d’intervention.

Mis à jour hier à 13h00

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Les personnes qui travaillent dans le secteur de l’itinérance sont empreintes d’humanité – c’est une qualité essentielle pour qui doit côtoyer au quotidien autant de drames déchirants. Mais elles sont aussi la version humaine d’un couteau suisse : elles ont tellement de compétences et d’expertises !

À l’automne, lors d’une sortie de soir avec un travailleur de rue, celui-ci m’a expliqué l’importance d’établir des liens avec les personnes en situation de vulnérabilité. Le mot lien est un mot-clé en itinérance. Il renvoie à la relation de confiance qui se développe entre deux personnes, dans la compréhension de ce que l’un peut apporter à l’autre.

L’itinérance est plus visible dans le Grand Montréal, depuis quelques années. Une promenade au centre-ville le confirme, bien sûr, mais c’est aussi vrai dans les quartiers périphériques de Montréal, ainsi qu’à Laval et sur la Rive-Sud. Plusieurs facteurs expliquent le phénomène : crise du logement, absence de places en refuge, refuges non adaptés aux besoins des personnes, enjeux de santé mentale et de consommation, etc. Le visage de l’itinérance change également : plus de femmes, d’aînés, de demandeurs d’asile, de jeunes des communautés LGBTQ+, entre autres.

Bref, tout le monde le voit et tout le monde en parle. En plus, c’est l’hiver. Nous avons ainsi vu passer plusieurs annonces de halte-chaleur (bonne chose), dont certaines prévoient même la présence d’intervenants sociaux (excellente chose).

Il ne faut pas oublier, par contre, que les haltes-chaleur sont temporaires. Elles ne sont qu’un pansement – aussi nécessaire soit-il – sur une plaie béante, une solution d’urgence à une crise permanente.

La présence d’intervenants sociaux dans ces haltes-chaleur permet de développer une relation avec les personnes en situation d’itinérance, de mieux comprendre leur parcours et de peaufiner l’intervention en fonction de leurs besoins réels et individuels. Bref, de créer un lien et de recommencer le lendemain et le surlendemain.

Et c’est ici que l’image du couteau suisse prend son sens. On demande aux intervenants d’avoir une formation en santé mentale et en situation de violence, d’être capables de détecter des tendances suicidaires et de comprendre les réalités d’une personne avec des problèmes de dépendance : toxicomanie, alcoolisme, etc. Et c’est sans compter tous les formulaires et documents qu’ils doivent remplir et sous lesquels il est facile de crouler. Mais ces couteaux suisses sont aussi essentiels que rares, et il n’est pas facile de les recruter.

Il y a plusieurs écoles de pensée sur la façon de s’attaquer à l’itinérance. L’idée ici n’est pas d’avaliser l’une et de condamner l’autre. Par contre, j’entends partout que, pour une grande majorité de personnes, la possibilité d’avoir un toit est une étape nécessaire pour sortir de la rue.

Les liens forts

Je me souviens d’une conversation avec un entrepreneur de Québec inc. qui me racontait qu’il était très satisfait lorsqu’il avait une « moyenne au bâton » de 7 excellentes décisions sur 10. La semaine dernière, j’ai rencontré les dirigeantes d’un organisme qui œuvre en itinérance sur la Rive-Sud ; là, le taux de succès est de 80 %, c’est-à-dire que 8 personnes suivies sur 10 arrivent à se sortir de la rue au terme d’interventions qui peuvent durer plus de 36 mois.

Vous avez bien lu : 36 mois. Les six premiers mois en centre supervisé avec plan d’intervention spécialisé et personnalisé : recherche d’emploi, aide à la mise en place d’un budget, vie en groupe. Ensuite, une fois que la personne se sent prête et qu’elle atteint les objectifs du plan, on lui offre un séjour en appartement supervisé afin de continuer la réaffiliation sociale. La réaffiliation sociale, c’est la démarche effectuée par une personne qui cherche à se réintégrer au sein d’un groupe social après une période de marginalisation ou d’exclusion⁠1.

Le succès de ces interventions est en grande partie basé sur la qualité des liens entre l’intervenant et la personne en situation d’itinérance. En abordant l’itinérance sans chercher à la cacher et en misant plutôt sur le vivre-ensemble. Et en considérant ces individus comme des citoyens à part entière et en trouvant, avec eux, des solutions qui répondront à leurs besoins.

Pour l’organisme que j’ai rencontré, il s’agit d’aller au-delà des « stationnements » de personnes en situation d’itinérance. Ce n’est plus assez, et ce n’est pas la bonne approche pour répondre à l’ensemble des besoins.

Il faut quitter cette notion bienveillante de seconde chance et offrir des endroits permanents où des liens forts sont créés, où l’accompagnement de ces êtres humains fragilisés prend en compte leur point de départ et surtout leur objectif d’arrivée.

Et avec 80 % de taux de réussite, je me dis que nous ne sommes pas loin d’une solution humaine exceptionnelle.

Je vous invite enfin, si vous êtes à l’aise, à prendre quelques minutes pour discuter avec une personne en situation d’itinérance lorsque vous en croiserez une. Cette personne est un frère, une sœur, un enfant, un père. Vous lui apporterez un peu d’humanité, et elle vous en donnera en retour. Osez, vous serez surpris.

S’il m’est apparu une évidence dans cette rencontre avec l’organisme, c’est celle-ci : les personnes en situation d’itinérance sont des personnes résilientes qui ne veulent pas de l’ancien modèle de charité, mais bien de structures qui leur permettent de se rattacher à la société, de vivre dans la dignité et, surtout, d’avoir un peu de chance… en continu.

1. Lisez la chronique « Les petites cases »

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L’école dans la rue


Photo: Adil Boukind, Le Devoir
Cathy, dans la salle de classe de l’école Hemmett Johns, au centre de jour Dans la rue.

Jessica Nadeau
26 janvier 2024
Éducation

Elle n’a pas encore 20 ans et, pourtant, Cathy s’est « beaucoup promenée » depuis qu’elle est sortie des centres jeunesse il y a près de deux ans. Elle a parfois peur de se « ramasser dans la rue », mais elle trouve toujours un endroit où dormir : chez des amis ou un membre de la famille, dans des refuges pour jeunes. Un jour, une intervenante a guidé ses pas jusqu’au centre de jour Chez Pops. Et c’est là qu’elle a renoué avec ses rêves, dans une école pour les jeunes de la rue, sise à même le centre de jour où ils vont chercher un peu de répit.

La file déborde jusque sur la rue Ontario, près du boulevard Papineau. À l’intérieur du centre de jour Dans la rue, aussi connu sous le nom de Chez Pops, en référence au fondateur, Emmett Johns, des dizaines de jeunes âgés de 16 à 25 ans attendent leur tour pour aller prendre un bon dîner chaud à la cafétéria.

Certains arborent des looks éclatés, mais la plupart font profil bas. Certains n’ont visiblement pas dormi de la nuit. Ils viennent chercher un peu de chaleur, celle qui réchauffe le corps et les coeurs. Ils viennent manger, mais aussi prendre une douche, obtenir des vêtements propres, faire de l’art-thérapie, se défouler sur la batterie au studio de musique, rencontrer une psychologue, une infirmière ou des intervenants en réinsertion sociale.


Photo: Adil Boukind, Le Devoir
Le dépôt, au sous-sol du centre de jour, où les jeunes de la rue peuvent aller chercher des vêtements propres, des souliers, des manteaux d’hiver et des produits hygiéniques.

Peu après 13 h, une poignée de jeunes monte à l’étage pour se rendre à l’école secondaire Emmett-Johns. À l’opposé des grosses polyvalentes, l’école, ici, se résume à une seule salle de classe, un local parmi tant d’autres au coeur du refuge. Mais c’est néanmoins une école reconnue par le Centre de services scolaire de Mont­réal qui accueille les jeunes les plus en marge de la société.

Jeunes abandonnés

« Ces derniers temps, dans l’actualité, on a beaucoup parlé de l’école, de la grève, du débat entre le privé et le public. Nous, on a tous ceux qui ne se retrouvent pas dans l’école traditionnelle, ou que l’école peut avoir, d’une façon ou d’une autre, abandonnés », résume Marie-Noëlle L’Espérance, directrice de l’organisme Dans la Rue.

Elle rappelle que ce ne sont pas les jeunes qui ont abandonné l’école, mais l’école qui les a abandonnés. L’endroit, qui devrait être « un facteur de protection », a failli pour ces jeunes décrocheurs qui sont aujourd’hui à la rue, dit-elle. En les « chicanant » parce qu’ils ne sont pas assez concentrés, alors qu’ils sont « trop envahis par leur situation personnelle » et qu’ils ont le ventre vide. En imposant un cadre très strict auquel certains jeunes n’arrivent pas à se conformer. En tardant à offrir certains services à des enfants ayant des défis d’apprentissage « parce que les parents n’avaient pas 2000 $ pour aller chercher un diagnostic en neuropsychologie ».

Sa collègue Sylvie Cormier, coordonnatrice des services d’intégration sociale, abonde dans le même sens. « Ce n’est pas le jeune qui a une deuxième chance, c’est nous qui avons une deuxième chance de lui montrer que l’école, ça peut être pour lui. C’est à nous de nous adapter. »

L’apprentissage est personnalisé et les élèves bénéficient d’un accompagnement psychosocial pour leur permettre de persévérer malgré les innombrables défis auxquels ils font face dans leur quotidien. Ils peuvent déjeuner et dîner gratuitement à la cafétéria et reçoivent de l’aide pour payer le transport. Bref, on met tout en place pour maximiser leurs chances de réussite.

« Une école de rue, ça permet de leur offrir un lieu où ils ne vont pas se sentir jugés et où ils peuvent cheminer et exister avec leurs couleurs qui leur sont propres, explique Mme L’Espérance. Des fois, ils ont des acquis qui remontent à un niveau de 6e année du primaire. Mais ici, ils n’ont pas le sentiment d’être jugés malgré l’âge auquel ils sont rendus. »

Rallumer l’étincelle

En ce moment, il n’y a que cinq élèves qui fréquentent l’école, mais une dizaine d’autres devraient se joindre à eux incessamment. « Ça fonctionne, assure la coordonnatrice Sylvie Cormier. Les jeunes veulent faire autre chose. Un retour à l’école, pour eux, c’est super important. »

« On veut être l’étincelle, leur donner le goût et la possibilité de se projeter dans la vie », renchérit Marie-Noëlle L’Espérance. Si la majorité des jeunes ont la possibilité d’explorer différentes options de carrière au cours de leur parcours scolaire, ceux qui atterrissent au refuge ont souvent des horizons limités, constate-t-elle. « Quand la seule chose que tu connais, c’est la jobine au dépanneur et que tu découvres que tu as le droit de croire en toi et d’avoir un futur, c’est énorme. »

Et ça fonctionne, si l’on se fie au discours des jeunes que Le Devoir a rencontrés.

Xavier, 20 ans, met toute son énergie à finir ses mathématiques pour poursuivre ses études au cégep en lutherie. L’accès à la salle de musique, où il peut gratter sa guitare avec ses amis, l’aide à rester motivé.


Photo: Adil Boukind, Le Devoir
Les élèves ont accès à une salle de musique, au grand bonheur de Xavier, qui veut poursuivre ses études au cégep en lutherie.

Kiora, 24 ans, veut faire des études en herboristerie. À l’époque, on la pointait du doigt parce qu’elle était « trop lente », confie-t-elle avec amertume. Elle est donc heureuse de pouvoir avancer à son rythme aujourd’hui. « Et j’ai l’impression que mes défis sont un peu plus pris en compte », ajoute la jeune femme aux yeux lourdement maquillés et aux cils interminables.

Cathy, elle, veut aller au cégep pour travailler avec de jeunes délinquants ou des enfants. Elle n’a jamais voulu lâcher l’école, assure-t-elle, mais une série de circonstances lui a fait prendre quelques détours à l’âge de 16 ans. Depuis, elle a le désir de reprendre son parcours scolaire, ce qu’elle a pu faire au refuge. En parallèle à ses études, elle tente de remettre sa vie sur les rails. Elle a eu de l’aide pour faire ses impôts, a reçu de l’aide sociale et s’est qualifiée pour le programme de supplément au loyer. Mais tout n’est pas facile. « Ça fait trois mois que je cherche un appartement ; j’ai fait plein de visites, mais les propriétaires ne sont pas trop flexibles avec le programme. » Elle hausse les épaules en soupirant. « J’essaie juste de m’en sortir. Je n’ai pas eu de chance dans la vie. »

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Inauguration du « plus vaste immeuble de logements » contre l’itinérance

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La façade de l’immeuble Le Christin

(Montréal) Des élus ont participé lundi matin à l’inauguration au centre-ville de Montréal de ce qui est qualifié de « plus vaste immeuble de logements destiné à la lutte contre l’itinérance au Québec ».

Publié à 10h01 Mis à jour à 11h39

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Stéphane Blais La Presse Canadienne

L’immeuble « Le Christin », situé entre la rue Sainte-Catherine et le boulevard René-Lévesque, permettra à près d’une centaine de personnes en situation de vulnérabilité d’avoir non seulement accès à un logement, mais aussi de bénéficier d’un accompagnement psychosocial sur place, a indiqué le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant.

Plus de 80 % des locataires des 114 logements vont bénéficier de suppléments au loyer leur permettant de débourser 25 % de leurs revenus pour se loger.

Éviter de dormir dans la rue

Monique Charrette, âgée de 67 ans, fait partie des locataires du Christin depuis le 15 décembre dernier.

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Elle a raconté à La Presse Canadienne s’être « fait mettre dehors » du logement où elle a vécu pendant 15 ans « à cause de rénos-évictions ».

Elle s’est donc retrouvée dans différents hébergements de courtes durées pour personne en difficulté, avant d’être acceptée comme locataire dans le nouvel immeuble du Quartier latin.

« Mon Dieu, c’est un soulagement total », a raconté la dame en expliquant qu’elle devenait « un peu dépressive » lorsqu’elle devait dormir dans les abris d’urgence.

« On dirait que si tu pesais 300 livres, maintenant, tu en pèses 10, tellement que la pression s’en va », a imagé la locataire pour expliquer l’allégement que lui procure la sécurité d’avoir un logement à long terme.

« Je ne me voyais pas, à 67 ans, commencer à dormir dans la rue », a ajouté Mme Charette.

Le nerf de la guerre : la construction de logements

En conférence de presse, le ministre Carmant a indiqué que lors de la dernière mise à jour économique, le gouvernement du Québec avait annoncé que « 500 places de logement pour les personnes en situation d’itinérance au Québec seraient ajoutées » et que présentement, il y aurait entre 300 et 400 « unités dans les projets ».

« Tout ce qu’on veut, c’est enlever la pression sur les refuges et la transition. Donc chaque place qui s’ajoute pour nous est la bienvenue », a souligné le ministre lors de la conférence de presse lundi matin.

Mais selon Fiona Crossling, directrice générale de l’Accueil Bonneau, Montréal aurait besoin de « plusieurs milliers de logements » supplémentaires pour les personnes à risque d’itinérance.

Elle a expliqué que le dernier recensement sur le sujet, qui date de 2022, faisait état de 10 000 personnes en état d’itinérance au Québec et que la moitié de ces sans-abris se trouve à Montréal.

« Ce dénombrement, c’était des personnes visibles qu’on a réussi à compter dans une nuit. Donc on sait que le nombre est beaucoup plus élevé », a précisé Mme Crossling.

Ella a ajouté que « le nerf de la guerre », c’est « la construction de logements de toutes sortes, mais principalement pour des logements abordables, des logements sociaux et des logements que les organismes comme l’Accueil Bonneau vont pouvoir gérer pour des personnes vulnérables ».

Le Christin appartient à la Société d’habitation et de développement de Montréal et c’est l’Accueil Bonneau qui gérera ses activités afin d’accompagner les personnes en situation d’itinérance « vers une stabilité résidentielle ».

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a indiqué que « le Christin doit être un modèle à reproduire » et que « tous les partenaires doivent rester mobilisés pour qu’on continue sur cette lancée ».

Avec un budget de réalisation de 23,5 millions, le projet a reçu des contributions financières du gouvernement fédéral, du gouvernement du Québec et de la Ville de Montréal.

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Reportage radio sur une nouvelle halte-charleur ouverte par l’Itinéraire dans un des anciens bâtiments de Molson

Sur le site de l’Itinéraire, l’adresse indiquée est le 1320, rue Notre-Dame Est

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Une enquête publique du coroner sur le décès d’un itinérant à Montréal


Photo: Facebook
Raphaël André, un autochtone de 51 ans en situation d’itinérance, était mort de froid en janvier 2021 dans une toilette chimique à l’intersection des rues du Parc et Milton, à Montréal.

Jessica Nadeau
17 h 01
Société

Le bureau du coroner tiendra une enquête publique sur le décès de Raphaël André, un autochtone de 51 ans en situation d’itinérance mort de froid en janvier 2021 dans une toilette chimique à l’intersection des rues du Parc et Milton, à Montréal.

Le décès de celui que tout le monde connaissait sous le nom de Napa avait choqué le Québec. En effet, il est devenu, malgré lui, le symbole du manque de ressources pour les itinérants. Napa était un habitué du refuge La porte ouverte, qui offrait généralement une halte chaleur la nuit au sous-sol d’une église, mais le refuge avait dû fermer pendant la nuit en raison de la COVID-19. Une tente chauffée pour personnes itinérantes, érigée dans le Square Cabot dans les mois suivants, portait son nom.

Le coroner en chef peut commander une audience publique s’il estime que le public aurait avantage à entendre l’information présentée au coroner ou s’il croit utilise de questionner sous serment, lors d’une audition publique, les personnes pouvant fournir de l’information importante pour l’enquête.

Les audiences se tiendront du 13 au 24 mai puis du 3 au 14 juin 2024 à Longueuil, sous la présidence de la coroner Me Stéphanie Gamache.


Retrouvé dans une toilette chimique | Le bureau du coroner ouvre une enquête publique sur la mort de Raphaël André


PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE
Raphaël André a été retrouvé sans vie le 17 janvier 2021. Il se trouvait dans une toilette chimique à proximité du refuge La Porte ouverte, alors fermé.

Une enquête publique se déroulera ce printemps, plus de trois ans après la mort tragique de Raphaël André, un Innu en situation d’itinérance retrouvé sans vie dans une toilette chimique à quelques pas d’un refuge fermé au centre-ville de Montréal. Et ce, en plein couvre-feu lié à la pandémie.

Publié à 15h56
LILA DUSSAULT
La Presse

Le bureau du coroner a annoncé lundi que ces audiences publiques se dérouleront du 13 au 24 mai et du 3 au 14 juin 2024, à Longueuil.

« Les audiences permettront à toute personne d’intérêt de s’exprimer concernant les circonstances de ce décès afin d’en analyser tous les facteurs contributifs, et ce, en vue de proposer des pistes de solutions pour une meilleure protection de la vie humaine », a précisé le bureau du coroner par communiqué.

La coroner Me Stéphanie Gamache présidera l’enquête, assistée par la procureure aux enquêtes publiques, Me Émilie Fay-Carlos. Les détails concernant le déroulement de l’enquête seront publiés ultérieurement.

Trois ans après le décès

Raphaël André a été retrouvé sans vie le 17 janvier 2021. Il se trouvait dans une toilette chimique à proximité du refuge La Porte ouverte, alors fermé. L’homme de 51 ans était originaire de Matimekush-Lac John, une communauté innue de Schefferville à 500 km de Sept-Îles, sur la Côte-Nord.

La mort de M. André est survenue en plein confinement lié à la pandémie de la COVID-19. Une dizaine de jours plus tôt, le gouvernement de François Legault avait instauré un couvre-feu interdisant à la population de se trouver à l’extérieur entre 20 h et 5 h du matin. Les personnes en situation d’itinérance étaient soumises au même règlement et devaient trouver une place en refuge à 20 h.

Le 26 janvier de la même année, la Cour supérieure a exclu les personnes itinérantes de l’obligation à se soumettre au couvre-feu dans une ordonnance de sauvegarde.

Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) avait dénoncé à l’époque que M. André s’était caché dans la toilette chimique par crainte de recevoir une contravention en lien avec le couvre-feu.

Ce drame avait bouleversé tout le Québec.

Une enquête publique surprise

Aucune annonce concernant une enquête publique à propos de la mort de M. André n’avait été faite dans les trois années suivant celle-ci.

Le Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN) a d’abord rapporté la nouvelle il y a une douzaine de jours. Selon ce média, la famille de Raphaël André a été avisée récemment de cette enquête.

Le rapport du coroner concernant la mort de M. André sera aussi rendu public prochainement, a indiqué APTN.

COMMENT PARTICIPER AUX AUDIENCES PUBLIQUES ?

Les audiences publiques se tiendront ce printemps au point de service de justice de Longueuil situé au 25, boulevard La Fayette (salle 25,02).

Les personnes qui souhaitent participer peuvent obtenir le statut de personne intéressée en transmettant une demande écrite à la coroner avant le 1er mars 2024. Les motifs de l’intérêt doivent être détaillés.

Pour plus d’informations et pour la transmission des demandes, veuillez communiquer avec la procureure, Me Émilie Fay-Carlos, par courriel.

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Dossier itinérance – Une présence de plus en plus marquée dans Ahuntsic-Cartierville

Publié le10 février 2024
Vie de quartier
Stéphane Desjardins
Rédacteur en chef


L’itinérance à Ahuntsic-Cartierville. (Photo: Loubna Chlaikhy, JDV)

Le phénomène de l’itinérance frappe massivement Ahuntsic-Cartierville. Des dizaines de personnes sans-abri sont dans les rues, espaces verts et recoins plus ou moins visibles de notre territoire. Des campements apparaissent un peu partout.

Concrètement, il est impossible de connaître le nombre de personnes sans-abri qui circulent ou «habitent» chez nous. Le gouvernement du Québec a effectué un recensement en 1997 et un autre en 2018. Puis, le dernier, datant de 2022, fait état de 10 000 personnes sans domicile fixe, dont 3149 à Montréal seulement. Ces dernières années, le phénomène s’est étendu jusqu’à Val-d’Or ou Gaspé.

Mais les experts considèrent que ce nombre est loin de refléter la réalité. Il n’y a pas si longtemps, les personnes ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie représentaient l’essentiel de la population itinérante de Montréal.

Aujourd’hui, les Autochtones, les jeunes issus de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et les membres de la communauté LGBTQ sont surreprésentés chez les sans-abri de la métropole.

Avec les années, la population itinérante a changé. On retrouve désormais des retraités, des couples et des familles dans la rue. On croise même des étudiants universitaires dans les soupes populaires et les refuges.

Les principales causes sont connues: la crise du logement (notamment la diminution du nombre de maisons de chambres et le manque de logements sociaux supervisés), l’insuffisance des ressources de première ligne et la montée récente de drogues opioïdes.

Les expulsions d’un logement (pour loyer impayé, plaintes ou rénovictions) représentent 23 % des causes de l’itinérance, suivi des troubles liés à la consommation de substances psychoactives (21 %), selon le rapport sur le Dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible au Québec de 2022 du ministère de la Santé et des Services sociaux, publié en septembre 2023.

Chez nous

Qu’en est-il d’Ahuntsic-Cartierville? Lors du dénombrement de 2018, on avait recensé… une seule personne itinérante dans l’arrondissement. Évidemment, les organismes communautaires ont contesté ce chiffre dès sa publication.

Dans un document préparé pour RAP Jeunesse en février 2022, on estimait que la population itinérante d’Ahuntsic (excluant Bordeaux-Cartierville, Sault-au-Récollet et Saint-Sulpice) se composait de 25 à 50 personnes. Le rapport mentionnait que ce nombre était possiblement plus élevé.


Un des visages de l’itinérance. (Photo: Leroy Skalstad, courtoisie de pixabay.com)

La majorité était des hommes (80 %) et la moyenne d’âge se situait entre 40 et 50 ans. Les intervenants de proximité ont constaté un vieillissement des personnes itinérantes.

Chez les femmes en situation d’itinérance, on signale de la violence systémique, qu’elles évoluent dans l’univers du travail du sexe ou non, rapporte RAP Jeunesse.

L’arrondissement compte un seul organisme qui dessert spécifiquement la clientèle itinérante, en offrant principalement des services psychosociaux. Ahuntsic-Cartierville ne compte aucun refuge d’urgence. Mais cette situation va changer, car un nouveau refuge devrait ouvrir en octobre prochain.

Depuis la pandémie, l’arrondissement a instauré une table de concertation qui regroupe ses représentants et ceux des organismes communautaires, du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal (CIUSSS-NIM), du service de police et des tables de quartier, afin de coordonner les services offerts à cette clientèle souvent difficile à desservir.

Depuis la COVID

La pandémie a tout changé dans l’arrondissement. Du jour au lendemain, plusieurs lieux fréquentés par des personnes en situation d’itinérance ont fermé ou étaient moins accessibles dans la métropole. En conséquence, nombre de sans-abri ont quitté les quartiers centraux.

Dans Ahuntsic-Cartierville, plusieurs campements sont apparus dans les espaces verts ou les terrains en friche, à des endroits où on n’avait jamais vu de tentes auparavant. Quelques-uns étaient situés dans les parcs, comme Saint-Alphonse ou Basile-Routhier.

Le démantèlement d’un campement, situé tout près du pavillon d’accueil du Parcours Gouin, le 22 juin dernier, a fait la manchette. Le Journal des voisins (JDV) avait publié en ligne le témoignage de quelques-unes des personnes qui campaient à cet endroit, juste avant leur éviction.

Regroupant initialement quelques campeurs, le site a pris de l’ampleur. La violence, la désorganisation, les déchets, les installations de systèmes de chauffage de fortune, la consommation intensive de drogues et les désordres causés par la maladie mentale ont fini par déranger le voisinage.

Comme ailleurs, les autorités municipales ont procédé à son démantèlement. Montréal a mené plus de 450 de ces démantèlements l’an dernier, la majorité (420) au centre-ville.


L’itinérance, selon notre caricaturiste, Martin Patenaude-Monette.

Se réfugier ailleurs

Un autre camp a été démantelé, derrière le mur de pierre de l’école Sophie-Barat, fin septembre. Ces opérations sont dénoncées par les intervenants de première ligne, car elles ne font que déplacer le problème. Les sans-abri vont s’installer ailleurs, dans des endroits plus discrets, où leur sécurité est souvent menacée.

C’est d’ailleurs pourquoi nous avons choisi de ne pas nommer les lieux où l’on retrouve les campements actuels dans l’arrondissement. Certains sont visibles de la rue, une majorité sont cachés dans des boisés, des terrains vagues ou sur les rives de la rivière des Prairies.

Outre les campements, le JDV a interrogé les intervenants du quartier, pour connaître les endroits populaires chez les personnes en situation d’itinérance: entrées chauffées de commerces ou d’immeubles, stations de métro, intersections achalandées, guichets bancaires automatiques, bibliothèques, restaurants de nourriture rapide…

RAP Jeunesse indique que la fréquentation de son centre de jour a vu sa fréquentation bondir en un an avec plus de 1000 visites supplémentaires, portant ce nombre à 2 482 visites en 2022.

Une collecte de dons a aussi été organisée jusqu’à la fin octobre pour les personnes en situation d’itinérance, avec les bibliothèques d’Ahuntsic et de Cartierville comme points de chute.

Enfin, nombre de personnes itinérantes sont qualifiées «d’invisibles». Elles vivent dans leur voiture (un phénomène plutôt rare sur notre territoire) et, surtout, sur le divan de proches (famille, amis, connaissances). Elles passent souvent sous le radar des autorités.

Un fait demeure: l’itinérance s’installe durablement dans Ahuntsic-Cartierville. Le dossier de l’édition imprimée du Journal des voisins, le Mag papier de février-mars 2024, se penche sur cette tragédie. Il rappelle que des ressources existent, tout comme la compassion de gens admirables, qui se préoccupent de personnes que la société semble avoir oubliées.

Nous reproduirons les autres articles de ce dossier dans les semaines à venir.

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