Campements urbains et autres enjeux liés à l'itinérance

Je comprends… mais,

j’ai l’impression que peu importe le nombre de ressources et le financement qu’elles reçoivent, ce ne sera jamais assez. Parce qu’il y a toujours quelques personnes qui profitent de la situation dans laquelle elles se trouvent et agiront de manière antisociale envers les autres et envers la ville. Peu importe nos efforts, tout le monde ne peut pas être aidé avec des “ressources”. En fin de compte, de nombreux sans-abri que nous voyons dans la rue se sont vu refuser l’accès ou ont été expulsés de ces ressources en raison de leur comportement envers les autres. Généralement lié à la santé mentale… D’où ma déclaration sur les établissements de santé mentale… Vancouver dépense des sommes astronomiques et c’est pire que jamais. San Francisco dépense tellement d’argent que Vancouver semble sous-financée. Mais il y a toujours des individus qui voudront faire du mal aux autres. Il doit y avoir une limite à ce qui est toléré.

1 « J'aime »

On parle aussi des deux villes les plus fortement frappées par la crise du logement en Amérique du Nord. Considérant que l’accès au logements est la pierre d’assise de toute approche de réduction des risques en toxicomanie, ça ne me surprend pas que la situation ne ce soit pas résorbée de leur côté.

1 « J'aime »

Itinérants : « Une bonne grosse crise », reconnaît la Ville de Montréal

L’augmentation du nombre de sans-abris et les « nouveaux visages » dans la rue accentuent les tensions.

Un homme dort sur un trottoir à Montréal.

Un homme dort sur un trottoir à Montréal.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Publié à 1 h 55

Partager l’article

La Ville de Montréal admet faire face à « une grosse crise », « particulière » et « solide », alors que les conflits entre résidents et itinérants se multiplient dans la métropole, aux abords des refuges et services. À l’occasion d’une entrevue accordée à Radio-Canada, le Commissaire aux personnes en situation d’itinérance Serge Lareault se dit préoccupé par les nouveaux profils des itinérants.

Quand j’ai commencé, il y a 30 ans, l’itinérance, c’était majoritairement des hommes de 40 ans et plus qui avaient eu des problèmes d’alcoolisme. Aujourd’hui, on voit que tout le monde est à risque, raconte celui qui a dirigé le magazine L’Itinéraire pendant 20 ans.

Serge Lareault en gros plan.

Serge Lareault est le commissaire aux personnes en situation d’itinérance à la Ville de Montréal.

Photo : Radio-Canada

On voit des très jeunes et on voit des personnes âgées de plus de 65 ans qui ont travaillé toute leur vie, mais leur petite pension ne leur permet plus de se maintenir [en logement].

On a même vu une madame de 84 ans se retrouver en refuge.

Une citation de Serge Lareault, Commissaire aux personnes en situation d’itinérance, à la Ville de Montréal

Parmi les « nouveaux visages » dans la rue, il y a aussi des immigrants. Ce n’est pas encore quelque chose de significatif, mais il faut l’avoir à l’œil, dit-il. Parce que, dans d’autres villes, on a vu que les refuges se sont remplis de migrants, pour lesquels le parcours ne s’est pas bien passé.

Un itinérant, rue Ontario, à Montréal.

Un itinérant, rue Ontario, à Montréal.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Cette diversité des profils est « une complexité de plus » pour le Commissaire.

Avant, on avait les utilisateurs de drogue injectables versus les alcooliques et ça se chicanait. Maintenant, tu as une panoplie de différences d’âges, de cultures, qui fait que c’est plus difficile, dans un refuge qui accueille une grande mixité et une grande diversité de personnes, de trouver un équilibre.

Une citation de Serge Lareault, Commissaire aux personnes en situation d’itinérance, à la Ville de Montréal

Il cite aussi la forte proportion d’itinérants autochtones et inuits qui requièrent des services adaptés.

Le nombre d’itinérants sera bientôt connu

Serge Lareault confirme ce que tout le monde a remarqué dans les rues de la métropole : il y a plus de personnes dans la rue. Combien de plus ? Il faudra attendre encore « quelques semaines » avant de le savoir. Les données du grand dénombrement des sans-abris réalisé au mois d’octobre tarde à être compilées.

Le plus récent bilan, en 2018, faisait état de 3149 sans-abris « visibles » à Montréal. Sauf que depuis la pandémie, il y a explosion de la précarité, partout dans le monde.

Un homme dort sur un banc, dans le quartier des spectacles, à Montréal.

Un homme dort sur un banc, dans le quartier des spectacles, à Montréal.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Oui, il y a eu la PCU [prestation canadienne d’urgence, durant la pandémie], mais il y a énormément de gens qui ont perdu des revenus, qui ont perdu leur commerce, qui ont perdu pied, analyse-t-il. Ensuite, on a été frappés par la hausse du coût de la vie, la montée des hypothèques et l’immigration arrivée de manière importante, jusqu’à la fermeture du chemin Roxham, ce qui a engorgé les services.

Les nouvelles drogues exacerbent le problème

Aussi, ce qui a changé, c’est la composition des drogues, les gens font plus de psychoses et ils sont plus visibles, dit-il. Les nouvelles drogues, comme le fentanyl, sont de plus en plus fortes, de plus en plus dangereuses.

Des gens viennent en aide à un toxicomane

Une augmentation des cas de surdoses est enregistrée à Montréal

Photo : Radio-Canada / Ève Couture

Il constate que les toxicomanes, accros à ces nouvelles drogues, fréquentent moins le réseau des refuges.

Le sentiment d’insécurité et les tensions sont ainsi plus présents avec le développement de milliers de condos au centre-ville, ces dernières années.

Le problème de cohabitation le plus frappant est sans doute celui de« l’allée du crack », en plein quartier des spectacles, où des résidents déplorent les intrusions par effraction dans leurs immeubles d’itinérants toxicomanes qui s’y droguent, y dorment et y font leurs besoins.

Certains intervenants en toxicomanie craignent que le centre-ville finisse par ressembler au quartier Downtown Eastside de Vancouver, gangrené par la pauvreté, l’itinérance, la drogue et la criminalité.

Une personne occupe l'escalier d'un immeuble à condos de la rue Charlotte, ses affaires posées près d'une tâche d'urine.

Une personne occupe l’escalier d’un immeuble à condos de la rue Charlotte, ses affaires posées près d’une tâche d’urine.

Photo : Radio-Canada

De plus en plus de quartiers touchés

Avant c’était peut être juste le centre ville, mais [maintenant] ça se vit dans plusieurs quartiers, explique Serge Lareault. Il y a des poches de pauvreté qui se sont créées. Il cite Villeray et Ahuntsic, où l’on croise plus d’itinérants qu’avant. Des nouveaux refuges ont été ouverts depuis la pandémie dans le Plateau-Mont-Royal et Hochelaga, ce qui créent des conflits de voisinage.

En ce moment, on vit une crise particulière, reconnaît Serge Lareault, une bonne grosse crise solide.

Des tentes installées sous un mur de béton.

Un campement de sans-abris, sous l’autoroute Ville-Marie, en mars 2023. Il a été démantelé au début du mois de juillet.

Photo : Radio-Canada / Elyse Allard

Au début de l’été, c’est l’augmentation de la violence et de l’itinérance dans le Village qui a suscité la colère de commerçants et résidents.

Le Commissaire aux personnes en situation d’itinérance ne veut toutefois pas se laisser abattre, par toutes ces mauvaises nouvelles : on va la traverser cette crise là, comme on a traversé les autres.

Le centre-ville a maintes fois été annoncé comme mort, mais non il va survivre.

Une citation de Serge Lareault, Commissaire aux personnes en situation d’itinérance, à la Ville de Montréal

« Il faut appuyer sur l’accélérateur »

Serge Lareault pense que le nombre de places en refuge va encore devoir augmenter, si la crise du logement perdure. Déjà, il est passé de 900 avant la pandémie à 1600 aujourd’hui (pour au moins 3150 itinérants). La métropole compte 25 refuges.

Si on n’appuie pas sur l’accélérateur de la construction de logements sociaux, dans 5 ans, il va peut-être falloir le doubler ce nombre de refuges-là.

Une citation de Serge Lareault, Commissaire aux personnes en situation d’itinérance, à la Ville de Montréal

Malgré les critiques de résidents et d’organismes communautaires, la Ville de Montréal affirme avoir doublé son budget pour l’itinérance et elle mobilise des effectifs toujours plus nombreux dans les rues, jour et nuit.

Jamais il y a eu autant de mobilisation pour répondre à cette urgence-là, assure Serge Lareault.

À lire aussi :

1 « J'aime »

Il y a un nouveau campement qui s’installe tranquillement au parc des Patriotes (rue De Lorimier) près du parc à chiens.

La police s’y est présentée récemment et a tolérée les installations alors ça commence à s’empiler.

1 « J'aime »

Le classique “f*ck les pauvres”

où sont Legault et le gouvernement du Québec dans tout cela?

l’article semblait assez raisonnable. Les seules personnes qui disent fuck les pauvres sont celles qui s’en foutent de la crise du logement, c’est-à-dire le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral du Canada. Et les gens qui s’en foutent également de la multiplication des camps et des problèmes de « cohabitation »… Parce qu’il y a les “working poor” et la classe ouvrière, un groupe qui forme la base historique de Montréal, qui merite de profiter de leurs parcs et de prendre le métro sans être harcelés ni agressés par des toxicomanes. C’est évidemment plus compliqué que “fuck les pauvres”.

L’article qui se plaint du problème n’est pas le problème. Ignorer qu’il y a une crise est le vrai problème.

1 « J'aime »

Mon commentaire était plus dirigé à la décision de les expulsé plutôt que l’article lui-même.

Et oui, moi aussi j’aimes pas me faire harceler par des itinérants. Mais au lieu d’investir dans les ressources pour les aider et essayer de régler les problèmes structurels qui cause cette itinérance, on les balaye sous le tapis. On s’attaque au symptôme qui dérange plutôt que la cause, pourquoi? Bah “f*ck les pauvres”.

Pas seulement à Montréal:

Crise de l’itinérance à Val-d’Or Cohabitation plus tendue que jamais

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Les Premiers Peuples sont surreprésentés chez les sans-abri à Val-d’Or.

Depuis la pandémie, la cohabitation d’Autochtones vivant dans les rues de Val-d’Or avec certains commerçants et résidants est plus difficile. La Presse s’est rendue sur place pour y constater l’ampleur de la crise.

Mis à jour hier à 5h00

Partager


Texte : Caroline Touzin
Texte : Caroline Touzin Équipe d’enquête, La Presse


Photos : Olivier Jean
Photos : Olivier Jean La Presse

(Val d’Or) À la séance du conseil municipal ce soir-là, Mélanie Morissette n’en croit pas ses oreilles.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Un itinérant est couché sur le terrain de l’hôtel de ville.

Sans savoir qu’elle se trouve dans la salle, des dizaines de citoyens en colère dénoncent l’agression dont elle a été victime.

Sauf qu’ils font un amalgame entre ce qu’elle a vécu et la crise de l’itinérance qui touche particulièrement la population autochtone au centre de la ville minière.

« Les gens se sont servis de mon histoire alors qu’elle n’a rien à voir avec ce qui se passe en ville », se désole la mère de famille de 46 ans, qui a accepté de revenir pour la première fois sur les évènements avec La Presse.

La veille de la séance du conseil, le 14 mai dernier, la coureuse a été attaquée dans la forêt récréative de Val-d’Or par un adolescent de 13 ans.

Ébranlée, elle écrit un message sur les réseaux sociaux. Jamais elle ne précise que le garçon est autochtone. Son présumé agresseur – l’affaire est devant le tribunal – a l’âge d’un de ses fils. Il a juste eu moins de chance dans la vie, indique-t-elle, empathique.

Confié à une famille d’accueil, l’adolescent souffrirait d’un problème de santé mentale.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Mélanie Morissette, coureuse attaquée dans la forêt récréative de Val-d’Or par un adolescent de 13 ans le 14 mai dernier

Je ne l’avais pas écrit qu’il est autochtone parce que je ne voulais pas envenimer les choses. Mais on est à Val-d’Or, tout se sait.

Mélanie Morissette, coureuse attaquée dans la forêt récréative de Val-d’Or par un adolescent de 13 ans le 14 mai dernier

À cette même séance, le député d’Abitibi-Est, Pierre Dufour, se présente au micro pour critiquer vertement la mairesse dans sa gestion de la crise de l’itinérance, lui reprochant sa « gestion par la tendresse ».

« Il faut trouver le moyen d’enfermer le fameux noyau de 25-30 individus qui font la crainte de tout le monde ici présentement », ajoute l’élu caquiste ce soir-là en écorchant au passage la commission Viens – la commission d’enquête chargée d’examiner les relations entre les Autochtones et certains services publics dont le rapport a été publié en 2019.

Aux yeux du député provincial, la commission Viens a conclu que « les policiers de Val-d’Or racisaient les Autochtones en donnant plus de tickets aux itinérants ». Résultat : aujourd’hui, les policiers auraient les mains liées et n’oseraient plus intervenir.

Des leaders autochtones ont demandé sa démission. L’élu a plus tard présenté ses excuses aux personnes blessées par ses propos.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

June Fair, 65 ans, de la Première Nation Ojibwe du Nord de l’Ontario réside à la Piaule, une ressource d’hébergement pour personnes vulnérables dont des gens en situation d’itinérance à Val-d’Or.

Surreprésentation autochtone

Depuis la pandémie, la cohabitation d’Autochtones – dont beaucoup de la Première Nation Anishnabe de Lac-Simon et de Lac-Rapide, deux communautés situées non loin – vivant dans les rues de Val-d’Or avec certains commerçants et résidants est plus difficile.

Les Premiers Peuples sont surreprésentés chez les sans-abri – quelque 55 % des 130 à 200 recensés ici – alors que la population autochtone y est de 5 à 7 % (sur une population totale de quelque 33 000 personnes à Val-d’Or).

« C’est tendu », confirme Paul-Antoine Martel, conseiller en relations avec les milieux à la Ville de Val-d’Or. En faisant cette sortie publique, le député local a « dansé autour d’un feu avec une cannisse de gaz », illustre-t-il.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Paul-Antoine Martel, conseiller en relations avec les milieux à la Ville de Val-d’Or

L’impatience de la population, on la comprend. Mais on sent l’intolérance aussi, et ça, c’est injustifiable.

Paul-Antoine Martel, conseiller en relations avec les milieux à la Ville de Val-d’Or

Plusieurs ont la mémoire courte, lance ce féru d’histoire locale. Val-d’Or a déjà été pas mal plus rock’n’roll avec six bars de danseuses – « six ! », insiste celui qui a grandi dans la ville minière. À l’époque, les Cris parlaient de « Sin City » quand ils venaient y faire des affaires ou se faire soigner.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Des sans-abri discutent dans le stationnement d’un commerce, loin des regards.

N’empêche, au cours des derniers étés, des batailles sont survenues dans des parcs en plein jour. Des actes de vandalisme et beaucoup de vols à l’étalage ont aussi été déplorés au cours des derniers étés. Cela a poussé des commerçants à désormais garder les portes de leur commerce verrouillées même durant la journée. D’autres interdisent l’accès à leurs salles de toilette aux sans-abri, au point où la Ville a dû ajouter cinq toilettes chimiques dans le secteur.

« Ça arrive souvent que mes clients tombent nez à nez en allant aux toilettes avec des Autochtones flambant nus qui se lavent dans le lavabo », décrit le propriétaire du Balthazar café, Sébastien Vandal. Ce dernier se plaint que la qualité de vie dans sa ville s’est dégradée au point où il planifie de vendre et déménager.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Sébastien Vandal, propriétaire du Balthazar café

On est rendus un Club Med pour itinérants. On les attire avec tous les services qu’on leur offre.

Sébastien Vandal, propriétaire du Balthazar café

L’image fait sursauter la mairesse de Val-d’Or, Céline Brindamour. « Les gens ne viennent pas à Val-d’Or pour coucher à la Piaule [le refuge pour sans-abri] et avoir un repas gratuit, réplique-t-elle. C’est de la mentalité de petit peuple de penser ça en 2023. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Céline Brindamour, mairesse de Val-d’Or

Si on ne les aide pas, on va les retrouver morts sur un banc de parc.

Céline Brindamour, mairesse de Val-d’Or

Exacerbée par une grave crise du logement, l’itinérance « visible » existe à Val-d’Or depuis une dizaine d’années. « Ce qui est nouveau, selon la mairesse Brindamour, c’est l’augmentation de la violence verbale et de l’intimidation, ainsi que du vandalisme et de la consommation d’alcool et de drogue sur la voie publique. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Exacerbée par une grave crise du logement, l’itinérance « visible » existe à Val-d’Or depuis une dizaine d’années.

Première femme élue à la tête de la ville, Mme Brindamour s’inquiète aussi d’une montée de l’intolérance. Au cours d’une manifestation « contre la violence » organisée en mai – trois jours avant la séance houleuse du conseil municipal – elle y a observé un ou deux drapeaux « comme tu voyais dans le Convoi de la liberté » – avec les mots Freedom et la feuille d’érable à l’envers – en plus d’y entendre des slogans racistes envers les Autochtones.

Ce mouvement a fait l’objet de controverses, en raison de son mode d’action, ses liens avec l’extrême droite et la participation de groupes extrémistes. « Je connais à peu près tout le monde ; je vis ici depuis 66 ans, et il y a des faces que je n’avais jamais vues », lance la mairesse.

L’organisateur, qui lui est de Val-d’Or, confirme les observations de l’élue et s’en désole tout autant. « Moi je voulais dénoncer la montée d’incidents violents ; une violence qui n’a pas de race ni de couleur, nous explique Éric-Alexandre Duval. C’est rendu que ma grand-mère a peur d’aller au guichet au centre-ville. » Amer de son expérience, il n’a pas l’intention d’organiser d’autres manifestations.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Édith Cloutier, directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or

Sur les réseaux sociaux, le discours de résidants se « radicalise » depuis quelque temps, attribuant l’ensemble des crimes commis au centre-ville aux Autochtones, observe pour sa part la directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, Édith Cloutier.

Un discours ambiant veut que « si on se débarrassait des Autochtones, on vivrait dans une ville idéale », s’inquiète Mme Cloutier, qui n’hésite pas à parler d’un « virage à droite » chez une frange de la population.

La récente sortie de l’élu caquiste a « conforté les gens dans leurs préjugés », déplore Mme Cloutier, en plus d’occulter l’apport économique majeur des Premiers Peuples – dont la prospère Nation crie – depuis des décennies dans la ville minière.

Pierre Dufour se défend

Deux mois après sa sortie très médiatisée, le député local revient sur la controverse avec La Presse : « médiatiquement », on a « racisé le problème » alors qu’il dénonçait, insiste-t-il, un climat d’insécurité créé par « un petit noyau de gens » parmi lesquels « il n’y a pas que des Autochtones ; des allochtones aussi ». « J’ai énormément d’amis autochtones », précise-t-il en précisant qu’il en a même hébergé lorsqu’il était engagé dans le hockey mineur.

À ses yeux, son intervention a permis de « brasser les cartes ». « C’est drôle, hein, mais depuis ce temps, le milieu ici s’est coordonné davantage […], vante le député local. Plein de choses se font présentement qui semblent aboutir à quelque chose de [plus] positif que ce qu’on vivait avant ma déclaration. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La consommation d’alcool par les itinérants dans les parcs de Val-d’Or l’été en dérange plusieurs.

Boire sous surveillance

Assis sur un banc près du IGA, installé à l’ombre en cet après-midi de canicule de juillet, Aaron Blackned descend des grosses cannettes de Bleue Dry à 6,1 % d’alcool avec deux amies. Une scène qui se répète au quotidien dans les parcs de Val-d’Or l’été et qui en dérange plusieurs.

Quand une jeune famille s’installe sur un banc voisin, l’homme de la communauté crie de Waskaganish cache sa consommation. « Je ne veux pas que les enfants me voient boire », dit Aaron, lui-même papa.

Sociable, le trentenaire a très envie de nous montrer une vidéo sur son cellulaire dans laquelle il apparaît plus jeune en train de participer à une expédition de snowkite – des skis tractés par un cerf-volant – à la Baie-James. « J’étais plus en forme », dit-il en rigolant.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Aaron Blackhead

Le jeune Cri devient ensuite plus sérieux : « On a besoin d’un endroit pour boire tranquille, sans que les policiers nous embêtent et nous envoient en prison. »

« À bout de ressources », Val-d’Or a interpellé Québec au printemps dernier pour augmenter les patrouilles policières et les services aux populations vulnérables.

La Ville voudrait justement un centre de jour ainsi qu’un wet shelter – un espace sûr où les sans-abri souffrant d’alcoolisme consomment de l’alcool sous surveillance.

Comme les refuges obligent les gens à partir à 7 h, les sans-abri n’ont nulle part où aller jusqu’au soir.

Croisé lors de notre passage en Abitibi, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, sortait d’une rencontre avec la mairesse. Si Val-d’Or veut un wet shelter ou encore un « centre de jour avec des services de réintégration sociale », le Ministère « va les soutenir là-dedans sans hésitation », a-t-il dit à La Presse.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux

Avec son confrère aux Affaires autochtones, Ian Lafrenière, il va aussi réfléchir à la création d’une ressource d’hébergement de transition dans les communautés avoisinantes pour ceux qui voudraient y retourner, mais qui sont coincés à Val-d’Or, entre autres, en raison de conditions judiciaires.

Et que pense le ministre Lionel Carmant de la sortie de son collègue député ? « On ne peut pas appuyer ce qui a été dit », a-t-il répondu sans hésiter.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Une usagère de l’ancien club vidéo transformé en refuge d’urgence pour sans-abri.

Rien d’un tout-inclus

Accoté sur sa boîte de camion, Patrick Demers prend l’air avant de commencer son quart de nuit dans l’« ancien Vidéotron » – un club vidéo transformé en refuge d’urgence pour sans-abri. C’est que le premier refuge, la Piaule, déborde depuis la pandémie. Un second a ouvert en catastrophe – d’abord dans un sous-sol d’église, avant de déménager ici.

1/5

L’endroit n’a rien d’un « Club Med », n’en déplaise aux commerçants mécontents. Le plancher de la grande pièce éclairée au néon a encore son vieux tapis. Quand un sans-abri n’a pas le temps de se rendre aux toilettes – « ça arrive souvent », lâche M. Demers –, l’odeur s’y imprègne. De simples matelas sont posés par terre. À une extrémité de la pièce, une vieille cuisinière permet de réchauffer la soupe. Le colosse, ancien livreur de pizza, qui travaille comme « accueillant » a installé son propre compte Netflix sur la télé, en guise de seul divertissement.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Patrick Demers, « accueillant » au refuge d’urgence situé dans l’ancien club Videotron

Ça m’écœure, les préjugés [en ville]. Si le monde apprenait à les connaître, il verrait ce qu’ils ont vécu, puis qu’il y en a qui ont des belles histoires, aussi.

Patrick Demers, « accueillant » au refuge d’urgence situé dans l’ancien club Videotron

Comme celle de Karlos Denis-Damey, son collègue « accueillant ». Originaire de la communauté atikamekw d’Obedjiwan, le jeune homme a été ballotté dans plusieurs familles d’accueil toute son adolescence.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Au cours des derniers étés, des batailles sont survenues dans des parcs en plein jour à Val-d’Or. Des actes de vandalisme et beaucoup de vols à l’étalage ont aussi été déplorés.

À 18 ans, il a dû se débrouiller seul. Il s’est retrouvé à la rue. « Je me faisais mettre dehors de partout à cause de chicanes de brosse », raconte celui qui va beaucoup mieux aujourd’hui.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Karlos Denis-Damey (à droite) et Patrick Demers

Jeune, Karlos Denis-Damey rêvait d’entrer dans l’armée pour aider les gens. Il a plutôt déniché un emploi dans le communautaire. Avec sa présence calmante et son sourire grand comme la pièce, il apporte beaucoup de réconfort à sa clientèle victime de tant de traumatismes culturels et familiaux.

« Les gars ne sont pas toujours faciles à gérer, dit le jeune homme, mais au fond, ils sont gentils. Il faut juste prendre le temps de les écouter. »

À lire demain : « Dans le VR des “grands brûlés de la vie” »

Depuis deux ans dans une tente au coeur de Montréal


Marco Fortier, Le Devoir
La nuit, Conrad ramasse des canettes et des bouteilles dans le voisinage. Les revenus qu’il en tire, ainsi que sa maigre pension, lui permettent de se nourrir et de s’approvisionner en propane.

Janie Dussault
29 juillet 2023
Société

Aux abords d’une piste cyclable, sur un terrain boisé en plein coeur de Montréal, des cordes à linge attachées aux arbres annoncent aux passants qu’une petite communauté a pris racine dans le coin. Trois hommes d’une soixantaine d’années vivent dans leurs tentes depuis de nombreux mois, été comme hiver.

Contre toute attente, ces campeurs ont réussi à éviter de se faire expulser par la police — le sort habituellement réservé aux personnes itinérantes qui improvisent un camping non autorisé dans un parc de la ville. Malgré toutes les difficultés qu’engendre la vie dans un campement, les trois hommes affirment avoir trouvé la recette pour maintenir le leur : un maximum de trois tentes, pas d’abus d’alcool ou de drogue, pas de party, pas de feux de camp, apprendre à vivre ensemble (chacun dans sa tente) et se faire le plus discret possible.

Conrad a vécu dans des logements au cours des dernières années, mais une série de difficultés a fait en sorte qu’il s’est retrouvé à la rue. Sur son lopin de terre, qu’il occupe depuis deux ans, il aime ne pas avoir de comptes à rendre.

« Je travaille de nuit », lance-t-il. Il ramasse des canettes et des bouteilles dans le voisinage. Depuis qu’il a planté sa tente, il ne dérange personne en arrivant chez lui en pleine nuit, chargé de bouteilles qui s’entrechoquent. Les revenus tirés des bouteilles et la maigre pension de Conrad lui permettent de se nourrir et de s’approvisionner en propane.

Les trois campeurs ne sont pas laissés à eux-mêmes. Des travailleurs de rue passent à l’occasion pour s’informer de leurs besoins, des policiers leur rendent visite — et leur ont même donné des bottes — et les éboueurs ramassent leurs vidanges.

Conrad, Richard et leur voisin habitent le campement beau temps, mauvais temps. « Il y a des fois que je suis écoeuré de vivre dans une tente, surtout l’hiver, raconte Conrad. J’applique régulièrement pour un loyer modique, mais ça n’arrive jamais. »

Il y a des fois que je suis écoeuré de vivre dans une tente, surtout l’hiver. J’applique régulièrement pour un loyer modique, mais ça n’arrive jamais.

— Conrad

Dans des conditions difficiles, ils ont réussi à transformer ce petit coin de verdure en habitat fonctionnel. Près de sa tente bien isolée, entourée d’une canalisation qui évacue l’eau de pluie, Conrad répare des vélos pour aider un ami. Un réchaud à gaz lui permet de cuisiner. Il conserve ses aliments dans une glacière. Il possède aussi une chaufferette pour les froids d’hiver.

Survie

Malgré leur débrouillardise et leur grande capacité d’adaptation et d’organisation, les gens qui vivent dans des campements sont constamment dans un contexte de survie.

« Ils sont vraiment débrouillards. Leur campement, c’est leur maison. Ils vont s’adapter avec les réalités de la rue comme une personne qui fait du camping, mais dans un milieu urbain. La population peut trouver ça choquant, mais ce sont des gens qui essaient de survivre », explique le directeur général de PACT de rue, Maxime Bonneau. Son équipe et lui font partie des ressources qui accompagnent les trois hommes.

En général, le plus compliqué pour les gens vivant dans un campement, c’est d’aller aux toilettes. « Il y a beaucoup de plaintes qui viennent du fait que ces gens-là n’ont pas le choix de se soulager quelque part. Et ce quelque part, c’est souvent dehors à ciel ouvert, lance M. Bonneau. Il y a des gens qui utilisent des sacs, des chaudières, ils se débrouillent. Si vous me demandez mon avis, si ce n’est pas un choix personnel, le ciel ouvert ne devrait pas avoir lieu pour une question de dignité humaine. »

Habiter en campement dans une tente est loin d’être l’idéal, selon le directeur général de l’organisme L’Anonyme, Julien Montreuil. « Je me mets à leur place, et dans l’éventail de choix qu’ils ont pour se loger, le meilleur demeure de se retrouver dans une tente. Il faut reconnaître que, jusqu’à un certain point, on a manqué notre coup avec le manque de logements et de places adéquates pour loger ces personnes-là », ajoute-t-il.

M. Bonneau rappelle que les campements ne sont pas une solution, mais plutôt une conséquence de la crise du logement. « C’est sûr qu’un campement, aussi petit ou aussi grand soit-il, a sa raison d’être, et c’est mieux qu’un démantèlement, explique-t-il. La situation la plus réaliste, c’est de les laisser dans leur campement. C’est aussi la plus aidante présentement parce que ça nous permet de garder un lien [avec ces gens] et de travailler avec eux selon leurs besoins. »

Phénomène plus fréquent

Les campements du genre sont de plus en plus nombreux, souligne Maxime Bonneau. La pandémie, l’inflation et la crise du logement ont durement frappé les populations vulnérables jusqu’à les pousser vers la rue.

Malgré les centres d’hébergement et les refuges qui se trouvent un peu partout dans la ville, pour certains, vivre en campement représente la situation la mieux adaptée. « Le problème, c’est qu’on s’imagine que les refuges, c’est la solution à tout, explique Maxime Bonneau. Il y a des gens qui préfèrent se retrouver dans leur milieu, avoir leurs moments de solitude et leur propre espace qu’ils ne partagent pas avec 40 autres personnes. »

De son côté, le directeur de L’Anonyme déplore qu’à Montréal, « on n’a pas, ou très peu, de tolérance » à l’égard des campements. Et pourtant, les experts du terrain sont fermes sur cette question : le démantèlement ne devrait pas être une option. « Mettre le monde dehors de dehors, c’est assez ordinaire », fait valoir Julien Montreuil.


La vie après le démantèlement

  1. [Accueil]


Jacques Nadeau, Le Devoir
Vanessa se rend chaque jour à Rue Action Prévention Jeunesse (RAP Jeunesse), un organisme communautaire qui suit les personnes vulnérables du quartier.

Chloé Bourquin
29 juillet 2023
Société

Ils avaient trouvé un coin tranquille où planter leurs tentes en bordure de la rivière des Prairies. Ils vivaient ainsi, au coeur du parc Basile-Routhier, dans le quartier Ahuntsic, depuis plusieurs semaines — et certains même depuis plus d’un an. Mais, le mois dernier, une dizaine de campeurs ont été expulsés par l’arrondissement, à la suite de plaintes de résidents.

Sans logement, ces personnes forcées à l’itinérance ont dû trouver de toute urgence un autre endroit où s’installer. Trouver de nouveaux repères. Encore.

Un morceau de forêt au bord de l’eau, masqué de la route par des feuillages : c’est là que Vanessa Sarrasin a abouti, avec sa tente, sa glacière et quelques valises de vêtements. Il fait chaud et humide. La jeune femme de 36 ans nous présente celui qu’elle appelle « son amoureux », qu’elle a rencontré « dans sa vie d’avant ». « Avant, on avait l’épicerie juste à côté, on était proches d’une station de métro. On est isolés, ici, personne ne nous voit. »


Photo: Marco Fortier, Le Devoir
Un morceau de forêt au bord de l’eau, masqué de la route par des feuillages : c’est là que Vanessa Sarrasin a abouti, avec sa tente, sa glacière et quelques valises de vêtements.

Elle s’interrompt, prise d’une quinte de toux, puis s’allume une cigarette, en chassant les moustiques d’un revers de la main. Dans le parc où ils étaient avant d’être expulsés, Vanessa et son compagnon vivaient juste à côté d’un pavillon géré par un organisme à but non lucratif, le Groupe uni des éducateurs-naturalistes et professionnels en environnement (GUEPE). C’est là que les campeurs pouvaient recharger leur téléphone, utiliser les toilettes, boire de l’eau ou un café, et venir chercher de l’eau chaude.

« C’est un espace public, donc tout le monde est bienvenu à l’intérieur, on ne fait pas de différence », souligne la directrice générale de l’organisme, Nathalie Dion.

L’un des campeurs, Scott, avait même passé l’hiver dans le parc. « Il avait mis deux tentes l’une sur l’autre pour rester au chaud », précise une retraitée rencontrée sur la piste cyclable qui serpente le long de la rivière. Nous avons croisé plus tard Scott à vélo, qui peinait à monter une côte avec sa remorque pleine. Visiblement en colère, il n’a pas souhaité répondre à nos questions. Nous apprendrons peu après que depuis le démantèlement, ce dernier s’est fait voler sa tente, deux fois.

Bouleversement des habitudes

« Des gens nous aidaient [au parc] Basile-Routhier », glisse Vanessa. « Ici les ressources sont plus loin, moins nombreuses », nous dit-elle. Elle demande l’heure. « Mon cell est pas chargé, c’est pour ça qu’on sait pas à quelle heure se lever, on sait pas quelle heure il est », explique-t-elle.

Elle déplore aussi que Rue Action Prévention Jeunesse (RAP Jeunesse), un organisme communautaire qui suit les personnes vulnérables du quartier, se trouve à plus de 20 minutes de marche de là. Elle s’y rend malgré tout chaque jour — l’organisme est ouvert en semaine, de 9 h à 15 h.

Devant le petit local anonyme sont garés plusieurs vélos, et quelques cellulaires sont branchés à la prise de courant extérieure. Les itinérants peuvent y trouver un repas, se doucher et passer du temps ensemble et avec les intervenants. Un infirmier est également là pour prodiguer les premiers soins si nécessaire. Nous y avons retrouvé Vanessa avec son compagnon, ainsi que Scott et une douzaine d’autres personnes. Ils partageaient un repas et jouaient aux échecs, dans une ambiance conviviale et détendue.

« Au centre de jour l’été dernier, on accueillait en moyenne de 10 à 14 personnes, alors qu’aujourd’hui, les petites journées, c’est plutôt 20 », précise Josane, une intervenante rencontrée sur place.

Depuis le démantèlement, « [les campeurs] se sont trouvés d’autres coins où camper, où rester. Il y en a qui ont perdu leur matériel, donc ils dorment maintenant en plein air. Il y en a qui se sont dispersés un peu partout », énumère Marc-André Lachapelle, travailleur de rue pour RAP Jeunesse.

« Il y avait une ou deux personnes plus vulnérables parmi eux, et ce sont ces personnes-là dont on n’a plus de nouvelles. C’est plus inquiétant, dans le sens où elles avaient de gros problèmes de santé mentale. On ne sait pas où elles sont rendues. »

Isolement et frustration

Si le campement a été démantelé, c’est notamment en raison de plaintes que l’arrondissement a reçues de la part de résidents qui vivent à la lisière du parc Basile-Routhier. Des travailleurs communautaires avaient pourtant essayé d’organiser des rencontres entre les campeurs et les plaignants. Mais avant que cela puisse se faire, les campeurs ont reçu un avis d’expulsion.

« Ils se sont sentis exclus du processus, comme si leur voix n’avait pas d’importance. Et nous, ça nous a fâchés, parce qu’on pensait pouvoir organiser ça, faire de la médiation, et puis on nous a coupé l’herbe sous le pied », déplore le travailleur de rue Marc-André Lachapelle.

Contacté à ce sujet, l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville a fait valoir que « le nombre de tentes ayant […] augmenté, la cohabitation sociale [avec les résidents] est devenue encore plus difficile et les risques d’incendie se sont intensifiés ». La porte-parole, Émilie Miskdjian, a ajouté que l’arrondissement travaille de pair avec RAP Jeunesse, mais que « les campements ne sont pas une solution, ni durable ni sécuritaire pour les personnes en situation d’itinérance ».

« Aucune rencontre n’était prévue par l’arrondissement entre les résidents et les personnes en situation d’itinérance », a-t-elle précisé par courriel.

Depuis le démantèlement, le lien de confiance que RAP Jeunesse avait tissé avec les itinérants au fil des années a été ébranlé. « On a le sentiment qu’ils ne veulent plus nécessairement dire où est leur spot, pour ne pas prendre de chance », souligne Marc-André Lachapelle.

Un isolement qui inquiète les intervenants. « Ce qui arrive, c’est qu’après ils s’éloignent, puis là s’ils consomment, ils sont tout seuls. Tandis que quand ils sont les uns près des autres, on sait exactement où ils sont, et à ce moment-là, on peut faire notre job de prévention », explique Josane.

Malaise et empathie

Les résidents rencontrés au parc Basile-Routhier se sont montrés eux aussi préoccupés pour l’avenir des campeurs, qu’ils avaient appris à connaître depuis l’été dernier. « Avec les avis de tornade et tout ça, c’est insécurisant de ne pas avoir de toit », s’inquiète Elisabeth, croisée au pavillon de GUEPE. « On peut tous se retrouver un jour sur un carton, sous un pont ou dans une tente. »

Une activité d’initiation au camping en plein air, prévue par GUEPE dans le parc, avait d’ailleurs suscité un certain malaise chez plusieurs résidents après le démantèlement du camp. L’organisme a finalement décidé de déplacer son événement au parc de Beauséjour, situé un peu plus loin.

« Cachez cette misère que je ne saurais voir ! » lance ironiquement Xavier. Selon cet intervenant, le fait que l’arrondissement autorise des activités de camping comme celle-ci, « ce n’est pas pensable ».

« Des gens comme vous et moi, on peut aller camper, mais, eux, ils n’en ont pas le droit. Ça résonne comme deux poids, deux mesures », lâche-t-il.

D’après lui, ce démantèlement est vécu, pour ces personnes vulnérables, comme une seconde exclusion de la société. « On a toujours renvoyé les pauvres. On les a toujours repoussés du centre-ville, des habitations, parce qu’on ne veut pas que ce soit visible, on veut pas montrer ce que la société crée. »

Un avis partagé par Marc-André Lachapelle. « Un des gros problèmes de l’itinérance, c’est qu’on invisibilise ces gens-là, on ne veut pas les voir dans notre quartier. Et on ne met pas non plus d’argent dans les ressources pour les aider », soutient-il. « Mais ce sont des citoyens comme tout le monde, ils ont le droit d’occuper l’espace public, ils ont le droit de vivre, ils ont le droit d’être là. »

Un premier centre d’inhalation supervisée à Montréal

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

L’immeuble en construction du projet de la Maison Benoît Labre, premier centre d’inhalation supervisée de drogue à Montréal.

Pour la première fois à Montréal, des toxicomanes pourront notamment fumer leur drogue – comme du crack, du fentanyl ou du crystal meth – sous supervision médicale. Encore mieux : ils auront aussi accès à un centre communautaire, de la nourriture, des activités, et même des studios où vivre. Visite d’un projet unique au Québec. Un dossier de Lila Dussault

Publié à 5h00

Partager

Lila Dussault

Lila Dussault La Presse

Près d’une quarantaine de studios destinés aux personnes toxicomanes et itinérantes verront le jour à l’automne en face du marché Atwater. Ce nouveau complexe, qui offre aussi des repas, une salle commune et le premier service de consommation supervisée permettant de fumer des drogues dures, comme du crack, à Montréal, va beaucoup plus loin que tout ce qui existe déjà dans la province.

Dans les prochains mois, les sans-abri et toxicomanes du sud-ouest de Montréal pourront, au même endroit, se loger, consommer des drogues de façon sécuritaire, se nourrir, se soigner et même participer à toutes sortes d’activités sociales.

« Ce type de modèle là, on n’en a pas au Québec », confirme Francis Giroux, coordonnateur du programme logement de la Maison Benoît Labre, l’organisme porteur du projet.

Sa particularité : offrir un milieu de vie sûr à ceux pour qui consommer est devenu un mode de vie. Sans discrimination.

Du même coup, l’organisme veut favoriser la santé et la sécurité publique. Et ce, en pleine crise des surdoses, alors que la violence dans les rues de la métropole liée à la consommation de drogues ne cesse de faire les manchettes.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Le complexe sera situé en face du marché Atwater.

La Presse a rencontré M. Giroux début août au chantier du projet. Situé sur l’avenue Greene, à 350 mètres de la station de métro Lionel-Groulx, l’immeuble est l’aboutissement d’années de démarchage pour l’organisme communautaire.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Lors du passage de La Presse, un sans-abri est couché sur un banc dans le parc Victor-Rousselot, ses bagages à ses pieds.

Au moment de notre passage, un sans-abri est couché sur un banc dans le parc Victor-Rousselot, ses maigres possessions à ses pieds. Un autre, avec plusieurs plaies aux jambes, entre en catimini dans le chantier pour utiliser les toilettes chimiques. À deux pas de là, rue Notre-Dame, quelques âmes se traînent.

« Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable : les gens consomment déjà [des drogues] », souligne la directrice générale Andréane Désilets.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Andréane Désilets, directrice générale de la Maison Benoît Labre, devant l’immeuble en construction.

Si je leur dis d’aller consommer à l’extérieur, eh bien, dehors, il y a le marché Atwater, le métro, l’école primaire. Nous, ce qu’on veut leur offrir, c’est un espace sécuritaire. Pour eux, et pour le reste de la population aussi.

Andréane Désilets, DG de la Maison Benoît Labre

Prévenir les surdoses

Ce qui rend le projet si différent, c’est notamment que les locataires et visiteurs pourront consommer leur drogue sur place (mais pas l’acheter ou la vendre).

En plus de pouvoir s’injecter des drogues, les utilisateurs pourront en fumer dans le centre de prévention des surdoses situé au rez-de-chaussée. Il s’agit du premier centre d’inhalation supervisée de Montréal. Grâce à celui-ci, les personnes qui fument par exemple du crack, du fentanyl ou de la méthamphétamine en cristaux (crystal meth) – dont la présence augmente à Montréal1 – pourront le faire en toute sécurité en compagnie d’infirmières.

Ailleurs dans la province, les villes de Québec et de Gatineau permettent déjà l’inhalation supervisée dans des organismes (voir capsule).

Depuis quelques années, davantage de surdoses surviennent après l’inhalation d’opioïdes en Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario, par comparaison avec les surdoses par injection, révèle un récent rapport de l’Ontario HIV Treatment Network2. De plus, fumer sa drogue est le mode de consommation le plus répandu au pays.

Rappelons qu’un nombre record de 172 personnes3 ont perdu la vie en raison de surdoses suspectées à Montréal en 2022-2023. Dans bien des cas, les gens avaient mélangé des substances à leur insu. La Maison Benoît Labre offrira donc aussi un service d’analyse des substances.

L’équipe responsable du projet s’est inspirée de ce qui se fait déjà dans l’Ouest canadien pour mettre en place la nouvelle ressource.

« Ces gens ont le droit d’exister, le droit d’avoir une belle vie, résume Andréane Désilets. Nous, ce qu’on vise, c’est de leur redonner le goût de vivre, pas de survivre. »

Tour du propriétaire

Une fois la construction terminée, l’immeuble de la Maison Benoît Labre comprendra 36 studios meublés répartis sur trois étages avec chacun une salle de bains. Chaque étage aura sa propre buanderie, une salle commune et un intervenant désigné. Une salle communautaire accessible à tous et le centre de prévention des surdoses se trouveront au rez-de-chaussée.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La Maison Benoît Labre comprendra 36 studios meublés répartis sur trois étages avec chacun une salle de bains.

Les futurs locataires – parfois aux prises avec de graves problèmes de consommation, d’itinérance chronique ou de santé mentale – n’entrent souvent pas dans les critères pour obtenir un logement ou une chambre auprès d’autres organismes, explique M. Giroux.

Ici, ils pourront vivre cinq ans et recevront une subvention en vertu du Programme de supplément au loyer (PSL).

Le centre communautaire, ouvert 24 heures sur 24, fournira des repas aux locataires et à la population itinérante du quartier. D’autres services – douches, soins médicaux et psychologiques, activités sociales – seront offerts sur place.

Les animaux seront acceptés. Les personnes à mobilité réduite aussi.

« Ce n’est pas juste un centre d’urgence, détaille la directrice. L’idée, c’est d’accompagner les gens et de leur offrir plein d’opportunités à l’intérieur même du bâtiment, pour qu’ils n’aient plus à se déplacer du point A au point C pour répondre à leurs besoins de base. »

Une idée qui n’entre dans aucune case

Maintenant que le chantier arrive à son terme, un nouveau défi attend l’organisme : financer le salaire des intervenants qui doivent travailler sur place, 24 heures sur 24, vu les besoins de la clientèle.

« Avec ce projet, on touche autant à la santé mentale qu’à la santé physique, à la défense des droits, à la dépendance, à la sécurité publique, à l’itinérance et au logement », énumère Mme Désilets. Le financement, lui, est accordé séparément selon les ministères, ajoute-t-elle.

L’organisme est en contact avec le cabinet du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant. « Plusieurs rencontres ont eu lieu et d’autres sont à prévoir », nous a-t-on confirmé au cabinet du ministre.

« La Maison Benoît Labre est un projet bien intéressant qui correspond à la vision du ministre Carmant […] de développer des ressources visant à accompagner les personnes en situation d’itinérance vers la stabilisation de leur situation et un retour vers l’autonomie », a aussi indiqué le cabinet dans une déclaration écrite.

« Il faut arrêter de travailler chaque problème individuellement, parce que ça ne fonctionne pas, estime Andréane Désilets. Il faut réfléchir autrement et avoir une vision à long terme. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La Maison Benoît Labre sera située à 100 mètres de l’école primaire Victor-Rousselot.

Préparer la cohabitation

Des mesures sont mises en place par la Maison Benoît Labre pour faciliter l’arrivée des studios pour personnes itinérantes et toxicomanes dans le sud-ouest de Montréal.

« On n’a pas la prétention de dire que tout va être beau, sans tracas, mais on est déjà proactifs », souligne Francis Giroux, coordonnateur du programme logement de l’organisme.

Le nouveau projet d’habitation, de centre communautaire et de centre de prévention des surdoses sera situé en face du marché Atwater et à environ 100 mètres de l’école primaire Victor-Rousselot.

Deux rencontres d’information avec les résidants du secteur ont été organisées depuis 2019, affirme Andréane Désilets, directrice générale de l’organisme. « Il y a des citoyens qui avaient d’excellentes questions », rappelle-t-elle. « Je trouve ça légitime qu’un parent s’inquiète parce qu’il y a une école primaire à côté. Je le comprends », ajoute la mère de trois enfants.

Mais à Montréal, trouver un terrain relève du miracle, ajoute-t-elle.

Anticiper les problèmes

L’organisme développe deux projets pour tenter de favoriser la cohabitation. Pendant la période scolaire, un intervenant patrouillera dans les corridors scolaires pour prévenir les accrochages.

Un deuxième projet, appelé « brigade de la propreté », permettra de nettoyer les environs avant le début des classes. Chaque jour, quatre résidants de l’organisme accompagnés d’un intervenant feront le tour des environs pour enlever les « irritants » – comme des cannettes ou des seringues, explique Mme Désilets.

« Quand tu participes de façon positive dans ta communauté, et que l’autre se laisse traîner, ça se peut que tu lui dises : “Hé, on vient de nettoyer ici !” », remarque Mme Désilets. « Les gens de la rue s’autorégulent », renchérit M. Giroux.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Une « brigade de la propreté » sera déployée chaque jour pour nettoyer les environs avant le début des classes.

La Maison Benoît Labre a d’ailleurs élaboré ces mesures en collaboration avec le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), affirme Mme Désilets. La personne responsable du dossier au CSSDM était en vacances au moment où nous écrivions ces lignes, a indiqué à La Presse Alain Perron, porte-parole du centre de services.

« Nous nous attendons à avoir plus d’informations d’ici à l’ouverture », a pour sa part souligné Nicolas Fabien-Ouellet, directeur général de la Société des marchés publics de Montréal, responsable du marché Atwater.

« Nous sommes conscients que tous les changements nécessitent une adaptation et nous entendons collaborer avec notre nouveau voisin et nos partenaires municipaux afin de continuer à faire du quartier un endroit où il fait bon vivre. Nous souhaitons collaborer avec l’organisme afin que les opérations du marché Atwater ne soient pas affectées, le tout dans un esprit de bon voisinage. »

Notons que pour la construction de l’immeuble, la Maison Benoît Labre a réussi à amasser 1,4 million de dollars, dont les deux tiers proviennent de fondations et de donateurs privés.

« On a le soutien d’une communauté ma foi extraordinaire, mobilisée, souligne Mme Désilets. On est vraiment chanceux. »

Le défi des salles d’inhalation supervisée

Contrairement aux salles d’injection supervisée, les salles d’inhalation demandent des ajustements architecturaux, comme des cubicules fermés avec une ventilation adéquate. La Maison Benoît Labre a insisté lors de l’élaboration de son projet pour intégrer l’inhalation supervisée, souligne Andréane Désilets. À Montréal, plusieurs autres organismes qui permettent l’injection supervisée ont indiqué à La Presse développer des projets pour permettre l’inhalation. Toutefois, les rénovations nécessaires sont coûteuses.

À Québec, le centre de consommation supervisée L’Interzone a ouvert ses portes en 2021, et il permet les deux formes de consommation. À Gatineau, deux organismes, le Bureau régional d’action sida (BRAS) et le Centre d’intervention et de prévention en toxicomanie de l’Outaouais (CIPTO), permettent l’inhalation supervisée dans des sites extérieurs.

Les organismes qui souhaitent offrir la consommation supervisée doivent faire une demande d’exemption auprès de Santé Canada. Leur objectif est de favoriser la santé des utilisateurs de drogues et de prévenir les infections transmissibles et les surdoses, notamment.

1. Lisez l’article « Crise des surdoses, crise des psychoses »

2. Lisez le rapport de l’Ontario HIV Treatment Network (en anglais)

3. Lisez l’article « Crise des surdoses : Onde de choc dans la rue »

2 « J'aime »

Faut-il disperser les services pour toxicomanes et itinérants dans la ville?

À Montréal et Ottawa, des voix s’élèvent pour cesser de concentrer les ressources d’aide. D’autres défendent l’idée.

Un homme mange à la table d'une salle communautaire.

L’Armée du salut sert 600 repas par jour à Ottawa, mais cela ne suffit pas à répondre à la demande.

Photo : Radio-Canada / Patrick André Perron

Publié à 4 h 00 HAE

Partager l’article

Le déménagement d’un refuge problématique situé près du Palais des congrès de Montréal était à peine annoncé, début août, que la mairesse Valérie Plante a prévenu les résidents du secteur, inquiets pour leur sécurité : « Il faudrait que ce soit essentiellement dans le même quartier. » Bonne idée ou pas?

Selon la mairesse, aller trop loin risque d’être néfaste : Les personnes vulnérables, quand on les déstabilise encore plus, le problème peut s’amplifier.

Mais au sein de l’administration de Valérie Plante, des discussions ont lieu alors que des élus réclament une équité territoriale des ressources pour itinérants.

Des itinérants dans le jardin du côté nord du Palais des congrès à Montréal.

Les itinérants qui n’ont pas trouvé une place en refuge passent la nuit sur l’esplanade du Palais des congrès.

Photo : Radio-Canada

Le débat fait rage aussi à Ottawa. Lors de notre passage dans la Basse-Ville de la capitale fédérale pour documenter l’explosion du nombre d’itinérants et de toxicomanes, la question de la concentration des services était sur toutes les lèvres.

On sacrifie une petite partie du centre-ville, selon Bruce Kelley, le directeur responsable des questions liées au logement et à l’itinérance à l’Association communautaire de la Basse-Ville. Ce quartier compte trois refuges, trois centres de jours et trois centres d’injection supervisée.

Un trottoir rempli de consommateurs de drogue, dans la Basse-Ville d'Ottawa.

Un trottoir rempli de consommateurs de drogue, dans la Basse-Ville d’Ottawa.

Photo : Radio-Canada / Patrick André Perron

Ça fait un genre d’aimant, croit M. Kelley. Tous les gens qui ont besoin d’aide viennent là et ça attire d’autres personnes malintentionnées. Il évoque les vendeurs de drogue, les gangs de rue, les proxénètes… qui profitent de la vulnérabilité des gens vivant dans la rue.

C’est comme un loup dans la bergerie.

Une citation de Bruce Kelley, de l’Association communautaire de la Basse-Ville d’Ottawa

Julie, une personne sans domicile fixe de la Basse-Ville, partage cet avis : Ils sont trop crowdés, ce n’est pas bon du tout. Il faut les disperser, les amener à la campagne, en psychiatrie, en détox, je ne sais pas.

L’Association communautaire de la Basse-Ville prône une répartition équitable des services en itinérance, en santé mentale et en toxicomanie dans les 24 quartiers d’Ottawa avec de petits centres de ressources, à taille humaine.

Marc-Antoine Deschamps, surintendant au Service paramédic d’Ottawa, confirme que des surdoses surviennent un peu partout dans la ville, dans tous les niveaux sociaux.

Une toxicomane dort sur un trottoir d'Ottawa.

Une toxicomane dort sur un trottoir d’Ottawa.

Photo : Radio-Canada / Patrick André Perron

Les résidents ne sont pas les seuls à voir dans cette concentration un défi supplémentaire. C’est certainement un problème, nous a dit l’agent Paul Stam, du Service de police d’Ottawa.

Plus de monde, plus de problèmes, ajoute Louise Beaudoin, l’infirmière responsable du centre d’injection supervisée situé au refuge des Bergers de l’Espoir, rue Murray.

Si elle pouvait redessiner la carte des services, elle les éparpillerait un petit peu plus. Mais la communauté ne veut pas, personne ne veut t’avoir dans sa cour, constate-t-elle.

Les usagers sont souvent attachés à un endroit, ils n’iront pas ailleurs.

Une citation de Louise Beaudoin, infirmière superviseure à Ottawa Inner City Health

Le directeur exécutif du centre de l’Armée du Salut d’Ottawa, Marc Provost, pense qu’il faut que tout soit assez proche l’un de l’autre, car les itinérants ne vont pas faire six places pour avoir six services. Ils vont faire maximum deux places pour avoir tous les services.

Un homme dort dans un refuge d'Ottawa.

Un homme dort dans le refuge de l’Armée du salut à Ottawa.

Photo : Radio-Canada / Patrick André Perron

Selon Janick Fortin, de la Société de développement social de Ville-Marie, qui gère le refuge proche du Palais des congrès de Montréal, pour que les gens qui sont pris en charge le soir puissent répondre à leurs besoins primaires durant le jour [aller manger, se doucher…], il faut qu’il y ait des organismes pas loin.

Si on les amenait à Saint-Clin-Clin-des-Meuh-Meuh et qu’il n’y a pas d’organismes, on ne règlera pas le problème, car ils auront besoin de plus de services.

Une citation de Janick Fortin, Société de développement social de Ville-Marie

Des discussions à Montréal sur « l’équité territoriale »

Dans la métropole québécoise, les données du Centre de référence du Grand Montréal, compilées par Radio-Canada, démontrent que 65 % des services pour itinérants sont situés dans 3 des 19 arrondissements : Ville-Marie (43 %), Mercier–Hochelaga-Maisonneuve (13 %) et Le Plateau-Mont-Royal (9 %).

Selon nos informations, le maire du Plateau-Mont-Royal plaide depuis plusieurs mois auprès de la mairesse Plante pour qu’une meilleure répartition se fasse entre les arrondissements, alors que des difficultés de cohabitation touchent les résidents du secteur de Milton-Parc et de l’Hôtel-Dieu.

Luc Rabouin assis derrière un micro en conférence de presse.

Luc Rabouin.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le 6 septembre, lors de la séance du conseil d’arrondissement, le maire Luc Rabouin avait déjà lancé le message au PDG du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Tous les territoires doivent identifier des lieux pour accueillir les personnes en situation d’itinérance. Plutôt que d’avoir une concentration dans un seul lieu, si on peut avoir différents sites, à échelle plus humaine, pour les personnes qui les fréquentent et pour les quartiers avoisinants.

Une citation de Luc Rabouin, maire de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, le 6 septembre 2022

Au mois de juillet, une élue de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve évoquait elle aussi un enjeu d’équité territoriale, alors que des citoyens dénoncent les difficultés de vivre à proximité de trois refuges. Alia Hassan-Cournol, conseillère dans le district Maisonneuve–Longue-Pointe, rappelait toutefois que son arrondissement a un écosystème de solidarité fort depuis des décennies et c’est ce qui fait l’âme du quartier.

Selon Michelle Patenaude, directrice générale du CAP St-Barnabé, qui gère les trois refuges en question, c’est la disponibilité des locaux qui joue un grand rôle. Dans Hochelaga-Maisonneuve, on a beaucoup d’églises vacantes, souligne-t-elle.

Le refuge l’Étape, dans une ancienne église de la rue Chambly.

Le refuge l’Étape, dans une ancienne église de la rue Chambly.

Photo : Radio-Canada / Philippe-Antoine Saulnier

Dans le Plan d’action montréalais en itinérance 2014-2017, on pouvait lire que la concentration de personnes itinérantes dans certains lieux publics des quartiers centraux de Montréal affecte la dynamique de ces milieux au détriment de la qualité de vie de l’ensemble des utilisateurs, des commerçants et des citoyens riverains et mettant parfois en péril la santé et la sécurité des personnes itinérantes elles-mêmes.

Les itinérants vont là où il y a du passage

Historiquement, l’itinérance, c’était au centre-ville et ce sera toujours au centre-ville, croit Serge Lareault, le Protecteur des personnes en situation d’itinérance à la Ville de Montréal. C’est là où il y a de la circulation, de l’économie, des gens pour donner aux mendiants.

Il ajoute : On fait la corrélation, parfois trop facile, qu’un service en itinérance attire les gens, mais ce n’est vraiment pas ça qui se passe.

On peut retirer des services au centre-ville, le marché de la drogue va rester là, la vie itinérante et la possibilité de mendier vont rester au centre-ville.

Une citation de Serge Lareault, Protecteur des personnes en situation d’itinérance, Ville de Montréal

Selon lui, la solution est de doser. Il affirme que la mairesse a une vision de l’équité territoriale.

Dans le Quartier des spectacles de Montréal, le directeur du centre d’injection supervisée de l’organisme CACTUS Montréal, Jean-François Mary, subit lui aussi les critiques des résidents des alentours, qui ont surnommé le coin de rue « l’allée du crack ».

Jean-François Mary, directeur général de Cactus Montréal.

Jean-François Mary, directeur général de Cactus Montréal.

Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet

Il est normal que les ressources s’organisent en fonction des besoins et de la demande locale, dit-il. Les organismes et les ressources d’aide et de soutien ne sont pas la source de la concentration de pauvreté, elles y répondent.

On est toujours dans la cour de quelqu’un quand la société vous exclut.

Une citation de Jean-François Mary, directeur général de CACTUS Montréal

Dans le livre Itinérance et cohabitation urbaine, paru en 2021, sous la direction du professeur de l’UQAM Michel Parazelli, on peut lire qu’en les dispersant ainsi, on pense alléger et atténuer les problèmes de cohabitation du centre-ville, sans nécessairement réfléchir aux effets pervers que cette dispersion peut créer auprès des personnes en situation de marginalité ainsi qu’à l’accès aux ressources qui leur viennent en aide.

À Ottawa, la Ville assure qu’elle ne prévoit actuellement pas d’accroître les services communautaires offerts dans la Basse-Ville. Le refuge de l’Armée du Salut doit même déménager dans le quartier voisin de Vanier. Mais là aussi, cela ne fait pas l’unanimité.

Un sans-abri dort sur la galerie d'une maison placardée de la rue Clarence.11:40

Information

La capitale du Canada débordée par les drogues

Écoutez notre reportage sur l’explosion des surdoses et de l’itinérance dans la capitale du Canada.

Photo : Radio-Canada / Patrick André Perron

1 « J'aime »

D’autres villes vivent le même problème:

Itinérance à Granby Des camps permis non sans frictions

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

George Jr. Caravias Sergakis et Louise Michelle Bérubé dans la « zone de tolérance » située à l’arrière du cimetière Cowie, à Granby. La plupart des sans-abri s’y trouvaient ont plié bagage.

(Granby) L’explosion de l’itinérance crée des flammèches à Granby, une ville à l’avant-garde de la tolérance envers les campements de sans-abri.

Publié à 5h00

Partager


texte : Lila Dussault
texte : Lila Dussault La Presse


photos : Robert Skinner
photos : Robert Skinner La Presse

« Il y a des jeunes de Granby qui viennent ici en chars montés et qui nous pitchent des cocktails Molotov », lance George Jr. Caravias Sergakis. Derrière lui, un campement de sans-abri presque abandonné, situé à l’arrière du cimetière Cowie, près du centre-ville.

Sur place, il ne reste qu’une tente, des tas de vêtements et autres objets hétéroclites. Au milieu du fouillis, des plants de citrouilles, vestige d’un jardin entrepris au début de l’été. En contrebas, près de la rivière Yamaska, trois autres tentes sont visibles.

Cet endroit a été identifié au printemps dernier par la Ville de Granby comme une « zone de tolérance » pour les personnes en situation d’itinérance. Elles ont le droit d’y installer une tente et d’y apporter un vélo. La municipalité a placé deux toilettes chimiques, des poubelles et des bacs de récupération de seringues.

Des policiers, travailleurs de rue et intervenants sociaux patrouillent aussi les lieux.

Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. « Il y a des ouï-dire », confirme Cédrick Beauregard, attaché politique à la mairie de Granby. « Les personnes qui vivaient au cimetière Cowie ont parlé à la police d’intimidation, de jeunes qui venaient. Mais il n’y a pas eu de plainte officielle ou de description de voitures [par exemple]. »

De telles réactions au campement de sans-abri n’étonnent « malheureusement pas » Isabelle Plante, intervenante clinique depuis 13 ans pour l’Auberge sous mon toit, un organisme local.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Isabelle Plante, intervenante clinique pour l’Auberge sous mon toit

Ces campements-là ont quelque chose d’extraordinaire, parce qu’ils offrent des toilettes et une certaine sécurité [aux personnes qui y vivent].

Isabelle Plante, intervenante clinique pour l’Auberge sous mon toit

« Mais pour monsieur et madame Tout-le-Monde, ce qu’ils voient confirme leurs préjugés », ajoute Mme Plante. « Que les itinérants consomment [des drogues], qu’ils font des feux même s’ils n’ont pas le droit, qu’ils sont parfois tout croche, parce que ce sont des gens qui ont des difficultés », énumère-t-elle.

Plier bagage

Après les plaintes, des blocs de béton ont été installés pour empêcher les voitures d’entrer dans le campement. Une clôture à moitié démantelée était aussi en place au passage de La Presse.

Pour M. Sergakis, c’était de trop. « Si on nous attaquait, on ne pourrait même pas sortir », déclare-t-il.

Des problèmes de cohabitation entre personnes itinérantes ont aussi émergé, ont indiqué plusieurs personnes à La Presse. La majorité des sans-abri ont plié bagage et installé un nouveau campement à un kilomètre de là, dans le parc Fisher. Fin août, une vingtaine de tentes et autres structures abritant environ 30 personnes se trouvaient sur place, à l’arrière de l’organisme SOS Dépannage.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

George Jr. Caravias Sergakis, dans son campement du parc Fisher, à l’arrière de l’organisme SOS Dépannage

Depuis la pandémie, l’itinérance visible a explosé à Granby, ville de plus de 70 000 habitants située à 75 kilomètres de Montréal. Le taux d’inoccupation y est aussi extrêmement bas : 0,4 % cette année, selon la mairesse, alors que le point d’équilibre se situe à 3 %.

À l’été 2022, Granby est devenue la première ville au Québec ayant développé une approche de tolérance à l’égard des campements.

« L’objectif avec les lieux de tolérance, c’est que les gens sont stables et pendant ce temps-là, on est capable de faire des interventions, explique en entrevue la mairesse Julie Bourdon. On n’est pas toujours en train de démanteler les choses, et [les personnes itinérantes] sont peut-être plus ouvertes à aller vers les services. »

De plus en plus visible

Le nombre de plus en plus grand de sans-abri et autres personnes vulnérables errant dans les rues du centre-ville inquiète toutefois la population, reconnaît la mairesse.

C’est un constat que partage l’intervenante Isabelle Plante. « Un jeudi soir, je suis allée souper au centre-ville avec une copine qui ne connaît pas ça [l’itinérance]. On est allées faire une marche et elle n’était pas à l’aise avec les gens sur le trottoir. On a changé de bord de rue, mais ce n’était pas mieux. On est parties », illustre-t-elle**.**

En raison de la proximité des services et des logements plus abordables, le centre-ville de Granby est devenu un lieu de rassemblement. Au marché public, les gens s’installent pour recharger leur téléphone cellulaire. Et à la place Jean-Lapierre, jusqu’à 20 personnes peuvent se retrouver les soirs d’été.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Au centre de la place Jean-Lapierre : Kevin Barde-Fontaine, Marcel Mouse, Claude et Kenny Robert

« Le bon mot, ici, c’est précarité », lance Kevin Barde-Fontaine, installé sur une chaise Adirondack de ce parc. Autour de lui, certains vivent en campement, d’autres, chez leurs parents. Lui-même dort sous la table, dans le 1 ½ de son père, affirme-t-il.

Pendant la pandémie, j’ai perdu ma job, mon logement et mes enfants. Et c’est dans la rue que j’ai rencontré le plus de gentillesse.

Kevin Barde-Fontaine

Pour rassurer sa population, la Ville a ajouté des patrouilles de policiers à pied au centre-ville.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Des policiers, place Jean-Lapierre, dans le centre-ville de Granby

« Ça fait toute la différence », estime Carol-Anne Saumure, gérante du dépanneur S en Ciel, situé en face de la place Jean-Lapierre.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Carol-Anne Saumure, gérante du dépanneur S en Ciel

Elle observe aussi une hausse marquée de l’itinérance dans le secteur : « Les gens sont sur la drogue, sur la boisson. Et beaucoup se sont fait mettre dehors de leurs logements, donc c’est encore pire. »

Mais, ajoute-t-elle, les ressources du quartier – police, travailleurs de rue, organismes communautaires – sont là pour soutenir les commerçants.

« La pire épreuve »

Dans le campement du parc Fisher, l’ambiance est à l’opposé de celle du cimetière Cowie. Au passage de La Presse, les lieux sont entretenus avec soin. L’ambiance est tranquille. Entre les campements, plus ou moins élaborés, des vêtements sèchent sur des cordes à linge.

1/3

« Les policiers m’ont dit qu’ici serait le lieu le plus sécuritaire pour moi », nous explique Maria, qui n’a pas voulu donner son nom de famille. Sous l’auvent de sa petite tente, un tapis, et une statuette de Bouddha.

« Les gens ont tendance à juger trop vite les itinérants », souligne-t-elle. « Moi, j’avais une vie tranquille, je n’ai jamais été dans la rue avant. C’est la pire épreuve que j’ai vécue de ma vie », ajoute-t-elle, un sanglot dans la voix.

En même temps, elle découvre tout un monde, ajoute Maria. « La fin de semaine, tout le monde ici fait le ménage. Oui, les gens se droguent, ils volent. Mais si une personne a une tranche de pain, elle va la séparer en huit. La solidarité est incroyable », témoigne-t-elle.

À la sortie du parc Fisher, La Presse croise une citoyenne, qui souhaitait s’exprimer sans être nommée. « Je n’ai aucune sympathie pour les drogués, soutient-elle. La vie, c’est dur. Moi, je l’ai gagnée. De voir ça, ça me choque ! »

Au fil de ce reportage, les personnes itinérantes et ceux qui leur viennent en aide nous ont parlé de ce qui pourrait alléger leur quotidien :

  • Des prises électriques pour recharger les appareils électroniques
  • Des endroits sécuritaires où cuisiner
  • L’accès à de l’eau potable
  • L’accès à des services de santé et psychologiques
  • Une adresse pour pouvoir accéder aux services municipaux (ex. : bibliothèque)
2 « J'aime »

Crise de l’itinérance : les besoins sont criants, selon les intervenants

Les organismes qui interviennent auprès des itinérants saluent le cri du cœur des maires et les encouragent à continuer d’alerter les autorités.

Le reportage de Marie-Josée Paquette-Comeau

1 « J'aime »
1 « J'aime »

Le Christin Un projet immobilier pour lutter contre l’itinérance

1/5

Vers la fin de l’automne, plus d’une centaine de personnes en situation d’itinérance ou à risque de l’être trouveront refuge de façon permanente dans un nouvel immeuble du centre-ville de Montréal. La Presse a visité le chantier du plus vaste projet immobilier consacré à la lutte contre l’itinérance au Québec.

Mis à jour à 12h00

Partager


Valérie Simard
Valérie Simard La Presse

Situé près de l’Université du Québec à Montréal, dans une petite rue dissimulée entre la rue Sainte-Catherine et le boulevard René-Lévesque, Le Christin détonne dans la grisaille des immeubles autour. Paré de briques aux couleurs chaudes, l’édifice amène une gaieté dans ce secteur en construction, à l’image de ce qu’il entend projeter dans la vie de ceux qui prochainement l’occuperont.

À l’intérieur, les planchers, encore recouverts de papier, laissent deviner leur teinte colorée. La couleur est la signature d’Atelier Big City, la firme d’architecture mandatée par la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM) pour la conception du bâtiment. En décidant de se lancer dans la réalisation de projets immobiliers à l’intention des personnes en situation d’itinérance, cette société paramunicipale, qui ne reçoit aucun financement de la Ville de Montréal, a fait le pari de la qualité architecturale.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Nancy Shoiry, directrice générale de la Société d’habitation et de développement de Montréal, et Anne Cormier, architecte chez Atelier Big City

C’est sûr qu’il y a une différence de coût quand on privilégie les matériaux de qualité, mais à long terme, cela se reflète sur les coûts de gestion. Ce n’est pas juste de construire un bâtiment, c’est d’en faire un milieu de vie.

Nancy Shoiry, directrice générale, SHDM

« L’architecture est importante pour tout le monde », ajoute Anne Cormier, architecte responsable du projet. Elle est également professeure à l’École d’architecture de l’Université de Montréal, et ses travaux de recherche et enseignements portent principalement sur le logement urbain et social dans les centres-villes. Pour une clientèle qui est, dans certains cas, passée par la rue, puis les maisons de chambres, elle a voulu concevoir des espaces lumineux et agréables, en dépit de la contrainte d’espace.

Un choix qui aura un réel impact sur les résidants, croit la directrice générale de l’Accueil Bonneau, partenaire du projet. « Si on veut sortir de l’itinérance, atteindre une stabilité résidentielle, une réaffiliation sociale, ça prend de lieux qui sont intéressants », affirme Fiona Crossling.

Aux yeux de l’architecte Anne Cormier, la présence urbaine de l’édifice importe aussi. « Il n’y a pas de raison que des édifices soient moches. Ça ne rend service à personne. L’architecture a une présence publique dans la ville tout le temps et reste longtemps. »

Un bâtiment à valeur patrimoniale démoli

Ce projet a été érigé sur les ruines du Riga, un bâtiment, propriété de la SHDM, qui comprenait des logements abordables. Signé en 1914 par l’architecte Joseph-Arthur Godin, le Riga était un des rares édifices Art nouveau à Montréal et avait été désigné par l’arrondissement de Ville-Marie comme ayant une « valeur exceptionnelle ». Devant sa détérioration, la SHDM avait entamé sa rénovation jusqu’à ce qu’une défaillance structurelle soit décelée, mettant fin aux travaux de réfection. La structure manquait de colonnes et d’armatures et aurait dû être refaite complètement pour se conformer aux normes actuelles, argue la SHDM.

Ç’a été une décision difficile qu’on a dû aller défendre dans les comités à la Ville et à l’arrondissement. Oui, l’édifice avait peut-être une certaine valeur patrimoniale, mais on en fait un projet de société pour aider des gens qui n’ont pas cette offre-là dans le marché actuel.

Nancy Shoiry, directrice générale de la SHDM

Au moment de la démolition de l’immeuble de quatre étages en 2019, la SHDM avait indiqué qu’elle ferait le nécessaire pour laisser une trace du patrimoine. Or, l’évocation de l’ancien immeuble se fait discrète. « Différents scénarios ont été étudiés, déclare Julien Serra, porte-parole de la SHDM. À la lumière des études et des budgets, il a été décidé de prioriser la réalisation du projet et les besoins des futurs locataires. La référence au Riga réside dans le concept architectural même, soit la singularité de l’édifice dans son environnement immédiat. » Il précise que la SHDM est en réflexion quant à l’intégration d’une mention du bâtiment d’origine à l’aide d’un code QR ou d’une inscription visible de l’extérieur.

Davantage de logements

Un souci de densification et d’optimisation de l’espace a permis d’augmenter le nombre de logements. De 65 dans le Riga, il est passé à 114 dans le nouveau bâtiment, principalement grâce à l’ajout de trois étages. L’intérieur est divisé en deux sections. D’un côté, de petits studios d’une superficie de 21,6 m⁠2 (environ 230 pi⁠2) avec coin cuisine et salle de bains, destinés à des hommes seuls. De l’autre, des unités un peu plus grandes de 25,8 m⁠2 (environ 280 pi⁠2) à 37 m⁠2 (environ 400 pi⁠2), comptant une ou deux chambres, qui pourront être partagées par deux personnes, hommes ou femmes, couples ou colocataires.

« On constate qu’il y a de plus en plus de profils différents qui cognent à nos portes, observe Anna Torres, coordonnatrice clinique des services d’hébergement de l’Accueil Bonneau. On voulait un projet axé sur la mixité sociale. » Les profils des personnes qui seront choisies par l’organisme pour y habiter seront variés. Hommes, femmes, réfugiés et demandeurs d’asile, aînés et jeunes adultes issus de la DPJ, personnes autochtones ou issues de la communauté LGBTQ+ pourront se côtoyer.

L’immeuble, qui viendra doubler l’offre de logements de l’Accueil Bonneau, accueillera des gens prêts à vivre avec une plus grande autonomie, mais qui ont toujours besoin d’un accompagnement psychosocial. Des intervenants de l’Accueil Bonneau seront sur place. Selon la directrice générale, le projet permettra de désengorger d’autres immeubles gérés par l’Accueil Bonneau et d’autres organismes.

1/2

Un investissement de 23,5 millions

Le chantier ayant été retardé de plusieurs mois par la pandémie, il est désormais prévu que les premiers locataires, qui paieront un loyer équivalent à 25 % de leur revenu grâce au Programme de supplément au loyer, emménagent au cours de l’automne. Bien que la SHDM ait pour mandat de rendre disponibles des logements locatifs à prix abordable, privé ou communautaire, elle n’avait encore jamais réalisé de projet de logements sociaux à l’intention des personnes en situation ou à risque d’itinérance. « On espère que ça servira d’exemple pour montrer que de tels projets peuvent se faire, dit Nancy Shoiry. C’est essentiel, mais ça demande beaucoup d’efforts. On travaille fort encore aujourd’hui pour attacher le financement. » Près de 23,5 millions de dollars ont été investis dans le projet. La SHDM, qui est financièrement autonome, assumera également le déficit d’exploitation, estimé à 280 000 $ par an.

Dans son Plan d’action montréalais en itinérance 2014-2017, la Ville de Montréal avait identifié la SHDM comme un partenaire dans la réalisation de 1000 logements pour personnes vulnérables ou itinérantes. Une cible de 200 nouvelles unités de logement pour la SHDM avait par la suite été précisée. Cet objectif sera presque atteint puisqu’en plus des 114 logements que compte Le Christin, la société inaugurera dans les prochains mois deux autres projets de 54 et 25 unités, qui seront gérés par deux autres organismes, soit la Maison du Père et Chez Doris.

1 « J'aime »

Reportage au Téléjournal 18h

Itinérance à Montréal : deux fois plus de camps démantelés en deux ans

Le nombre de démantèlements de campements de sans-abri a plus que doublé depuis deux ans au centre-ville de Montréal. Depuis janvier 2023 seulement, la ville a démantelé 244 campements.

Le reportage de Marie-Josée Paquette-Comeau.

1 « J'aime »

Quelle histoire triste.

1 « J'aime »

Offrir un toit aux itinérants revient moins cher à la société, selon un rapport

Un homme couché au sol, tentant de se couvrir autant que possible.

L’UMQ a commandé un rapport qui démontre les bénéfices économiques d’offrir un toit aux personnes sans-abri.

Photo : Radio-Canada / Alain Beland

Publié à 4 h 00 HAE

Partager l’article

À l’heure où les municipalités demandent au gouvernement Legault d’en faire plus pour lutter contre l’itinérance, un rapport indique qu’investir dans l’hébergement pourrait être payant pour toute la société. Offrir un toit à un sans-abri revient en effet moins cher que l’ensemble des services qu’il utiliserait s’il restait dans la rue, selon des données obtenues par Radio-Canada.

Commandé par l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et réalisé par la firme privée AppEco analyse stratégique, le rapport évalue qu’une personne sans logis engendre des coûts de 72 521 $ par année pour la société.

Cela s’explique en grande partie par l’utilisation occasionnelle de refuges (presque 7000 $ annuellement), les séjours en institut psychiatrique (environ 14 000 $), les visites à l’hôpital (tout près de 7000 $) et les coûts liés à la sécurité (plus de 17 000 $).

Si cette même personne se voit offrir un hébergement temporaire, comme une chambre d’hôtel ou de motel, les coûts sociaux assumés par la société tombent sous la barre des 70 000 $ par année, à exactement 69 717 $, d’après le rapport.

Et si cette même personne se voit offrir un lieu permanent, tel qu’un logement social, un hébergement de transition ou un appartement privé, elle engendre des coûts encore plus bas pour la société, soit 65 193 $ par année.

La logique derrière ce résultat est la suivante : les coûts additionnels liés à l’hébergement stable d’une personne sont largement compensés par le fait qu’elle consomme beaucoup moins de services en sécurité (environ 9700 $ par année), en psychiatrie (9000 $) et à l’hôpital (4600 $).

Pour arriver à ces conclusions, AppEco analyse stratégique s’est basée sur les données disponibles dans le Dénombrement des personnes en situation d’itinérance au Québec de 2018 ainsi que dans plusieurs études. Un argument de poids

Le rapport – intitulé État de situation et analyse d’impact des programmes de prévention et de lutte contre l’itinérance au Québec sur les municipalités – sera présenté dans son entièreté lors du Sommet municipal sur l’itinérance qui aura lieu vendredi à Québec.

Puisque le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a promis d’être présent, l’UMQ utilisera assurément ces nouvelles données pour amener le gouvernement provincial à mesurer le poids financier du statu quo.

Le torchon brûle au sujet de l’itinérance entre Québec et les villes, ces dernières se disant incapables de répondre adéquatement à l’aggravation du problème qui nécessite toujours plus de ressources.

Le ministre des Finances, Éric Girard, n’a pas exclu de faire des investissements supplémentaires, la semaine dernière, lors du caucus de la Coalition avenir Québec au Saguenay.

Les plus récentes données sur l’itinérance au Québec doivent d’ailleurs être dévoilées cette semaine. En 2018, le Dénombrement faisait état de 5789 personnes en situation d’itinérance dans la province.

Le portrait s’est toutefois considérablement assombri depuis, a confirmé mardi le ministre Lionel Carmant. Il a laissé entendre que les nouveaux chiffres iront dans le sens de ce que les intervenants constatent sur le terrain depuis la pandémie.

À lire et à voir :

2 « J'aime »

Il y au moins 10 000 sans-abris au Québec, une hausse de 44% depuis le dernier recensement de 2018.
Montréal connaît une hausse de 33%. Il y a une régionalisation de l’itinérance: en 2018, 80% des itinérants se trouvaient à Montréal. Maintenant, c’est 60%.

Tableaux intéressants tirés de l’article de La Presse:

1b215c2aa9bd34ec9e4395f9614dad6ec1c0aae3a737398483ef5fe853a501af

3 « J'aime »