Résumé
Chef Guillaume: de l’itinérance à la cuisine
Par Paule Vermot-Desroches, Le Nouvelliste
4 janvier 2025 à 04h00|
Mis à jour le4 janvier 2025 à 06h29
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Il y a à peine quatre ans, Guillaume Petit était un sans-abri. Aujourd’hui, il est chef de la production chez Solutions alimentaires Dany Willard. (Paule Vermot-Desroches/Le Nouvelliste)
CHRONIQUE / La journée de travail vient de se terminer. L’uniforme de cuisinier de Guillaume Petit est enduit de farine, signe qu’il a travaillé fort. Dans le corridor qu’il emprunte pour aller se changer à la salle des employés, les photos des membres de son équipe sont toutes affichées. «Ici travaillent des humains extraordinaires pour nourrir d’autres humains extraordinaires», peut-on lire. On n’aurait pas pu mieux dire!
Chez Solutions alimentaires Chef Willard, Guillaume Petit vient à peine d’être nommé chef de la production. Une promotion méritée, certes, pour celui qui est entré dans l’entreprise il y a environ un an. Une promotion, aux yeux du monde, qui devrait toutefois prendre les allures d’une immense victoire, qui devrait nous redonner espoir à tous.
Il y a quatre ans, c’est dans la rue que Guillaume vivait… Comme bien des gens qui dorment dans les rues du centre-ville de Trois-Rivières, dans les rues de Shawinigan. Comme des centaines de visages anonymes qui, depuis les dernières années, meublent de plus en plus notre espace urbain, à la recherche d’un peu de chaleur et de dignité pour tenter de survivre dans un monde où tout se vit dans la marge.
J’ai rencontré Guillaume il y a un peu plus de trois ans. Il venait d’être diplômé. Diplômé de quoi? Du Programme accès justice en intervention communautaire (PAJIC). Un programme développé en partenariat avec la cour municipale de Trois-Rivières et l’organisme Point de Rue, afin de permettre aux personnes marginalisées de s’engager dans un parcours de réhabilitation. En échange de la réussite de cet engagement, la cour municipale est prête à passer l’éponge sur l’ardoise des billets d’infraction qui s’accumulent bien souvent pour cette clientèle, et qui représentent un fardeau financier les aspirant encore plus dans une spirale sans fin.
Guillaume avait été l’un des premiers Trifluviens à compléter ce programme. Son diplôme, il en était fier.
En 2021, Guillaume Petit devenait l’un des premiers Trifluviens à compléter le programme PAJIC. On le voit ici, à l’époque, avec l’intervenante de Point de Rue, Geneviève Charest. (Sylvain Mayer/Archives Le Nouvelliste)
Mais tout n’était pas pour autant gagné pour lui. Quand on vit avec l’alcoolisme depuis une décennie, à boire du matin au soir jusqu’à en vomir du sang, à errer d’un divan à un autre chez des amis prêts à nous accommoder une nuit ou deux, rien n’est jamais gagné.
À perdre son logement, son permis de conduire, même le droit de pouvoir voir ses enfants. Quand on vit avec ce lourd passé, on peut vite replonger au détour d’un moment de découragement ou d’une mauvaise fréquentation qu’on avait pourtant effacée de notre vie.
Mais Guillaume a eu envie d’être heureux. Envie d’aller mieux. Le diplôme du PAJIC n’allait pas être son dernier. Il est retourné à l’école pour terminer ses équivalences du secondaire, pour ensuite entamer un cours en cuisine au centre Bel-Avenir.
«À ce moment-là, j’étais encore techniquement un sans-abri, parce que je n’avais pas d’adresse à moi. C’était de l’itinérance invisible, ça a toujours été ça un peu. Quand j’allais à l’école, je dormais sur le divan d’un ami. Quand j’allais faire mes stages la fin de semaine, je dormais chez mon ex-beau-père», se souvient-il.
Une étape à la fois
Tranquillement, une étape à la fois, il a tout récupéré. Son permis de conduire, sa voiture. Il a obtenu son diplôme en cuisine, trouvé du travail dans un restaurant de Bécancour, puis dans un autre restaurant de Trois-Rivières. Il a trouvé un logement, et ses enfants ont recommencé à venir passer une fin de semaine sur deux chez lui.
Il y a un an, une opportunité s’est présentée chez Solutions alimentaires Chef Willard. Il y est entré comme cuisinier… et s’est trouvé là comme un poisson dans l’eau.
Guillaume Petit, comme chef production, dirige une brigade de six à huit personnes chaque jour. (Paule Vermot-Desroches)
«Je n’en suis pas revenu comment le propriétaire, Dany Willard, était quelqu’un d’humain. C’est quelqu’un qui a écouté quand je lui ai raconté par où j’étais passé, qui n’a pas eu peur de me faire confiance. C’est quelqu’un qui prend soin de son monde, et ça nous donne le goût de travailler. J’ai un énorme sentiment d’appartenance ici», confie celui qui s’est récemment fait offrir le poste de chef de production, et qui gère maintenant une brigade de six à huit personnes.
L’équipe cuisine pas moins de 4000 plats par semaine pour nourrir des personnes âgées qui habitent dans des résidences, ou encore des menus destinés à des garderies ou des entreprises. À long terme, l’entreprise vise le développement d’une clientèle qui pourrait aller jusqu’à 12 000 repas par semaine.
Pour Guillaume, cuisiner pour ces gens prend tout son sens.
«On a l’impression de prendre réellement soin du monde quand on cuisine pour les personnes âgées. Un jour, dans ma vie, j’ai moi aussi eu besoin qu’on prenne soin de moi. Quand je travaille ici, c’est un peu comme si je redonnais».
— Guillaume Petit, chef production chez Solutions alimentaire Dany Willard
N’empêche, l’obtention de ce nouveau poste, qui a été bien souligné aux yeux du public sur les réseaux sociaux de l’entreprise, lui fait vivre malgré lui le sentiment d’être un imposteur. «J’ai encore du mal à y croire, encore du mal à penser que je mérite ce qui m’arrive. Dans ma vie, j’ai été programmé à penser que j’étais un cave, un maillet, un bon à rien. C’était ça que mon père me disait quand j’étais petit», confie-t-il, non sans émotion.
«L’alcool, ça éteint ton potentiel»
Pourtant, Guillaume a travaillé fort pour arriver là où il est. Et au travail, ça se voit, c’est un leader né! Seulement, l’alcool avait éteint ça en lui depuis si longtemps.
«L’alcool, ça éteint ton potentiel. Depuis que j’ai cessé de boire, je me suis remis à la musique, aux arts martiaux. Je fais de la planche à neige, du patin, du long board. Chaque jour je vais prendre une marche pendant une heure ou deux. Je suis un hyperactif. Quand je suis au travail, il n’y a pas une poubelle qui traîne, je ramasse tout, je nettoie tout le temps. Si j’avais continué à boire, j’aurais éteint tout ça», croit-il.
Guillaume n’a aucune gêne à parler de cette période de sa vie, puisqu’il croit que son expérience peut en aider d’autres. D’ailleurs, sur le mur devant son poste de travail, une plaque a été vissée. On y lit «Le bar de Guillaume». Une petite plaisanterie de son équipe, qui savait qu’il le prendrait en riant.
Est-on jamais tiré d’affaire lorsqu’on souffre de la maladie de l’alcoolisme? «Absolument pas! C’est un jour à la fois. Il y a quelques mois, j’ai vécu une séparation, et j’ai senti que j’allais replonger. J’aurais tellement eu envie d’en prendre une. Mais maintenant, je me joue le film au complet dans ma tête, et je sais comment ça va finir. C’est assez pour me convaincre de ne pas y retoucher», mentionne-t-il.
Chaque jour, il travaille pour les autres, certes, mais il travaille aussi sur lui pour continuer sur cette route qu’il ne croyait plus revoir.
Parfois, il lui arrive de retourner auprès des personnes de la rue, d’aller leur porter un peu de nourriture, de piquer une jasette rapide. Il sait trop bien la valeur que ça a aux yeux de ceux de qui on détourne trop souvent le regard.
«Je ne sais pas si je peux en inspirer d’autres. Peut-être. Ce que je sais, c’est que pendant longtemps, on a pensé que j’étais un gars fini. Mais je suis là aujourd’hui. C’est pas vrai qu’on ne peut pas s’en sortir. Mais ça prend de l’aide, des efforts, du temps. Ça prend du monde qui croit en nous autant que nous, on a envie de croire en nous».