Pas de rue piétonne permanente sur l’avenue Bernard. Mais pourquoi?
L’avenue Bernard piétonne durant l’été.
Photo: Gracieuseté - Ville de Montréal
Mateo Gaurrand-Paradot
11 juin 2023 à 9h26 6 minutes de lecture
Une avenue Bernard piétonne, bordée de bancs, de chaises de détente, de terrasses toutes saisons… Ce projet, mis en branle en 2020, peut porter à rêver. Pourtant, il est au point mort. Pour cause, la rue piétonne a été abandonnée sans grande pompe ni annonce publique. Dans ce dossier, la Ville de Montréal et Outremont se renvoient la balle de la responsabilité de cet abandon, sur fond de changement d’administration.
Dans la foulée de la piétonnisation estivale de l’avenue Bernard à l’été 2020, un projet de rue piétonne permanente sur cet axe avait été développé, via le Programme d’implantation des rues piétonnes et partagées (PIRPP). Programme municipal qui a fait émerger 18 rues et places où l’espace alloué aux automobiles a été diminué, comme l’espace de rencontre Simon-Valois.
En avril 2022, alors que des consultations avaient été menées et que de premières installations avaient été mises en place sur l’avenue Bernard, les équipes de l’Arrondissement ont été mises au fait de l’abandon de la rue piétonne permanente sur l’avenue Bernard. Ni la Ville ni l’Arrondissement n’ont alors communiqué publiquement à ce sujet.
La piétonnisation estivale de l’avenue Bernard a, elle, été maintenue, et ce au moins jusqu’en 2024. Le PIRPP ne produit, de son côté, plus aucun projet, le programme ayant pris fin.
Passe d’armes sur les raisons de l’abandon
Contacté par Métro, le cabinet du maire d’Outremont, Laurent Desbois (Ensemble Montréal), explique que la piétonnisation permanente de l’avenue Bernard aurait été abandonnée par la Ville-centre, au motif que l’argent manquait et que l’administration Plante (Projet Montréal) réalisait donc des compressions dans son budget de fonctionnement et dans son programme décennal d’immobilisation.
Le financement s’est alors arrêté pour les phases d’essai, tout comme pour le projet de pérennisation des installations piétonnières. Outremont se plaint que deux autres arrondissements – sans citer lesquels – aient obtenu des financements pour leur projet du PIRRP en 2023, mais que la Ville-centre ait refusé de financer le projet de l’avenue Bernard. D’ailleurs, seulement deux autres projets (sur les 21, au total) du PIRPP ont été abandonnés, mais d’un commun accord entre l’arrondissement concerné et la Ville-centre.
La version est bien différente du côté de l’administration centrale. Dans un courriel à Métro, la Ville de Montréal indique que le projet de rue piétonne permanente de l’avenue Bernard n’était pas conforme aux critères. Elle réfute que le projet ait été arrêté en raison de coupes budgétaires.
« Selon le cadre de référence, les projets doivent maintenir un aménagement qui effectue un repartage d’au moins 40% de l’espace et élimine 50% du stationnement, et ce, pendant les 12 mois de l’année pour les deux années transitoires », expose la Ville. D’après la municipalité, le projet sur l’avenue Bernard n’était qu’une piétonnisation estivale qui ne répondait donc pas à ces critères et s’arrimait mieux avec le programme des rues piétonnes estivales.
Sur le site de Réalisons Montréal, on lit pourtant que la piétonnisation permanente se faisait en plusieurs étapes. Durant les étés 2021 et 2022, une piétonnisation estivale se mettrait en place, en effet, mais dès l’hiver 2021-2022, une réduction de la chaussée était planifiée. Des installations permanentes devaient voir le jour cet été, en 2023.
À la fin de l’automne 2021, l’administration d’Outremont avait bien mis en place deux sites avec des installations pour l’hiver, et avait ainsi retiré des cases de stationnement, raconte Philipe Tomlinson, ancien maire (Projet Montréal) d’Outremont de 2017 à la fin de 2021. Cela est en accord avec ce que contenait le projet soumis pour le PIRPP, afin de repartager la rue. Le projet aurait ensuite dû être bonifié en 2022, puis pérennisé en 2023, mais son abandon a été acté entre temps.
Tensions politiques?
M. Tomlinson croit que l’abandon et les désaccords entre la Ville et Outremont ne sont pas étonnants, étant donné que le maire qui l’a remplacé, Laurent Desbois, du parti Ensemble Montréal, est du bord politique opposé à la mairesse de Montréal, Valérie Plante, du parti Projet Montréal. Les tensions entre l’administration centrale et les arrondissements remportés par l’Opposition seraient nombreuses.
Aux élections municipales de 2021, l’arrondissement d’Outremont a élu Laurent Desbois à la mairie avec 23 voix d’avance sur son adversaire, le maire sortant, soit Philipe Tomlinson. Par contre, Valérie Plante, pour la mairie de Montréal, avait récolté 63% des voix dans cet arrondissement, contre 32% pour Denis Coderre, d’Ensemble Montréal.
Que l’avenue Bernard ait fait les frais du revirement politique d’Outremont en 2021 ou non, la rue piétonne, elle, est morte dans l’œuf, et la confusion persiste sur les raisons qui ont poussé à cette fin prématurée du projet. Les stations hivernales avec ilots de chaleur et les espaces prévus pour des terrasses hivernales sur cet axe majeur d’Outremont ne verront ainsi pas le jour de sitôt.
« Dans le temps [au début du projet], c’était 100% la volonté des commerçants de l’avenue Bernard de faire une rue piétonne en tout temps », se souvient Philipe Tomlinson. Il raconte avoir profité de la pandémie et du programme des rues estivales pour proposer ce projet qui devait se faire en plusieurs étapes et permettre d’évaluer la faisabilité de piétonniser une artère commerciale de premier plan pour l’Arrondissement.
À l’été 2021, les commerçants de l’avenue Bernard étaient les plus satisfaits par la piétonnisation de leur artère parmi les commerçants des rues piétonnisées de Montréal. C’était 90% des commerçants et 97% des passants interrogés qui étaient satisfaits de la piétonnisation de l’avenue Bernard en 2021.
À travers Montréal, aucun arrondissement n’a piétonnisé annuellement une artère commerciale de premier plan, même si des rues commerciales piétonnes en tout temps existent avec parcimonie comme la rue Prince-Arthur Est et la rue de la Gauchetière dans le quartier chinois. Ailleurs, à Verdun, des citoyens se mobilisent, via une pétition, pour rendre la rue Wellington piétonne à longueur d’année.